sommaire Un bilan riche d'enseignements par Daniel Allard À Québec, Marcel Gaudreau était déjà connu de la communauté des gens d'affaires, puisqu'il occupait un poste de conseiller à la Société de promotion économique du Québec métropolitain depuis plusieurs années, lorsque Lucien Bouchard lui demanda d'aller ouvrir un Bureau du Québec à Barcelone. C'était en 1998. Une offre qu'il ne pouvait pas refuser. De retour à Québec depuis juillet 2002, il trace avec nous un bilan de cette riche expérience. Une aventure en fait, car rien ne fut facile. Même les autorisations officielles du gouvernement central espagnol furent lentes à obtenir, retardant le départ de la famille Gaudreau pour les terres catalanes de quelques mois. Michelle Bussières Un pas après l'autre, c'est finalement une équipe de trois personnes qui attendait le premier ministre Lucien Bouchard, pour inaugurer officiellement la première présence institutionnelle du Québec dans la péninsule Ibérique, le 15 mars 1999. Par la suite, l'équipe passera à quatre, avec l'embauche d'un attaché commercial. « Parce que le principal défi du bureau était de nature économique, pas politique », précise-t-il. PARTIR DE LOIN « Deux communautés d'affaires qui ne se connaissent pas beaucoup ; qui ne sont pas dans l'écran radar de l'autre. » C'est ainsi que Marcel Gaudreau résume sa perception des relations entre le Québec et l'Espagne, même après trois ans de travail sur le terrain. « Après la mort du général Franco en 1975, il y aura une transition et un retour à la démocratie, avec par exemple l'instauration des structures décentralisées comme la Generalitat de Catalunya. Les premières élections démocratiques auront lieu en 1980, après l'adoption d'une nouvelle constitution en 1978. Et cette Espagne n'est pas une fédération, bien qu'elle soit divisée en 17 communautés autonomes », tient-il à préciser. « L'adhésion de l'Espagne à l'Union européenne change la donne en 1986. Avec l'entrée en action du Fonds de cohésion, une manne d'investissements européens déferle sur le pays. En argent d'aujourd'hui, on m'a dit que c'est environ 13 milliards d'euros par an d'argents neufs qui ont été investis, principalement dans les infrastructures », poursuit-il. Mais tous ces changements sont passés quasi inaperçus, pour la grande majorité des gens d'affaires du Québec, plus naturellement branchés sur d'autres pays européens plus nordiques, surtout la France et le Royaume-Uni. POURQUOI BARCELONE? La petite histoire de l'ouverture d'un Bureau du Québec en Espagne a donc quelque chose de particulier. Et pourquoi choisir de s'installer officiellement à Barcelone, plutôt que dans la capitale du pays? En effet, la réponse tient essentiellement au seul nom d'une personne, voire d'un personnage : Jordi Pujol. L'homme qui est, pour ainsi dire, une institution aussi ancienne que le retour de la démocratie en Espagne. Car dès l'élection de 1981, celui qui est toujours au poste est élu à la présidence de la Communauté autonome de Catalogne. Autonomiste sans devenir indépendantiste, Jordi Pujol s'intéresse à l'exemple du Québec et y envoie plusieurs hauts fonctionnaires avec mandat d'observer ses politiques. « À toute fin utile, la loi linguistique catalane s'inspire de la Loi 101, la police y est une version de la Sûreté du Québec », relate Marcel Gaudreau. Un processus de rapprochement qui culmine, dans les années 90, jusqu'à la visite officielle de Jordi Pujol au Québec à l'été de 1996, avec une série d'activités culturelles et la signature d'un Accord cadre de coopération, qui conduira à la conclusion d'une bonne demi-douzaine d'accords sectoriels (dans les domaines linguistique, culturel, commercial, de la sécurité, etc…). Un geste international important pour le Québec puisque encore aujourd'hui, c'est toujours le seul accord que le Québec possède avec une autorité gouvernementale en Espagne. Bien que Marcel Gaudreau se déclare incapable de dire si c'est à la demande du président Pujol que le gouvernement du Québec décidera ensuite d'ouvrir un Bureau officiel à Barcelone, il ne peut s'empêcher de penser que le sujet avait fort probablement été abordé dans les discussions de hauts niveaux. Ce qu'il sait cependant avec précision parce qu'il l'a vécu cette fois, c'est que la décision fut prise en 1997 et qu'en mars 1999, le premier ministre Bouchard rendait la pareille à son ami le président Pujol, en visitant la Catalogne. Geste qui, évidemment, donna une forte connotation politique à la décision d'ouvrir un Bureau du Québec dans la capitale catalane. Ce, bien qu'en soit le choix de Barcelone se défendait de lui-même: « Barcelone se targue d'être la ville avec le plus grand nombre de consulats en Europe avec 87. Et la Catalogne, avec ses 6 millions d'habitants, représente plus de 21% du PIB de l'Espagne », argumente monsieur Gaudreau. De toute façon, il est encore bien tôt pour évaluer la justesse du choix du Québec. Et l'ère Pujol tire par ailleurs à sa fin. « Pujol en est à son sixième mandat. Il y aura des élections fin 2003 et il a déjà annoncé qu'il ne serait pas candidat. Mais il a aussi clairement identifié un dauphin: Arthur Mas, un homme d'environ 45 ans, qui va se présenter notamment face aux socialistes catalans, dans l'espoir d'assurer la continuité », explique Marcel Gaudreau. Si en 2003 les pouvoirs changeaient, autant à Québec qu'à Barcelone, il faudra voir si les priorités des nouveaux gouvernements élus donneront des ailes au tout jeune Bureau du Québec, ou si elles conduiront à sa fermeture prématurée. QUELQUES CLÉS DE L'ÉCONOMIE CATALANE Sans richesses naturelles, les Catalans ont toujours dû compter sur leur côté industrieux. La Catalogne, avec le pays Basques, fait partie des rares régions d'Espagne à avoir vivement profité de la révolution industrielle du XIXe siècle. Un fait d'histoire qui a ici bâti une richesse patrimoniale à partir de l'industrie du textile, pendant que les Basques faisaient de même avec l'industrie de la transformation des métaux. « Ils sont aussi devenus de redoutables commerçants », prévient Marcel Gaudreau. Un réflexe entrepreneurial qui semble encore donner des résultats aujourd'hui. « Je n'ai pas connu moins que 4% de croissance économique par année en Catalogne depuis 1998 », précise-t-il encore. « Globalement, l'Espagne est maintenant la 5ièm économie de l'Union européenne. Ce pays importe annuellement pour environ 200 milliards d'euros. Il est le 5ièm producteur d'automobiles au monde... Son principal partenaire économique est la France. Il y a aussi beaucoup d'investissements directs français en Espagne. » Une vitalité économique qui s'exprime aussi jusqu'en Amérique latine. « En 1999, les Espagnols ont été classés au 6ièm rang des exportateurs nets de capital au monde, dépassant les USA, en investissant massivement surtout en Amérique latine... Eux aussi s'ouvrent de plus en plus sur le monde… Je ne peux pas dire que c'est un marché facile à percer… Parce qu'ils ne nous connaissent pas et qu'ils rêvent aux USA. Ils connaissent le mot Québec, mais pas plus… Paradoxalement, aller à New York, ce n'est pas loin pour eux; mais aller à Montréal, c'est loin. Il faut donc encore les apprivoiser… Et pour les intéresser, il vaut mieux arriver avec un produit moyen/haut-de-gamme. » Parallèlement à cette émergence de l'Espagne comme partenaire économique important en Europe, Marcel Gaudreau tient aussi à souligner que des multinationales du Québec ont aussi pris le pas. Nortel, Teleglobe, Quebecor World, Bombardier Division transport avec l'achat de l'allemand Adtranz, autant d'exemples qui témoignent que le Québec commence à s'intéresser à l'Espagne. EXFO, de Québec, a aussi ouvert un petit bureau de vente à Barcelone. Pourquoi Barcelone? « En Espagne, Madrid-Barcelone représente le principal axe de développement, avec une saine concurrence, d'ailleurs. Et comme il faut six heures de route pour relier les deux villes, un véritable pont aérien, qu'on appelle bien « Ponte Aerio », fait même la navette en 50 minutes », raconte d'expérience Marcel Gaudreau. Voilà pourquoi c'est principalement sur cet axe Madrid-Barcelone que les efforts des premières années du Bureau du Québec à Barcelone ont été alloués. Théoriquement, toute la péninsule Ibérique relève de ce bureau, Portugal inclus, mais il fallait faire des choix. Et il faudra aussi être patient. La route sera encore longue avant de réussir le rapprochement de deux communautés d'affaires qui partent de très loin.
Trois années d'actions du Bureau du Québec à Barcelone ont-elles changé quelque chose entre le Québec et l'Espagne? « Bon an, mal an, une trentaine de PME québécoises ont été aidées dans leurs démarches sur les marchés de la péninsule Ibérique », résume, sans égard au résultat, l'ancien directeur, qui a d'ailleurs très peu d'exemple de succès concrets à donner. « Je peux citer le cas du Groupe Enerquem, de Sherbrooke, un spin off de l'Université de Sherbrooke qui a vendu un procédé pour disposer des résidus de plastiques tout en produisant de l'énergie. En Espagne, la culture en serre est de plus en plus développée et il faut des moyens pour se débarrasser de ces immenses abris, lorsqu'ils terminent leur vie utile. Électromed a identifié un distributeur et placé un équipement complet à l'Hôpital clinique de Barcelone; Purkinje, aussi de Montréal, qui offre un logiciel de dossier client adossé à une base de données, a aussi identifié un distributeur. Documens a fait un investissement croisé avec une entreprise de Barcelone. Du coup, l'entreprise a une place d'affaires en Espagne. Dans l'autre sens, notre présence a permis d'attirer plusieurs entreprises espagnoles à Québec, lors de l'édition 2001 de Bio-Contact. La compagnie Ferrer et Les laboratoires AEterna, de Québec, ont alors signé un accord de distribution croisée. Almirall Prodesfarma, la plus grosse pharma d'Espagne, a aussi négocié des ententes avec plusieurs entreprises en biotechnologie du Québec. Des représentations ont été faites en collaboration avec la SPEQM pour réussir la même chose pour FuturAllia 2003, un événement qui se tiendra à Québec en mai prochain », confirme Marcel Gaudreau. Du coup, il précise que le secteur pharmaceutique est d'ailleurs très fort à Barcelone. Cette industrie étant, à l'échelle du pays, localisée pour 50% à Madrid et 50% à Barcelone; et qui compte encore de très grosses entreprises de type familial, particulièrement à Barcelone, où il y en a cinq majeurs. « Après trois ans d'implantation du Bureau de Barcelone, c'est aux entreprises du Québec de profiter de cet outil », résume Marcel Gaudreau. Il a aussi vu Câble Satisfaction International, une entreprise de Longueuil, devenir le deuxième opérateur de câbles au Portugal sous le nom de Cabo Visaon International - sur ce territoire qu'il couvrait également et qu'il n'a pas privilégié, choisissant d'être d'abord plus proactif sur le corridor avec Madrid - preuve que le succès est possible. Y-a-t-il des secteurs économiques particuliers pour lesquels il faudrait avoir Barcelone en tête, comme le vin à Bordeaux et l'aéronautique à Toulouse? La question embête Marcel Gaudreau. Il a surtout vu une économie très diversifiée, mais il risque la réponse suivante: « Le milieu des télécommunications, les pièces d'automobiles et la transformation des métaux légers comme l'aluminium et le magnésium ». Deux sur trois, pour la convergence avec les forces économiques de la région de Québec. C'est déjà ça de pris! De plus, c'est aussi une autre personne de Québec, Michelle Bussières, qui occupe maintenant - officiellement depuis le 1er août - la direction du Bureau du Québec à Barcelone. La même Michelle Bussières qui était jusque-là à la tête de l'Organisation universitaire interaméricaine (OUI), qui a son siège social à Québec. Celle qui fut aussi déléguée du Québec à Mexico. Pour sa part, dès son retour à Québec, Marcel Gaudreau a pris la coordination de l'équipe de la Décennie québécoise des Amériques, au ministère de l'Industrie et du Commerce, à Québec.
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