sommaire 35e édition du Festival d'été de Québec par José Slobodrian
La grande diversité de scènes qu'offre la Ville de Québec comble autant les artistes que le public. Aux amateurs d'intimité et aux oiseaux de nuit, le Festival d'été offre l'ambiance chaleureuse du Pub Saint-Alexandre avec ses murs en briques, ses magnifiques boiseries et son imposant choix de bières en fut importées ou encore l'élégante petite salle de l'Emprise du Clarendon, sans oublier le Théatre du Périscope transformé en café-bar à spectacles, avec petites tables et chaises où défilent marginaux d'ici et d'ailleurs sans compter l'incontournable Robert Charlesbois. Les amateurs de plein air sont aussi comblés autant par la scène du Carré d'Youville encadrée par la muraille de l'acropole que par la scène du Parc de la Francophonie (autrefois le Pigeonier) avec le Parlement en arrière plan et par la grande scène au coeur des Plaines d'Abraham. DE LA MUSIQUE TRADITIONNELLE À VOLONTÉ Fidèle aux sources, mais souvent déracinée géographiquement, on constate que la musique se mondialise et se spécialise. Des Chinoises vivant au Canada depuis plusieurs années, interprètent des pièces traditionnelles de leur pays d'origine, alors qu'un Australien vient nous faire preuve de ses prouesses sur des airs de blues on ne peut plus traditionnels. Aussi, la perméabilité culturelle provoquée par la globalisation donne lieu à de curieux mélanges qui lancent un défi à notre palet musical. On n'a qu'à penser au trio de l'italien Filippo Gambetta, accordéoniste s'inspirant du folklore italien, accompagné du guitariste, Claudio de Angeli, de même souche et de la violoniste, Sandra Wong, issue des États-Unis d'ancêtres asiatiques qui nous interprète des thèmes folkloriques nord européens sur sa Nyckelharpa (http://www.nyckelharpa.org/info/), instrument à 16 cordes (3 cordes de mélodie, une de bourdonnement et 12 en vibration sympathique) suédois muni d'un clavier et joué à l'aide d'un archet. Silk & Steel Ensemble Silk & Steel Ensemble est la contribution cette année de Debashish Battacharya, virtuose de la guitare «slide» indienne. Cette guitare se joue à plat avec un «slide» et qui, tout comme la sitar indienne, est additionnée de cordes sympathiques accordées pour résonner avec les notes ou harmoniques de la gamme, 28 cordes en tout. Accompagné, comme avant l'année dernière de Subashish Battacharya, maître des tablas, ce couple de petits tambours indiens, mais aussi de la fameuse Liu Fang, à la Pipa, dont le passage à Québec a fait tant parlé. La Pipa est un instrument chinois, à cordes pincées , joué à la verticale. Ils sont accompagnés également de Julian Kytasty, à la Bandura ( http://www.ifccsa.org/bandura.html) , un « instrumonstre » Est-européen à 48 cordes, dans sa version moderne, à l'allure d'un luth géant cordé comme une harpe, avec la gamme chromatique complète, les dièzes et bémols étant légèrement en retraîte. Ce mariage d'instruments et de styles est, pour dire le moins, intriguant! Si on demeure puriste par rapport à Debashish on trouve les plus exaltantes ses pièces indiennes parfois pyrotechniques accompagnés du jeune Subashish toujours impressionnant par l'éclaire de sa dextérité sur les tablas. Il faut reconnaître chez Debashish l'ouverture aux expériences musicales nouvelles. Ce guru musical traditionnel qui nous interpelle à l'amour entre ses pièces en nous parlant, en référence à son nouvel ensemble, d'un « triangle amoureux » reliant la Chine, l'Ukraine et l'Asie du Sud ! Reste que ce triangle nous a invité à déguster d'excellentes pièces traditionnelles chinoises et aussi de la steppe ukrainienne. Gastronomie musicale nouvelle issue de la perméabilité des frontières culturelles, mais aussi des efforts de préservation des musiques traditionnelles, à ne pas négliger… René Lacaille René Lacaille, vieux routard de l'accordéon éternellement jeune, aux chansons rythmés de l'Île de la Réunion (Océan Indien) fait toujours danser la baraque jusqu'aux petites heures et est prêt à recommencer le lendemain « matin », tranquillement. De son propre dire, René Lacaille joue depuis cinquante ans déjà et, à partir de sa résidence en France, il sillonne la planète : Québec, Allemagne, Singapour, Chine,… Chez nous il vient avec son joyeux ensemble de percussionnistes sur gros tambour, bongos et sablier, accompagnés de triangle et blocs de bois joués par sa petite fille au teint basané et aux grands yeux bleux exotiques. L'ambiance provoquée par le concert de Lacaille est chaude, rythmée, joyeuse, on se laisse transporter aux îles, sur une plage tropicale en fête. Au cours du festival il a aussi été invité à partager la scène avec l'accordéoniste Raul Barboza (Argentine), le chanteur et joueur de sanshin et guitariste Takashi Hirayasu (Okinawa) et le guitariste Bob Brozman (Etats-Unis). On dirait que d'année en année l'accordéon de ce vieil habitué du Festival brille de plus en plus. Cette année, il joue pour la première fois sur un accordéon-synthétiseur Cavagnolo qui lui permet de faire lui-même l'accompagnement à la basse de sa main gauche et de varier la panoplie de sons s'il le désir (e.g. orgue électronique). Lacaille est un excellent musicien d'une dextérité impressionnante et avec un riche bagage de paysages harmoniques. Sans prétentions, il joue comme il respire. En souriant, bien entendu! Dervish et De Dannan (Irlande) Dervish est un excellent groupe de musique traditionnelle irlandaise. On y retrouve une chanteuse à la voix intense et mélancolique qui nous berce sur des aires traditionnels nostalgiques. Les musiciens dont les visages semblent empreints de la rude histoire passée et présente de l'Irlande jouent aussi de bons airs rythmés à l'accordéon, la flûte la guitare et autres instruments à cordes. De Dannan, groupe instrumental, avec ses riles irlandais expose les racines de la musique folklorique québécoise. Takashi Hirayasu Takashi Hirayasu est un musicien difficile à classer. Il joue le «sanshin», banjo d'Okinawa en peau de serpent à trois cordes tout en chantant de vieilles chansons traditionnelles du sud japonais dites «shima-uta». Outre cette passion, il s'adonne également au blues, en jouant aussi de la guitare. Mince, souriant et très détendu il invite tranquillement la foule à chanter avec lui, sur des airs de plus en plus rythmés. Au Pub Saint-Alexandre, il a joué accompagné de Bob Brozman et de René Lacaille et son orchestre, ce qui a transformé la salle en véritable atmosphère de fête chantée surtout en japonais. Au-delà des musiques traditionnelles européennes, indiennes, asiatiques et africaines, le festival nous transporte du blues en passant par le jazz au rock progressif britannique et aux nouveaux sons du Moyen-Orient pour nous déposer aux confins des expériences modernes. Le passé, le présent et… l'avenir? Bien entendu la musique québécoise et classique ont aussi une grande place au festival, mais devant une telle variété, on n'a d'autre alternative que de choisir! UN EXCELLENT PROGRAMME DE BLUES TRADITIONNEL ET EN DEVENIR Dès le premier vendredi du festival les amateurs de blues sont comblés au Pub Saint-Alexandre par la présence du jeune australien et guitariste acoustique « slide »hors paire, Jeff Lang. Seul à la guitare, il réussit par ses chansons à remplir tout l'espace sonore tantôt plus rock, tantôt plus blues. Il interprète à la perfection non seulement ses propres créations mais aussi des pièces du blues traditionnel datant de la première moitié du 20e siècle. La vitesse de son jeu de slide se déroule avec une précision désarmante. Aussi nous plonge-t-il dans les ambiances du sud-américain d'antan en harmonisant sa voix parfaitement adaptée au blues avec ses notes de guitare en nous livrant des pièces telles Cypress Grove. Quelle heureuse découverte pour les mordus du style! Le soir suivant c'est au tour des Campbell Brothers d'épater la galerie au Pub. Excellents, ces Campbell Brothers qui ont toute la sonorité et le look d'un groupe de Blues/Gospel des noirs Américains. Accompagné de son fils à la batterie, le guitariste, dont la corpulence fait penser à un joueur de ligne défensive de football américain, joue assis avec un air à la fois enjoué et solennel. Sa mâchoire carrée est ponctuée par une barbiche et son visage par une paire de lunettes « intello » style années '60 à cadres argentés qu'il a en commun avec ses deux frères aussi assis devant leur lap steel et pedal steel guitares, desquels ils retirent parfois des sons de cuivres en sourdine. Un son à point pour les interprétations de Miles Davis, dont la pièce « So What? » De brèves incursions fort appréciés dans le jazz instrumental. Mais surtout, l'orchestre et la chanteuse, qui n'a rien à envier à Aretha Franklin, livrent une incarnation parfaite des pièces de blues et de gospel qui transportent le publique du Pub Saint Alexandre dans une ambiance de sous-sol d'église du Sud des États-Unis. Lors de la pièce « Jump for Joy », c'est exactement ce que nous avons ressenti! Dans la veine du « Memphis sound » le bassiste Big Joe Turner nous passe en revue les succès de ce style avec entre autres des pièces de B.B. King. Ce bassiste qui porte bien son nom joue sur la grande scène, accoté sur un tabouret accompagné d'un batteur, d'un bon guitariste et d'un fou de l'orgue Hammond qui livre des solos endiablés. Omniprésent au festival, Bob Brozman participe à une partie de la prestation de Jeff Lang et présente également des performances solo sur ses curieuses guitares Hawaïennes et National Reso-Phonic chromées. Le clou du style et possiblement une vision de l'avenir, s'est produit dans l'intimité du Théâtre du Périscope avec une des meilleures performances artistiques du Festival. Livrée par un Kelly Joe Phelps, compositeur- chanteur, guitariste acoustique extraordinaire, pourrait-on dire extraterrestre, qui a joué la majorité du spectacle les yeux fermés dans la pénombre accentuée d'une brume artificielle et qui, lorsqu'il parle, le fait avec une candeur et une originalité rarement ressentis. Originaire de l'État de Washington, élevé par des parents musiciens, il plonge ses racines musicales dans le jazz et le blues country et réussit à transcender les groupes d'âge. Artiste à la mine inusitée, petit costaud à la tête rasée évoquant un « marine » américain ou le Bruce Willis de Pulp Fiction, ses doigts agiles interprètent ou plutôt explorent passionnément ses propres pièces d'un style blues, blue grass transposés sur la planète Phelps. Même lorsqu'il ne chante pas, sa voix bourdonne à la façon des incantations tibétaines en arrière-plan de ses accords et de ses suites aux dissonances harmonieuses. Le public en est subjugué. Et que dire de sa tangente sur la médication? Heureux de découvrir avec le public que le mot se dit autant en français qu'en anglais. Mélancolique, énigmatique et excentrique jusqu'à la fin du spectacle ponctuée par une corde de guitare cassée, intentionnellement! LE BON VIEUX ROCK PROGRESSIF ET ALGÉRIEN… Steve Hackett, guitariste extraordinaire du rock progressif et membre original de la formation Genesis livre un spectacle considéré par plusieurs comme un des meilleurs du festival (nonobstant sa voix…). Son âge n'a rien enlevé à son jeux de guitare qui transportent autant aujourd'hui qu'il y a plus de vingt ans. Un spectacle qui dure deux heures trop vite passées avec plusieurs pièces de Genesis et aussi de ses albums solo. En rappel, il réussit avec une version instrumentale du succès monstre de Genesis, Squonk, à replonger dans l'ambiance du Colisé de Québec en 1976, pour ceux qui ont eu la chance d'y être lors de la venue de Genesis à l'époque. Pour finir, un mot sur un artiste du Québec. Né avec le spectacle dans le sang et une voix parfaite pour son style musical, Daniel Boucher a réussi à faire vibrer la « gang de malades » heureuse de se retrouver sur les Plaines d'Abraham par un beau jeudi soir. Il chante en Québécois pure laine entouré d'excellents musiciens évoquant des soupçons de Pink Floyd et d'autres groupes du rock progressif dans ses compositions qu'il interprète à chaque fois avec intensité et désinvolture. Il a le don de chanter la même phrase ou de jouer les mêmes deux notes 50 fois, de 50 façons différentes, mais avec drame et suspense. Du sang neuf pour un genre renouvelé en regain de popularité! ET L'AVENIR? Avec Bauchklang on se retrouve aux antipodes du retour aux sources. Six jeunes hommes, chacun muni simplement d'un micro, s'évertuent à se tranformer en machines émettrices de sons de musique électronique. Artifices de l'intelligence? Art ou curiosité, ils réussisent à rendre autant les pièces aux allures de reggae que de hip hop enragé et même à nous transporter dans l'ambiance techno d'un rave. Comment font-ils? Tantôt avec le micro devant la bouche, tantôt devant une narine, ils font tout avec la bouche et le souffle parfois même en émettant des sons gutturaux du fond de la gorge avec le cou qui bouge comme celui de certains oiseaux ou de chanteurs de tribus africaines. Peu importe la méthode, il en ressort des sons électroniques de beat box, de synthés, de basses, exception faite pour l'imitation (anachronique?) d'un didgeridoo australien. Le chanteur survolté à la crinière d'un rasta, lorsqu'il n'est pas machine, réussit à entraîner la foule avec ses hurlements. Un des hauts points du spectacle, a été leur capacité de livrer des harmonies vocales aux contours synthétisés éthériques. Outre leur capacité d'imiter l'électronique, ils savent aussi très bien chanter! Un spectacle execellent et intense devant un public ravi qui ne cessait de clamer des rappels. BREF: UN FESTIVAL DIGNE D'UN 35e ANNIVERSAIRE Ce festival se distingue par la variété et la qualité des musiciens en provenance des quatre coins de la planète. Les scènes sont munis de systèmes de sons de très haute fidélité manipulés par d'excellents techniciens, de telle façon que la reproduction sonore est excellente peu importe d'où on écoute. Cette année le public est comblé par les spectacles de musiques traditionnelles indiennes, chinoises, espagnoles, argentines, japonaises, roumaines, irlandaises, africaines… sans oublier le classique, le québécois, le blues, le rock et le jazz. On termine à bout de souffle. En plus de cette variété un des grands intérêts du festival consiste à faire partager la scène soit de façon prévue ou impromptue par des artistes de différents styles qui ne jouent pas toujours ensemble. Les résultats peuvent pousser notre palet musical à la limite et incitent à l'ouverture d'esprit. C'est le côté découverte et même expérimental du festival qui en fait sa spécificité. Il est à souhaiter que les organisateurs, qui évoquent déjà la possibilité d'augmenter le nombre de spectacles pour lesquelles il faudrait payer, n'oublieront pas que ce festival en est aussi un de découvertes. Les grands noms viennent nous voir de toutes façons… Textes vérifiés par www.MusiScript.com , spécialistes en partitions musicales de tous genres. |
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