SUCCÈS ET DÉMESURE par Louis Balthazar Quoi qu’on ait pu dire sur la flambée pathétique du patriotisme américain depuis le 11 septembre, sur le simplisme du discours du président George W. Bush, sur les recours fréquents à la vengeance dans les propos de certains responsables américains, il faut bien constater que la première phase de la politique américaine en réaction aux attentats s’est soldée par un succès. Sans doute les bombardements effrénés sur l’Afghanistan ont fait beaucoup de mal à ce pauvre pays qui est encore en proie à la misère, à la désorganisation et à l’incertitude. On a tout de même assisté à une véritable libération. Le régime odieux des Taliban s’est effondré, il y a sûrement plus de liberté et d’espoir à Kaboul et à Kandahar qu’il y en avait avant l’intervention conjuguée de la force américano-britannique et de l’Alliance du Nord. UNE BONNE NOTE AUX AMÉRICAINS Compte tenu de l’indéniable complicité du régime taliban avec le réseau Al-Qaïda, de toute évidence responsable des attaques du 11 septembre, les Américains étaient justifiés d’intervenir et de déloger le gouvernement en cause. Aurait-on pu le faire d’une manière moins violente? Dans les circonstances, cela ne paraît guère réaliste. Personne n’a encore construit un scénario qui aurait produit le même heureux résultat sans recourir à la violence des bombardements. Les Américains auront aussi fait preuve de sagesse en laissant passer quelques semaines avant d’intervenir. Le temps de s’assurer l’appui de leurs alliés immédiats et de l’OTAN, de constituer une coalition internationale et de sensibiliser des partenaires aussi incertains que le Pakistan et la Russie. Pour une administration qui s’était donné un programme plutôt unilatéraliste, c’était là un virage auquel on ne pouvait qu’applaudir. On a voulu aussi laisser les Afghans reconstruire eux-mêmes leur pays, sous l’égide des Nations Unies. Cette difficile opération s’est amorcée, semble-t-il, aussi heureusement que cela était possible, à la conférence de Bonn. Donc, jusqu’ici, on pouvait donner une bonne note à Washington, en pensant surtout au style ouvert et sympathique du secrétaire d’État Colin Powell. RETOUR DE L’UNILATÉRALISME Malheureusement, tout indique, au milieu de décembre 2001, qu’après avoir « chassé le naturel », les Républicains au pouvoir le « ramènent au galop »! On peut d’ailleurs se demander si on avait vraiment évacué l’unilatéralisme des premiers jours. Aucun des grands traités internationaux de l’heure, répudiés par George Bush, n’ont suscité un nouvel intérêt de la part de son gouvernement : ni le protocole de Kyoto sur l’environnement, ni le traité sur l’interdiction des essais nucléaires, ni celui sur les mines anti-personnel, ni le projet de tribunal pénal international. De plus, la dite coalition anti-terroriste a fonctionné surtout à sens unique : ce sont les États-Unis qui ont dicté la contribution de leurs alliés et non l’inverse. Il apparaît maintenant clairement que Washington entend mener le bal en solo et que la terrible formule de George Bush, « qui n’est pas avec nous est contre nous », est bien plus qu’une figure de style. Deux fatales décisions ont fait déborder la coupe d’une possible modération américaine. D’abord, le feu vert donné au premier ministre Ariel Sharon d’Israël à la suite des attentats du Hamas palestinien, le 2 décembre dernier. Les Américains avaient raisons de déplorer la barbarie du terrorisme perpétré contre Israël. Mais pourquoi cela justifiait-il tout à coup les horribles attaques israéliennes sur les territoires qui devaient constituer un État palestinien? Comment pouvait-on à la fois reprocher à Yasir Arafat de ne pas contrôler la société palestinienne et lui enlever les quelques moyens qui lui restent pour ce faire? Comment croire que ce même Arafat, qui était considéré par le président Bill Clinton comme un interlocuteur valable, soit subitement devenu un ennemi? Comment faire taire les accusations de parti pris américain envers Israël quand on n’ose plus lever le petit doigt pour empêcher le plus belliqueux premier ministre de l’histoire israélienne de livrer une guerre sans merci aux Palestiniens et de leur enlever tout espoir de recouvrer quelque autodétermination dans des territoires « occupés » plus que jamais? C’est à croire que le gouvernement américain a tout à fait renoncé à recouvrer quelque crédibilité dans le monde arabe. Et voilà que la crédibilité est aussi en voie de s’étioler en Europe et ailleurs, aussi bien qu’au Moyen-Orient. Phénomène très rare dans son histoire contemporaine, la diplomatie américaine répudie unilatéralement un traité signé et ratifié en bonne et due forme il y a moins de trente ans. À l’encontre de l’avis presque unanime de ses alliés, y compris le cher petit voisin canadien, Washington met la hache dans le traité ABM de 1972 qui réduisait considérablement la défense antimissile en vue de maintenir l’équilibre de la dissuasion. Le président Bush ne cesse de répéter que ce traité est démodé, obsolète, dépassé par la nouvelle conjoncture des lendemains de la guerre froide. Il est bien vrai que les choses ont changé. Les missiles intercontinentaux dirigés vers la Russie et la Chine ont perdu toute pertinence. Mais comment dire du même souffle qu’il faut maintenant, plus qu’en 1972, se défendre contre des attaques nucléaires éventuels? On découvre tout à coup que les Soviétiques étaient moins dangereux, moins irrationnels que de prétendus États parias comme la Corée du Nord, la Libye, l’Irak et quoi encore! Comme si on n’avait pas quantité d’autres moyens de contrer les soi-disant capacités nucléaires de ces États. Comme si la tragédie du 11 septembre n’avait pas démontré la futilité d’une défense américaine absolue. Comme si la meilleure défense ne résidait pas dans une véritable politique d’ordre mondial et de coopération internationale de la part de la superpuissance américaine! Tout cela est fort triste et augure mal. Le danger ne réside pas vraiment dans des interventions américaines trop fréquentes, mais bien dans son retrait jaloux, dans son refus de mettre en œuvre une diplomatie fondée sur le dialogue et la collaboration. On n’a pas fini de dénoncer la myopie américaine. |
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