Analyses de la semaine

En collaboration avec les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval.

 

Les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval publiront, pour les prochaines semaines, leurs meilleurs textes hebdomadaires. Le cyberjournal COMMERCE MONDE s'est engagé à publier pour cette période tous les textes qui seront jugés pertinents en rapport avec son mandat et sa mission dans cette nouvelle rubrique spéciale du journal: ANALYSES DE LA SEMAINE. Florian Sauvageau, le directeur de ce programme conjoint Laval-Lilles (en France) a accepté de se joindre à cette initiative du cyberjournal COMMERCE MONDE Québec Capitale voulant reconnaître la qualité du travail journalistique des étudiants de l'Université Laval et souhaitant faciliter le rayonnement de la présence à Québec du Programme de journalisme international de l'Université Laval. Cette initiative veut aussi reconnaître l'importance de favoriser le plus vite possible l'intégration des étudiants de l'Université Laval à la vie professionnelle.
Sommaire

Anciennes analyses

Poutine contre le bouclier antimissiles américain

par François Guérard

Dans son discours au Sommet du Millénaire, mercredi le 6 septembre, le président russe Vladimir Poutine a demandé la réunion d’une conférence internationale à Moscou pour freiner la militarisation de l’espace. “Ces projets sont particulièrement alarmant”, a-t-il lancé devant le plus grand rassemblement de chefs d’États de l’histoire. Le maître du Kremlin faisait référence au plan américain de bouclier antimissiles NMD (National Missile Defense).

Pourtant, le président Clinton avait annoncé cinq jours plus tôt qu’il reportait le déploiement du programme antimissiles, laissant au futur locataire de la Maison Blanche le soin d’aviser. Cette décision a été accueillie avec soulagement par les leaders du G8, qui craignaient entendre le coup de départ d’une nouvelle course aux armements nucléaires.

Le président Poutine a tout de même sonné l’alarme à New York.  Pourquoi? Parce qu’on laisse entendre en divers milieux que tôt ou tard, le Pentagone ira de l’avant avec son programme de défense nationale. Celui-ci est rapidement devenu un enjeu électoral aux États-Unis. Le candidat républicain George Bush promet d’édifier un bouclier ambitieux où les missiles américains, tirés de bateaux, pourraient intercepter les fusées ennemies dès leur décollage. Son rival, le démocrate Al Gore ne s’est pas encore prononcé sur la question. S’il accède au pouvoir, il subira de fortes pressions des partisans du système antimissiles. L’industrie militaire américaine y ferait des affaires d’or: le coût du projet est évalué à 60 milliards de dollars.

Ce projet est aussi considéré par plusieurs haut gradés de l’armée américaine comme un élément vital pour se défendre contre les petites puissances nucléaires. Dans un rapport présenté au Congrès, l’ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld estime que les “États voyous”, comme l’Irak, l’Iran ou la Corée du Nord, auront la capacité de frapper le sol américain d’ici cinq à dix ans.

Clinton a invoqué cette crainte dans un récent discours prononcé à l’université Georgetown. “De plus en plus d’États, de terroristes et de groupes criminels pourraient avoir accès aux armes chimiques, biologiques ou même nucléaires et aux moyens de les lancer”, disait-il.

Dans sa forme actuelle, le bouclier antimissiles serait composé de plus de cent fusées disposées sur des bases en Alaska et reliées par radars et satellites. En théorie, il pourrait intercepter une vingtaine de têtes de missiles balistiques à haute altitude. La réalité est loin: lors des trois essais au-dessus du Pacifique, seule une interception a réussie.

Ce qui soulève la controverse mondiale, c’est que le projet remet en cause le traité ABM (Anti-Ballistic Missile) conclu entre Richard Nixon et Leonid Brejnev en 1972. En réduisant l’utilisation d’armes antimissiles à la protection des bases de missiles, l’accord doit garantir un équilibre nucléaire qui dissuade de toute attaque contre une nation. C’est le principe de MAD (Mutual Assured Destruction).

Ce principe est primordial dans la stratégie russe. Même désuet, l’arsenal nucléaire de la Russie lui procure un rapport de force important sur l’échiquier stratégique international. Les États-Unis ne se risqueraient pas à bombarder la Russie comme ils l’ont fait en Irak. L’OTAN ne pourrait intervenir en Tchétchénie comme au Kosovo.   Moscou n’a donc pas encore les mains liées face à Washington. L’occupation surprise de l’aéroport de Pristina en pleine crise du Kosovo par les Russes, au grand dam des forces de l’OTAN, en est une preuve.

Poutine ne peut se permettre le coût d’une nouvelle course aux armements, lui qui s’est engagé à réduire son armée d’un tiers pour 2003.  Le naufrage du Koursk trahit l’état lamentable de l’armée russe. Dernièrement (12 septembre), une de ses bases de missiles nucléaires s’est subitement retrouvée dans le noir suite à une coupure de service de la compagnie d’électricité pour cause de factures impayées. Il a fallu dix heures pour rétablir le courant avec l’intervention de l’armée. 

La Russie fait face à un autre problème coûteux. Son territoire est une véritable poubelle nucléaire. Elle doit nettoyer ses nombreux dépôts de déchets atomiques au risque de provoquer une crise écologique planétaire. La tâche n’est pas simple: dans la mer de Barents, qui baigne les côtes de la Norvège et de la Russie, sont immergés les deux tiers des déchets radioactifs de la planète.

Poutine conserve quelques atouts pour son bras de fer à venir avec le futur président américain. Les États-Unis ont besoin de l’aval de la Russie pour modifier le traité ABM de façon à ce que le déploiement de leurs nombreuses fusées soit possible. Mais la future administration américaine peut toujours annuler unilatéralement cet accord. “Le temps n’est plus à la défense de traités dépassés, mais à celle du peuple américain”, déclarait le candidat Bush à Philadelphie cet été. Poutine profite aussi de l’appui de la Chine et de plusieurs pays occidentaux qui ont intérêt dans l’équilibre des forces nucléaires. Il souhaite donc officialiser ces appuis en rassemblant tout le monde à Moscou pour discuter du bannissement des armes dans l’espace. Et pour braquer les caméras du monde sur une question qui ne touche pas encore l’opinion publique internationale.

La nouvelle Allemagne
L'identité et le portefeuille

par René Saint-Louis

L'Allemagne célébrait cette semaine le dixième anniversaire de sa réunification. L'absence de Helmut Kohl, le "père" de cette union, a permis d'occulter un malaise beaucoup plus profond que les caisses noires et les pots de vin de l'ancien "chancelier éternel". La polémique ainsi créée a masqué l'indifférence et le désenchantement qui auraient, sinon, terni les célébrations.

Mardi soir, 3 octobre, la fête du 10e anniversaire de l'unité allemande a réuni 400 000 personnes autour de la porte de Brandebourg, symbole de l'ancienne division au coeur de Berlin. C'est bien peu si l'on considère que le pays compte 82 millions d'habitants. Pendant l'été, la Gay Pride de Berlin avait rassemblé 750 000 personnes et la Love Parade, ce grand rave en plein air, plus d'un million. 

Il y a d'un côté les Allemands de l'Ouest, les Wessis, et de l'autre les Allemands de l'Est, les Ossis. Entre les deux: un mur psychologique construit de faux espoirs et de petites frustrations. Les Ossis se considèrent comme des citoyens de seconde classe et n'approuvent pas la démocratie telle qu'elle est pratiquée dans leur nouveau pays. Les Wessis, eux, se plaignent du fait que les Ossis se plaignent... et qu'ils ne sont jamais contents de leur sort. Et ça coûte cher! Les Wessis paient 7% de leur salaire en guise de "contribution de la solidarité". Selon la revue The Economist, en dix ans, 1 500 milliards de marks (800 milliards de dollars) ont ainsi été transférés à l'Est.

Comme partout ailleurs, le taux de chômage est perçu comme LE facteur économique par excellence. Or, il est de 9% à l'Ouest et de 18% à l'Est, d'où une certaine facilité pour la population à critiquer le processus de réunification et ses effets dits bénéfiques. Il faut s'attarder à d'autres indicateurs économiques pour mesurer le chemin parcouru et le progrès accompli. Le revenu des ménages des Ossis est passé de 60% à 90% de celui des gens de l'Ouest. La production de l'Est, qui ne représentait que 11% du PIB de l'Allemagne réunifiée, se rapproche maintenant du 16%. Les Ossis forment 20% de la population, leur niveau de production reste donc en dessous de la moyenne nationale mais c'est le chemin parcouru en dix années qu'il faut célébrer, non celui qu'il reste à faire. Selon un sondage téléphonique rapporté dans le magazine Le Point de septembre, 80% des Ossis reconnaissent que leur vie s'est améliorée depuis 10 ans. Ce sondage est en soi un signe de prospérité car seulement 48% d'entre eux possédaient le téléphone à la maison en 1990. Ils sont aujourd'hui 97,4%... plus qu'à l'Ouest!

LA GESTION DES UTOPIES

Peut-être faudrait-il regarder davantage le côté psychologique de la réunification pour comprendre le véritable malaise. L'Allemagne de l'Est a été pendant 40 ans un pays. Un pays fermé sur lui-même, mais tout de même un pays avec un sens identitaire propre, créé de surcroît après la Seconde Guerre mondiale et le vide qu'a dû laisser la défaite du "projet" hitlérien. Les Ossis ont donc le sentiment de former une minorité nationale, que le mépris des Wessis ne fait qu'accentuer, alors que ce sentiment devrait s'estomper avec le temps et le changement de génération.

En plus d'avoir perdu une identité propre, les Ossis ont l'impression d'avoir été colonisés. La majorité des postes de haute direction sont occupés à l'Est par des gens de l'Ouest. On reproche aux élites de l'ex-République démocratique d'Allemagne (Allemagne de l'Est) d'avoir été complices du régime communiste. Mais dans tous les pays d'Europe de l'Est, les gouvernements et les directions d'entreprises sont formés d'un nombre élevé d'ex-communistes. Dans un régime de transition il faut intégrer tout le monde. C'est peut-être ce qui a manqué en Allemagne où un pays de 62 millions d'habitants en a intégré un de 18 millions d'ex-communistes...  "Les Länder de Saxe et de Thuringe (Allemagne de l'Est) sont dirigés par deux ministres-présidents venus de l'Ouest. Mais imaginez un Allemand de l'Est chef de la Bavière! Beaucoup d'Allemands de l'Ouest ont été élus dans des circonscriptions de l'Est. Dans le sens inverse, je n'en connais aucun!" L'homme qui parle ainsi est Gregor Gysi, le chef du PDS (Parti communiste réformé), un grand défenseur des intérêts est-allemands. Il dénonçait dans le magazine Le Point de septembre, ce qu'il qualifie de "décapitation des élites".

À l'Ouest, on se plaint de la "culture de la lamentation" des Ossis sans pour autant comprendre ce que l'on dénonce, c'est-à-dire qu'il y a une culture propre à l'Est. Il est difficile pour celui qui paie de faire une place aux revendications du "subventionné". Les Wessis ont l'impression d'avoir tout fait pour leurs petits frères de l'Est et de ne rien récolter en retour, sinon de l'ingratitude. Pendant que le pouvoir d'achat des Ossis augmentait de 25%, le leur reculait de 4%. Mais qui a dit qu'un mariage n'avait pas de coût? L'important dans un couple, c'est la communication. À ce sujet il est intéressant de lire le Monde diplomatique d'octobre, qui mentionne qu'il n'y a pas en Allemagne de quotidien national lu aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest. Un peu comme si les gens des prairies lisaient le National Post et ceux des maritimes le Globe and Mail!

Les Européens de l'Est, incluant les Ossis, sont tous un peu désillusionnés face au système capitaliste et à leur nouveau mode de vie. Les Wessis, et le monde occidental en général, dans un enthousiasme débordant, ont cru que la fin du communisme changerait quelque chose dans leur vie. La configuration géopolitique du monde a changé. Mais pour le quotidien... Si les Allemands de la prochaine génération ont appris à vivre ensemble, leurs parents eux, auront surtout appris à gérer leurs utopies. Et ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose pour ce pays.

 

Analyse du référendum sur le multipartisme
Pourquoi les Ougandais ont rejeté la démocratie

Le 29 juin dernier, l’Ouganda organise un référendum, tel que promis dans la nouvelle constitution ougandaise de 1995. Les Ougandais ont alors le choix entre le multipartisme et le statut quo, i.e., virtuellement, un système politique à parti unique. Lors d’un vote généralement décrit comme libre, 91% des Ougandais s’étant rendus aux urnes rejettent le pluralisme démocratique qui leur est offert, optant plutôt pour le statut quo.

Pourquoi? Les Ougandais veulent-ils vraiment la démocratie? Existe-t-il un système politique plus approprié à la réalité africaine que la démocratie à l’occidentale, comme le clame le président ougandais actuel, Yoweri Museveni? Ou, ce dernier est-il simplement un autre dictateur africain?  

JE M’APPELLE KABEGO

“ Je m’appelle Kabego. Je suis un Ougandais vivant maintenant en Grande-Bretagne. Pourquoi je m’oppose au multipartisme? Parce que les partis politiques ont tué ma famille et anéanti mon avenir. Je ne crois pas qu’un retour au multipartisme soit possible en Ouganda avant au moins dix à quinze ans. ”

Kabego a livré ce témoignage lors d’un forum de discussion en ligne de la BBC, quelques jours avant le référendum de juin dernier. Les propos de Kabego expriment, en fait, toute la peur des Ougandais envers la chose politique, peur qui les a poussés à voter en masse pour le statut quo.

Pourquoi cette peur des Ougandais vis-à-vis les partis politiques? Tout simplement en raison du résultat tragique de l’exercice politique en Ouganda depuis l’indépendance du pays en 1962: vingt années de guerre civile, un million de mort, 500 000 réfugiés et une économie en ruines. C’est cette terrible réalité qui marque la mémoire collective ougandaise.

LE SAUVEUR

Dans ce contexte, quand un homme réussit à rétablir l’ordre dans le pays, il devient un sauveur et on l’adule. Cet homme, c’est Museveni. L’actuel président de l’Ouganda a pris le pouvoir par la force en 1986 et ne l’a pas perdu depuis.

“ Je suis Ougandais, écrit Okot Joseph dans le forum Internet de la BBC. Je n’ai pas quitté le pays depuis ma naissance en 1968. Quand j’étais jeune, des fonctionnaires de l’UPC m’ont battu parce que je portais une chemise verte, la couleur verte étant associée au DP. Je n’étais même pas en âge de voter à l’époque. L’Ouganda n’a jamais été aussi stable depuis l’arrivée au pouvoir de Museveni et l’application de son système politique sans partis en 1986. Les Africains sont déjà assez divisés par des questions ethniques. Ils n’ont certes pas besoin de partis politiques en plus. ”  

Steven Nsubuga, un Ougandais vivant maintenant aux États-Unis, renchérit: “ Le système politique sans partis de Museveni a apporté la paix, la stabilité et le développement politique à l’Ouganda. À l’opposé, que nous ont donné les partis politiques, sinon la corruption, le tribalisme et la dictature. ”

HISTORIQUE D’UNE TRAGÉDIE

Les Britanniques font de l’Ouganda une poudrière lorsqu’ils créent le pays en 1894; ils unissent alors le royaume du Buganda et l’ancienne province septentrionale d’Equatoria. L’Ouganda devient indépendante en 1962. Milton Obote, leader du Uganda People’s Congress (UPC) est alors élu premier ministre du pays. À l’époque, l’Ouganda compte une autre formation politique importante, le Democratic Party (DP).    

Le roi du Buganda, Mutesa II, devient, lui, le président de l’Ouganda. Toutefois, voulant briser la puissance économique et politique de Mutesa II et de son royaume, Obote, un nordiste, dépose le roi du Buganda en 1966 avec l’aide de son chef d’état-major, Idi Amin Dada, qui est originaire, quant à lui, d’une petite ethnie du nord-ouest de l’Ouganda. Obote concentre le pouvoir dans ses propres mains.

Puis, en 1971, Amin, tel que Brutus, renverse Obote. Il dirige le pays d’une manière encore plus arbitraire qu’Obote. Il s’acharne notamment sur les Bagandas, un groupe ethnique du sud de l’Ouganda. En 1972, Amin décide d’expulser les membres de la communauté indo-pakistanaise du pays, qui sont entre autres propriétaires d’une grande partie des terres agricoles ougandaises. Ce mouvement de persécution ethnique plonge l’Ouganda dans une grave crise économique.

Puis, en 1978, Kampala envahit et occupe une minuscule portion du territoire tanzanien, située à l’embouchure de la rivière Kagera. Cette annexion sert de prétexte à Dodoma, un an plus tard, pour une intervention militaire qui rétablit en Ouganda un régime civil, avec Yusuf Lule.

Lule est remplacé presque aussitôt par Godfrey Binaisa. Puis, moins d’un an plus tard, la Tanzanie impose le retour d’Obote avec des élections truquées. Le premier ministre ougandais revient aux méthodes dictatoriales d’Amin, dont les principales victimes sont encore une fois les populations du sud de l’Ouganda. Cette nouvelle vague de persécutions alimente la formation d’un mouvement de guérilla dans le Baganda. Yoweri Museveni en est le leader.

En 1985, Museveni chasse Obote du pouvoir. Il prend la tête de l’Ouganda en 1986, à la suite de lutte brutale contre son ancien allié militaire, Tito Okello. Il s’engage alors dans une politique de réconciliation nationale. Par ailleurs, il bannit les partis politiques ougandais qu’il accuse d’être seulement des sources de division ethnique et religieuse.

LA FIN DE LA GUERRE

L’arrivée au pouvoir de Museveni met fin à vingt ans d’instabilité et de terreur meurtrière. De 1986 à 1995, Museveni gouverne l’Ouganda sans tenir d’élections, par le biais d’une chaîne de conseils, du niveau local au national, appelés “ Resistance Councils ” (conseils de résistance). Ces conseils forment le National Resistance Movement (NRM), plus communément désigné sous le nom de “ mouvement ” (Movement).

En 1995, l’Ouganda adopte une nouvelle constitution, à la suite d’une vaste consultation populaire. La nouvelle constitution prévoit la tenue d’élections présidentielles et législatives avant la fin de l’année 1997, mais toujours sans la présence de partis politiques. La constitution de 1995 promet aussi un référendum en l’an 2000 où la population pourra choisir de continuer avec le système sans partis de Museveni ou d’opter pour le multipartisme. En mai 1996, Museveni est élu à la présidence avec 74,2% des votes, lors d’un scrutin généralement libre.

Des mouvements rebelles existent toujours dans le nord et dans l’ouest de l’Ouganda. Toutefois, l’état de l’ordre qui règne présentement en Ouganda est remarquable dans l’histoire du pays.

Un des éléments importants expliquant la stabilité actuelle de l’Ouganda est le contrôle qu’a Museveni sur l’armée du pays, qui est issue du mouvement de guérilla l’ayant porté au pouvoir en 1986.

En retour, ce contrôle militaire exercé par Museveni constitue un facteur central expliquant sa popularité auprès des Ougandais. “ Les gens ont voté pour Museveni au référendum de l’été dernier parce que voter pour les multipartistes, c’est choisir l’insécurité, me dit Dorothy Okello, une amie ougandaise. Museveni a le contrôle sur l’armée. Avec les autres, on ne sait pas ce qui pourrait arriver. Avant Museveni, on ne pouvait même pas travailler dans les champs ou aller chercher de l’eau sans craindre d’être attaqués par des soldats ou des rebelles. ”

UN MIRACLE ÉCONOMIQUE AFRICAIN

Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir de Museveni, l’économie ougandaise a crû d’une manière tout à fait impressionnante pour un pays africain. La moyenne du taux de croissance économique du pays pour la période 1986-1997 se chiffre à 6%.  Quant au taux d’inflation, il était de 10% en 1997. La croissance de l’économie ougandaise a ralenti quelque peu depuis les trois dernières années, se chiffrant à 5% en 1996-1997. Toutefois, comparativement à d’autres pays africains tels que le Zimbabwe, on peut parler de miracle économique dans le cas de l’Ouganda. En moins de cinq ans, le Zimbabwe est passé d’un des moteurs économiques de l’Afrique au pays ayant le taux de décroissance économique le plus élevé du continent, soit 4,2% pour cette année.

Depuis 1986, l’Ouganda est aussi devenue le chouchou africain des donneurs internationaux et de leurs précieux dollars, un des facteurs expliquant le succès économique du pays, d’ailleurs. Museveni, un ardent communiste, a été forcé de se convertir à l’économie de marché à la suite de l’écroulement des prix du café, le principal produit d’exportation ougandais, à la fin des années quatre-vingt. Depuis, il applique les recommandations du Fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque mondiale (BM) à la lettre. En retour, son statut de bon élève a valu à l’Ouganda d’être le premier pays à bénéficier du Heavily Indebted Poor Countries Initiative du FMI et de la BM en 1997. On parle ici de 1,5 milliard de dollars en dettes effacées.

De plus, l’arrivée au pouvoir de Museveni a poussé beaucoup de pays à délier les cordons de la bourse de l’aide bilatérale pour l’Ouganda. La Grande-Bretagne est le plus important donneur bilatéral ougandais. Reconnaissant les “ progrès démocratiques faits par l’Ouganda depuis 1986 ”, Londres n’a cessé d’accroître son aide au pays. La Grande-Bretagne envisage ainsi d’augmenter son financement de 27% pour 2000-2001, soit de 100 millions à 120 millions. En 1996, l’Ouganda a reçu plus d’un milliard de dollars en assistance internationale. En fait, l’aide internationale représente la moitié du budget national ougandais. Pour l’occident, Museveni représente un interlocuteur fiable et un contrepoids utile face aux islamistes au pouvoir au Soudan.

La corruption est flagrante en Ouganda, mais le problème est perçu comme “ normal ” dans le contexte africain. Les autorités britanniques estiment que 7,6% du budget annuel du gouvernement ougandais est détourné dans les différents ministères ou au niveau local. C’était un peu plus de 100 millions de dollars en 1996-1997. Toutefois, Londres reconnaît les “ efforts anti-corruption ” de Kampala; nombre de hauts fonctionnaires ont ainsi été renvoyés ces dernières années. En clair, en matière de corruption, l’Ouganda ne s’en tire pas trop mal comparativement au reste de l’Afrique.

L’ENVERS DE LA MÉDAILLE

Pourtant, tout n’est pas rose en Ouganda. Le pays est actuellement dévasté par une épidémie d’Ebola, qui a fait plus de 150 morts depuis la résurgence du virus il y a trois mois. Cette épidémie d’Ebola révèle, en fait, les piètres conditions d’hygiène et la pauvreté de l’Ouganda. L’hôpital à partir duquel s’est développé l’épidémie, à Lacor, servait de refuge nocturne à de nombreux habitants. Chaque soir, ils y arrivaient par dizaines avec un matelas ou une simple couverture, pour dormir à l’abri des rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA).

En Ouganda, seulement 38% de la population a accès à de l’eau potable. En 1994, le taux de mortalité infantile était de 121o/oo . Quant à l’espérance de vie, elle était de 40,2 ans. Le taux d’alphabétisation au pays était, lui, de 61,1%. Selon l’ONU, 55% des Ougandais vivent avec moins d’un dollar par jour.

Au même moment, l’Ouganda est impliquée depuis 1997 dans une guerre en République démocratique du Congo (RDC) qui lui coûte une fortune. Kampala a dix mille soldats en RDC. Les dépenses militaires ougandaises pour son intervention au Congo sont passées de 200 millions de dollars en 1997 à 425 millions de dollars en 1999. 

L’implication ougandaise dans la guerre en RDC ne fait d’ailleurs pas l’unanimité au pays. Certains se questionnent sur les véritables motivations de Kampala, rejetant les prétentions de Museveni qui dit seulement vouloir défendre les frontières ougandaises. “ Pourquoi reste-t-on là-bas si ce n’est que pour enrichir les officiers? ”, s’interroge Isaac, un jeune habitant de Kampala interviewé par Le Monde. En septembre 1997, le journal indépendant ougandais The Monitor (28 000 exemplaires) rapportait que le président congolais, Laurent-Désiré Kabila, avait remis des quantités importantes d’or au gouvernement ougandais en échange d’un appui militaire. 

UN AUTRE DICTATEUR AFRICAIN?

Au plan politique, malgré l’appui massif des Ougandais au référendum de juin dernier en sa faveur, le système sans partis de Museveni n’est pas sans critiques non plus. Matovu Henry, un Ougandais vivant maintenant aux États-Unis, écrit dans le forum de discussion en ligne de la BBC précédant le référendum: “ Museveni ne propose pas de solution véritable aux problèmes africains. Son `mouvement` est davantage une façon pour lui de se maintenir au pouvoir en dictateur. En fait, Museveni ne fait qu’empirer les choses pour l’Afrique en proposant son système sans partis comme la panacée pour le continent. ” Le leader de l’ex-Parti démocratique (DP), Paulo Semogerere, renchérit, qualifiant Museveni “ de dictateur, qui interdit les partis politiques afin de conserver son monopole sur le pouvoir. ”

Le député multipartiste Norbert Mao accuse lui aussi Museveni de mentir à la population: “ De 1986 à 1989, l’Ouganda était trop instable pour permettre la compétition politique entre différents partis. La période de transition imposée par Museveni était donc justifiée. En 1989, toutefois, le parlement fut forcé de prolonger de cinq autres années cette période de transition, sans la tenue d’élections. Museveni prétexta alors qu’il avait besoin de temps pour mettre en place une nouvelle constitution et pacifier le pays. En 1995, cette nouvelle constitution est promulguée, mais sans que les partis politiques puissent enfin opérer en toute liberté. Là, on arrive à un référendum sur le multipartisme sans que la population puisse vraiment juger de la valeur de cette option, les partis politiques étant toujours interdits. En fait, ce référendum ne sera qu’un vote sur le bilan politique de Museveni, un concours de personnalité. C’est tout simplement politiquement incorrect d’être multipartiste en Ouganda.”

En effet, il est difficile pour les Ougandais de pouvoir juger “ du pour et du contre ” de l’option multipartiste s’ils n’en connaissent que le “ contre ”, i.e. vingt années de guerre civile meurtrière. D’autant plus que, comme l’ont noté les observateurs internationaux, durant la campagne référendaire de juin dernier, les deux camps n’ont pas bénéficié d’une chance égale de présenter leurs arguments respectifs. La liberté de la presse a été généralement respectée. De plus, on n’a pas rapporté de cas importants d’usage de violence ou d’intimidation. Toutefois, les multipartistes ne disposaient pas du tout de moyens égaux pour faire valoir leur point de vue. 

NON AUX PARTIS ETHNIQUES ETRELIGIEUX

Quoi qu’il en soit, une question s’impose ici: les partis politiques ougandais ont-ils changé? Les Ougandais ont-ils raison d’en avoir toujours peur, comme le montre leur rejet du multipartisme, l’été dernier?

Museveni soutient que l’Afrique n’est pas prête pour le multipartisme. Le président ougandais affirme que l’économie du continent n’est pas assez développée pour qu’existent en Afrique des classes sociales fondées sur autre chose que l’appartenance religieuse ou ethnique, qui ne sont sources, selon lui, que de division et de guerre. Il utilise à ce sujet l’exemple de l’Ouganda et de son passé tragique. Museveni soutient que les représentants politiques doivent être choisis sur la base de leur compétences personnelles et non de leur affiliation à un parti politique.

Objectivement, il est difficile de déterminer si les Ougandais devraient faire confiance à leurs partis politiques, si ce n’est que parce qu’ils sont présentement interdits et il est donc impossible d’évaluer leur valeur. Néanmoins, une chose est sûre, à l’heure actuelle, l’opposition ougandaise est toujours dépourvue d’une véritable culture démocratique. Nombre de politiciens de l’opposition ont ainsi sauté la clôture au cours des dernières années pour joindre le pouvoir et ses offres alléchantes.

Dans The Politics of Opposition in Contemporary Africa, le politicologue John Ssenkumba affirme que “ les membres de l’opposition ougandaise sont davantage guidés par leur soif de richesses et de pouvoir que par les principes démocratiques. ” Par ailleurs, parmi les membres actuels de l’opposition ougandaise, on retrouve de nombreuses têtes de la “ vieille garde,” dont le chef du DP, Paulo Semogerere.

L’AFRIQUE EST PRETE POUR LA DÉMOCRATIE

Il ne faudrait pas pour autant conclure, comme le fait Museveni, que l’Ouganda et l’Afrique ne sont pas prêtes pour le multipartisme et la démocratie. Ssenkumba récuse l’argument de Museveni qui affirme que le développement capitaliste est un préalable au pluralisme politique. Selon Ssenkumba, le capitalisme n’amène pas nécessairement la formation de classes sociales mieux organisées. Ssenkumba soutient que la démocratie occidentale est, en fait, le fruit de la lutte des classes ouvrières (des dépossédés contre les privilégiés). Ainsi, même dans un régime capitaliste, la démocratie est impossible si les travailleurs sont incapables de résister à l’oppression pour protéger leurs droits.

Comme l’affirme l’opposition ougandaise, si Museveni est le démocrate qu’il prétend être, pourquoi ne démocratise-t-il pas la structure du NRM? Pourquoi ne met-il pas fin au patronage? Pourquoi ne confie-t-il pas au parlement son pouvoir considérable de nominations politiques? Museveni s’est notamment servi de ce pouvoir pour nommer des membres supplémentaires dans des comités d’élus de façon à limiter l’influence des opposants qui y siégeaient.[1]

Les tentatives de cooptations de groupes d’intérêts pratiquées par le NRM mettent aussi en doute la sincérité des prétentions démocratiques de Museveni. Par exemple, en 1996, lors des dernières élections parlementaires, des sièges de la chambre ont été réservés  spécifiquement pour des représentants de la jeunesse (5 sièges), des femmes (39 s.), des syndicats (3 s.) et des handicapés (5 s.). Ces groupes font partie de l’électorat traditionnel du “ mouvement ”.

UN SYSTEME POLITIQUE À PARTI UNIQUE

Museveni n’est pas un dictateur, comme le clament certains de ses opposants. En 1995, la rédaction de la nouvelle constitution ougandaise a été faite à la suite d’une vaste consultation populaire. De plus, depuis 1996, des élections libres et significatives sont organisées en Ouganda. La preuve: plusieurs membres importants du NRM ont connu la défaite lors des dernières élections législatives (1996), tout cela alors que des opposants du “ mouvement ” faisaient leur entrée au parlement. Par ailleurs, le président Museveni respecte généralement la liberté de la presse ougandaise, qui est bien établie et souvent critique, comme on le voit avec The Monitor.

Néanmoins, comme le dénoncent les multipartistes, les partisans de Museveni et de son “ mouvement ” dominent la scène politique ougandaise, un virtuel système à parti unique. 156 des 276 sièges du parlement ougandais appartiennent à des sympathisants du NRM. En fait, seulement une vingtaine de députés se réclament ouvertement du multipartisme. En outre, 42 des 48 ministres ougandais sont des ardents défenseurs des politiques de Museveni.

Le problème: la communauté internationale aime bien Museveni, en qui elle voit un interlocuteur fiable et un contrepoids face aux islamistes du Soudan. Lors du sommet africain de mars 1998 organisé en Ouganda, le président américain, Bill Clinton, soulignait ainsi le statut de “ bon élève ” du pays qui en avait fait une “ success story ” sur le continent. Par ailleurs, comme dans le cas de nombreux pays africains, la population ougandaise est peu politisée. Au référendum de juin dernier, par exemple, seulement la moitié des électeurs ougandais sont allés voter.

En fait, le quasi monopole du pouvoir que détient Museveni en Ouganda et le manque de politisation de la population ougandaise laissent entrevoir de graves problèmes de succession pour le pays. Particulièrement, étant donné que les successeurs pressentis de Museveni au sein du NRM sont déjà morts…du sida.


[1] Il est vrai que nos politiciens occidentaux utilisent parfois les mêmes tactiques.