Crises
pétrolière et israélo-palestinienne
Le
poids des cailloux
Le
prix du pétrole est élevé. Les tensions au Proche-Orient aussi.
Simple équation? Pas du tout.
Entre le poids des cailloux et l'envolée du brut: le prétexte
proche-oriental...
Hugo
Lavoie
Charm
el-Cheikh
est mort-né. Durant les quelques jours qui ont suivi cette entente
devant mener à l'arrêt des violences, une dizaine de Palestiniens
et au moins un colon juif ont rencontré la Grande faucheuse. Charm
el-Cheikh est déjà oublié. Le macabre bilan des dernières
semaines d'affrontements s'élève maintenant à quelque 120
victimes, en grande majorité palestiniennes. La réconciliation a
encore une fois passé son tour.
Haine,
violence, mort. Ces conséquences directes de la crise
proche-orientale a des effets secondaires. La fluctuation du court
du pétrole serait du nombre. Bien sûr, la crise pétrolière est
multidimentionnelle, mais "les pics constatés sur les prix
sont liés à aux craintes [que suscite l'évolution de la crise
palestinienne]"[1],
croit Nick Bennebroek, analyste à la Deutsch Bank à
Londres. Quel lien s'établit donc entre les cailloux et le brut?
Choix
de réponses: a) Les spéculateurs appréhendent un embrasement régional
qui rendrait physiquement difficile l'approvisionnement en matières
premières. b) Ils craignent que les pays arabes (et/ou musulmans)
exportateurs de pétrole diminuent leur production, en solidarité
avec la cause palestinienne. Cette manœuvre servirait
principalement à punir l'Occident – entendre l'Amérique – pour
sa partialité dans le conflit. c) l'hypothèse du "prétexte
proche-oriental"...
Un
conflit régional est peu probable. Réunis au Caire, les membres de
la Ligue Arabe haussent assurément le ton pour dénoncer les
agissements de l'État hébreu. La colère qui gronde dans les rues
de leurs capitales de leur laisse pas le choix. Mais de là à
passer à l'action... Dans son discours d'ouverture, l'hôte de la réunion,
le président égyptien Hosni Moubarak n'a pas laissé de
doute: "nous sommes tous en colère, mais nous ne devons pas
agir de manière impulsive".
Un
extrait du texte final du sommet du Caire, obtenu par un journal
israélien parle tout au plus de la création, dans le cadre de la
Ligue arabe, d'un "fonds d'aide financière destiné à
soutenir la résistance du peuple palestinien et à alléger le
poids du blocus imposé aux territoires”"[2]
Aucun pays n' a exprimé clairement sa volonté de participer
directement à un guerre coûteuse et fort probablement perdue
d'avance contre Tsahal, la puissante armée d'Israël.
Des
mesures de rétorsion pétrolière ne sont pas non plus à l'ordre
du jour au Caire. Le document final ne ferait que suggérer "à
ceux des pays qui, à ce jour, n'ont pas signé la paix avec l'État
hébreu – c'est-à-dire tous, à l'exception non-négligeable de
l'Égypte et de la Jordanie –, de geler les liens qu'ils ont établi
avec lui."[3]
Les
pays arabes ou musulmans membres de l'Organisation des pays
exportateurs de pétrole, ne se montrent pas davantage menaçants
à cet égard. Certes le ministre iranien de la défense, Ali
Chamkhani, a déclaré que "l'utilisation de la production
et la vente de pétrole ainsi que la prise en compte du soutien que
les différents pays apportent ou non au peuple palestinien dans les
relations politiques et commerciales pourraient avoir des résultats
concrets". Mais le représentant iranien à l'OPEP, Kazempour
Ardebili a précisé qu'aucune mesure n'a été prise pour
"punir les Occidentaux pour leur soutien au régime qui occupe
Jérusalem."[4]
Avec
ses 3,84 millions de barils produits chaque jour, et les profits
faramineux qu'ils assurent à l'État chiite, il n'est pas
surprenant qu'on s'en tienne à la rhétorique. Les prix élevés du
pétrole brut ne peuvent qu'inciter à la modération...
La
même chose du côté du plus grand pays musulman du monde, l'Indonésie.
De 0,3% au lendemain de la crise asiatique, la croissance indonésienne
devrait atteindre les 4% cette année. Selon les analystes, ce bond
serait largement dû au prix élevé du pétrole[5].
L'Algérie
qui tire 95% de ses revenus d'exportation des ventes d'hydrocarbure
a vu ses recettes budgétaires augmenter de 65% par rapport à l'année
précédente[6].
Ce pays causerait toute une surprise en annonçant une diminution de
sa production pour faire pression sur ses clients.
Conflit
palestinien ou pas, tous ces États producteurs n'ont donc aucun intérêt
à utiliser "l'arme pétrolière" qui les priverait de la
manne actuelle. Dans ce cas, la question demeure: pourquoi un lien
s'établit-il donc entre les cailloux et le brut?
Il
ne reste que des hypothèses. D'abord, peut-être les analystes et
spéculateurs entretiennent-ils des craintes sincères, bien que peu
crédibles, sur l'approvisionnement en pétrole proche-oriental. Ou
alors... L'envolée des prix du baril profite à beaucoup de gens.
Les pays arabes ou musulmans producteurs sont loin d'être les
seuls. En Alberta, par exemple, les recettes budgétaires croissent
de 150 millions$ chaque fois que le cours du baril augmente de 1$US[7].
Le Texas, le Royaume-Uni, font aussi des profits mirobolants. Il ne
faut pas non-plus oublier les compagnies de distribution et les
raffineries. Dans un entretien au journal Le Monde, le patron
des raffineries Shell, tout en restant vague, soulignait que:
"cette année, notre activité a été très profitable"[8].
Tout
ce beau monde retire peut-être un certain avantage de ce que la
faute du prix élevé du pétrole revienne à la dégradation d'un
conflit incontrôlable. L'attention se détourne de leur propre
responsabilité. La grogne populaire qui a frappé plusieurs pays
occidentaux ne peut que s'incliner devant un malheur plus grand que
le sien. L'hypothèse du "prétexte proche-oriental" est
confortée par le fait que les prix de l'or noir n'étaient pas inférieurs
avant le début de la présente escalade de la violence en
Palestine. Le 18 septembre, le prix du baril a par exemple atteint
les 36 $ US[9].
On imputait alors cette envolée du cours du pétrole au
"regain de tension entre l'Irak et le Koweït"[10]...
Québec,
le 21 octobre 2000
"Sommet du Caire: soutien sans faille aux
Palestiniens", cite internet du journal Le Monde, 22
octobre 2000
Le Monde du 30 sept. 2000
|
Cuba-USA:
Le silence d'une poignée de main
par
René Saint-Louis
Le
Sommet du millénaire de l'Organisation des Nations-Unies s'est
achevé, à New-York, sans grande surprise. De belles paroles, de
beaux discours et beaucoup de promesses pour sortir l'ONU d'un
certain bogue de l'an 2000. Le moment fort de l'événement? Une
poignée de main entre Bill Clinton et Fidel Castro.
Un moment fort accidentel, dit-on, et loin des regards indiscrets
des journalistes.
L'affaire
a d'abord été niée par le secrétaire de presse de la Maison
blanche, Joe Lockhart, qui s'était contenté de dire que
Fidel Castro s'était arrangé (managed) pour échanger
quelques paroles avec Bill Clinton. Vu la présence de nombreux témoins,
les autorités américaines ont admis le lendemain qu'il y avait eu
échange de poignée de main, la première en 40 ans d'histoire.
Devrait-on voir dans cet événement sans précédent le signe d'une
normalisation pas si lointaine?
Les
conclusions de la saga du petit Elian Gonzalez peuvent aider
à répondre à cette question. D'abord cette saga a rendu
obligatoire le dialogue entre La Havane et Washington pour gérer le
sort du garçonnet. Pour la première fois en 40 ans, les deux
capitales s'entendaient. Le petit garçon devait rentrer chez lui
avec son père. Il faut souvent une tragédie pour rapprocher les
gens. Deuxièmement, l'histoire consacre le naufrage des radicaux de
l'establishment anticastriste. Dans leur opposition à la Maison
blanche, les Cubains de Floride, qui ont transformé, pour des
raisons politiques, la tragédie vécue par un petit garçon perdu
en mer en psychodrame national, se sont discrédités aux yeux du
monde entier, y compris des Américains.
Tout
au long de cette saga, les médias ont relevé quantité de détails
qui démontrent que le combat des Cubains de Floride est celui d'une
arrière-garde. "Miami est la seule villes des États-Unis qui
refuse d'accueillir Nelson Mandela, parce qu'il a déjà été
vu aux côtés de Castro. Des manifestants anticastristes ont déjà
lancé des pierres à des athlètes cubains qui participaient aux
Jeux Olympiques pour handicapés", souligne, à titre
d'exemple, David Abraham, professeur de droit à l'Université
de Miami. Les sondages démontrent cependant un changement de
mentalité au sein de la communauté cubaine. Une étude réalisée
par l'Université internationale de Floride montre que, si
62% de ceux qui sont partis dans les années 60 s'opposent encore à
tout dialogue avec Fidel Castro, 74% de ceux qui ont émigré dans
les années 90 ne s'y opposent pas.
Buena
Vista Social Club
Telle
une poignée de main symbolique...la Cour suprême des États-Unis
a laissé le petit Elian rentrer avec son père le jour où la
Chambre des représentants approuvait un allégement de l'embargo
pour permettre la vente de produits alimentaires et de médicaments
américains à Cuba. Il faut dire que de grandes institutions américaines
-la Chambre de commerce des États-Unis, l'American Farm
Bureau- font pression pour que l'embargo soit levé. Le lobby
anti-embargo dépense désormais plus d'argent que le lobby
cubano-américain qui s'oppose à tout rapprochement avec l'île de
Castro. De grands noms comme ceux de David Rockefeller, les
tracteurs Carterpillar et Ingersoll-Rang, General
Electric, Citibank, Boeing, les hôtels Radisson,
et les cultivateurs de céréales du Mid-Ouest réclament à voix
haute l'accès à Cuba, un marché de 11 millions de consommateurs.
Au-delà du lobbyisme, comment peut-on justifier que les États-Unis
accordent à la Chine, un pays communiste, la notion de nation la
plus favorisée, tout en maintenant sur Cuba un embargo économique?
Au
courant de l'été, certains analystes ont laissé entendre que
l'administration Clinton cherchaient depuis des années une façon
de se rapprocher de Castro, âgé de 74 ans, pour éventuellement se
rapprocher des Cubains. Car nul doute que malgré ses attributs de
grand dictateur, Fidel Castro, à sa mort, sera pleuré par son
peuple. Il est au pouvoir depuis 41 ans et son règne ne contient
pas que des ratés. L'accès universel à l'éducation ainsi que le
système de santé sont des exemples de réussite du régime cubain.
Le fameux indice de développement humain des Nations-Unis, où le
Canada se classe bon premier année après année, place Cuba devant
la majorité des pays d'Amérique centrale et des Caraïbes malgré
38 ans d'embargo.
Pas
étonnant qu'il y ait eu quatre sommets d'affaire Cuba-USA depuis le
début de l'année. Les entreprises américaines ont aussi organisé,
en février dernier, une foire-exposition à La Havane, la première
du genre en 40 ans. Des musiciens de l'île effectuent régulièrement
des tournées aux États-Unis. Une équipe de baseball, les Orioles
de Baltimore, est même allée jouer contre l'équipe nationale
à Cuba.
Du
côté militaire, tous -Conseil national de sécurité, Pentagone,
CIA- s'accordent pour dire que Cuba ne représente plus une
menace pour la sécurité des États-Unis. Une étude récente du Ministère
de la Défense concluait que Cuba constituait "une menace négligeable
pour la sécurité nationale des États-Unis".
Il
y a de cela quelques années, l'image est gravée dans nos mémoires,
Bill Clinton, en bon père de famille, avait présidé la poignée
de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin
devant les caméras du monde entier. Mais voilà, cette fois-ci, qui
aurait été au-dessus de Clinton et Castro pour superviser une
telle réconciliation? L'ONU? Il n'est pas bon aux États-Unis de
donner trop de crédibilité à ce qu'on décrit comme une simple
machine à papier. Il s'agit tout de même d'un bel exemple de ce à
quoi peuvent servir les coulisses de l'ONU, et ce seul fait divers,
car c'est ainsi qu'il a été présenté par les médias, devrait réjouir
ceux qui croient encore en l'utilité de la seule organisation qui
regroupe l'ensemble des pays de notre planète. À moins que le
grand responsable de tout cela ne soit un garçonnet de 7 ans.
|
|
La
Tchétchénie, un an après
par Isabelle BACHY
Un
an. Une bougie pâlotte et sans éclat scintille en Russie. À
l’heure où les Allemands commémorent dix années de réunification,
la Russie observe aujourd’hui le premier anniversaire d’une
guerre de sécession qui n’en finit plus.
Le 1er octobre 1999, les chars russes envahissaient la
Tchétchénie. Un an après, rien n’a changé, ou presque. Le
" nettoyage " continue, mais les
" bandits " tchétchènes sont toujours là et
continuent à se battre, alors que l’armée russe envoie de
nouveaux contingents dans la petite république. M. Poutine
avait pourtant prévenu qu'il irait pourchasser les
"terroristes" tchétchènes jusque dans les
"chiottes". Il semble tenir ses promesses.
Et
pourtant, Moscou n’a de cesse de répéter que la guerre est
terminée, et ce depuis le mois de mai. Alors, comment nommer le
racket auquel la population civile est soumise en Tchétchénie?
Pourquoi interdire l'accès de la république autonome aux ONG? Au
nom de quoi cette “ guerre ”, qui ne dit pas son nom,
fait-elle encore une cinquantaine de victimes par semaine parmi les
soldats russes? Si ce n’est pas une guerre, c’est peut-être “ une
vraie sale guerre ”, pour reprendre les termes employés pas Aslan
Maskhadov, le président tchétchène interviewé par Libération
le 2 octobre 2000.
En
dépit de l’aveuglement dont Moscou fait preuve outrageusement, la
vie quotidienne des Tchétchènes ressemble, d’après les
observateurs étrangers et les journalistes sur place, à celle
d’un peuple assiégé. Viols et tortures de Tchétchènes
permettent aux soldats russes d’obtenir des rançons de leurs
familles, qui sont elles-mêmes rackettées, 18 000 personnes sont
encore portées disparues selon le Conseil de l’Europe, il
ne se passe pas un jour sans que des enfants sautent sur des mines
et viennent enfler le nombre d'amputés à Grozny, la capitale est
depuis février privée d’eau et d’électricité, on ne trouve
plus un seul médicament dans les hôpitaux de la même ville,
etc… le tableau est assez noir et la population tchétchène vit
toujours dans la terreur.
Le
25 septembre, un bus bondé de Tchernorétchié, à Grozny, était
la cible des militaires russes, faisant trois victimes dont une
femme avec son nourrisson dans les bras. À Argoun, à une dizaine
de kilomètres de la capitale, les hélicoptères ont tiré pendant
des heures, dans la nuit du 22 au 23 septembre, sur des immeubles hébergeants
des réfugiés de la première guerre.
L’armée
russe s’enlise en Tchétchénie, qui s’est vidée de la moitié
de sa population en un an de bombardements et d’exils. Et la
population, qu’elle soit russe ou tchétchène, est lasse. Les Tchétchènes
ne supportent plus la présence des 100 000 militaires russes, qui,
loin d'être rassurante, ne fait que miner un peu plus le moral de
la population. Les Russes, quant à eux, selon un sondage VTsIOM,
accepteraient à 48% contre 27% l'idée d'une indépendance tchétchène,
pour peu qu'elle les débarassent d'un problème qui dure depuis
trop longtemps.
Après
la défaite cuisante des Russes lors de la première guerre de
1994-1996, Moscou avait promis de ne pas envoyer ses enfants au
casse-pipe. Mais les chiffres, qui varient évidemment selon les
sources, font état de pertes déjà supérieures à celles de la
première guerre. Entre 2 500 et 17 000 soldats russes auraient
trouvé la mort en Tchétchénie depuis un an. À côté des
combattants tchétchènes, qui auraient perdu plus de 10 000 hommes,
la population civile a énormément souffert: Maskhadov a avancé le
chiffre de 45 000 victimes des bombardements et
"nettoyages" russes. Quant à la capitale, Grozny, à
moitié détruite, elle n'offre plus à la vue qu'un paysage lunaire
et désolé selon des témoins sur place.
Pourquoi
un tel acharnement de la part des Russes? L'objectif premier, à
savoir l'élection de Vladimir Poutine à la présidence russe, a été
atteint. À ce propos, Aslan Maskhadov confiait à Libération :
"Cette guerre était planifiée par la Russie depuis longtemps,
une telle évolution de la situation devait se produire six mois
avant la présidentielle russe. C'est Poutine qui a ordonné ces
explosions, c'est à Moscou qu'il faut chercher le terroriste en
chef et non ici!"
Si
s'enliser dans cette guerre permet à Poutine de nier le but électoral
du conflit, il est difficile pour lui aujourd'hui de revenir en arrière.
Sa tournée des "chiottes" à travers la Tchétchénie n'étant
pas terminée, puisque Maskhadov estime qu'il peut encore compter
sur 33 000 personnes en sus des chefs de guerre tchétchènes,
quelle parade va-t-il trouver pour changer de discours? Sans compter
l'aspect financier du conflit qui explique en partie pourquoi, selon
Le Monde (2 octobre 2000), le conflit ne s'est pas
achevé au printemps.
Car
"guerroyer en Russie est l'unique moyen de gagner de
l'argent" pour certains militaires russes, aussi les généraux
en place ont tout intérêt à ce que la guerre continue. Racketer
la population est autrement plus rentable que toucher la solde
militaire. Or, ce sont ces mêmes généraux qui ont porté Poutine
au pouvoir!
Cette
guerre semble donc "servir de tremplin à une série
d'ambitieux généraux" (Libération daté du 30
septembre). Fidèle représentant de ce système nourri par la
guerre, Vladimir Chamanov, commandant de la 58ème Armée,
dont les troupes sont accusées des pires débordements, se porte
candidat au poste de gouverneur dans la Volga, en décembre.
Quels
moyens Vladimir Poutine peut-il déployer pour sortir de cette
impasse et en finir avec cette guerre coûteuse qui s'auto-finance?
Et surtout, comment parviendra-t-il à conserver une certaine crédibilité
et sa cote de popularité, déjà bien entachée par les différents
drames du mois d'août, s'il prend la sage décision de négocier?
Maskhadov lui conseille de négocier avec lui tant qu'il est vivant,
"sinon ce sera pire" : l'écoutera -t-il? Le cas échéant,
Maskhadov mettra probablement un point d'honneur à ce que l'accord
résultant des négociations comporte une garantie internationale...
pour éviter que cette région ne s'embrase une troisième fois.
Québec, le 5 octobre 2000
|
La
crise colombienne et le ''Plan Colombia''
Noire colombe
Chaos,
violence et misère. La Colombie est usée par 40 ans de
guerre. La paix négociée entre le gouvernement, les guérilleros
et les paramilitaires n'est plus à l'ordre du jour. Avec le
soutien américain, le président colombien a choisi une autre
voie: le "Plan Colombia"... |
par
Hugo Lavoie
La
Croix Rouge suspend ses activités en Colombie. Cette décision
du Comité international de la Croix Rouge a été prise ce
mercredi 4 octobre, à la suite d’un attentat contre une
ambulance. Des membres des forces armées révolutionnaires
colombiennes (FARC) ont pris d'assaut le véhicule rouge et blanc
pour y achever à bout portant, l’ennemi blessé qu’on évacuait.
Dix jours auparavant, leurs adversaires paramilitaires d’extrême-droite
avaient ouvert ce macabre bal.
Le
départ de l’aide humanitaire de première nécessité illustre
bien la dégradation dramatique de la situation en Colombie. Après
quarante ans de guerre, le pays est toujours à feu et à sang, sans
espoir tangible de guérison. Pourtant, il faut agir. La réponse du
président Andres Pastrana — inspirée et financée par
Washington — au chaos de son pays porte un nom: le “Plan
Colombia”. Cependant, voyant se préciser les contours de cette réponse,
plusieurs ont maintenant l’impression qu’il a mal compris la
question.
Le
“Plan Colombia” est essentiellement répressif. Sa cible: la
narco-industrie, de laquelle les FARC tirent une bonne part de leur
revenu. De la contribution américaine s'élevant à 1,6 milliards
de billets verts, 80% est consacré à l’achat d’hélicoptères
militaires Huey II. Ces engins serviront à surveiller les
activités illicites et à déplacer les bataillons colombiens de
lutte anti-drogue, dont la formation est assurée par des militaires
américains. L’éradication des plants de coca par épandage de
produits chimiques fait aussi partie du programme. Les efforts du
gouvernement seront concentrés dans la région de Putamayo, fief de
la guérilla, et principale zone de culture du coca.
Or,
le plan est loin de faire l'unanimité. L'organisation américaine Human
Rights Watch soulignait d'abord que l'aide financière américaine
sera fournie à l'armée colombienne sans assurance de respect des
droits humains([1]).
À ce chapitre, le comportement des militaires a souvent été
condamné. En août dernier notamment, six enfants sont tombés sous
les balles des soldats, dans des circonstances qui restent nébuleuses.
Bon
nombre d’habitants de Putamayo appréhendent également les conséquences
du "Plan Colombia". Manuel Alzate Restrepo, maire
d’une des plus grandes villes de cette région, ne voit dans ce
qu’il appelle le "Plan contre la Colombie", que plus de
guerre et de souffrance([2]).
Généralement,
les paysans qui plantent le coca, le font parallèlement à d'autres
cultures légales. En attaquant les champs, la source alimentaire
d’une partie de la population est, du même coup, soit détruite,
soit contaminée. Plusieurs cas d’empoisonnement auraient déjà
été signalés dans le Putamayo([3]).
Complètement démunis et affamés, les jeunes paysans n’ont
souvent d’autres alternatives que de grossir les rangs des FARC.
D’autant plus que l’implication américaine dans la destruction
des cultures conforte les guérillas communistes dans leur
argumentaire anti-impérialiste. Le remplacement des plantations
sera alors facilité par les nouveaux adhérants qui connaissent déjà
bien la culture du coca.
Une
victoire militaire sur les guérilleros dans le Putamayo sera, par
ailleurs, difficile. La jungle touffue et les montagnes offrent aux
combattants une base arrière quasi-imprenable. Au
"mieux", les groupes armés révolutionnaires devront
reculer. C’est d’ailleurs exactement ce qu’appréhendent les
pays voisins. Les frontières étant impossibles à contrôler entièrement,
le Brésil, le Pérou et le Vénézuela, pourraient se retrouver
avec la guérilla ou des réfugiés colombiens sur les bras.
La
répression est une mise à hauts risques. Les négociations de paix
entamées en 1998 entre le gouvernement Pastrana et les FARC n'ayant
jamais abouties, c'est le retour à la politique de la matraque. En
quarante ans de guerre, cette avenue non plus n'a jamais porté
fruits.
La
narco-industrie est certes centrale au problème colombien. Mais
elle n'est pas seul, et ne saurait être traitée comme telle. En
1998, le taux d'inflation frôlait les 19%, alors que la croissance
économique ne dépassait pas les 0,2%([4]).
L'avenir est sombre pour la jeunesse. Le pays est complètement désorganisé
et la crise, multidimensionnelle. La solution devra l'être aussi.
Pour
l'instant, Washington souhaitent des résultats rapides dans sa
lutte à finir contre le narco-traffic. Troisième plus important récipiendaire
de l'aide étrangère des États-Unis, la Colombie est même un
priorité de la politique extérieure américaine. Malheureusement,
l'intensité des combats actuels laisse entrevoir le pire. Les
effets éclairs d'une politique à courte vue, risquent de se faire
attendre...
Québec,
le 5 octobre 2000
Lister, Richard, "Human rights groups have condemned the US
aid", site internet de la BBC, 31 août 2000
McDermott,
Jeremy, “ US-supplied Blackhawk helicopter about to pick
up Colombian troops ”, site internet de la BBC, 23 août
2000
McDermott, "Anti-drugs plan threatens Colombian
peasants", Idem.
Statistiques, L'État du monde 2000, les Éditions du Boréale,
1999, p.428
|
La
Tchétchénie, un an après
par Isabelle BACHY
Un
an. Une bougie pâlotte et sans éclat scintille en Russie. À
l’heure où les Allemands commémorent dix années de
réunification, la Russie observe aujourd’hui le premier
anniversaire d’une guerre de sécession qui n’en finit plus.
Le
1er octobre 1999, les chars russes envahissaient la
Tchétchénie. Un an après, rien n’a changé, ou presque. Le
“ nettoyage ” continue, mais les
“ bandits ” tchétchènes sont toujours là et
continuent à se battre, alors que l’armée russe envoie de
nouveaux contingents dans la petite république. M. Poutine
avait pourtant prévenu qu'il irait pourchasser les
"terroristes" tchétchènes jusque dans les
"chiottes". Il semble tenir ses promesses.
Et
pourtant, Moscou n’a de cesse de répéter que la guerre est
terminée, et ce depuis le mois de mai. Alors, comment nommer le
racket auquel la population civile est soumise en Tchétchénie?
Pourquoi interdire l'accès de la république autonome aux ONG? Au
nom de quoi cette “ guerre ”, qui ne dit pas son nom,
fait-elle encore une cinquantaine de victimes par semaine parmi les
soldats russes? Si ce n’est pas une guerre, c’est peut-être
“ une vraie sale guerre ”, pour reprendre les termes
employés pas Aslan Maskhadov, le président tchétchène
interviewé par Libération le 2 octobre 2000.
En
dépit de l’aveuglement dont Moscou fait preuve outrageusement, la
vie quotidienne des Tchétchènes ressemble, d’après les
observateurs étrangers et les journalistes sur place, à celle
d’un peuple assiégé. Viols et tortures de Tchétchènes
permettent aux soldats russes d’obtenir des rançons de leurs
familles, qui sont elles-mêmes rackettées, 18 000 personnes sont
encore portées disparues selon le Conseil de l’Europe, il
ne se passe pas un jour sans que des enfants sautent sur des mines
et viennent enfler le nombre d'amputés à Grozny, la capitale est
depuis février privée d’eau et d’électricité, on ne trouve
plus un seul médicament dans les hôpitaux de la même ville,
etc… le tableau est assez noir et la population tchétchène vit
toujours dans la terreur.
Le
25 septembre, un bus bondé de Tchernorétchié, à Grozny, était
la cible des militaires russes, faisant trois victimes dont une
femme avec son nourrisson dans les bras. À Argoun, à une dizaine
de kilomètres de la capitale, les hélicoptères ont tiré pendant
des heures, dans la nuit du 22 au 23 septembre, sur des immeubles
hébergeants des réfugiés de la première guerre.
L’armée
russe s’enlise en Tchétchénie, qui s’est vidée de la moitié
de sa population en un an de bombardements et d’exils. Et la
population, qu’elle soit russe ou tchétchène, est lasse. Les
Tchétchènes ne supportent plus la présence des 100 000 militaires
russes, qui, loin d'être rassurante, ne fait que miner un peu plus
le moral de la population. Les Russes, quant à eux, selon un
sondage VTsIOM, accepteraient à 48% contre 27% l'idée d'une
indépendance tchétchène, pour peu qu'elle les débarassent d'un
problème qui dure depuis trop longtemps.
Après
la défaite cuisante des Russes lors de la première guerre de
1994-1996, Moscou avait promis de ne pas envoyer ses enfants au
casse-pipe. Mais les chiffres, qui varient évidemment selon les
sources, font état de pertes déjà supérieures à celles de la
première guerre. Entre 2 500 et 17 000 soldats russes auraient
trouvé la mort en Tchétchénie depuis un an. À côté des
combattants tchétchènes, qui auraient perdu plus de 10 000 hommes,
la population civile a énormément souffert: Maskhadov a avancé le
chiffre de 45 000 victimes des bombardements et
"nettoyages" russes. Quant à la capitale, Grozny, à
moitié détruite, elle n'offre plus à la vue qu'un paysage lunaire
et désolé selon des témoins sur place.
Pourquoi
un tel acharnement de la part des Russes? L'objectif premier, à
savoir l'élection de Vladimir Poutine à la présidence russe, a
été atteint. À ce propos, Aslan Maskhadov confiait à Libération
: "Cette guerre était planifiée par la Russie depuis
longtemps, une telle évolution de la situation devait se produire
six mois avant la présidentielle russe. C'est Poutine qui a
ordonné ces explosions, c'est à Moscou qu'il faut chercher le
terroriste en chef et non ici!"
Si
s'enliser dans cette guerre permet à Poutine de nier le but
électoral du conflit, il est difficile pour lui aujourd'hui de
revenir en arrière. Sa tournée des "chiottes" à travers
la Tchétchénie n'étant pas terminée, puisque Maskhadov estime
qu'il peut encore compter sur 33 000 personnes en sus des chefs de
guerre tchétchènes, quelle parade va-t-il trouver pour changer de
discours? Sans compter l'aspect financier du conflit qui explique en
partie pourquoi, selon Le Monde (2 octobre 2000), le
conflit ne s'est pas achevé au printemps.
Car
"guerroyer en Russie est l'unique moyen de gagner de
l'argent" pour certains militaires russes, aussi les généraux
en place ont tout intérêt à ce que la guerre continue. Racketer
la population est autrement plus rentable que toucher la solde
militaire. Or, ce sont ces mêmes généraux qui ont porté Poutine
au pouvoir!
Cette
guerre semble donc "servir de tremplin à une série
d'ambitieux généraux" (Libération daté du 30
septembre). Fidèle représentant de ce système nourri par la
guerre, Vladimir Chamanov, commandant de la 58ème Armée,
dont les troupes sont accusées des pires débordements, se porte
candidat au poste de gouverneur dans la Volga, en décembre.
Quels
moyens Vladimir Poutine peut-il déployer pour sortir de cette
impasse et en finir avec cette guerre coûteuse qui s'auto-finance?
Et surtout, comment parviendra-t-il à conserver une certaine
crédibilité et sa cote de popularité, déjà bien entachée par
les différents drames du mois d'août, s'il prend la sage décision
de négocier? Maskhadov lui conseille de négocier avec lui tant
qu'il est vivant, "sinon ce sera pire" : l'écoutera
-t-il? Le cas échéant, Maskhadov mettra probablement un point
d'honneur à ce que l'accord résultant des négociations comporte
une garantie internationale... pour éviter que cette région ne
s'embrase une troisième fois.
Québec, le 5 octobre 2000
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