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gAFAM : le ministre du Patrimoine du Canada tisse sa position loin de Washington

(Publié le 5 décembre 2020) Le détail avait son intérêt : le ministre du Patrimoine du Canada se disant « en coordination avec la France et l’Australie », ajoutant ensuite être « en discussions avec son homologue de l’Allemagne ». Le ministre Steven Guilbeault d’expliquer ensuite être à préparer « une stratégie diplomatique » avec son collègue ministre aux Affaires étrangères. Conférencier virtuel, ce jeudi midi-là sous l’invitation du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), il fut ensuite questionné alors qu’il ne s’était pas encore passé plus d’une journée depuis qu’à Paris, la France abattait une très grosse carte.

La taxe sur les géants du numérique sera bien prélevée en 2020 malgré les menaces de représailles venant de Washington a confirmé, mercredi 25 novembre, le ministère français de l’Économie. Les entreprises assujetties à cette taxe ont reçu un avis d’imposition pour le versement des acomptes de 2020. (Source : Agence France-Presse, le 25-11-2020).

De Montréal, questionné par l’animatrice de la discussion Monique Simard sur l’enjeu de taxer les géants du web, le ministre, manifestement pas encore au parfum du dernier geste de la France, avança que la France ayant « reculé », il s’en remettait à la stratégie en cours du Canada : « On attend l’OCDE, car il faut construire une masse critique de pays ». Tout en précisant surtout que c’était à sa collègue aux finances que revenait la responsabilité d’une annonce en cette matière (voir notre autre article sur l’annonce faite le lundi 30 novembre : discours sur la mise à jour économique de la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland) est d’ailleurs apparue la décision du gouvernement – minoritaire – de Justin Trudeau de vouloir imposer une « taxe GAFA » à partir du 1er janvier 2022.

« Nous allons de l’avant avec des mesures visant à facturer la TPS/TVH sur les géants du web multinationaux et à limiter les déductions relatives aux options d’achat d’actions dans les plus grandes entreprises ». Chrystia Freeland, dans son allocution en Chambre à Ottawa le 30 novembre 2020.

« Si nécessaire, le Canada agira de façon unilatérale pour appliquer une taxe sur les grosses entreprises numériques, afin qu’elles paient leur juste part comme tout autre entreprise opérant au Canada. Notre gouvernement va corriger cette erreur ». Chrystia Freeland, ministre des Finances et vice-première ministre du Canada.

« L’Europe imposera sa taxe GAFA si les États-Unis ne reviennent pas à la table des négociations », avait déjà prévenu Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur. Mais le gouvernement français a pris les devants, face au constat que les négociations, que coordonnent l’OCDE, s’éternisent et visent maintenant l’horizon mi-juin 2021, après l’occasion manquée du dernier Sommet du G20 du 21-22 novembre 2020.

En France, sont concernées les entreprises qui réalisent au moins 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, en France, et 750 millions d’euros dans le monde.

L’OCDE est une institution basée à Paris, fondée en 1961 dans sa forme actuelle (l’organisme ayant eu pour vocation initiale l’administration du plan Marshall de 1947) qui compte 37 pays membres totalisant ensemble environ 60 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Une organisation publique internationale dont le Conseil sélectionnera un candidat devant succéder pour un mandat de 5 ans, à compter du 1er juin 2021, à l’actuel secrétaire général, le mexicain Angel Gurria. Un processus de sélection comptant, parmi sa dizaine de candidats en lice, l’ex-ministre des Finances du Canada, Bill Morneau. D’ici le 1er mars 2021, date prévue de l’annonce du choix, c’est confidentiellement et par consensus, à partir d’entretiens avec les candidats menés par l’ambassadeur du Royaume-Uni, Christopher Sharrock (selon l’agence de presse Agence France Presse) que le processus de sélection se poursuit.

Jusqu’à récemment, le gouvernement canadien refusait d’imposer des taxes, de nouvelles normes ou des impôts à ces géants. Arguant qu’il ne voulait pas imposer de nouvelles taxes aux consommateurs. Mais cette position du premier gouvernement de Justin Trudeau avait évoluée et le premier ministre était revenu sur sa décision lors de la dernière campagne électorale, il y a un an. Son gouvernement passe manifestement de la parole aux actes.

Le 4 novembre, son ministre du Patrimoine, Steven Guilbeaut, a de son côté déposé son projet de loi visant notamment à améliorer la gestion publique des diverses plateformes du monde numérique.

« Ce projet de loi C-10 vise à corriger une iniquité qui s’est créée avec le temps », a expliqué le ministre le 26 novembre lors de sa conférence au CORIM sur le thème Médias : l’urgence d’agir à l’ère numérique.

Son projet de loi C-10 vise effectivement la révision d’une loi datant de 1991. C’est dire comment elle viendra bouleverser tout le rapport de l’État canadien avec les géants du Web. Si on considère le facteur temps des initiatives du ministre Guilbeault, notons que ce ne sera pas avant 2022 que l’application des nouvelles normes et règles pourraient s’appliquer au Canada car « le CRTC aura neuf mois pour faire ses consultations », pour ensuite décider et faire appliquer une nouvelle réglementation.

Un CRTC – organisme régulateur au Canada – qui, par ailleurs, deviendra incidemment plus agile et agissant. À une question en ce sens, Stephen Guilbeault a choisi cette image plus que forte :

« Avant le CRTC n’avait que l’arme nucléaire du retrait de la licence. Dans C-10 ont lui ajoute la capacité de préalablement imposer des amendes ».

Mais c’est prioritairement le regard financier de l’enjeu qui reste au coeur de ce défi.

Voulant garantir que le régime de sa taxe sur les produits et services (TPS/TVH) s’applique de manière équitable et efficace à l’économie numérique toujours en croissante, le gouvernement fédéral canadien vient donc de proposer que, pour les fournitures qui deviennent généralement dues – ou effectuées – après le 30 juin 2021, donc qu’à partir de juillet 2021 :

• les vendeurs non résidents qui fournissent des produits numériques ou des services, y compris des services traditionnels, à des consommateurs au Canada doivent s’inscrire aux fins de la TPS/TVH et percevoir celle-ci et la verser à l’Agence du Revenu du Canada sur leurs fournitures taxables à des consommateurs canadiens; un cadre simplifié d’inscription et de versement aux fins de la TPS/TVH serait accessible aux vendeurs non résidents et aux exploitants de plateforme de distribution non résidents qui n’exploitent pas une entreprise au Canada (p. ex. qui n’ont aucun établissement stable au Canada);

• les sociétés qui exploitent des plateformes de distribution (par exemple Amazon) doivent s’inscrire conformément aux règles normales de la TPS/TVH et percevoir et verser la TPS/TVH sur les produits qui sont vendus par des vendeurs tiers sur ces plateformes et expédiés par des entrepôts de distribution au Canada (sauf si le vendeur est déjà inscrit à la TPS/TVH);

• les sociétés qui exploitent des plateformes d’hébergement de courte durée (par exemple Airbnb) doivent percevoir et verser la TPS/TVH sur les hébergements proposés par ces plateformes (sauf si le propriétaire est inscrit à la TPS/TVH); un cadre simplifié d’inscription et de versement aux fins de la TPS/TVH sera accessible aux exploitants de plateforme d’hébergement non résidents qui n’exploitent pas une entreprise au Canada.

Les commentaires sur ces trois propositions doivent parvenir au gouvernement d’ici le 1er février 2021.

L’énoncé économique a également décrit comme suit les initiatives du gouvernement fédérale canadien visant à améliorer l’équité du régime fiscal du pays :

• Renforcer la conformité aux règles fiscales – dépenser un montant supplémentaire de 606 M$ sur cinq ans, à compter de 2021-2022, pour financer de nouvelles initiatives et prolonger les programmes existants visant l’évasion fiscale internationale et l’évitement fiscal abusif.

• Moderniser les règles anti-évitement – lancer des consultations dans les prochains mois sur la modernisation des règles anti-évitement du Canada, y compris la règle générale anti-évitement (RGAE).

Le Québec en avance sur Ottawa

Au Québec, l’autorité fiscale, Revenu Québec, s’affiche en premier de classe au Canada depuis qu’il engrange les surplus au-delà de ces espérances en matière de perception de taxes, notamment auprès des multinationales du numérique. Par sa décision de passer outre ce qui était alors encore des réticences de l’autorité fédérale d’Ottawa et de percevoir à tout le moins sa propre taxe de vente sur les plates-formes numériques, rendue obligatoire depuis le 1er janvier 2019 pour les entreprises étrangères, et depuis le 1er septembre 2019 pour les entreprises canadiennes hors du Québec, l’inscription auprès de Revenu Québec et la perception de la taxe de vente du Québec (TVQ), qui est de 10%, comptait déjà 672 entreprises le 17 septembre 2020, incluant Netflix, Amazon, Apple, Facebook, Airbnb, Spotify et Google.

Premiers résultats : avoir pu percevoir non pas 28 M$ – comme l’agence s’y attendait – mais plus de 102 millions $ de TVQ pour l’année civile 2019; puis déjà plus de 67 millions pour les six premiers mois de l’année en cours.

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(Crédit photo de la « une »: CORIM)

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