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Canada-Europe : où en est-on avec l’AECG ?

Par Geneviève Gagné, avocate

Cela fait bientôt deux ans que la première version du texte de l’Accord économique et commercial global (AECG) a été rendue publique. Malgré la critique médiatique et les rebondissements politiques, particulièrement en Europe, les instances impliquées dans le processus de mise en œuvre ne mettent pas en doute son aboutissement. C’est ainsi que, malgré le Brexit au Royaume-Uni et une vague de recours collectifs en Allemagne, les ministres du commerce européen viennent de donner, lors d’une rencontre à Bratislava, vendredi le 23 septembre 2016, leur appui unanime à l’adoption de l’accord. La perspective d’une entrée en vigueur provisoire au début de l’année 2017 passe ainsi au rang de forte probabilité, le droit apportant quant à lui quelques certitudes sur le processus de son adoption.

Sur le fond, la documentation relative au contenu de l’AECG est abondante et nous ne nous y attarderons donc pas. En résumé, cet accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE) prévoit l’abolition d’environ 98% des barrières tarifaires dès son entrée en vigueur, ainsi que la diminution des barrières dites non-tarifaires (certifications, règlements techniques, etc.) L’AECG est communément appelé un accord de « nouvelle génération » parce que ses dispositions vont plus loin que les considérations purement commerciales. L’accès aux marchés publics, la mobilité internationale, la régulation de certains droits de propriété intellectuelle y sont notamment prévus.

Rappelons que les négociations de l’accord se sont terminées le 1er août 2014 et ont été annoncées officiellement le 26 septembre 2014 en même temps que la publication du premier texte officiel, qui n’a été que paraphé à ce jour. Cela signifie que le contenu préliminaire est établi, mais qu’aucune obligation juridique n’est encore créée.

L’AECG a par la suite fait l’objet d’une révision juridique qui s’est terminée le 29 février 2016 par la publication du texte final de l’accord. Il a modifié la version précédente notamment en ce qui concerne le processus d’arbitrage d’investissement, qui faisait l’objet des objections les plus massives en Europe. Un nouveau système de règlement des litiges a ainsi été instauré. Il se rapproche plus d’une cour de justice internationale que d’un tribunal d’arbitrage privé. Les décideurs y ont, entre autres, une obligation d’indépendance.

L’étape suivante est celle de la signature, qui établit de manière définitive le contenu de l’accord. Il ne s’agit pas encore d’un contrat en droit international public, mais les États sont tenus de ne pas commettre d’actes qui priveraient l’accord de son objet ou de son but. C’est à ce stade-ci que se trouve maintenant l’AECG. La ratification finalise ensuite le processus, en ce que l’accord international ainsi conclu est transposé en droit interne de chaque État signataire pour y avoir force exécutoire.

Au Canada, le déroulement du processus est bien établi et le positionnement politique en faveur de l’adoption de l’AECG a été plus ou moins constant malgré le changement de gouvernement. Vu l’importance de l’AECG, c’est le premier ministre Justin Trudeau qui en sera le signataire. Les projets de lois pour sa mise en œuvre seront ensuite préparés pour approbation par le Conseil des Ministres (Cabinet), qui ratifiera ensuite l’accord. Depuis 2008, tout traité international doit également être déposé à la Chambre des communes, qui dispose d’un délai de 21 jours pour faire des recommandations sur sa mise en œuvre. Il s’agit toutefois d’une procédure de courtoisie, sans force contraignante.

COMPLEXITÉS EUROPÉENNES

La situation est plus complexe en Europe. La détermination des signataires autorisés dépend de la question à savoir si le contenu de l’AECG relève de la compétence exclusive de l’Union européenne (accord « EU-only ») ou si certains aspects relèvent plutôt de la juridiction des États membres (« accord mixte »). Il s’agit-là d’un exercice pouvant s’avérer complexe.

En juillet 2015, la Commission européenne a d’ailleurs demandé à la Cour de justice de l’UE de trancher la question en ce qui concerne l’accord de libre-échange entre l’UE et Singapour, adoptant la position qu’il s’agit d’un accord EU-only. La décision n’a pas encore été rendue. Toutefois, bien que l’argumentaire de l’UE en ce qui concerne l’AECG soit similaire, la Commission a proposé le 5 juillet 2016 de le qualifier d’accord mixte dès le départ, ceci afin de faciliter son entrée en vigueur. Le même jour, la Commission émettait des recommandations quant à sa signature, son entrée en vigueur provisoire et sa ratification.

En pratique, c’est au Conseil de l’UE (à ne pas confondre avec le Conseil européen et le Conseil de l’Europe) de décider de ces questions sur proposition de la Commission. Dans le cas d’un accord mixte, cela signifie également que chaque État membre de l’Union devra entériner les décisions. L’approbation du Parlement européen, quant à elle, n’est techniquement requise que pour la ratification mais, afin d’augmenter la légitimité de l’AECG, elle sera également sollicitée en ce qui concerne la signature et l’entrée en vigueur provisoire.

Ainsi, si la procédure évolue de manière positive, la tendance actuelle est que le Conseil de l’UE prendra le 18 octobre prochain la décision quant à la signature et entrée en vigueur provisoire de l’AECG. Formellement, c’est lors du sommet Canada-UE à Bruxelles le 27 octobre que l’accord serait signé par l’UE et le Canada. Il entrerait par la suite provisoirement en vigueur dans le premier semestre 2017, pour la portion EU-only. Cela concerne notamment l’abolition immédiate de la presque totalité des barrières tarifaires et l’accès aux marchés public. Les sections qui ne feront vraisemblablement pas partie de l’application provisoire sont celles concernant la protection des investissements et le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États. Le cas de figure de l’AECG n’est pas unique. Les traités de libre-échange de l’UE avec la Colombie et le Pérou sont actuellement appliqués de manière provisoire sans qu’ils ne soient encore ratifiés par les États membres, ce processus pouvant durer entre 2 et 4 ans.

D’ici-là bien sûr, il s’agira d’observer si les inévitables rebondissements dans la conclusion d’un traité international significatif auront une influence quelconque sur le processus.

L’ENJEU BREXIT, MAIS AUSSI ALLEMAND…

Déjà, le 23 juin dernier se tenait entre autres le vote sur le Brexit, à l’issue duquel la population britannique a voté avec une faible majorité pour le retrait du pays de l’UE. Or, entre 40% et 50% des échanges commerciaux québécois sont avec le Royaume-Uni, qui représente environ 20% de l’impact économique européen et 60 millions de consommateurs sur un bassin total de 500. Il s’agit de considérations dont le Canada a tenu compte lors de la négociation de l’AECG et une renégociation de l’accord pourrait être demandée advenant la sortie des britanniques de l’UE. Toutefois, le discours politique majoritaire de chaque côté de l’Atlantique fait état d’une réticence à réouvrir les négociations, étant donné le risque élevé de voir tomber l’accord en entier. Aussi, si en 2018 le Royaume-Uni sortait bel et bien de l’UE, un nouvel accord avec le pays serait vraisemblablement négocié par le Canada, éventuellement sur la base de l’AECG.

Il y a également cette vague de recours collectifs en Allemagne, demandant à ce que soit empêchée l’entrée en vigueur provisoire de l’AECG. Au nombre de cinq, le plus important regroupe 125 047 procurations. Essentiellement, on y invoque des violations de la constitution allemande advenant l’entrée en vigueur provisoire et une implication déficiente du parlement allemand, ainsi que des droits exagérés aux investisseurs étrangers et aux comités qui seront créés sous l’égide de l’AECG. Ces questions devront être examinées par la cour constitutionnelle allemande, le nombre de plaignants n’ayant toutefois aucune influence sur l’issue de la décision.

Aussi, qu’arriverait-t-il si l’AECG entrait en vigueur de manière provisoire, mais qu’un État membre faisait défaut de le ratifier par la suite? Dans les faits, cela n’aurait aucun impact sur les dispositions EU-only (droits de douane, certifications, etc.) qui continueraient de s’appliquer, seules celles de compétence nationale (environ 5%-10% de l’accord), ne trouveraient pas application. Une fois l’entrée en vigueur provisoire décidée, seule une déclaration par l’UE ou le Canada à l’effet qu’ils ne désirent plus faire partie de l’AECG pourrait l’annuler.

Toutefois, même si l’adoption de l’AECG demeure encore soumise à une certaine imprévisibilité due aux aléas politiques, les récents développements en Europe indiquent que l’entrée en vigueur de l’AECG est désormais plus prévisible que spéculative.

Le processus de mise en œuvre et d’application s’inscrit également dans un cadre connu. Au Canada, la venue de l’AECG se fait de manière relativement sereine. En termes de consommateurs et de pouvoir d’achat, l’UE représente également pour le Canada un marché plus important que l’inverse. Toutefois, pour l’UE, l’AECG constitue un enjeu au niveau du maintien de sa crédibilité en tant qu’interlocuteur économique, ainsi que dans le cadre de sa stratégie de développement commercial. En somme, ce qui semble se dégager dans ce contexte, c’est que dans l’ensemble il y a encore plus à y gagner qu’à y perdre!

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