Quatre années à compléter un doctorat au Laboratoire de recherche en Management et économie de l’environnement construit et naturel (REME), devenu à sa suggestion le Laboratoire d’économie urbaine et de l’environnement (LEURE) de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, il y a de quoi retirer des observations dignes à partage. C’est à cet exercice que nous avons convié Philippe Bélanger. Il a accepté avec plaisir et le résultat est pour vous.
Quelles furent donc les plus belles découvertes du doctorant durant ces quatre années passées à Lausanne?
LES FORCES DE LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE
Spontanément, il lance avoir beaucoup aimé la manière dont le gouvernement utilise les universités pour y faire faire de la recherche : « En Suisse, au lieu de financer des centres de recherche publics, le gouvernement finance la recherche universitaire, qui a d’autant plus l’avantage d’être indépendante (…) De toutes manières, comme pour le secteur bancaire, on y retrouve une grosse culture du secret, mais aussi de collaboration et avec un sens de l’éthique très fort (…) Les moyens des professeurs sont incomparables avec ici, au Québec », termine-t-il sur ce point, en précisant qu’il faisait partie d’une équipe de neuf étudiants doctorants attachés au même professeur.
Et ce lien fort État-Recherche universitaire s’applique aussi au secteur privé.
« Je n’avais qu’un pas à faire pour me retrouver au Quartier de l’innovation (…) La vitesse avec laquelle une idée peut y devenir une Strart-up et ensuite une entreprise réussie est surprenante ». Le campus de l’EPFL compte sur un Quartier de l’innovation, avec des noms tels Nestlé, Crédit Suisse et Logitech bien en évidence sur les centres de recherche privés installés là avec un bail de 75 ans et les chercheurs de la compagnie qui accueillent et emploient des étudiants sur les lieux même de leur campus universitaire pour des projets de recherche propres ou en collaboration avec l’EPFL.
« Les trois derniers bâtiments du campus ont d’ailleurs été des réalisations du privé, avec des droits emphytéotiques de 100 ans. Ici, l’université a compris qu’elle ne gagne rien à gérer de l’immobilier. Elle confie ça au privé, tout en gardant ses droits de propriété à long terme sur les terrains. »
« Les barrages hydroélectriques du pays sont sur le même principe. C’est ainsi que dans les dix prochaines années, j’ai observé qu’il y a des cantons en Suisse qui récupéreront la propriété de ces infrastructures, devenant milliardaires en valeur. Le canton du Valais est le meilleur exemple ici, les barrages de la vallée du Rhône seront propriété du canton alors que les barrages sur les affluents dans les vallées seront propriété des communes[1] (…) J’ai vu là de quoi revoir nos pratiques de PPP (partenariat public privé) au Québec. »
UNE SUISSE INSPIRANTE
Les trains ne sont pas juste à l’heure au pays de l’horlogerie. On se déplace en train de partout de par un réseau parsemé de nombreux carrefours – hub – pour le transport des personnes. « J’ai constaté que le premier poste budgétaire des dépenses de l’État en Suisse c’est le transport en commun! (…) Vivement l’électrification des transports au Québec. »[2]
Du transport au bâti, il faut penser en terme de multifonctionalité à l’avenir : « Le concept d’édifice à bureaux c’est fini (…) Comme Cominar l’a très bien compris au Québec ». Il rêve donc de voir la tour de 65 étages du Phare, qui s’élèvera prochainement à Québec, permettre de constituer un véritable hub de transport en commun.
Ensuite Québec, qui se dit « ville intelligente », pourra s’inspirer de Genève, une des rares villes au monde, sinon la seule, à disposer d’un système de relevés géologiques 3D. « Ça permet des choses impressionnante en matière de planification ».
ASSURANCE LOYER
En Suisse, la règle du dépôt de garantie de trois mois est de rigueur pour les locataires de logement. En contrepartie, y existe le système de l’assurance loyer. Les locataires qui ne peuvent ou ne veulent pas immobiliser trois mois de loyer à la signature du bail peuvent souscrire à une assurance loyer qui prendra le dépôt en charge, exemple avec SwissCaution. « Ce système a un autre avantage : l’argent est gelé dans un compte en fidéicomi et il faut l’aval et du locataire et du propriétaire pour le remettre à qui de droit à la fin du bail. Si des dégâts sont observés et que le logement nécessite des réparations, le propriétaire trouve là les fonds pour aviser; si tout est en règle la somme est reversée du côté du locataire déposant. Ça assure aussi la bonne qualité du lieu en tout temps », explique Philippe Bélanger, qui n’a pas vu sa facture de loyer augmenter d’un seul franc en quatre ans de location.
On peut également y voir une alternative au recours à la justice et aux interminables procédures des petites créances pour régler les litiges du genre, ici, au Québec surtout les problèmes d’insolvabilité des locataires.
« En Suisse, il existe également un registre des poursuites dont le locataire doit fournir l’extrait le concernant pour obtenir une location. Les locataires ont donc intérêt à rencontrer leurs obligations et les propriétaires ont facilement accès à un outil qui certifie de la qualité du locataire. C’est cependant le locataire qui doit demander et fournir l’attestation de l’office des poursuites, puisque le propriétaire ne peut l’obtenir, confidentialité oblige. »
Le droit immobilier est fondamental et très présent en Suisse, car 70% des appartements locatifs y sont des propriétés individuelles. Sorte de preuve que l’on peut trouver là une belle manière de permettre à une population de s’enrichir.
RETOUR SUR L’HYPOTHÈQUE 25 OU 30 ANS
Philippe Bélanger ne comprend d’ailleurs pas l’évident mauvais choix, selon sa perspective, fait à Ottawa pour la lutte à l’endettement des ménages : « En plafonnant la durée des hypothèques à 25 ans maximum, le ministre Flaherthy a restreint ce qui constituait la seule dette qui aide les familles à s’enrichir (…) toutes les études le confirme (…) Ils auraient dû agir du côté des cartes de crédits, là où le problème est bien pire », analyse-t-il.
Avec toujours l’exemple de la Suisse en tête, pays où l’endettement hypothécaire est le plus important (140% du PIB) d’Europe, mais aussi où les ménages épargnent le plus (17,5% de leur revenu brut) et avec la valeur nette moyenne des ménages la plus élevée à 467 000 CHF.
Par l’application de cette mesure du gouvernement fédérale canadien, le simple jeu de l’offre et de la demande aura ralenti le marché dans le Canada tout entier et c’est bien ce que l’on observe encore : « Les gens les plus à risque ont été contraints à se limiter dans leur projet d’acquisition, diminuant d’autant la demande de financement. La différence sera qu’une famille payera par exemple 4, au lieu de 3 fois, les frais de rachats d’une nouvelle maison avant d’arriver à l’acquisition rêvée, parce que dorénavant elle doit rallonger les étapes ».
« L’immobilier reste une des façons les plus sûres de s’enrichir, la rareté des terrains pousse continuellement la valeur avec une pression vers la hausse plus rapide que l’inflation. En Suisse, c’est complexe, mais il y a la possibilité d’une durée infinie de l’hypothèque. »
Et si ça ne fonctionnait pas, il y a longtemps que le peuple aurait fait changer les choses, avec le droit aux initiatives populaires très inscrit dans la culture démocratique de la Suisse: « Des référendums partout, j’ai adoré ça! »
« J’ai aimé aussi observer qu’en Suisse les conventions collectives n’existent pas par entreprise, mais par secteur. Et avec des échelons salariaux avec marges, donnant la souplesse nécessaire pour que les entreprises offrent des encouragements. La participation au syndicat n’y est par ailleurs pas obligatoire, pas de formule Rand. »
« Et l’éducation est gratuite du début à la fin. Même que comme doctorant j’étais payé et on recevait des allocations mensuelles de 325 CHF par enfant. Ce système fait partie des conditions de travail de base en Suisse. »
Sa conjointe trouvera par ailleurs du travail comme infirmière aussitôt arrivée en Suisse. « Ils voulaient qu’elle rentre travailler le lendemain! »
À force de comparer, il a conclu que le Québec avait encore tout à s’inspirer de la Suisse: « Je n’ai pas trouvé rien de mieux ici. Le Québec devrait être comme la Suisse, surtout que nous disposons de bien plus de ressources qu’eux. »
Il gardera heureusement un lien prometteur avec la Suisse, devant y retourner en avril prochain pour y redonner sa part d’un cours concentré sur une semaine portant sur l’intégration de l’architecture et des énergies renouvelable dans un paysage alpin[3].
Dorénavant, l’Université Laval compte cependant sur un nouveau jeune professeur en immobilier du développement durable qui apporte sa brique à rebâtir le département. M. Bélanger signe Assistant professor, Finance, Insurance and Real Estate Department, à la Faculté des Sciences de l’administration.
Philippe Bélanger a certes été déçu de constater l’impossibilité de trouver les statistiques historiques de taux d’intérêts hypothécaires réels au Canada. « Je souhaitais faire porter une bonne partie de ma thèse de doctorat sur ce sujet, mais ces données historiques n’existant vraisemblablement pas, j’ai dû me contenter d’appliquer mon approche à la Suisse seulement. » Il apporte donc les fruits de sa thèse titrant: « Energy Efficiency Valuation and Mortgage’s Implicit Insurance » dirigée par Philippe Thalmann.
Le professeur Francois Desrosiers, qui enseigne l’immobilier depuis des années et qui l’a aidé à trouver son directeur de thèse en Suisse, a maintenant de la relève au point que ses jeunes collègues l’entendent parler de moins en moins de prendre sa propre retraite. (Pendant la même période, l’Université Laval a aussi engagé un autre jeune professeur prometteur dans ce domaine).
Que du bon pour l’Université Laval et le Québec.
[1] letemps.ch/Page/Le_Valais_doit_barrages
[2] dievolkswirtschaft.ch/2009/05/10F_Schwaar.pdf
[3] edu.epfl.ch/renewable-energy-and-solar-architecture-in-davos