DOSSIER SPÉCIAL
TERRORISME

SOMMAIRE

Depuis les événements, toujours non revendiqués, mais assurément terroristes, du mardi 11 septembre dernier aux États-Unis, les mots manquent à plusieurs pour exprimer leur désarroi, pour tenter des amorces d’explications. Peut-on comprendre de tels gestes? Il le faudra bien, sinon le jugement risque de faire fausse piste et ce, dramatiquement. Des lecteurs de COMMERCE MONDE ont fait parvenir des réflexions que nous nous faisons un devoir de partager avec vous. Ces textes, de Louis Balthazar, de Corine Markey et de Tamim Ansary que nous remercions, sont au sommaire de ce DOSSIER SPÉCIAL.

L’article sur l’avenir des institutions financières internationales (IFI), qui devait normalement paraître dans le #25 du cyberjournal, et qui se retrouve tout d’un coup particulièrement pertinent dans ce contexte exceptionnel de gestion de crise du terrorisme à l’échelle mondiale, est également mis en exergue dans le présent DOSSIER SPÉCIAL. Cet article sera publié dans les premiers jours d’octobre, soit dès que nous aurons pu mettre à jour le contenu de la présentation que Christopher Malone, un spécialiste du gouvernement du Québec en la matière, avait faite, plus tôt cette année, lors d’une conférence publique prononcée devant les membres de l’Association des économistes du Québec (ASDEQ) - Section Québec.

Ci-bas, vous pouvez également lire une ANALYSE de la situation deux semaines après l’Acte.

La rédaction.

 

Analyse
Où en est le monde 15 jours plus tard!

par Daniel Allard

D’abord, un “mot de silence”: (     ) en sympathie à tous les humains de la Terre et condoléances particulières aux familles directement atteintes par l’Acte.

TERRORISME: n.m. Ensemble d’actes de violence commis par des groupements révolutionnaires. || Régime de violence institué par un gouvernement.

TERRORISER: v.t. Frapper de terreur, d’épouvante, tenir sous un régime de terreur.

(Source : Petit Larousse illustré, 1979)

Extrêmement difficile de trouver quelque chose de bon dans les événements historiques du 11 septembre 2001 en sol états-unien. “Cela va changer leur façon de voir les affaires internationales”, philosophent froidement plusieurs analystes.

Montrant que les débats à propos du terrorisme ne sont pas simples, moins d’une centaine de parlementaires, soit seulement le tiers du Parlement européen qui siège à Strasbourg, en France, et qui représente quelque 800 millions d’Européens de 43 pays de ce continent, se sont inscrits à un débat d’urgence sur le terrorisme. (Ce débat se terminait par le vote, prévu le 26 septembre, d’une résolution.) Deux parlementaires, un d’Arménie et l’autre d’Azerbaïdjan, ont profité du moment pour s’accuser respectivement d’actes terroristes!

Avec l’Acte, tout frais encore, dans le fond de la gorge, on montre davantage l’Amérique comme un modèle pour le reste du monde, un modèle de démocratie et de liberté.

“La victoire signifie casser la capacité des organisations terroristes à terroriser et à altérer le mode de vie - entendons des Américains et de leurs amis dans le monde”, a déclaré, tout juste deux semaines après l’Acte, le Secrétaire à la Défense des États-Unis, Donald H. Rumsfeld. Dans ma lecture du même quotidien, quelques pages plus loin, la publicité d’une émission de Télé-Québec (telequebec.tv), LES FRANCS-TIREURS, a attiré mon attention. Elle annonçait, soulignant que “ça fait trois ans qu’on parle franc”, un des sujets de l’émission du même jour: Les surconsommateurs obnubilés par leur image.

Une phrase choc me revient, celle du commandant du Légaré II qui, solitaire sur son navire et parlant de sa vie de marin, affirmait que celle-ci lui avait permis de “trouver une paix intérieure que la société moderne ne permet plus à l’Homme”.

Pendant ce temps, à Alger, deux ans après la mise en place du projet de paix civile du président Bouteflika, un récent bilan est décourageant: 5000 Algériens de plus, civils ou militaires, ont été victimes du terrorisme. Que faire contre ce fléau?

La terreur est évidemment la pire forme de rapport humain, particulièrement lorsque érigée en système politique et de gouvernement d’un pays entier. En théorie, il apparaît d’une sagesse évidente que ceux qui l’exercent se retrouvent mis hors d’état de nuire, pour le plus grand bien de tous.

Le terrorisme serait “la bombe atomique des pauvres”, avancent certains analystes à l’esprit assurément plus pratique.

 

LA VRAIE “GUERRE”: US ARMY vs. US AID

Deux semaines après l’Acte, la Maison Blanche raidit son approche en tentant d’imposer une vision sans alternative: mes amis d’un bord et mes ennemis de l’autre! Trop simple, cette politique réductionniste est avancée sur le front diplomatique, financier et militaire, alors que déjà 40 milliards $US sont allés dans la direction des Forces armées. Quarante milliards $US plus tard, où en serons-nous? Ces dizaines de milliards de dollars vont-ils dans la bonne direction?

Il est de toute façon déjà trop tard pour beaucoup de ces beaux dollars verts, mais où iront les prochains? Et si la bataille sous-jacente à cette crise était celle de la US ARMY vs. US AID? La mesure concernant les 18 MM$US de plus pour aider les compagnies aériennes (5 d’aides directes pour compenser les pertes, 10 en garanties de crédit et 3 pour assurer le financement de nouvelles mesures de sécurité dans les avions et les aéroports) n’a pas été longue à être adoptée. Imaginez seulement combien de batailles contre la pauvreté et la misère extrême des populations dans le monde, une des racines incontestées du terrorisme, on pourrait gagner avec 18 MM$US de plus dirigés vers US AID, plutôt que vers les stratégies du Pentagone?

Et ce n’est pas tout! Attention! Attention! Traquer, trouver, capturer et surtout juger Oussama ben Laden, ou un autre leader du même style, ce sera juger l’Amérique. Ce sera juger le mode de vie dit occidental, cette société-démocratie-libérale-laïque-capitaliste dans tous ses retranchements! J’imagine déjà ben Laden, sous les feux des caméras de télévision refaisant un show à la O. J. Simpson, affichant sa foi et sa vision du monde en déshabillant sur le sol même des États-Unis l’application moderne du rêve américain. Magistral coup de pub, magistrale tentative de conversion lui permettra-t-on, si on lui offre ainsi l’actuelle solution de Georges W. Bush. Si l’Amérique le suit dans ce chemin, le miroir risque de se retourner contre elle.

“Situation complexe et unique… dans d’autres guerres, nous connaissons la menace, nous connaissons les solutions. Pas maintenant”, analysait un professeur de sciences politiques de l’American University, James Thurber, dans les premiers jours suivant l’Acte. Cette analyse était teintée de l’émotion du moment. Redirait-il la même chose maintenant? Parce que oui, nous connaissons la menace. Et oui, nous connaissons la solution. Mais qui veut l’accepter? Celle que les adeptes extrémistes ont lancée avec l’Acte n’est-elle pas aussi un appel à la conversion?

Si, à un certain moment, la guerre fait prendre à des gens les armes - les véritables, celles qui tuent et éliminent physiquement l’autre -, cette guerre-là fait préalablement sa place dans les esprits, dans leurs têtes et dans leurs convictions, personnelles et communes à titre d’humain. Le choix d’utiliser et de réutiliser, abusivement, le mot est déjà un piège qui augmente le risque d’escalade et de dérive.

Un autre souvenir me revient. Celui d’un ami de Mexico en visite à Québec durant ces jours sombres. Lui demandant pourquoi on n’entendait pas beaucoup parler du Mexique dans tout cela, que pensait-il que le Mexique ferait dans la “guerre” qui s’annonce, sa réponse fut pour le moins rafraîchissante: “La constitution du Mexique impose la non-intervention en pays étrangers. L’application de la doctrine Estrada - un juriste mexicain - a fait inscrire des idéaux pro-démocratiques et pacifiques jusque dans la loi fondamentale du pays. Le respect de l’autodétermination des peuples, la non-utilisation, ni la menace d’utilisation de la force pour régler les problèmes internationaux font également partie de cette façon mexicaine de faire des relations internationales. Très concrètement, ceci interdit toute participation du pays à une organisation militaire comme l’OTAN, par exemple. Notre armée ne peut être utilisée que pour des mesures défensives.”

“Que le plus fort soit attaqué, que la plus grande puissance mondiale soit ébranlée, toute la planète tremble. Et pour cause. On craint pour l’arbitre, pour le protecteur, pour le partenaire. Même si on aime pas toujours ses comportements, ses décisions, ses interventions, voire son arrogance, on ne peut que s’incliner devant son courage, sa fierté, son patriotisme, sa force et son efficacité. L’Amérique n’aura jamais été perçue autant comme le gardien mondial de la démocratie et de la liberté”, continue dans sa lettre au quotidien Le Soleil, Rémy Gagné (Lac-Beauport).

Et si ce n’était que la politique étrangère américaine au Moyen-Orient qui était visée, particulièrement envers la Palestine, et que tout cela n’avait rien à voir avec la démocratie et la liberté?

 

QUE FAIRE?

“En pareilles circonstances, il faut savoir choisir son camp… les valeurs de l’Amérique me sont chères. Et je les défendrai contre les ennemis de l’Amérique: le terrorisme, le totalitarisme et le fanatisme” écrivait Gaétan Bouchard, de Trois-Rivières, le 17 septembre, en courrier dans Le Soleil. “La meilleure manière de mettre fin aux guerres sera d’accorder à tous les hommes et les femmes de cette planète des libertés communes, fondées sur les mêmes règles du jeu qui ont fait de l’Amérique une terre d’accueil pour tous les citoyens du monde, qu’ils soient catholiques, protestants, juifs, musulmans ou athés”, termine-t-il dans sa lettre.

“Il faut convertir des révoltés à une autre révolution en extirpant les racines dont se nourrit leur colère et surtout éviter à l’avenir d’en semer à nouveau les germes”, souligne à juste titre Pierre Simard, de Sainte-Foy, dans sa lettre du 26 septembre. “Cela est réalisable… par l’analyse objective de ce qui constitue la normalité de leurs besoins, analyse appuyée d’un regard honnête sur la contribution qu’on peut y apporter”, poursuit–il avec un idéalisme qui l’honore, mais qui souffre d’une analyse naïve trop théoricienne.

“Au nom de la productivité et de la compétitivité, on met de la pression sur les personnes et sur la terre, sans respecter le temps requis pour refaire leurs forces ou remplacer les éléments nécessaires à la vie”, exposait Yvan Daigle, de Québec, dans son opinion du 26 septembre. Ce qui le conduisait naturellement à convenir que la cupidité [n. f. : Désir immodéré des richesses, (syn. : avidité, convoitise, rapacité)] des hommes “…produit des résultats sur l’environnement et nos sociétés qui démontrent une perte de valeur évidente”.

Puisque de plus en plus d’humains “…n’ont plus foi dans leurs dirigeants économiques, politiques et religieux… [et que] …malheureusement, certains deviennent terroristes… [alors] …anéantir les terroristes pour régler le problème devient futile”, poursuit-il. Sa conclusion est aussi simple que complexe: à plus long terme, la solution réside plutôt dans l’élimination des conditions qui conduisent à la naissance du problème.

FOI OU LOI?

Comme si les dirigeants du monde tentaient ainsi de comprendre où l’Acte et Dieu avaient voulu les conduire, à partir du matin du 11 septembre, il est significatif que la place qu’ils ont laissée aux dirigeants religieux partout à travers le monde montre bien que la séparation entre le politique et la religion n’est pas beaucoup plus qu’un événement historique largement associé à la Révolution française de 1789. L’anecdote mérite d’être ici racontée: même dans un pays, le Canada, où la séparation du pouvoir religieux d’avec celui de l’État est un fondement de la démocratie, le même ami visiteur du Mexique – pourtant lui-même catholique et bien plus pratiquant que la moyenne des Québécois - demanda pourquoi y avait-il toujours un crucifix accroché tout juste en haut du siège du président de l’Assemblée nationale du Québec, le jour de sa visite de l’illustre lieu, le lundi après l’Acte.

“Conclure que Dieu a voulu nous mener à la guerre, ce serait désespérer de Lui. La foi s’interposera toujours entre la nécessité de la justice et l’assouvissement de la vengeance ”, analysait d’ailleurs le chroniqueur Michel Vastel, dans Le Soleil du 20 septembre.

Oussama ben Laden se fait allégrement traiter de “fou illuminé” à la tête d’adeptes kamikazes. “C’est sur le culte des Saints Martyrs que la religion catholique s’est propagée”,  analyse pourtant lui-même le Cardinal Turcotte. “Cela devrait nous faire réfléchir à l’égoïsme des pays riches par rapport aux pays pauvres”, poursuit le même homme de la foi en fonction au Québec. Et Michel Vastel de poursuivre: “Les apôtres de la mondialisation accepteront-ils qu’en plus des bonnes actions des riches, la mondialisation peut tout aussi bien nous imposer le partage des gestes de désespoir des pauvres?”

En définitive, la situation actuelle annonce une incontournable récession économique, mais l’Amérique est aussi en “récession spirituelle”, pourrait-on dire. Les “marchands de bonheur” que sont les chefs, petits ou grands, et idéologues religieux n’ont de toute façon qu’une partie de la réponse à la quête que les humains poursuivent. Ce bonheur “...fait d’être là où on se sent bien, celui de se trouver à sa place, en sécurité, en paix” comme en témoigne Alexandra Duguay, une femme originaire de la ville de Québec qui travaille depuis quatre ans au service d’information de l’ONU, à New York. Le jour avant l’Acte, elle rentrait d’ailleurs de Durban et de la Conférence contre le racisme “...et son inlassable débat qui avait d’ailleurs dérapé pour se terminer en queue de poisson”, comme elle le disait elle-même dans son opinion publiée dans Le Soleil, le 17 septembre dernier.

Le réflexe d’expliquer l’inexplicable par “l’acte du divin”- (an Act of God) est encore plus facile à accepter lorsque la tragédie a quelque chose de soudain, d’instantané et de monstrueux comme l’Acte. Rappelons-nous, cependant, qu’en moins d’une seule année le terrorisme de l’opium, de l’héroïne, du crack, etc., bref de la drogue, fait bien plus que 6000 à 7000 victimes en Amérique du Nord, voire juste à New York! Voilà une autre “guerre” qui va maintenant attendre que son tour revienne au feuilleton de la vie au quotidien d’un citoyen libre des Amériques.

INFORMER OU CONVERTIR?

“Nous ne savons plus ce qu’il convient de passer à la télévision, de même que nous ignorons les conséquences plus profondes de ces attentats aux États-Unis. Dans ce nouveau contexte, le rôle de la télévision reste à définir”, a écrit le chroniqueur de la revue Entertainment Weekly, Ken Tucker.

Sur ABC, l’animateur télé de l’émission satirique Politically Incorrect, Bill Maher, a goûté autrement la crise de l’Acte: après avoir qualifié de lâches les actions militaires américaines dans le passé, il a vu Sears Roebuck et American Express retirer leur publicité. Il s’est ensuite excusé! Pour cause, beaucoup d’argent était en jeu.

Parlant d’argent, CBS aurait été une des premières grandes chaînes à “décrocher”, le samedi soir à minuit, pour diffuser un thriller, alors que la chaîne d’information continue CNN a attendu jusqu’à lundi 6h00 pour diffuser sa première publicité. Trou béant dans les recettes publicitaires de l’industrie médiatique, pour cause d’un trou béant dans un quartier de Manhattan, évidemment. Mais trou beaucoup moins vide dans la tête et le cœur de la population des États-Unis d’Amérique! Combien vaut une prise de conscience? “La révolution, c’est un changement de consciense”, disait une murale des souterrains de l’université qui m’a accordé des diplômes, l’Université Laval, ici à Québec.

D’autres décisions concernant le monde de l’information en disent également beaucoup sur l’état du terrain. La baisse des revenus publicitaires, couplée à l’augmentation bien évidente des coûts pour la couverture journalistique de l’Acte, a déjà incité les banques d’affaires à revoir leurs perspectives pour cette “industrie”. L’industrie des médias, on y est! Il n’y a plus beaucoup de patron de presse aujourd’hui, ces patrons qui vivent pour la qualité de l’information avant la qualité du bilan financier de l’entreprise. Il y a de plus en plus de patrons d’une industrie, celle de l’information certes, mais celle aussi dérivant sur l’info-spectacle, l’info-divertissement, l’info-formation… la divertion ultimement et l’abandon insidieux, lent, mais bien réel de la démocratie par chacun de nous, finalement. Quel rapport avec l’Acte? Avoir une industrie médiatique qui tangue vers l’encouragement du citoyen à refuser de comprendre et de participer, c’est comme dire non à la démocratie et s’abondonner à tous “ces fous qui nous gouvernent”.

Pendant ce temps, un hebdomadaire spécialisé québécois, La Terre de chez-nous, fait remarquer que les deux peuples, israélien et palestinien, sont condamnés à vivre ensemble de par l’incapacité de la Palestine à nourrir sa population seulement à partir de l’agriculture produite par son territoire, largement désertique, et de par l’obsession d’Israël à sa sécurité. Disons-le: à chaque jour qui continue de passer, les Palestiniens vivent toujours une impuissance qui pousse certainement au terrorisme. Souhaitons seulement que la résolution de la crise actuelle ne fasse pas l’économie de la paix en Palestine, car il faudra se préparer à encore pleurer bien des morts.

AMORCE D’UN GOUVERNEMENT MONDIAL?

De la “guerre au terrorisme”  risque d’accoucher, enfin vous dirais-je, l’amorce d’un Gouvernement Mondial. Espoir à l’horizon, en définitive, car il y aura ensuite la “Guerre à la pollution de l’eau” , la “Guerre aux déchets dans l’espace”, la “Guerre aux déchets toxiques”, la “Guerre à l’élargissement du faussé économique entre les riches et les pauvres du monde”, etc. Bref, tout un programme pour un très jeune Gouvernement planétaire digne des enjeux.

Et souhaitons-nous qu’il fonctionne. Citoyens, citoyennes de la petite planète Terre, souhaitons-nous en fait de le faire bien fonctionner.