En collaboration avec les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval. |
Les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval publiront, pour les prochaines semaines, leurs meilleurs textes hebdomadaires. Le cyberjournal COMMERCE MONDE s'est engagé à publier pour cette période tous les textes qui seront jugés pertinents en rapport avec son mandat et sa mission dans cette nouvelle rubrique spéciale du journal: ANALYSES DE LA SEMAINE. Florian Sauvageau, le directeur de ce programme conjoint Laval-Lilles (en France) a accepté de se joindre à cette initiative du cyberjournal COMMERCE MONDE Québec Capitale voulant reconnaître la qualité du travail journalistique des étudiants de l'Université Laval et souhaitant faciliter le rayonnement de la présence à Québec du Programme de journalisme international de l'Université Laval. Cette initiative veut aussi reconnaître l'importance de favoriser le plus vite possible l'intégration des étudiants de l'Université Laval à la vie professionnelle. |
Sommaire
Anciennes analyses
|
Une
¨islamocratie¨ pour l’Algérie? par
Katia Debbouz Aprés
une année d’une paix décrétée par référendum, l’Algérie renoue
avec un terrorisme sanglant et cotoie dangeureusement l’islamisme
politique. Le 16 septembre 1999, soit quatre mois après son élection (en
avril de la même année), le président de la République, Abdelaziz
Bouteflika, fit passer la loi dite de Concorde civile. En
vertue de quoi, les terroristes islamistes, responsables de la mort
souvent atroce de plusieurs milliers de personnes, furent amnistiés de
leurs crimes. Le texte référendaire les soustrayait purement et
simplement à la loi. C’est ainsi que, dés le 16 septembre 1999, ceux
qui l’ont désiré purent rejoindre leurs domiciles sans avoir à répondre
de leurs actes alors que les proches des victimes du terrorisme réclamaient
le juste châtiment afin de commencer le travail de deuil. Mais une année
après le référendum, l’Algérie semble plus proche des années de
braise. Les maquis terroristes sont loin de se vider et les ¨combattants
de Dieu¨ campent sur leur position: pas de paix sans la ¨daoula islamiya¨,
la République islamique. Ce
fut la réponse du berger à la bergère et, depuis, la périphérie
d’Alger et ses villes limitrophes revivent les incursions terroristes,
les massacres de familles vivant dans des chaumières isolées et les
attaques ciblées contre militaires et policiers. Depuis une semaine, la
presse algérienne relate des faits inquiétants. Le 9 octobre, huit
bergers ont été découverts morts. Ils avaient reçu des balles avant
d’être achevés à l’arme blanche et égorgées. Attribués à des
terroristes islamistes, ces actes ont été perpetrés à Chlef (210 km à
l’est d’Alger) et à Tiaret (350 km à l’est d’Alger). À Chlef,
les terroristes se sont repliés en forçant deux jeunes filles, âgées
de 15 et de 16 ans à les suivre et en emmenant le maigre troupeau dont
elles avaient également la garde. Pour
les militaires et les corps de sécurité, la semaine passée a été tout
aussi dramatique. Les quotidiens privés d’Alger font état de plusieurs
attentats terroristes. L’un deux a pris pour cible un officier de la
police judiciaire, tombé dans une embuscade tendue dans la nuit de
mercredi à jeudi dans la localité de Larbâa, située à 30km à l'est
d'Alger. Jeudi dernier encore, le chef du détachement de la garde
communale de Ouled Aïssa, à70km à l'est d'Alger, a été abattu alors
qu’il effectuait ses courses au centre-ville. Le terroriste a pris le
temps de se pencher sur le corps de sa victime, de prendre son arme et sa
radio avant de disparaître. Dans l’ouest du pays, à trois cents kilomètres
de la capitale algérienne, une bombe artisanale a explosé au passage
d'un camion militaire, faisant deux blessés parmi les soldats. La liste
des attentats terroristes commis contre les civils ou les militaires
depuis les dernières semaines seulement est encore longue. Elle le serait
davantage si on y incluait les dizaines de victimes tombées dans des faux
barrages, mitraillés dans leurs voitures ou massacrées à la machette,
la nuit, à la sortie des mosquées où elles venaient d’accomplir la
dernière prière de la journée. Il
devient en tout cas difficile de soutenir que la Concorde civile a
ramené la paix même si la presse gouvernementale s’efforce d’ignorer
les faits, privilégiant les manchettes sur les visites d’inspection des
ministres dans les différentes régions du pays. La
stratégie présidentielle qui consiste à ‘’oublier’’ les morts
pour mieux se persuader d’avoir maté le courant intégriste et son bras
armé ne peut pourtant pas payer. Les terroristes islamistes ne désarment
pas et le caractère imprécis des statistiques du ministère de l’Intérieur
renforce les craintes de voir le terrorisme se régénérer grâce au répit
que lui a permis la loi Concorde civile. À son adoption, en
juillet de l’an dernier, le texte accordait aux terroristes un délai de
six mois pour se rendre. Au cours de cette période, les ratissages
avaient cessé. À l’expiration du délai, le ministère de l’Intérieur
ne rendait compte que de la reddition de quelque trois cents terroristes,
dont beaucoup de femmes. Quant aux armes remises, il n’en fut pas
question. Ce bilan date de la fin de l’année dernière et n’a pas été
mis à jour depuis. Au
plan politique, le président Bouteflika s’est montré prêt à faire
beaucoup de concessions pour les islamistes. Ils sont fortement représentés
dans le gouvernement à travers les ministres du MSP (Mouvement
pour la société et la paix), ex-Hamas et ceux du MRN, ex-Nahda.
C’est sur eux que le président s’appuie, ainsi que sur les
conservateurs de l’ancien parti unique, pour maintenir son pouvoir.
D’ailleurs, en contrepartie du soutien qu’ils lui apportent, les
islamistes ont eu gain de cause sur de nombreux points. Le premier étant
justement l’amnistie des terroristes, projet que les partis et les députés
de la mouvance ont ardemment réclamé et activement défendu. DEUXIEME
VICTOIRE Deuxième
victoire de la mouvance: Abdelaziz Bouteflika a sommé les femmes
et les mouvements féministes d’Algérie de réviser à la baisse leurs
ambitions de promotion sociale et économique. Le
huit mars dernier, alors qu’il était l’hôte d’honneur d’un
rassemblement de femmes, celle-ci se virent renvoyées à leurs casseroles
à travers un discours qui ne laissait guerre d’espoir pour
l’abrogation du code de la famille. Ce texte cantonne la femme dans un
statut de mineure à vie, la prive de son droit de choisir son époux et
l’expose à la répudiation, droit suprême de celui-ci. Devant cette
assemblée de femmes en attente d’une déclaration fracassante sur, au
moins, une prochaine révision de certaines dispositions particulièrement
infamantes du code de la famille, le président dénonce l’invasion
culturelle de certains courants dits modernistes mais étrangers à la
culture musulmane algérienne. Le
gouvernement mis en place par le président Bouteflika ne s’est pas
davantage démarqué du projet de création d’un nouveau parti d’obédience
islamiste, le parti Wafa dont le leader, Ahmed Taleb Brahimi,
également candidat à la présidentielle d’avril 1999, avait constitué
un sérieux concurrent pour Abdelaziz Bouteflika. Durant l’année en
cours, le ministère de l’Intérieur s’est trouvé en butte à un
dilemme cornélien. Du point de vue de la Constitution, A.T. Brahimi ne
contrevenait à aucune de ses dispositions puisque les statuts du
mouvement ne font aucune référence à la religion. La loi fondamentale
interdit en effet les partis d’essence religieuse, dans la forme.
Pourtant, A.T. Brahimi a reçu une fin de non-recevoir au prétexte que sa
formation présentait, parmi des membres-fondateurs, de nombreux transfuge
de l’ex-FIS dissous, l’ancien Front islamique du salut qui
donna naissance au terrorisme armé. Pour
les partisans de Wafa, cette interdiction ne peut revêtir qu’une seule
signification. Pour eux, leur parti a été disqualifié aux fins de
conserver aux partis islamistes, déjà en place dans le gouvernement,
leur prépondérance parmi l’électorat islamiste. Hypothèse plausible
si on se réfère au nombre de signatures recueillies en faveur de la
candidature à la présidentielle de A.T. Brahimi. Ainsi, l’interdiction
de Wafa ne répondrait pas à un souci de protéger la société algérienne
d’un parti religieux. La démarche participerait plutôt d’une volonté
de préserver ses appuis, en l’occurrence les partis islamistes. Le
nouveau gouvernement, installé à la fin de l’été, renforce cette
impression de forte proportion du président Bouteflika à rechercher des
alliés apurés de la mouvance islamiste. Au poste de chef de la
diplomatie, il a personnellement nommé Abdelaziz Belkhadem, un
homme connu pour ses idées islamisantes et pour ses sympathies avec
l’Arabie saoudite. Celui-là même qui, alors président de l’Assemblée
nationale en 1978, avait pesé dans le sens de l’adoption du code de la
famille. Avec
un tel choix de cartes, comment croire au discours moderniste et ouvert
que le président tient en direction de l’opinion internationale? Et
quelle chance reste-t-il à l’Algérie de réaliser une aspiration
fortement exprimé en mainte occasions, celle de l’avènement d’un État
de droit laïque, s’inspirant du droit positif, qui ferait barrage au
projet d’islamisation de la société? Québec,
le 12 octobre 2000 |
Arafat
au passé par
Vincent Cormier "Nous
aimons plus la mort que les Israéliens aiment la vie." Ces propos
tenus par un jeune Palestinien sonnent comme une terrible menace lancée
à la population israélienne, qui n'a pas encore oublié la vague
d'attentats-suicides qui a tué plus de 60 personnes en février et mars
1996. Aujourd'hui, cependant, la révolte palestinienne n'est pas le seul
fait de fanatiques qui rêvent de mourir en martyrs. Les silences et les
atermoiements du président de l'Autorité palestinienne avant la
tenue du récent Sommet de Charm-el-Cheikh, en Égypte, incitent
certains à penser que la direction palestinienne, en particulier le parti
de M. Arafat, le Fatah, a adopté une nouvelle stratégie, combinant
violence et négociation. Alors
que les deux premiers jours de violentes manifestations ont vu s'opposer
de jeunes lanceurs de pierres palestiniens et les forces de sécurité
israéliennes (armée et police), rapidement des armes se sont retrouvées
dans les mains des manifestants arabes. Puis ce fut au tour des policiers
palestiniens de tirer sur les Israéliens, ne laissant plus aucun doute
quant à la bienveillance, voire à l'incitation, de l'Autorité
palestinienne vis-à-vis de ces altercations.
L'utilisation d'armes à feu par les Palestiniens justifie, selon
les Israéliens, le recours à des moyens autres que ceux habituellement
utilisés en cas d'émeutes. Du côté israélien, on refuse d'ailleurs
d'appeler cette montée de violence Intifada (guerre des pierres)
car les moyens et les protagonistes ne sont pas les mêmes qu'en 1987, année
où commença cette révolte de la jeunesse palestinienne. Si
l'intervention de la police palestinienne aux côtés des jeunes
manifestants inquiète l'armée israélienne, c'est surtout l'entrée en
jeu de la milice du Fatah, les Tanzims, qui suscite le plus d'inquiétude.
Ces combattants, âgés entre 18 et 35 ans, ont connu, directement ou
indirectement, l'Intifada, qui a pris fin en 1993 avec les accords de
Washington, qui suscitèrent pour cette génération un réel espoir de
vivre, enfin, dans un pays souverain. Amers et revanchards, on les
retrouve sur tous les fronts depuis 18 jours: manifestations, destruction
du tombeau de Joseph, que les policiers palestiniens ne sont, par
ailleurs, pas empressés de protéger contrairement aux accords passés
entre le gouvernement israélien et l'Autorité palestinienne. Les Israéliens
accusent même les Tanzims d'avoir participé au lynchage des deux soldats
israéliens à Ramallah. Le
rôle-clé joué par ces deux forces proches du pouvoir palestinien ne
laisse aucun doute sur l'approbation des dirigeants palestiniens à ces
mouvements belliqueux, ce qui a particulièrement choqué les Israéliens,
au risque de ruiner les derniers progrès obtenus lors du sommet de Camp
David, aux États-Unis. Pourquoi cette radicalisation du Fatah? Quoiqu'en
disent certains Israéliens, la visite d'Ariel Sharon fut le véritable
déclencheur des violents affrontements sur l'Esplanade des Mosquées ou
Mont du Temple, à Jérusalem. Le ministre israélien des Affaires étrangères,
Shlomo ben Ami, reproche aux dirigeants palestiniens d'avoir
autorisé ces manifestations alors que le gouvernement hébreu les avait
avertis de cette visite à haut risque. C'est justement la preuve que le
mouvement a été beaucoup plus spontané que ne l'admettent les Israéliens.
La colère est grande dans la population palestinienne, et Yasser
Arafat a compris qu'il serait emporté et broyé s'il tentait de
s'opposer à la révolte de son peuple. L'Autorité palestinienne a donc décidé
de canaliser ce mouvement. En plaçant les policiers du côté des
manifestants, les dirigeants palestiniens se sont donné la possibilité
d'un meilleur contrôle, même si, visiblement, des débordements ne
purent être évités. C'est
aussi la raison pour laquelle, en dépit des menaces du gouvernement israélien,
Yasser Arafat n'a pas appelé à l'arrêt de la rébellion. Il était trop
tôt. Cependant,
près de 110 morts et plus de 3 500 blessés plus tard, on peut se
demander si l'Autorité palestinienne est parvenue à maîtriser la
frustration des jeunes palestiniens qui continuent d'affronter les
militaires israéliens malgré le dernier accord de cessez-le-feu. Les
trois hommes qui dirigent les forces de sécurité palestiniennes sont des
fidèles de M. Arafat. Mohammed Dahlan et Jahil Majoub,
responsables de la Bande de Gaza, ont collaboré avec la CIA pour
la surveillance des mouvements terroristes. Ce qui fait penser aux Américains,
qui les connaissent bien, que les violences sont parfaitement orchestrées.
La région de Gaza est d'ailleurs beaucoup plus calme que la Cisjordanie,
dont le responsable du Fatah est Marwan Barghouti, également chef
des Tanzims. L'omniprésence de ceux-ci sur le champ de bataille urbain
prouve que certains dirigeants du parti de Yasser Arafat soutiennent la
poursuite des combats, voire l'encouragent.
Le retrait de ces jeunes miliciens ramènerait sans aucun doute le
calme dans la région. Car aux pierres lancées par quelques têtes brûlées,
l'armée israélienne réagirait avec certainement plus de modération. Ce
rôle au premier plan des groupes para-militaires du Fatah ne vise peut-être
pas uniquement à faire pression sur Israël. Jusqu'à maintenant, le
parti de Yasser Arafat appelait à la négociation et à la retenue même
lorsque les discussions avec les partenaires israéliens n'apportaient
aucun résultat concret. Depuis 1993, les dirigeants palestiniens, issus
en majorité du Fatah, exigent de la patience de la part de leur peuple,
laissant la voix de la frustration et de la colère aux mouvements
islamistes, notamment le Hamas, responsable des attentats
meurtriers de 1996. Depuis
le début des violences, le Hamas est invisible. Les islamistes se sont en
effet contentés d'incendier deux commerces où l'on vendait de l'alcool,
ce qui ressemble beaucoup plus à une tentative de récupération qu'à
une prise d'initiative. En s'associant à la colère des jeunes
Palestiniens, le Fatah s'est redonné une image de combattant, que lui
avait ravie le Hamas. Le retrait de l'armée israélienne, Tsahal,
du Liban-sud, sous les coups de boutoir du Hezbollah, avait
d'ailleurs servi le prestige du Hamas, qui n'a eu de cesse d'appeler à la
poursuite du combat contre l'occupant sioniste. Craignant sans doute d'être
dépassé par sa droite, Yasser Arafat tente de prouver à son peuple
qu'il n'a rien perdu de sa hargne de combattant pour l'indépendance, et
qu'il est prêt à reprendre la lutte armée si la voie de la négociation
ne débouche sur rien. Mais
est-ce vraiment Yasser Arafat qui a établi cette stratégie? Le dirigeant
palestinien le plus populaire du moment n'est pas le chef de l'Autorité
palestinienne, mais son adjoint, Marwan Barghouti. Celui que l'on
voit sur tous les fronts, c'est Marwan Barghouti. Celui que l'on a découvert
sur les écrans occidentaux, c'est Marwan Barghouti. Les déclarations,
tantôt violentes, tantôt conciliantes, c'est encore Marwan Barghouti qui
visiblement ne veut pas s'aliéner la communauté internationale tout en
apparaissant aux yeux des jeunes Palestiniens comme le véritable héros
de cette bataille contre l'occupant israélien. Certes,
Yasser Arafat utilise M. Barghouti pour adresser des messages de fermeté
à l'intention d'Israël et des États-Unis sans ternir sa propre image
d'homme de paix. Mais Yasser Arafat est usé physiquement par la maladie
et mentalement par des années de discussions interminables avec Israël.
Sans oublier la terrible pression des "amis" arabes sur la
question de Jérusalem, troisième lieu saint de l'Islam. Lors de son
retour de Camp David où il a résisté aux fortes pressions américaines,
M. Arafat a été accueilli en héros. Mais quel héros? Son refus n'a
rien apporté à son peuple. Il n'a pas fait de concessions au Premier
ministre israélien, mais n'a pas convaincu Ehud Barak d'en faire
plus. Bref, un héros par défaut. Marwan Barghouti, au contraire, est un
héros par l'action. Non seulement il tient tête aux Israéliens, mais il
a réussi à les faire paraître aux yeux de la communauté internationale
comme les agresseurs, ce que Yasser Arafat, tout au long de ces années,
n'est pas réellement parvenu à obtenir. L'État palestinien n'est pas
encore instauré, mais, dans certains bureaux du Fatah, on pense déjà à
l'après Arafat. |
Le
retour de Saddam par
François Guérard Saddam
Hussein peut sabler le champagne. Après dix
années de sanctions asphyxiantes censées précipiter la chute de son régime,
il ne cesse d’accumuler les victoires diplomatiques. Depuis
le 27 septembre, les avions de la France, de la Russie et de nombreux pays
arabes défient l’embargo aérien imposé par les Nations Unies,
démontrant ainsi qu’ils sont favorables à la levée des sanctions
contre l’Irak. À
première vue, les groupes humanitaires semblent être les instigateurs du
mouvement. Ils accusent les États-Unis de maintenir la population
irakienne prisonnière de la misère. Les sanctions n’ont fait
qu’endurcir le régime, qui vit grassement de la contrebande de pétrole
avec la Turquie et la région du Golfe. Les membres de l’élite roulent
en Mercedes et fréquentent les clubs privés tandis que les
nouveaux nés irakiens meurent par milliers. Mais parmi les médecins et
les représentants d’ONG qui défilent à l’aéroport de Bagdad se
glissent des dignitaires pressés de parler affaires. Alors
que le prix de l’or noir atteint des sommets, les grandes pétrolières
lorgnent les richesses du sous-sol irakien. Celui-ci renferme la deuxième
réserve mondiale d’hydrocarbures, après l’Arabie saoudite. Avec le
programme Pétrole contre nourriture lancé en 1996,
l’Irak a presque rejoint ses exportations d’avant la guerre du Golfe
avec 3 millions de barils par jour. Une augmentation de cette production
et l’exploitation de nouveaux gisements exigent des équipements
modernes qui coûtent plusieurs milliards $. Mais l’embargo empêche
tout ce qui n’est pas nourriture et médicaments d’entrer en Irak. Saddam
Hussein veut qu’on sache qu’il a la main sur le robinet. Il menace de
cesser les exportations du programme Pétrole contre nourriture
si les conditions de l’embargo ne sont pas renégociées. L’effet
pourrait être désastreux sur des marchés stabilisés au début du mois
par une augmentation de 800 000 barils par jour de l’OPEP et
l’utilisation des réserves stratégiques américaines. Cela entraîne
un effet de psychose chez les spéculateurs de Londres et de Wall
Street dans le contexte de l’arrivée de l’hiver en Occident et de
la crise au Proche-Orient. Israël ne produit pas de pétrole, mais un
conflit généralisé ferait exploser les prix, qui sont déjà
intenables. L’instabilité
au Proche-Orient sert donc la cause du président irakien. Il tente
d’attiser le conflit en menaçant d’envahir Israël si une guerre éclate. Cette promesse fait de lui un héros populaire chez les
Palestiniens et cultive son image de défenseur du monde arabe. Mais il
est peu probable qu’il mette ses menaces à exécution, ou qu’il soit
appelé à jouer un rôle de premier plan dans un futur front commun des
pays arabes. Son armée est en décrépitude, après deux années de
bombardement de l’aviation américaine et britannique, et sa crédibilité
internationale est au plus bas depuis son invasion surprise du Koweït en
1990. Samedi
dernier (14 octobre), le détournement à Bagdad du vol Djeddah-Londres de
la Saudi Airlines, par deux pirates de l’air saoudiens, lui a
fourni une occasion de se racheter.
L’incident
s’avéra être un cadeau du ciel. Saddam récupéra sain et sauf les 100
passagers, parmi lesquels se trouvaient 40 Britanniques, un Français et
un Américain. Ils ont passé la nuit dans un hôtel de luxe avant de
rentrer à Londres. Une foule les attendait, brandissant des pancartes où
l’on avait écrit: ¨Merci Saddam¨. Quant aux pirates de
l’air, ils n’ont offert aucune résistance, se faisant même
porte-parole des idées du président irakien en dénonçant à la télévision
la présence militaire américaine et la violation des droits de l’homme
en Arabie Saoudite. Une firme d’experts en relations publiques de
Washington n’auraient pas fait mieux … La
flambée des cours du pétrole et l’embrasement du Proche-Orient
redonnent donc des ailes à Saddam. Assis sur une mer de pétrole, il peut
s’élever et piquer le colosse américain là où ça fait mal. Et ce
dernier, incapable d’écarter le brûlot, continue de piétiner la
population irakienne. |
par
François Guérard La
jungle humide de la République Démocratique du Congo vit sous les tirs
de mortiers, les crépitements des AK 47 et les cris d’hommes et
de femmes que l’on découpe à la machette. Les chiffres font frémir.
Au moins 2 500 personnes meurent chaque jour, selon l’IRC (International
Rescue Committee). La famine touche trois enfants sur quatre dans le
pourtour de la capitale, Kinshasa, rapporte l’Agence France-Presse. Cette
guerre est un véritable casse-tête. Le président congolais Laurent-Désiré
Kabila et ses alliés – le Zimbabwe, l’Angola, la Namibie et les
milices hutus responsables du génocide rwandais – défendent le sud et
l’ouest du pays, encore sous le contrôle de Kinshasa.
Les montagnes de l’Est sont occupées par le Rwanda et
l’Ouganda, d’anciens alliés qui se disputent les diamants de la ville
minière de Kisangani. Le Nord appartient aux rebelles du Mouvement de
Libération du Congo (MLC), qui n’ont pas d’autre programme
politique que de renverser Kabila. En toile de fond circulent les dollars
de l’étranger et des armes vendues par la Chine, la France, les États-Unis
et les pays de l’ex-URSS. Ce
tourbillon de violence, que la secrétaire d’État américaine Madeleine
Albright a nommé ¨Première Guerre mondiale de l’Afrique¨,
dure depuis trois ans. On estime que 700 000 Congolais cherchent refuge
chez les pays voisins. Un tableau qui rappelle l’exode des Rwandais
suite aux massacres de 1994, pendant que les casques bleus regardaient,
impuissants. ¨La
leçon est apprise¨, disait le secrétaire
général des Nations Unies, Kofi Annan. Pourtant, l’aide à la
RDC ne dépasse guère la publication de rapports sur les violations des
droits de l’homme. Au début de l’année, l’ONU approuvait l’envoi
de 5000 casques bleus dans la région, mais l’opération fut rapidement
avortée en juillet. Peu
de gens au Conseil de sécurité croyaient au succès d’une telle
mission. L’ex-Zaïre est un cauchemar logistique. Son territoire fait
200 fois le Kosovo. Il est dépourvu d’autoroutes et de ponts. Les aéroports
sont aux mains de clans rivaux. Le fleuve Congo reste le seul accès au
centre du pays, mais le risque d’embuscades est élevé.
La
RDC fait peur à l’Occident. Lors de la dernière opération de maintien
de la paix en 1960, dans un Congo en proie au chaos suite au départ des
colonisateurs belges, plus de 200 casques bleus ont trouvé la mort.
Aujourd’hui, les tribus guerrières sont nombreuses et imprévisibles.
Les Mayi-Mayi, par exemple, se croient invincibles lorsqu’ils portent au
cou des accessoires de douche. L’ennemi peut surgir de partout et se
battre avec un arc et des flèches ou un lance-roquettes. Difficile de
maintenir la paix dans ces conditions. On a
donc intérêt à ce que cette guerre garde un profil bas au niveau des médias.
Contrairement au Kosovo ou à l’Iraq, l’opinion publique des pays du
Nord n’est pas sollicitée. Une surexposition d’images de réfugiés
congolais sur les télévisions américaines et européennes risquerait
d’influencer l’électorat en faveur d’une intervention, ce qui
mettrait les gouvernements dans l’embarras. Le
problème, c’est que le conflit ne semble pas vouloir se résorber par
l’intérieur. La raison est simple: les armées sont installées sur un
gigantesque minerais. La RDC a un des sous-sols les plus riches au monde
avec de l’or, des diamants, du pétrole, de l’uranium et des métaux
rares utilisés dans l’électronique et l’aéronautique, comme le
niobium et le tantale. En
trois ans, les pays voisins ont dépecé le territoire chacun
s’accaparant des mines, qu’ils exploitent avec l’aide de la
population locale. Même les alliés de Kabila sont rémunérés en
mines de diamants. Le minerai traverse les frontières pour être vendu
aux compagnies minières et aux entreprises d’import-export qui ont
pignon sur rue dans les grandes capitales.
Ce commerce finance les groupes armés, en plus de transformer les
dirigeants en riches hommes d’affaire. Le chef des rebelles du MLC,
Jean-Pierre Bemba, fréquente les grands restaurants de Bruxelles.
Laurent-Désiré Kabila aurait transféré des milliards dans une
banque suisse, selon Transparency International. La
population de la RDC souffre, sous le regard impuissant des Nations Unies.
Encore une fois, les grandes déclarations humanitaires restent prisonnières
des textes. Et les diamants
du Congo embellissent les vitrines des bijoutiers de New York, Paris et
Londres. |
par
René Saint-Louis De
lourds dégâts ont été infligés à la structure de l'ETA, l'organisation terroriste basque. Mercredi dernier, 21
partisans ont été arrêtés en Espagne. Vendredi, leur chef présumé, Ignacio
Gracia Arregui, a été mis sous les verrous dans le sud de la France.
Samedi et dimanche, dans le cadre d'une opération d'envergure de démantèlement
des bases arrières de l'ETA en France, 15 membres ont été interpellés
par la police, des caches d'armes découvertes et un atelier de
fabrication d'explosifs démantelé. Prudence oblige, le ministre espagnol
de l'Intérieur, Jaime Mayor Oreja,
a rappelé que l'organisation séparatiste basque "a toujours la
capacité de tuer". Et pour cause, au lendemain de l'arrestation du
chef de l'ETA, un attentat contre le roi d'Espagne était déjoué de
justesse. Euskadi
Ta Askatasuna
(ETA), signifie "le Pays basque et sa liberté". Fondée sous le
joug de Franco en 1959, l'organisation est responsable, selon le ministre
de l'Intérieur, de la mort de 781 personnes. Pendant les années de la
dictature (1939-1975), le basque était banni de tout lieu public. Une génération
complète sans école, journaux, livres ou radio. Impossible même
d'inscrire des noms basques au registre de l'État civil. Une répression
symbolisée par Guernica, la célèbre
toile de Picasso, qui rappelle
le bombardement de cette ville basque: 2000 victimes. Mais
voilà, Franco est mort il y a 25 ans, l'Espagne est une démocratie
efficace et le Pays basque est autonome depuis 1980. Une fois la paix
nord-irlandaise bien cimentée, le problème basque sera le dernier
conflit non réglé de la Communauté
européenne. "Les gens de l'ETA sont de vrais nationalistes qui
poursuivent un projet politique, soutient Barbara
Loyer, auteure de Géopolitique
du Pays basque (L'Harmattan, 1997), mais en s'entêtant dans la voie
du terrorisme, l'ETA risque de perdre tout crédit politique et de
disqualifier l'ensemble de la cause nationaliste basque."
Que
réclame l'ETA? Bien peu de journaux en parlent. Le retour dans la région
des prisonniers éparpillés aux quatre coins de l'Espagne est la seule
revendication qui fait l'unanimité au parlement basque. L'ETA, par sa
branche politique, le parti Henrri
Batasuna (18% des votes aux dernières élections), réclame aussi
l'intégration de la Navarre, une province historiquement reliée au Pays
basque, le rapatriement d'une trentaine de compétences garanties au
parlement basque dans la constitution mais toujours exercées par Madrid,
un représentant à l'union européenne et le droit d'assumer certaines
relations internationales. À long terme? L'indépendance. Allô,
Madrid! Allô... À
la demande du Parti nationaliste
basque (PNV au pouvoir à Victoria, la capitale du Pays basque) et de Henrri
Batasuna, l'ETA a observé, de septembre 1998 à décembre 1999, une
trêve complète. Ce rapprochement des nationalistes modérés avec le
monde radical devait, en théorie, convertir les radicaux à la voie
politique. Pour la première fois, les Basques avaient réussi à
s'entendre entre eux, mais cela ne suffit pas. "Il y a des gens à
Madrid qui ne veulent pas la paix. Car, si l'ETA disparaît, la majorité
au parlement basque sera constituée des partis nationalistes. Nous
devions auparavant nous allier avec les socialistes, il était impossible
de s'entendre avec des terroristes. En recherchant la paix, nous mettons
donc en cause l'unité de l'Espagne puisqu'elle rend possible l'unité des
nationalistes", affirmait Xabier
Arzalluz, leader du PNV, au journaliste Christian
Rioux du Devoir, lorsque
l'ETA a rompu sa trêve pacifique. Depuis: 12 morts. À
qui la faute? L'année de la trêve, Madrid a emprisonné 23 têtes
dirigeantes de l'organisation terroriste et n'en a relâché aucune. Ils
sont maintenant 600 dans les prisons espagnoles. Selon le ministre de
l'Intérieur, la recrudescence des attentats serait reliée au secteur des
"jeunes durs" de l'ETA, qui auraient pris le contrôle de
l'organisation face aux artisans de la trêve. Les deux partis ne se sont
rencontrés qu'une seule fois en mai 1999, en Suisse. Cinq mois plus tard,
un des négociateurs de l'ETA était arrêté... Dans son analyse de la
situation dans Le Monde diplomatique
d'août dernier, le journaliste Cédric Gouverneur soutient que c'est l'intransigeance de Madrid qui
a poussé la reprise des armes par les plus jeunes de l'ETA, les fils et
les filles de militants, immergés depuis toujours dans la culture
radicale mais dépourvus de culture politique. Ce qui expliquerait en
bonne partie le dérapage sanglant de l'organisation terroriste avec des
cibles plus que douteuses. Ce
n'est pas pour rien que Madrid reste prudente et souligne "la capacité
de régénération du mouvement terroriste". Les arrestations
massives de la semaine dernière ne sont pas une première. Il y en a eu
en 1992 et en 1996, chef compris! Faut-il rappeler que Henrri Batasuna, la
banche politique de l'ETA, a le soutien de 18% de la population, et que la
coalition des différents partis nationaux basques est au pouvoir à
Victoria. D'où cette très bonne analyse de Cédric
Gouverneur: "Quand, dans une démocratie, une frange de la
population s'estime, à tort ou à raison, opprimée et soutient le
recours à la violence, l'État de droit souffre d'un déficit de légitimité".
À la suite des arrestations massives de la semaine, José
Maria Aznar, le chef du gouvernement espagnol déclarait que la
bataille du terrorisme "se gagnerait sans trop attendre, même si
nous devons encore beaucoup souffrir". Québec,
le 20 septembre 2000 |
par
René Saint-Louis Depuis
quelques jours, le prix du pétrole s'est stabilisé. Il oscille autour de
30$ US le baril. Profitons de cette petite accalmie pour faire le point...
Les propriétaires de voiture ont pointé du doigt les gros détaillants
en boycottant leurs stations services. Ceux-ci ont décrié les taxes
excessives imposées sur l'essence par les gouvernements. Les pays éprouvés
ont supplié l'OPEP
(Organisation des pays exportateurs de pétrole) d'augmenter sa production
pour faire baisser les prix. Les dirigeants de l'Organisation ont tenu les
médias responsables d'une certaine panique qui profiterait aux spéculateurs
boursiers. PREMIERE PARTIE: L'OPEP Pourquoi,
en un peu plus d'un an, le prix du baril est-il passé de 10$ à 38$
(toujours en dollars américains)? En
1997, en pleine crise asiatique, l'OPEP avait augmenté sa production de
10%, alors que la demande de pétrole était en forte baisse, ce qui avait
amené le baril sous les 10$: une situation catastrophique pour les pays
dont le budget national dépend des ventes de pétrole. À l'inverse, en
mars 1999, en pleine croissance économique, l'Arabie saoudite, premier
exportateur de pétrole au monde, le Venezuela et le Mexique, qui n'est
pas membre de l'OPEP, ont amorcé une baisse de la production pour faire
remonter les prix. Le mouvement a été suivi, plutôt en désespoir de
cause, par les autres pays exportateurs. Le but a été atteint. Il
aura fallu une situation catastrophique pour que ces pays, souvent très
peuplés et sous-développés, réussissent à s'entendre. L'OPEP a
toujours eu de la difficulté à parler d'une seule voie. Fondée il y a
40 ans pour défendre les intérêts des pays exportateurs de pétrole,
l'organisation regroupe 11 membres qu'il est difficile d'asseoir autour
d'une même table lorsqu'ils ne se battent pas entre eux: Iran, Irak, Koweït,
Libye, Nigeria, Venezuela, Qatar, Indonésie, Émirats arabes unis, Algérie
et Arabie saoudite. Soulignons aussi que l'OPEP ne contrôle que 45% de la
production mondiale de pétrole. Sa force, comme son nom l'indique, vient
du fait que ses membres contrôlent le flot mondial d'exportation. Le
Texas, aux États-Unis, et les puits de la Mer du Nord, au large des côtes
anglaises, sont de grandes sources de pétrole mais ne comblent pas 50% de
la demande de ces États. Les autres joueurs, le Mexique, la Russie et même
le Canada, sont de trop petits exportateurs pour pouvoir influer sur le coût
du baril. Le
sommet de l'OPEP, tenu à Caracas, au Venezuela, à la fin du mois de
septembre, n'était que la deuxième rencontre des chefs d'États de
l'Organisation en 40 ans. La remontée des prix du pétrole semble avoir
permis aux membres de l'OPEP de respirer un peu, d'équilibrer leur
budget, mais surtout de trouver leur unité dans ce succès. Cela, en
partie grâce aux efforts du nouveau président du Venezuela, le populiste
Hugo Chavez, qui cherche à
faire resurgir un "nationalisme de l'OPEP" lorsqu'il parle de
"justice historique" et déclare "qu'auparavant
l'exploitation pétrolière était de nature coloniale". Lorsque
M. Chavez parle "d'auparavant", veut-il dire avant lui ou avant
l'unité retrouvée de l'OPEP? Ou encore fait-il un lien entre les deux?
Chose certaine, pour maintenir cette unité, il ne cesse de brandir le bâton
et d'agiter la carotte. La carotte à la faveur des possibilités créées
par l'unité, le bâton à cause des troubles sociaux causés par un prix
du pétrole trop bas (pensez à la situation sociale du Venezuela il y a
un an, de l'Algérie, de l'Indonésie, du Nigeria, etc.) Voilà qu'avec le
Fonds monétaire international,
la Banque mondiale, le G7
(groupe des sept pays les plus industrialisés), l'Union
européenne et les États-Unis à ses pieds, l'OPEP est devenue, pour
la première fois en temps de paix, un acteur important de la scène
internationale. Rappelons que les deux crises du pétrole des années 70
étaient dues à des situations de crise, la guerre du Kippour contre Israël
et les pays arabes en 1973, et la chute du Chah
d'Iran en 1979. Les
dirigeants de l'Organisation se sont entendus pour augmenter leur
production à compter du premier octobre, ce qui est donc en cours depuis
une dizaine de jours, pour ramener le prix du pétrole à sa juste valeur,
c'est-à-dire entre 22$ et 28$ le baril. Cela, en toute bonne foi... Mais
attention! L'Organisation entend désormais se poser en avocat du monde en
développement et revoir ses relations avec les pays industrialisés au
nom de la lutte contre la pauvreté. Un peu à la façon du groupe des
pays non-alignés du temps de la Guerre froide, l'OPEP a comme ambition
d'appuyer les revendications des pays pauvres et de relancer ainsi le
dialogue Nord-Sud. Le
président du Venezuela, actuellement à la présidence de l'OPEP, n'est
pas le seul à afficher de grandes ambitions pour l'Organisation. Son
homologue algérien, Abdelaziz
Bouteflika, partage les mêmes ambitions: il est à l'interne ce que
Chavez est à l'externe. Lors de son passage au Canada, en juin dernier,
Bouteflika dénonçait dans une entrevue au Point
l'ingratitude des pays du Nord dont aucun, disait-il, n'avait daigné
aider l'Algérie, même au plus fort de la guerre civile contre les
islamistes. La situation semble s'être calmée, en raison surtout de la
remontée des prix du pétrole, les rentrées de l'État algérien ont
augmenté de 65%. Il ne faut pas espérer une baisse désintéressée des
prix du pétrole. Les
pays exportateurs qui ne sont pas membres de l'OPEP, comme le Mexique et
la Russie, ont aussi intérêt à maintenir un prix du baril élevé. Il
est donc totalement improbable que le prix du baril redescende sous les
25$. Et si cela devait se produire, ce ne serait pas avant le printemps
prochain. Nous verrons pourquoi dans la suite de cette chronique. DEUXIEME PARTIE: TAXE ET SPÉCULATION Dans
son mini-budget d'hier, le ministre des Finances du Canada, Paul
Martin, a annoncé une aide de 125$ par personne ou 250$ par famille,
en réponse à la hausse du coût du carburant. "De l'argent pour le
chauffage", ont titré les journaux. L'augmentation de près de 70%
des prix du mazout et du gaz naturel servant à chauffer plusieurs foyers
canadiens risque en effet d'éprouver propriétaires et locataires. Les
prix de ces combustibles ont augmenté davantage que ceux de l'essence.
Les réserves de carburant domestique sont de 36% inférieures à leur
niveau de l'an passé, ce qui rendrait les marchés boursiers de l'or noir
fébriles. Les
médias attribuent la spéculation à des causes extérieures et
lointaines, telles le conflit entre Israéliens et Palestiniens, Sadam Hussein voulant fermer ses robinets à l'Occident, une plainte
déposée devant la justice américaine contre Shell pour ses activités au Nigeria, une grève au Venezuela, et même
l'arrivée d'une vague de froid. La spéculation joue sur les émotions
car les gens ont en tête les douloureuses crises du pétrole de 1973 et
1979. À cette époque, les produits pétroliers représentaient 20% des
exportations mondiales. Aujourd'hui, ils n'en constituent plus que 7 à
8%, selon le quotidien Le Monde
du 19 septembre dernier. Les pays arabes ne fournissent aux États-Unis
que 15% de sa consommation de pétrole, le reste provenant du Venezuela,
du Canada et du Mexique. Qui
aurait pu prédire que l'OPEP, minée par ses rivalités internes, serait
à l'origine d'une remontée des prix? Ne croyant pas à une augmentation
durable des prix, les pétrolières ont fait une erreur majeure. Elles ont
tardé à s'approvisionner pour l'hiver, produisant une hausse des prix à
la fin de l'été. Si la question de l'approvisionnement est maintenant réglée,
celle du raffinage ne l'est pas encore, bien que la situation progresse
rapidement. La rareté du carburant domestique, face à l'hiver qui
approche, permet au spéculateur d'en demander un prix élevé, bien
au-delà de la remontée des prix attribuable à l'OPEP. Si
on regarde de plus près, l'OPEP, accusée d'être un cartel -un cancer de
l'économie de marché!- ressemble
à l'industrie des grandes compagnies pétrolières, cet oligopole de la
haute finance qui affiche cette année des profits records, voire
scandaleux! La distribution du pétrole ressemble à un cartel autant que
sa production. "Tous les
yeux sont désormais tournés vers l'OPEP et sa réunion du 12
novembre", pouvait-on lire dans Le
Soleil du 19 octobre, comme si l'on cherchait désespérément à
faire en sorte que le public rejette tous les torts sur ce cartel
d'Arabes! Pourquoi augmenter la production si les pétrolières n'arrivent
pas à raffiner davantage et pourquoi celles-ci n'ont-elles pas prévu le
coup? La
rareté du pétrole raffiné sur le marché ne permet-elle pas aux pétrolières
d'en exiger un prix encore plus élevé? La plus grosse compagnie pétrolière
du Canada, Impériale, avec ses
stations-service Esso, a annoncé
le 18 octobre qu'elle avait doublé sa marge de profit depuis l'an
dernier: un milliard $, record de tous les temps. "Impériale
attribue cette performance à l'élargissement de la marge bénéficiaire
pour les activités de raffinage", lit-on dans Le
Soleil. Cette marge est en pourcentage. Prenons un exemple fictif:
pour raffiner un baril de pétrole en essence, une compagnie charge 17% du
prix du baril. Si le baril passe de 10$ à 35$, et bien la marge bénéficiaire
passe de 1,70$ à 5,95$. Lorsque
le patron de Shell, le deuxième groupe pétrolier mondial, affirme que
les pétrolières font baisser les prix grâce à leurs avancées
technologiques, alors que l'OPEP essaie de les maintenir élevés, il n'y
a rien de plus faux. Les avancées technologiques ont permis d'augmenter
la marge de profit des actionnaires. Jamais les consommateurs n'en ont
profité à la pompe. Les
taxes des gouvernements sur l'essence obéissent à la même logique. Plus
le prix du baril est élevé, plus les rentrées des gouvernements
augmentent. Ce qui fait qu'une hausse du prix du baril produira 10%
d'augmentation chez nous mais 19% en France où les taxes sont beaucoup
plus élevées: 48% au Québec contre 72% en France. Soulignons que les
taxes gouvernementales sont perçues sur le prix du baril après
raffinage. Si les multinationales décidaient d'abaisser leur marge de
profit, le montant total des taxes serait plus bas. Les consommateurs en
sortiraient doublement gagnants. Le
fait que les États voient leurs taxes contestées ne profite à personne.
Bien qu'elles enrichissent les coffres des gouvernements, ces taxes sont
le reflet du principe de pollueur-payeur. Il est certes injuste, comme l'a
souligné Le Monde
diplomatique de septembre, "que les États consommateurs du Nord
tirent plus de revenus des hydrocarbures, par leurs taxes, que les pays
producteurs du Sud", mais ces taxes servent aussi à freiner la
consommation de pétrole. "Qu'y a-t-il de choquant à ce qu'une énergie
non renouvelable et polluante soit chère?", soulignait le même
journal. Lorsque les prix augmentent, peu importe que l'OPEP ou les pétrolières
en soient responsables, c'est avant tout parce que la demande augmente. Il
faut se réjouir de la bonne santé de l'économie mondiale mais déplorer
fortement l'augmentation de la consommation mondiale de pétrole et se
soucier davantage de la santé de la planète. La
consommation de pétrole est passée de 67 millions de barils par jour en
1990 à 76 millions et on prévoit atteindre une consommation de 77.5
millions de barils par jour en 2001. La popularité des véhicules sports,
le boum du transport routier en Europe et le trafic aérien qui a doublé
en 10 ans y sont pour beaucoup. Les États-Unis importent désormais plus
de 50% de leur pétrole, du jamais vu. Avec 4% de la population mondiale,
ils consomment 25% des produits pétroliers de la planète. La Chine,
exportatrice de pétrole jusqu'en 1993, est devenue importatrice. Que se
passera-t-il le jour où elle consommera autant que les États-Unis? La
hausse des prix serait-elle due à l'incapacité des pays du Nord de réduire
leur dépendance au pétrole? L'OPEP, avec ses hausses de production
annoncées, comblera bientôt plus de 50% de la production mondiale de pétrole,
pour la première fois en 18 ans. La
seule bonne nouvelle, c'est que les constructeurs d'automobiles seront
bientôt forcés de développer des voitures moins polluantes, un travail
de longue haleine. Chrysler
vient d'investir 1.5 milliard $US pour mettre au point une voiture à
l'hydrogène et espère lancer 100 000 voitures sur le marché en 2004.
Faut-il toujours attendre que la situation devienne critique avant d'agir? Québec,
le 19 octobre 2000 |