Analyses de la semaine |
En
collaboration avec les étudiants du Programme de journalisme
international de l'Université Laval.
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Les étudiants du Programme de journalisme international de l'Université Laval publiront, pour les prochaines semaines, leurs meilleurs textes hebdomadaires. Le cyberjournal COMMERCE MONDE s'est engagé à publier pour cette période tous les textes qui seront jugés pertinents en rapport avec son mandat et sa mission dans cette nouvelle rubrique spéciale du journal: ANALYSES DE LA SEMAINE. Florian Sauvageau, le directeur de ce programme conjoint Laval-Lilles (en France) a accepté de se joindre à cette initiative du cyberjournal COMMERCE MONDE Québec Capitale voulant reconnaître la qualité du travail journalistique des étudiants de l'Université Laval et souhaitant faciliter le rayonnement de la présence à Québec du Programme de journalisme international de l'Université Laval. Cette initiative veut aussi reconnaître l'importance de favoriser le plus vite possible l'intégration des étudiants de l'Université Laval à la vie professionnelle. |
Sommaire
Anciennes analyses |
par
Isabelle BACHY L'ère
Eltsine a sonné le glas en
Russie, mais Boris Nikolaïevitch
n’a pas fini de faire parler de lui. Après être passé maître dans
l’art des dessous de table, l’ancien chef d’Etat russe s’essaye à
la littérature. En
écrivant « Midnight Diaries »,
il souhaitait apporter une suite et surtout une touche personnelle à ses
précédentes mémoires, dont la rédaction avait été confiée à Valentin
Youmatchev, ancien journaliste faisant partie de la « famille »
Eltsine. C’est à présent chose faite. À croire que Boris Eltsine a
retrouvé la mémoire. Les
journalistes à l’affût de la moindre de ses confessions n’ont pas
attendu la parution du livre, prévue pour cette semaine en Russie, pour
en publier des extraits en exclusivité, à l'instar du magazine « Newsweek » ou
du quotidien russe « Argumenty i Facty ». Mais
pourquoi un tel engouement pour un livre soi-disant écrit de la plume
d’un homme malade, retiré du jeu politique depuis le mois de janvier et
laissant un tableau de la Russie bien sombre ? Ce
n’est sûrement pas pour confirmer les rumeurs d’alcoolisme planant
autour de Eltsine depuis plus de dix ans. Ni pour s'assurer des rapports
privilégiés qu’il entretient avec sa fille cadette, Tatiana
Diatchenko, véritable bras droit de Eltsine durant la campagne présidentielle
de 1996. On
attendait plutôt quelques éclaircissements sur les agissements de la
"Famille" Eltsine. Mais si les journalistes et observateurs étrangers
ont voulu s'arracher ce qu'ils pensaient être une confession-fleuve, ils
ont dû être déçus. Car l’ancien président russe ne souffle
apparemment pas un mot des affaires de corruption dans lesquelles baigne
littéralement le clan Eltsine. Pas une ligne sur l’affaire Mabetex.
Pourtant, la firme de construction suisse est
soupçonnée d’avoir pris en charge la rénovation du Kremlin
moyennant d’importants pots de vins versés gracieusement à ses
occupants. Le
livre se contente de nier l’existence de toute compensation pécuniaire
et de dresser la liste des avoirs de son auteur. Pas un mot non plus sur
la Bank of New York, qui a été
à la fois la plaque tournante du blanchiment d’argent russe et l’un
des lieux de détournement des capitaux du FMI vers Moscou (Libération,
3 janvier 2000 ). Rien,
enfin, sur l’implication de l’entourage de l’ex-président dans
toutes ces affaires. Ses filles Tatiana et Elena, Alexandre
Volochine, le chef de l’administration présidentielle, Pavel
Borodine, qui gère le patrimoine du Kremlin, ou encore Boris Berezovski, chef de la « propagande » du
gouvernement : tous sont épargnés par la plume de Eltsine. Les noms ne
tombent pas, le sang ne coule pas. Il fallait s’y attendre. Quant
au rôle que Eltsine a joué durant les opérations russes "anti-tchétchènes"
de 1994 et de 1999, il s'efface dans ses mémoires au profit de la santé
de l'ex-président. S'il
s'agissait en effet de s'assurer du bien-fondé de son penchant pour la
vodka, "Midnight Diaries" doit en contenter plus d'un.
"Petit à petit, j'ai réalisé que l'alcool était le seul
moyen de se débarasser rapidement du stress" avoue l'auteur. Il ose
même rappeler à la mémoire du lecteur certaines anecdotes cuisantes,
comme son "show musical" de 1994 dans lequel il s'était pris,
le temps d'une soirée, pour un chef d'orchestre. Malheureusement, la scène
a été diffusée sur toutes les chaînes du monde. Mais ces confessions
ne surprendront personne. Ce
qui semble davantage ressortir du livre, c'est la nature des liens noués
entre l'ex-président russe et Poutine, mêlés du profond respect que
Eltsine a pour son protégé. Eltsine met en avant l'admiration qu'il
porte au travail de son ancien premier ministre et au personnage lui-même.
Il va même jusqu'à souligner la beauté des yeux de Poutine! Plus
sérieusement, l'ancien président relate la façon dont s'est déroulée
la passation de pouvoir en décembre 1999 et la foi qu'il avait placée en
son successeur. Il affirme qu'il a misé sur Poutine, le plus à même,
selon lui, de le protéger (The
Globe and Mail, 10 octobre). Et
c'est ce que son dauphin s'est empressé de faire.
À peine assis sur le trône présidentiel, l'ex-chef du KGB
a émis un décret protégeant à vie son mentor. Ce décret lui apporte
en effet une totale immunité, le mettant à l'abri de toutes poursuites
à l'issue de son mandat présidentiel. Cette démarche explique peut-être
en grande partie l'admiration que Eltsine voue à Poutine. Car la mèche
qui a allumé cette "passion", et Eltsine l'avoue lui-même dans
son livre, c'est la façon dont Poutine a "sauvé" Anatoli
Sobchak, l'ancien maire de Saint-Petersbourg, poursuivi par la justice
pour corruption. Il a déployé un tel talent en l'exilant en Finlande,
puis en le délestant de toutes les charges qui pesaient contre lui, que
Eltsine a montré un profond respect, mêlé de "gratitude" à
son égard. On
sent donc mieux à présent l'essence de cette relation. Elle a placé
l'un dans les plus hautes sphères du pouvoir et eclipsé l'autre,
emportant avec lui les "secrets de la Famille qui ont fait de sa présidence
la période la plus contestée de la récente histoire russe." (Libération,
6 octobre 2000). "Prenez soin de la Russie." Le message transmis par Eltsine à son successeur le 1er janvier 2000, lors de la passation de pouvoir, a de quoi faire frémir. Quels remèdes lui a-t-il donc prescrit? Un cachet de corruption pour soigner la plaie superficiellement? Ou une bonne dose de combats interminables afin de guérir la blessure en profondeur? Le bébé malade est à présent dans les bras de Vladimir Poutine. |
par
Hugo Lavoie Allez,
on passe l’éponge! Le gouvernement zimbabwéen du président Robert
Mugabe, a annoncé en début de semaine, une amnistie générale pour
les auteurs des crimes qui ont frappé le pays ce printemps. Seuls le
meurtre et le viol ne seront pas pardonnés. Va pour le reste: tabassages,
maisons incendiées, intimidations, etc.. L’amnistie s'applique pour la
période de janvier à juillet dernier. Les troubles entourant le référendum
sur les changements constitutionnels de février, perdu par Mugabe, et les
élections législatives de juin, gagnées de justesse par son parti, sont
donc couverts. Malheureusement, cette politique n’a rien d’une oeuvre
magnanime de réconciliation nationale... Le
problème est simple. Ce sont les partisans du président, largement
responsables des exactions récentes, qui tireront profit de l'absolution.
Ce faisant, Mugabe confirme sa volonté d'étouffer la voix de ses
adversaires, par la menace et la force s'il le faut. Ce n’est pas une
première. Dès
1987, au lendemain de son accession au poste de président, il avait maté
violemment ses rivaux de l’Union
africaine des peuples du Zimbabwe
(ZAPU) de son ancien compagnon de lutte pour l’indépendance, M. Joshua
Nkomo[1].
Jusqu’à l’année dernière la dissidence s’était faite discrète. Puis,
il y a eu le référendum de février. Mugabe proposait une nouvelle
constitution, incluant entre autre, les pouvoirs nécessaires à la
l’expropriation des fermiers blancs. Le syndicaliste Morgan Tsvangirai et son « Movement
for Democratic Change » (MDC), formé moins d’un an avant
le scrutin, a milité pour le « non ». Il a gagné son pari,
faisant prendre conscience au président Mugabe, de sa nouvelle vulnérabilité. La
victoire de son parti aux élections législatives à venir devenait
maintenant incertaine. Le héros de l’indépendance a alors cru bon
raviver les tensions qui l’ont bien servi depuis le début de sa vie
politique. Bien que la redistribution des meilleures terres du pays semble
une juste cause a priori, elle aurait été utilisée à des fins électorales[2]. Largement
perpétrées par des membres de l’Association des vétérans de
la guerre d’indépendance, proches de Mugabe, les occupations de
fermes et les actes violents ont fait la manchette jusqu’en occident.
Plus l’échéance électorale approchait, plus le tourbillon sanglant
— plus de 30 morts, des milliers de blessés et de réfugiés, et des
centaines de maisons brûlées — devenait clairement dirigé contre les
partisans du MDC. Le résultat
des législatives de juin a été très serré: 62 sièges pour le Zanu-PF
et 57 pour le MDC. Tellement,
que le harcèlement de l’opposition, ajouté à la fraude dénoncée par
le MDC, ont probablement joué un rôle décisif. Voilà ce que tente
d’effacer l’amnistie annoncée par Mugabe. Maintenant
que les caméras européennes et américaines sont rentrées chez elles,
une question se pose encore: Mugabe a-t-il vraiment gagné sont pari? Certes
son parti est toujours au pouvoir. Mais il a perdu sa majorité des deux
tiers, nécessaire à tout changement constitutionnel. Il doit maintenant
composer avec l’opposition. Ensuite, sa dérive autoritaire lui a fait
perdre une bonne part de sa légitimité aux niveaux international et
national. À l’extérieur comme à l’intérieur du pays,
l’impression grandit que le seul projet politique de Mugabe reste le
pouvoir[3].
Aux accusations d’autocrate dont il est l’objet, s’ajoutent celles
de mauvais gestionnaire. Le taux de chômage dépasse les 55%,
l’inflation est encore plus élevée. Pour payer le salaire de ses
supporters à la veille de l’élection et étant à court de liquidités,
le gouvernement a simplement imprimé plus de billets... « C’est
le début de la fin pour Mugabe et la Zanu-PF », espère Morgan
Tsvangirai[4].
Même les jeunes membres du Zanu-PF, le parti de Mugabe, parlent déjà
d’un changement de leadership[5]. Pour la
première fois dans l’histoire du Zimbabwe, une opposition crédible siège
au parlement. Il reste à espérer que cette victoire symbolique du MDC
fasse prendre conscience aux Zimbabwéens de la possibilité d’un véritable
changement démocratique. Les prochaines élections présidentielles sont
prévues pour 2002. Le peuple décidera alors si c’en est fini de l’ère
Mugabe. À moins qu’il ne tranche avant...
[1]Champin,
Christophe., « Sur fond d’injuste répartition des terres,
combat douteux au Zimbabwe », Le Monde diplomatique, mai 2000,
p.21
[2]Idem.
[3]
Ferrett, Grant., « Presedent Mugabe: Power without a vision »,
Site internet de la BBC, 2 juillet 2000
[4]
« Opposition wants Mugabe impeached », site internet de la
BBC, 6 juillet
[5]
« Zanu considers life after Mugabe », site internet de la
BBC, 3 août
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