Corruption
et commerce international Encore plus avec les nouvelles règles de l'OCDE, l'abstinence est la règle à suivre |
Daniel Allard Que
devrions-nous faire lorsque l'aventure du commerce international nous
conduit face à face avec des situations de corruption? Cette question,
il vaut mieux se la poser cent fois avant d'y être confronté, plutôt
que de regretter toute préparation, une fois derrière les barreaux d'une
sombre prison étrangère! Est-ce vraiment sérieux? Plus que jamais, alors que les États du monde se concertent de plus en plus et, surtout, montrent des dents. En décembre, en devenant le cinquième pays à ratifier la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, le Canada assurait ainsi l'entrée en vigueur de la Convention, le 15 février 1999. À cet effet, le Parlement canadien avait unanimement adopté la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, qui crée le nouveau délit de corruption d'agents publics étrangers dans les opérations commerciales, une infraction passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement. (Un guide qui renferme des renseignements généraux sur la Loi figure au site Web du ministère de la Justice: www.canada.justice.gc.ca).
"Respecter
la loi canadienne, respecter la loi du pays où elles interviennent et, en
plus, respecter la plus contraignante des deux", conseille le
professeur Gérard Verna, qui
souligne aussi que nos entreprises travaillent avec des sous-contractants
et que c'est là que le système est tout à fait hypocrite. Selon lui,
il serait également moins facile de frauder et de corrompre, s'il n'existait pas d'endroit pour blanchir l'argent.
Or, avec pas moins d'une cinquantaine de paradis fiscaux à travers la
planète, le spécialiste de l'Université
Laval souligne le caractère systémique de l'affaire. "La
vraie question, c'est de savoir qui était actif et qui était passif.
Pour moi, le premier coupable est celui qui incite l'autre à entrer dans
cette affaire. La prochaine fois que vous entrez dans le bureau d'un
fonctionnaire pour lui demander de vous aider, regardez-vous le premier! Même
chose pour passer la frontière et décider d'y passer trois heures ou de
payer pour régler le tout en cinq minutes. Le troisième test, c'est dans
le bureau du ministre, où là c'est lui qui a les beaux habits
neufs...", avance Gérard Verna. "Lorsque
l'on flirte avec l'illégalité, on finit par se faire coller et si on
choisi mal ses amis, ils risquent de coller longtemps. Vous connaissez ça
vous le "droit de suite"?
C'est ce que réclamera votre "ami" de la première fois sur TOUS les contrats qui suivront dans le pays en question, même
s'il n'a pas levé le petit doigt dans l'affaire. Et cela peut être coûteux
longtemps", continue-t-il. Aux malins, il explique qu'on ne peut pas faire un contrat suffisamment flou pour ne pas dire ce que l'on n'ose pas dire et après penser pouvoir se défendre avec des précisions qui n'existent pas! "Ces gens-là ne sont pas des imbéciles!" "Il y a des contrats qu'il vaut mieux perdre "Les systèmes de corruption bâtis avec des systèmes politiques sont des châteaux de cartes. C'est ce que le cas de l'Italie a très bien démontré. Conclusion: il y aura toujours des gens pour tricher, mais le meilleur conseil, c'est ne vous engagez pas dans ce jeu. Il y a des régions du monde où il vaut mieux ne pas aller. Il y a des contrats qu'il vaut mieux perdre que de mal gagner", conseille encore Gérard Verna.
Aujourd'hui
chez KPMG, Kevin McGarr a dans son bagage d'expérience 26 ans à la police de
la Communauté urbaine de Montréal.
Son premier "truc" à lui concerne les ambassades du Canada:
"Dans les ambassades, les attachés légaux sont des agents de
liaison pour la GRC et AUSSI
au service des gens d'affaires canadiens", rappelle-t-il. Avec son
meilleur conseil, il ajoute une anecdote qui fait frissonner son auditoire
québécois: "Si vous ne trouvez pas le moyen de bien faire des
affaires dans un pays, évitez d'y aller. À Québec, je peux donner
l'exemple d'un membre du Groupe
Pomerleau qui va se rappeler longtemps de ses négociations
au Venezuela, avec le fils d'un ministre qui utilisait un prête-nom.
En quelques semaines, il a été arrêté et condamné à 10 ans de
prison. Nous l'avons ramené de justesse." Questionné sur la possibilité de soudoyer les autorités au Canada, sa réponse est alors sans nuance: "Les histoires véhiculées de juge sur le bras ou de douaniers sur le bras, moi je n'ai jamais vu cela au Canada. C'est un mythe, un gros mythe qui grossit même!" ET LES ÉTATS-UNIS? "Les
entreprises américaines sont les pires payeurs pour toutes les SEE du
monde", rappellent à toutes les conférences qu'ils donnent les représentants
de la Société pour l'expansion
des exportations (SEE) du Canada. Et ce, même
si le Foreign Corrupt Practices Act
, en force depuis plus de vingt ans, fait des États-Unis un pays modèle
en matière de lutte à la corruption. Cette loi oblige un juge à imposer
des sanctions minimales. Si la compagnie n'est pas en mesure de démontrer
qu'elle a tout fait pour éviter la fraude, l'amende est automatiquement
multipliée pas quatre! Le principe, c'est qu'il faut être un bon citoyen
corporatif. De là l'avantage d'avoir un code d'éthique au sein de
l'entreprise (VOIR notre article sur la norme SA-8000 dans ce même numéro
de COMMERCE MONDE). L'avant-gardisme
des Américains à cet égard est malheureusement loin de garantir un haut
niveau de moralité en affaires sur la scène du commerce international.
Une seule statistique témoigne avec justesse de la tâche. Rappellant que
l'estimation actuelle, selon le Programme
des Nations unies sur le contrôle des drogues (PNUCID), des opérations
de blanchiment d'argents à travers le monde est de 400 milliards de $US
par an, Kevin McGarr ose par ailleurs ouvertement faire des liens préoccupants:
"Ne vous demandez pas pourquoi les bourses sont devenues
folles". "Même au Canada, l'attribution des contrats publics est l'activité numéro un de la mafia. On n'entend jamais parler de cela, parce que ça fonctionne bien. Les médias en parlent lorsqu'il y a un règlement de compte, un meurtre. Je me rappelle que 17 membres des Hell's travaillaient ouvertement au Port de Vancouver, perçus comme un club social. Personne s'en occupait, ils n'avaient pas de problème", témoigne-t-il encore. LE CANADA ET L'OCDE PASSENT AUX ACTES Ces états
de fait expliquent sans doute en bonne partie pourquoi le Canada, de
concert avec la trentaine d'autres pays membres de l'OCDE, vient à son
tour d'adopter une loi comparable au Foreign
Corrupt Practices Act de nos voisins américains. Depuis, dans les colloques de juristes, on parle d'un changement "dramatique" de la situation au niveau de la loi canadienne. Les chefs d'entreprises du pays auront donc tout intérêt à s'enquérir auprès de leur avocat des nouvelles réalités législatives en matière de corruption internationale. À l'occasion d'un petit-déjeuner d'affaires du CCIEQ
portant sur la corruption, Gérard Verna, professeur à l'Université
Laval, écoute à son tour le deuxième conférencier, Kevin McGarr (à
gauche) , qui
dirige, à Montréal, le service de juricomptabilité chez KPMG. Généralement,
c'est en Europe que se trouve la meilleure moralité d'affaires au monde.
Surtout en Europe du Nord. Mais plusieurs sont surpris d'apprendre qu'en
France, le versement de pots-de-vins à l'étranger est légal et déductible
des impôts d'entreprises! "Des pays où la corruption est pour ainsi
dire "légale" et "officielle", c'est aussi une réalité
en Arabie saoudite, où on vous oblige à passer par un sponsor
local", explique encore le professeur Verna. "À Cuba, n'oubliez
pas que le frère de Fidel est depuis 10 ans la cible numéro un ou deux
des Américains, par rapport aux stupéfiants. Et il n'y a pas pire que
les "stup" aux USA!", ajoute Kevin McGarr. Bref, répétons le encore et encore: "Il y a des contrats qu'il vaut mieux perdre que de mal gagner!" Quelques
sites pertinents sur la corruption internationale: OCDE Chambre de commerce internationale Canada, texte de la loi |