Chronique "Veille d'affaires, technologie et changement" La terre est plate ! 2005-10-23 Par Richard Legendre Chroniqueur legendre@siiq.qc.ca Veilleur technologique et courtier en information Voilà quelques centaines d’années, un scientifique italien, Galilée, bousculait l’ordre établi. Ses observations et ses analyses l’amenaient, par une démarche scientifique, à poser l’hypothèse que contrairement à ce qui était la norme de son temps, la terre n’est pas plate, elle est ronde et en plus elle n’est pas le centre de l’univers. La démarche scientifique et le processus d’innovation requièrent la critique constructive, afin de permettre de qualifier la validité des hypothèses émises qui deviendront des théories si elles résistent à l’érosion du temps. En effet, une théorie scientifique doit être irrépudiable et surtout doit pouvoir être reproduite dans des conditions expérimentales similaires. Malheureusement pour Galilée, son hypothèse bousculait non seulement ses confrères scientifiques de l’époque, mais aussi « l’establishment » politico-religieux. Le Pape Urbain VIII n’appréciait pas les conclusions de Galilée, car elles entraient en contradiction avec la pensée de l’Église. Ainsi, s’amorça un dur processus administratif pour contraindre le scientifique à renier ses conclusions. Sous la pression administrative de l’Église et de la société dans laquelle il vivait, Galilée renia ses conclusions et admit qu’évidemment la terre était plate et qu’elle se trouvait au centre de l’univers. Dans nos sociétés, on utilise de plus en plus le mot « innovation ». Dans une économie basée sur le savoir et la production à valeur ajoutée, on considère souvent l’innovation comme l’ingrédient essentiel au développement économique. Qu’est-ce que l’innovation ? Le Multidictionnaire définit le verbe «innover» comme l’action d’introduire quelque chose de nouveau dans un domaine. Les innovations trouvent un terreau fertile dans le choc des idées et la liberté d’expression de celles-ci. Une société innovante accepte le brassage d’idées divergentes et permet aux citoyens de réagir pour ou contre les idées ou opinions exprimées. Si nous souhaitons développer une société basée sur le savoir et l’innovation, nous devons commencer par exiger de nos institutions de respecter notre intelligence individuelle et collective. Un environnement où les idées sont contrôlées et limitées étouffe les artisans et les innovateurs dont notre société et nos entreprises ont besoin pour progresser. La rectitude politique et une certaine forme de puritanisme affectent nos sociétés occidentales. La normalité d’une société pluraliste et libérale réside dans le fait que dans une société, on retrouve des gens qui partagent et qui ne partagent pas une opinion. Trop souvent on a tendance à accuser, pour ne pas dire vilipender, celui qui énonce une idée différente. Étouffons-nous des Galilée autour de nous ?
On peut également faire un parallèle avec des situations du quotidien dans nos milieux de travail. Combien de fois, lors d’une réunion, avez-vous entendu quelqu’un dire, à la suite d’une suggestion originale pour un nouveau produit ou une nouvelle façon de procéder : « Ça ne fonctionnera pas dans notre industrie. », « Si l’idée est si bonne, pourquoi la compétition ne le fait pas ? » « L’idée est bonne, mais la production n’a jamais travaillé de cette façon.» Difficile par la suite de susciter chez un autre employé le réflexe d’amener une idée qui semble trop différente de ce qui existe déjà. Difficile également dans le feu de l’action et le quotidien de juger de la pertinence d’une idée. Seul le temps permet d’éliminer les idées inutiles qui ne résisteront pas aux idées contraires. Porter un jugement trop hâtif, sans recul, risque de vous projeter dans la longue liste des gens ayant manqué les plus grandes opportunités comme :
La liste est longue et on peut même retrouver des exemples locaux dont vous me permettrez de taire les noms. Voilà une dizaine d’années, un des premiers fournisseurs d’accès Internet a eu de la difficulté à trouver du financement pour démarrer son entreprise. «Il y a vraiment des gens qui paieraient pour avoir accès à Internet ? », questionnait le banquier. Les innovateurs dérangent dans nos sociétés et dans nos entreprises. Dans nos entreprises, identifions ces catalyseurs de changement, non pas pour les étouffer, mais pour les écouter et discuter, avec un esprit critique et ouvert. Soutenir le développement des idées prometteuses et procéder à des essais de validation. Des firmes comme 3M possèdent un budget où tout employé peut soumettre une idée à développer. Certaines personnes chez 3M nomment ce programme le «thinking budget». Même sans budget dédié, le développement d’une attitude positive face aux nouvelles idées représente un minimum d’efforts afin de ne pas rester coincé dans les ornières du quotidien. Les discours gouvernementaux utilisent allègrement le mot «innovation» afin d’indiquer l’importance d’innover pour réussir l’adaptation à la mondialisation des marchés et pour relever le défi démographique des prochaines années. L’État ne peut innover à la place des entreprises ou des individus. La contribution de l’État passe par l’allègement réglementaire, par une fiscalité encourageant le développement des ressources humaines et la reconnaissance des efforts liés à la gestion du savoir et du réseautage des individus. L’État doit également jouer le rôle de chien de garde contre la convergence trop importante des médias d’information qui augmente le risque de monopole de la pensée au détriment de la pluralité d’idées typique d’une société libre et démocratique. L’auteur Michael Crichton écrivait dans le Parc Jurassic : « Dans la société de l'information, personne ne pense. Nous pensions bannir le papier, mais nous avons en fait banni la pensée.» L’information spectacle, l’information par réseau, endort le citoyen qui ne perçoit qu’une partie de la réalité, s’il ne se fie qu’à une seule source d’information. Il devient ainsi une cible facile à la désinformation.Étouffons la rectitude politique Évidemment, la pluralité d’idées, le respect des idées «nouvelles» induit une dose de chaos et d’instabilité. Néanmoins, on ne peut innover autrement... Je terminerai en vous indiquant que je considère que la terre est ronde et que le seul consensus d’une société innovante réside dans le respect et la valorisation de la pluralité d’opinions et le respect de la liberté d’opinion. Étouffons la rectitude politique avant qu’elle ne nous étouffe. Fait à Québec le 19 octobre 2005. |
|
|