Chronique "Mondialisation" Où s'en va le mouvement altermondialiste ? Un point de vue averti 2005-06-17 Par Renaud Blais Chroniqueur Altermondialiste pour l'espoir À l’intérieur de 2 textes récemment parus, le professeur Dorval Brunel, sociologue à l’Université du Québec à Montréal, directeur de l’Observatoire des Amériques et directeur intérimaire du Centre études internationales et mondialisation, présente un point de vue qui aide à mieux comprendre les différentes tendances de la mouvance altermondialiste. D’abord, il constate une diminution de la participation des militantEs depuis les deux premières éditions du Forum social européen (FSE) et la dernière tenue, à Londres, en octobre 2004. Il l’interprète comme « un certain essoufflement des grands rassemblements à l’avantage d’autres formules qui tablent sur les effets de proximité et la participation effective des citoyen ». En effet, il constate une prolifération de la tenue de forums sociaux nationaux dans la plupart des pays d’Europe, ainsi qu’un nombre incalculable de forums sociaux locaux (FSL) au niveau local, des villes et des régions. Il y voit « l’expression d’un besoin nouveau et irrépressible d’extension des espaces de délibération dans un cadre marqué par la conduite des débats depuis le bas vers le haut, à l’encontre de la démarche traditionnelle dite « top-down » de haut en bas ». Selon lui, Il y a là évolution dans notre façon de faire et d’influencer les décisions prises par nos éluEs, depuis la tenue des grands rassemblements altermondialistes comme les forums sociaux mondiaux (FSM) qu’il relie aux grandes activités de résistances durant et à proximité des grands sommets visant à imposer la « pensée unique » de la libéralisation par « l’économisme », là où le seul point de vue valable est économique, où règne le dieu MARCHÉ » et les dogmes à l’agenda sont : privatisation (PPP), remboursement de la dette, rationalisation, désyndicalisation etc. Bref, la paupérisation de 95% de la population, parce qu’ils « n’ont pas compris » que le seul objectif de la vie sur terre consiste à s’enrichir, « à n’importe quel prix ». Il suffit de fréquenter les grands médias qui ne remettent jamais en question cette priorité de l’argent avant les gens ! Pour monsieur Brunel, la tendance des militantEs à participer davantage aux FSL, « en prenant appui sur les associations existantes, les FSL servent à constituer des réseaux qui mettent l’accent sur les questions pratiques, sur les moyens à mettre en œuvre et sur les résultats escomptés », bref, ces engagements seraient plus tournés vers des actions concrètes. Dans un premier temps, monsieur Brunel entrevoit à l’intérieur de la mouvance altermondialiste, deux axiomes de perspectives divergentes. Le premier serait un différent qui existe sur « deux façons d’envisager la suite des choses ». Il voit un autre différend entre « les niveaux d’intervention et la façon d’intervenir ». Au sujet du différend sur la suite des choses, certainNEs privilégieraient « la reconquête d’un espace publique » en mettant l’emphase sur les forums sociaux (FS) perçus comme « un espace public à occuper, un espace qui offre des occasions de rencontre et d’échange entre citoyens qui ne veulent entendre parler ni de politique ni de partis politique ». Ce groupe verraient les FS comme « une forme originale de tourisme citoyen », où les FS « deviennent une fin en soit ». D’autres, par ailleurs, verraient les FS comme « des facilitateurs de convergence et de mobilisation entre organisations, mouvements et partis » et que les FS « s’inscrivent dans la mouvance des mobilisations en cours ». Ainsi, l’assistance aux FSM servirait à « des questions de stratégie et aux besoins des mobilisations ».
Monsieur Brunel précise dans son texte publié dans ASYMÉTRIE que ces axiomes interprétatifs ne sont que des repères et que dans l’histoire le mouvement syndical, par exemple, a « grandement usé en parallèle ou en succession des voies d’intervention officielle et non officielle selon les conjonctures ». Il ajoute que certains des ses différends « en cours d’institutionnalisation » seront de plus en plus difficile à gérer et prévient les acteurs de bien voir à éviter l’approfondissement de ces différends en perspectives. Dans son autre texte, publié dans le site d’Alternatives, il pose l’hypothèse que la critique altermondialiste a eu un impact sur l’issue du scrutin référendaire français. Il précise : « si cette hypothèse était vérifiée, il faudrait désormais composer, non seulement avec une nouvelle force sociale montante, mais aussi et surtout avec un nouvel argumentaire dont l’efficacité idéologique et politique pourrait constituer un puissant contrepoids face aux thèses et aux arguments défendus par les tenants de la libéralisation des marchés à l’heure actuelle ». Par ailleurs, comme sociologue, il écrit que la façon traditionnelle de définir un « mouvement social » ou « mouvement collectif » comme « une initiative portée par des acteurs qui partagent en propre une identité, un projet, et qui conviennent entre eux d’un ensemble de moyens et de stratégies à mettre en oeuvre pour atteindre des objectifs précis », « ces caractéristiques ne s’appliquent pas ou s’appliquent mal telles quelles à la mouvance altermondialiste qui se caractérise plutôt par la multiplicité, voire par la superposition des identités, par la prolifération des projets, ainsi que par la diversité des moyens et des stratégies à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs et les buts les plus divers ». Pour appuyer son hypothèse, il précise encore que : « le FSE I, [tenu à Florence en novembre 2002] par l’ampleur et la vivacité des débats qui ont été engagés autour du projet de constitution européenne, [à l’époque la version de Giscard d’Estaing] a représenté rien de moins qu’une répétition générale de ce que l’on a vu atterrir deux ans et demi plus tard à une autre échelle le mois dernier lors de la campagne référendaire sur la Constitution européenne ». Monsieur Dorval Brunel perçoit la mouvance altermondialiste comme étant l’amorce d’un véritable mouvement citoyen à l’échelle de la planète. Dans ces mots : « le mouvement citoyen mondial reflète en son sein les contradictions qui tiraillent et divisent les sociétés dans leur ensemble, une réalité qui ne l’empêche pas d’avoir un impact politique et social certain par ailleurs, comme le montre avec éloquence le cas français ». Voici un extrait plus important et très éloquent du point de vue de M. Brunel : « Ce mouvement constitue plutôt un véritable mouvement citoyen mondial qui aurait ceci de particulier qu’il emprunterait ou revêtirait une dimension mondiale ou régionale ou nationale ou même locale à certains moments précis ou dans des circonstances particulières. En attendant, ce mouvement demeurerait au point de départ comme à l’arrivée, d’abord et avant tout un mouvement citoyen, c’est-à-dire un mouvement civil ancré dans un milieu précis, rassemblant des sujets de droits appartenant à une localité et à un état, mais des sujets capables de porter leurs revendications et leurs intimations à des niveaux géographiques et institutionnels différents. En ce sens, le mouvement citoyen mondial apparaît comme une entité capable de dilatation ou de condensation selon les conjonctures et les contextes, même si, d’une fois à l’autre, ce sont encore et toujours les mêmes revendications et les mêmes mots d’ordre qui sont mis de l’avant ». Il y voit même un impact réel en Amérique : « Le premier et le principal impact du « non » [en France et en Hollande] dans les Amériques, mais aussi ailleurs dans le monde, sera le renforcement de la crédibilité, ainsi que de la force politique et sociale de toutes ces autres déclinaisons nationales et locales du mouvement citoyen mondial lui-même ». Encore une fois dans ces mots : « Pour bien saisir toute la portée à la fois contextuelle et historique du mouvement citoyen mondial actuel et, surtout, pour prendre la pleine mesure de sa force politique, il apparaît essentiel d’établir une filiation ou une continuité historique avec toutes ces mobilisations citoyennes qui ont contribué à renverser les dictatures militaires en Amérique latine au cours des années quatre-vingt, ainsi qu’aux mobilisations citoyennes qui culminent dans le renversement des dictatures en Europe de l’Est, une série d’évènements qui vient mettre un terme à la guerre froide telle qu’on l’avait connue et telle qu’elle avait prévalu depuis le milieu des années quarante ».
Pour terminer encore avec les mots de l’auteur cité : « Cette appropriation du sens et de la portée de la fin de la guerre froide, tout comme celle du sens et de la portée de la fin des dictatures dans les Amériques, expliquent en bonne partie la profonde coupure qui s’est instaurée depuis lors entre les mouvements citoyens aux niveaux national, régional et mondial, d’une part, les élites politiques, de l’autre, ce que l’on transpose, en langage journalistique, sous la forme d’une coupure entre le bas et le haut, entre la France d’en bas et celle d’en haut. Cette lutte contre l’amnésie représente un défi de taille dans le contexte actuel, essentiellement parce que la prise en compte des origines plus lointaine de l’altermondialisme actuel apparaît essentielle pour comprendre et saisir l’ampleur, de même que l’intensité, du mouvement citoyen mondial lui-même, au delà de toutes les fissures et autres contradictions qui l’agitent ». Fait à Québec, le 15 août 2005. |
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