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World Tr@de Net
Créer des réseaux en vue des négociations commerciales
2005-06-15
Par Isabelle Limoges
Le présent texte est tiré du Bulletin de Consultation Contacts Monde de JUIN 2005, VOL : 4 NUMÉRO : 6 http://contactsmonde.com/CCM/Publications/Bulletins/CANADA/Internet.htm (Source : Robert J. Evans, Forum de commerce international - No. 4/2004) Si les pays en développement veulent bénéficier du système commercial mondial, leurs secteurs public et privé doivent travailler ensemble, gouvernement et négociateurs établissant une stratégie commune. Parvenir à la cohésion n’est pas simple.
Lorsque l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) du Cycle d’Uruguay a été conclu, le 15 décembre 1993, après sept longues et difficiles années de négociations, les milieux officiels des pays industrialisés comme ceux des pays en développement ont poussé un soupir de soulagement. Les États membres les plus riches du GATT – qui allait devenir l’OMC en 1995 – se réjouissaient des perspectives de vendre plus de biens et services sur les marchés émergents et ils diminuèrent les obstacles qui protégeaient leur économie depuis des décennies. Les pays en développement, ou du moins leur gouvernement et leurs négociateurs, étaient persuadés que, après avoir aboli l’aide et les subsides de l’État qui leur avaient permis de créer et de maintenir une industrie nationale, de nouveaux et lucratifs marchés s’ouvriraient rapidement à leurs produits dans les pays industrialisés.
Ces espoirs se sont toutefois éteints peu après la signature de l’Acte final, à Marrakech en 1994, à mesure que les cadres d’affaires d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine se sont rendu compte de ce que leurs représentants et négociateurs nationaux avaient approuvé; et leurs préoccupations se transformèrent vite en colère. «Comment avez- vous pu nous engager à nous restructurer si rapidement?» Telle était l’interrogation émise partout dans les pays en développement. «Vous ne nous avez jamais dit ce que vous attendiez du Cycle!» répliquaient les gouvernements. «Mais vous ne nous avez jamais rien demandé! rétorquaient alors les milieux d’affaires. Comment pouvions-nous savoir ce que faisaient les négociateurs?» «D’accord, admettaient finalement les autorités, nous allons voir si nous pouvons changer les accords.»
C’est ainsi qu’est née la «question de l’application» – essentiellement une querelle sur la renégociation des textes du Cycle d’Uruguay qui apparaissaient comme gravés dans la pierre – qui, dix ans après, ronge encore l’OMC et les rapports entre pays membres riches et pauvres.
Collaborer avec la communauté des affaires
Au CCI, les experts ont été parmi les premiers à percevoir la menace qui planait. Dans le cadre de son programme de suivi du Cycle d’Uruguay de 1995, le CCI a entamé des activités en vue de s’assurer que les communautés des pays en développement comprennent ce que les accords, souvent très techniques, signifiaient dans la pratique, ainsi que les nouvelles règles commerciales qui les étayaient. En partenariat avec le Secrétariat du Commonwealth, il a publié l’important manuel Guide à l’intention des entreprises: le système commercial mondial, en anglais, en français et en espagnol. Certains de nos partenaires l’ont édité dans dix autres langues. Le CCI a continué de fournir de l’information grâce à une production régulière de publications expliquant les incidences commerciales de chaque accord de l’OMC. Les experts du CCI ont parcouru la planète et tenu des séminaires partout dans le monde pour faire connaître aux chefs de file des milieux d’affaires, ainsi qu’aux responsables gouvernementaux, ce que les accords du Cycle d’Uruguay signifiaient pour eux.
Pallier l’absence de dialogue
Pourtant, il devint vite évident que cela n’était pas suffisant. Le Cycle d’Uruguay prévoyait de nouvelles négociations dès le début du XXIe siècle, afin d’étendre certains des accords de 1994, notamment en ce qui concernait les services et l’agriculture. Les puissances les plus riches insistaient pour que ces négociations fassent l’objet d’un nouveau cycle complet et incluent des négociations en vue de diminuer encore les niveaux tarifaires pour les biens manufacturés. Comment assurer alors que les erreurs du passé n’allaient pas se répéter? Il était évident que, dans de nombreux pays en développement, ainsi que dans les économies en transition qui émergeaient à peine du régime communiste en Europe centrale et orientale, l’absence d’un dialogue ouvert entre la communauté des affaires et les gouvernements était un problème qui devait trouver solution. Mais, pour être sûr qu’un tel dialogue profiterait aux économies nationales, il fallait que les entreprises commencent à mettre de côté leurs rivalités sectorielles et collaborent pour faire connaître à leurs gouvernements leur point de vue sur la forme des nouveaux accords commerciaux, et que ces derniers en tiennent compte lors des négociations. Le concept de «défense des intérêts des entreprises» est alors apparu dans le calendrier du CCI en vue des pourparlers commerciaux.
«Dans plus de la moitié du monde, les intérêts des milieux économiques ne sont pas suffisamment intégrés dans les positions commerciales nationales de négociation, avance M. Peter Naray, Conseiller principal du CCI sur le système commercial mondial, qui a contribué à démythifier les sujets liés à l’OMC dans la communauté des affaires. Cela peut mener des gouvernements à approuver des règles commerciales qui empêchent ensuite les entreprises d’agir. Une défense des intérêts des entreprises informée, ciblée et opportune peut aider les pays en développement à signer des accords plus favorables.»
En juillet 1999, le CCI a lancé le programme World Tr@de Net, financé par les Gouvernements de l’Allemagne, de l’Inde, de la Norvège, de la Suède, de la Suisse et du Royaume-Uni. L’idée était de rassembler (au niveau national puis, plus tard, régional) les responsables gouvernementaux, les compagnies, les avocats d’affaires, les consultants et même des économistes, des universitaires et des journalistes spécialisés, pour qu’ils réunissent leurs expériences sur les questions liées à l’OMC. L’objectif visait à établir des réseaux durables, même s’ils demeuraient informels, pour l’échange d’idées et d’information, servant ainsi de plates-formes pour parler au nom de la communauté des affaires. Ces groupes représentaient aussi un centre pour les activités du CCI de promotion du dialogue entre milieux économiques et gouvernements sur les questions de développement qui les préoccupaient.
Un cycle visant le développement
Pour accélérer la mise en œuvre d’un nouveau cycle de pourparlers lors de la Rencontre ministérielle de l’OMC à Doha (Qatar), fin 2001, la rumeur a filtré que les entreprises des pays en développement et des économies en transition ne voulaient pas d’un autre échec. Les compagnies du monde en développement ont accueilli favorablement le Programme de Doha pour le développement (PDD), un cycle qui devait se concentrer sur l’aide aux pays les plus pauvres pour qu’ils relèvent leur niveau de vie et deviennent des agents plus actifs sur les marchés mondiaux.
Le PDD a donné un nouvel élan à World Tr@de Net, car les négociateurs ont commencé à se préparer à renégocier et les entreprises ont présenté des «listes de souhaits» et ont fait pression pour que les gouvernements en tiennent compte. Le CCI a étendu son programme avec le lancement d’une série de conférences régionales intitulées Business for Cancún en vue de la rencontre ministérielle de l’OMC prévue en septembre 2003 au Mexique. Ces rencontres, rebaptisées Business for Development après Cancún et financées par les Gouvernements du Canada, de la Suède, de la Suisse et des États-Unis, rassemblaient les cadres gouvernementaux et les représentants de milieux d’affaires des pays en développement d’un même continent. Elles avaient le double objectif de rendre attentives les entreprises sur l’orientation que pouvaient prendre les pourparlers et de familiariser les représentants officiels à ce que pensent les milieux d’affaires. «Les gouvernements négocient les accords commerciaux, mais ce sont les entreprises qui agissent ensuite, avance M. Ramamurti Badrinath, Directeur de la Division des services d’appui au commerce du CCI. Tous deux sont donc des partenaires naturels lorsqu’il s’agit de préparer et de mettre en place des stratégies de négociation, ainsi qu’au moment d’appliquer les accords qui en découlent. Ce sont de tels partenariats qui vont mettre en œuvre la dimension de développement du PDD.»
Les entrepreneurs à Cancún
C’est peut-être un peu grâce à ces efforts qu’une cinquantaine de délégations de pays en développement à Cancún y ont inclus pour la première fois des représentants des milieux économiques. Même si ces cadres d’affaires, comme leurs homologues des riches puissances commerciales, ne pouvaient pas prendre part aux négociations, ils restaient à disposition pour des consultations rapides. Nombre d’entre eux ne s’étaient jamais trouvés si proches du lieu où se prennent les décisions qui ont des incidences directes sur leurs agissements et sur leurs perspectives de réussite ou d’échec. Bien sûr, plusieurs pays en développement – le Mexique en fut un exemple notoire – avaient déjà constitué de solides partenariats entre secteurs public et privé en prévision des pourparlers commerciaux avant que le CCI ne lance son initiative. Mais une scène étonnante survenue dans un bus menant les délégations de leur hôtel au centre de conférences de Cancún illustre le manque de contact entre certains gouvernements et leur communauté des affaires nationale: deux chefs de file du secteur privé d’un petit pays asiatique se frayaient un chemin dans un couloir, fouillant des yeux les badges d’identification. «Nous sommes à la recherche de notre Vice-Ministre du commerce, qui participe à une rencontre Business for Cancún, expliqua l’un d’eux. Nous ne l’avons jamais rencontré.»
En réalité, la réunion de Cancún n’est pas parvenue à résoudre les problèmes majeurs. Ravis des manifestations antimondialisation, quelques chefs de file des pays en développement ont acclamé ce qu’ils ont considéré comme une victoire sur les riches. Pourtant, de retour chez eux, un autre message se faisait entendre. «Nous avons fait savoir à nos gouvernants que nous ne voyons là aucune victoire, avançait un homme d’affaires d’Afrique orientale lors d’une conférence de Business for Development à Nairobi en mars 2004. Ils ont eu raison d’être durs, mais un échec n’est bon pour personne. Nous leur avons dit: «Faites votre possible pour reprendre les pourparlers au plus vite.» Fin juillet, un accord fut trouvé à Genève, esquissant une étape décisive des négociations, et le PDD était de nouveau sur les rails. Bonnes nouvelles: le point de vue de Bishkek
«Voici de bonnes nouvelles, exprimait Mme Tatiana Philippova, de la Chambre pour la promotion du commerce du Kirghizistan. Surtout que cette fois-ci nos négociateurs ont auparavant écouté la communauté des affaires et défendu nos intérêts.» Cela n’a pas toujours été le cas dans cet État montagneux d’Asie centrale qui a émergé de l’ancienne Union soviétique en 1991. Indépendant, le pays a été admis au sein de l’OMC en 1998, après un peu moins de trois années de négociations, un record de vitesse. Toutefois, les représentants officiels avaient accepté des clauses, y compris la baisse presque systématique des barrières tarifaires aux marchandises, ce qui a consterné les sociétés privées, qui commençaient à peine à déployer leurs ailes dans un pays qui, pendant sept décennies, n’avait connu qu’une entreprise d’État. En 1999, les jeunes entrepreneurs et les économistes ont alors mis sur pied la Chambre de Bishkek, en partie pour assurer que cela n’allait pas se reproduire. En 2001, elle avait rejoint World Tr@de Net. «Ce fut une décision vitale, affirme Mme Philippova. Nous avions ainsi accès à l’information dont nos jeunes sociétés avaient besoin pour comprendre le fonctionnement du système commercial international et évaluer les possibilités de nouveaux marchés d’exportation. Cela nous a aussi donné l’occasion de voir comment les entreprises des autres pays faisaient pour que leur gouvernement soit au courant de leurs intérêts lors de la négociation d’accords commerciaux.»
Les efforts de la Chambre de Bishkek ont porté leurs fruits en juin 2003, lorsque le Gouvernement kirghize a créé la Commission interdépartementale sur les questions liées à l’OMC, qui réunissait régulièrement et obligatoirement les représentants des ministères et du secteur privé afin de discuter des positions de négociation du pays et d’esquisser un plan global. Les résultats se sont reflétés dans la position adoptée par la délégation kirghize en 2004 à Genève, où elle a soutenu qu’elle ne pouvait plus approuver de baisses importantes sur ses droits de douane dans le cadre du Cycle de Doha. Le dialogue entre les représentants des secteurs public et privé ainsi que l’information fournie par le CCI ont également aidé une compagnie kirghize à vendre de l’eau minérale embouteillée sur le vaste marché chinois, et une autre entreprise à écouler du miel dans l’Union européenne. Ces produits peuvent paraître insignifiants au niveau mondial, mais ils représentent de grands progrès pour le pays enclavé qu’est le Kirghizistan.
«Cela a signifié un pas en avant dans le rapprochement des entreprises de la place du marché mondiale», confirme Mme Sabine Meitzel, Chef, Section des services consultatifs spécialisés du CCI.
D’autres pays aussi…
Ce type d’expérience avec le World Tr@de Net s’est répétée dans de nombreux autres pays en développement et en transition, qui tous ont connu un système très protectionniste et tentent de s’adapter à la mondialisation. «World Tr@de Net a aidé notre communauté des affaires à intensifier le dialogue avec l’équipe de négociation gouvernementale lors de ce nouveau cycle, et cela va renforcer notre participation», estime M. Rigoberto Monge, chef de file des milieux économiques salvadoriens. Des membres du réseau bulgare ont aidé à préparer la position du pays dans les négociations sur les services à Doha, selon M. Borislav Georgiev, de l’Association industrielle bulgare.
Au Pakistan, M. Mohammad Saeed Akhtar, Chef de l’Initiative commerciale internationale du pays, explique que les contacts et les discussions au sein du réseau local de World Tr@de Net ont contribué à écarter les craintes au sein du secteur pharmaceutique national quant à son avenir lorsque l’Accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) entrera en vigueur en 2005 et il a relevé comment ce secteur peut s’y préparer. Au Swaziland, Mme Rechi Dlamini, économiste auprès d’une compagnie sucrière, a déclaré que les discussions tenues avec les membres de World Tr@de Net ont permis de cerner les besoins en vue d’une politique commerciale nationale globale et durable. «Le dialogue a rendu les membres conscients de l’importance de coordonner nos efforts avec les pays partenaires de la région», ajoute-t-elle.
World Tr@de Net, avec son vaste site internet (http://www.intracen.org/worldtradenet), comprend à présent des réseaux dans 52 pays, de l’Albanie à la Zambie. Il englobe d’importantes économies émergentes telles que l’Argentine, le Brésil et la Malaisie; des puissances commerciales plus petites mais influentes comme l’Égypte, le Nigéria et les Philippines, et des pays parmi les plus pauvres tels que le Cambodge, Haïti ou le Lesotho. Il est également actif dans quatre des pays qui ont récemment accédé à l’Union européenne – l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie –, ainsi que dans des pays qui cherchent encore à s’intégrer à l’OMC, comme le Bélarus, le Kazakhstan, l’Ukraine et le Viet Nam. Un évaluateur indépendant approuve cette tendance qui, apparemment, va encore s’étendre. «Nous l’envisageons comme un projet permanent, déclare M. Badrinath. Tant que nous conservons un rôle actif, nous continuerons. Mais de plus en plus ce sont les membres du réseau qui lui donnent forme et le font fonctionner au bénéfice de leur communauté et de leur pays.»
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