Villes, régions et territoires innovants Le colloque du CEFRIO soulève des approches surprenantes 2008-06-12 Par Vincent Deslauriers L'heure est à l'attaque, aux bouleversements. Le temps est venu d'enterrer les idées établies sur les régions et les zones rurales. Grâce aux technologies de l'information (T.I.), il est possible de réinventer les politiques de soutien à celles-ci. Un travail d'équipe colossal est la clé de ce changement. Les gouvernements ne doivent pas seulement agir en bailleurs de fonds et il est nécessaire que les acteurs régionaux fassent un travail sur le terrain pour que l'utilisation des T.I. engendre des actions et des solutions innovantes pour les communautés. Ce qui importe ne doit plus être combien d'argent passe, mais comment il passe. « Avec le temps, les régions pourraient l'emporter sur les centres urbains », d'affirmer Nicolas Crosta, directeur du programme de développement territorial de l'OCDE, à titre de conférencier lors du colloque Villes, régions et territoires innovants tenu à Québec les 9 et 10 avril 2008. Il y a eu dans l'histoire de grands exodes ruraux et les populations des villes ne cessent de croître, mais à en croire l'expert de l'OCDE, cette dynamique pourrait bien s'inverser. Déjà en Angleterre, historiquement synonyme de changement, on assiste depuis 15 ans à des migrations vers les zones rurales et le phénomène est aussi observable en France. Les populations sont plus enclines à parcourir de grandes distances pour se rendre dans les points de service, elles acceptent volontiers de laisser les villes pour les régions. Selon un Si cette tendance est tangible dans ces deux pays et commence à naître ailleurs en Europe, il est primordial pour les citoyens du Québec de la suivre et même d'être à l'avant-garde. UN QUÉBEC FORCÉ DE PASSER À L'ACTION Les régions doivent être plus intéressantes, et offrir des services qui répondent aux besoins de leurs habitants et à ceux des citadins désireux de quitter leur nid urbain pour la ruralité. L'accès aux T.I. trône au sommet de la liste. Sans être branché à Internet haute vitesse partout sur son territoire, le Québec restera loin derrière et regardera passer le TGV pantois sur le quai de la gare. Le territoire de la province est vaste et une telle avancée technologique faciliterait le désenclavement des régions. La fracture numérique n'est pas négligeable au pays de l'or bleu et à une époque où le progrès technologique est effréné, un tel écart entre les centres et leurs périphéries a un effet discriminatoire sur les populations. 25% « L'accès à l'Internet haute vitesse partout sur le territoire est aussi essentiel au développement que l'électrification du Québec ou la globalisation du téléphone », lançait d'ailleurs en discours d'introduction du colloque la vice-première ministre et co-présidente de l'événement, Nathalie Normandeau. Pour Madame Normandeau, aussi Ministre des Affaires municipales et des Régions, cet accès favorisera le succès de programmes tels la démocratie en ligne ou l'école éloignée en réseau (www.eer.qc.ca), et facilitera la naissance d'initiatives et d'idées émergentes. Les acteurs de toutes les sphères doivent être outillés pour participer au processus de l'innovation. La logique s'applique aussi aux régionaux. Déjà défavorisés parce qu'ils oeuvrent loin de l'effervescence des grands centres urbains, ces derniers doivent démontrer plus de créativité pour se démarquer et souvent leurs innovations sont de plus grande qualité. Pour appuyer cette théorie, Claire Bolduc, la nouvelle présidente de Solidarité rurale du Québec cite en exemple des innovations comme Bombardier, Desjardins, les produits du terroir, le Cirque du Soleil, la culture des tomates par contrôle informatique des Serres Jardins-Nature, toutes nées en régions et aujourd'hui fleuron de la fierté québécoise. Pour madame Bolduc, la ruralité c'est l'innovation. Mais elle insiste aussi sur le fait que le fossé technologique est un frein au développement. Les néo-ruraux sont de plus en plus nombreux à fuir la folie des villes pour gagner les zones rurales. Ils sont instruits, qualifiés dans une panoplie de domaines, en quête de patrimoine naturel, mais ils demandent un accès aux T.I. Plus leur venue sera encouragée, plus ils amèneront avec eux des idées fraîches, des projets innovants et aideront au désenclavement des régions, à la fin de la fracture numérique. Pour qu'advienne un tel changement les décideurs de tous les horizons doivent être visionnaires et observer les tendances mondiales. Chacun des engrenages doit modifier son fonctionnement. Le gouvernement doit faire plus confiance aux régions et leur donner plus de latitude. Les gens des milieux saisissent mieux la complexité que les décideurs. Trop souvent l'argent arrive avec le mode d'emploi et il devient difficile d'innover. En écoutant les besoins de chacun, il sera plus facile de prendre des décisions en lien avec leurs recommandations. De l'autre côté, les régionaux ne doivent pas voir le gouvernement comme un sauveur. Les régions doivent éliminer le réflexe de se tourner vers les gouvernements, trouver les solutions et prendre leur destin en main. Même conscient de tendances mondiales, le Québec a beaucoup de travail à faire pour modifier son paysage numérique et technologique. La clé est dans la communication, le travail d'équipe, le partage des expertises et bien sûr l'innovation. Tout ce travail ne sera que plus facile avec un réseau de communication à la fine pointe et même pourquoi pas avant-gardiste, car après tout, le Québec peut encore imposer une tendance, mais l'urgence est criante. L'action doit se faire vite... Pourquoi pas à la vitesse de la lumière, l'Internet 2.0... PENSER LA RÉVOLUTION GLOBALE *** Lors de ces premiers balbutiements, on faisait de l'électricité une utilisation régionale et limitée. Les grands joueurs industriels et les élites possédaient les centres de production et l'accès au grand public était presque absent. Lorsque la globalisation s'amorce et que de plus en plus de gens ont une chance d'avoir l'électricité, la réalité se métamorphose. De l'éclairage des domiciles, au courant électrique pour les objets qui transforment la vie quotidienne en passant par les lampadaires qui permettent la vie nocturne dans les rues, le virage global de l'électrification bouleverse les sociétés. Aujourd'hui, on assiste progressivement au même genre de tendance en ce qui concerne les T.I. Depuis près d'une décennie, l'Internet, le réseau de communication le plus puissant du monde, se globalise jour après jour, mais selon Carr, le travail à faire est encore immense et l'on ne voit que la pointe de l'iceberg des avantages reliés à cette globalisation. Épargnes significatives Les entreprises et les gouvernements comprennent petit à petit l'importance de l'enjeu de la globalisation qui ne peut que libérer des sous et accélérer la venue des innovations. En 2000, les compagnies consacraient la moitié des budgets à des coûts reliés aux T.I. Le partage des T.I. à l'intérieur d'un réseau global permettra aux compagnies et aux gouvernements de libérer des sommes importantes qui pourront alors être consacrées à la R&D et à l'innovation. Plus le réseau aura de ramifications, de couloirs de transmission, plus la démocratisation des logiciels, l'augmentation considérable de la programmation à la maison et l'avènement des produits user custom-made, seront facilités. Ces réalités engendreront aussi un phénomène de gratuité des programmes et des logiciels. Ceci aura comme conséquence de libérer encore plus de ressources monétaires qui pourront ensuite être réinvesties dans les innovations et il en découlera une plus grande avancée technologique.
Les T.I. jouent aussi un rôle considérable quant à la taille de la main-d‘œuvre pour les entreprises et les gouvernements. Plus d'innovation équivaudra à une réduction de la main-d'œuvre. La comparaison entre Skype et British Telecom témoigne du phénomène. Skype, une entreprise de téléphonie par Internet emploie environ 200 employés et gère le même débit d'appels que le géant britannique qui lui a plus de 10 000 employés. Skype prend une grande part du marché sans avoir une lourde part de ressources humaines. Encore des économies qui laissent de plus gros montant pour l'innovation et le perfectionnement de l'offre. Le grand défi est de bâtir un réseau généraliste, capable de générer des économies significatives tout en augmentant l'efficacité. Cette dynamique est observable dans la corrélation entre les prix sans cesse en baisse des ordinateurs (PC) et leur performance qui augmentent presque quotidiennement. La course est de plus en plus folle vers cette globalisation, mais il est dangereux de s'y lancer tête première sans réfléchir. Tous doivent anticiper les réalités de la partie encore cachée de l'iceberg. Sécurité, Carr a des réserves et des observations quant à la globalisation et les questions d'éthique qu'elle suscite. Il précise que la prudence doit être de mise pour limiter les débordements et ne pas brimer les libertés des citoyens. Plusieurs craignent une atteinte à leur vie privée si la globalisation prend une sérieuse ampleur. L'État doit être proactif et mettre en place des mesures strictes qui assurent la confidentialité. Les gouvernements devront prendre plus de place et élargir leur pouvoir d'action pour assurer la sécurité des réseaux et des banques de données. Le citoyen devra aussi être en confiance pour effectuer travaux, transactions et profiter de la globalisation. Selon Carr, il y a un danger que l'individu se restreigne dans son utilisation, car il pourrait avoir le sentiment que quelqu'un surveille par-dessus son épaule. La sécurité est un défi de taille. Sans prouver que le réseau global est sécuritaire, l'on peut risquer de voir l'utilisation plafonner et ainsi nuire à la globalisation. Un réseau qui prend de l'ampleur peut aussi marginaliser ceux qui accusent déjà un retard en matière de T.I et d'accès à Internet. Les artisans de la globalisation doivent imaginer des stratégies pour que chacun puisse profiter et se mettre à niveau. La marginalisation est l'un des dangers et il est primordial de rétablir le déséquilibre actuel tout en poursuivant l'innovation dans un contexte d'expansion. Au-delà de la sécurité et de la marginalisation, Nicholas Carr craint que le phénomène engendre une automatisation radicale, une chute drastique de la main-d'œuvre, des pertes d'emplois et des conséquences néfastes sur les sociétés touchées par cette automatisation. Mais sa plus grande peur est de voir un contrôle des contenus et de l'information par les gestionnaires. Selon lui, une gestion orientée du savoir et de l'actualité causerait l'émergence d'une pensée restreinte, voire unique, qui polariserait les points de vue et aurait de graves conséquences sur les dynamiques sociales. Il utilise la métaphore de l'entonnoir pour exposer son idée. Il présente le réseau global comme un énorme filtre des contenus, contrôlé par des élites. Lorsque ce qui est filtré atteint les masses, tout a été façonné selon les desseins des décideurs. Survient alors la polarisation qui handicape dangereusement les sociétés et rend les citoyens incapables de réagir face aux vrais enjeux sociaux, économiques et politiques. Bien commun Malgré les obstacles envisagés, le réseau global représente un défi intéressant et stimulant. En plaçant le bien de tous avant les intérêts pécuniaires, en installant un climat de confiance et sécuritaire, on pourra améliorer la vie de tous et changer radicalement nos manières de penser et de faire comme l'a fait la globalisation de l'électricité au 20e siècle. En cette époque charnière de l'histoire de l'humanité, la révolution globale doit devenir l'affaire de ceux qui croient au bien commun, au lieu de se faire selon les méthodes de gens animés par des idées de contrôle massif et d'endoctrinement à des fins malsaines. La force du réseau est dans sa capacité d'unir et de relier les communautés, les citoyens entre eux. C'est le devoir de chacun de faciliter cette union pour qu'advienne une émancipation des peuples et une chute des frontières physiques, au profit de ramifications virtuelles qui lient au lieu de diviser.
Fait à Québec le 11 juin 2008. |
|
|