Le Fonds de solidarité du Québec inspire la RIFÉ
Imaginez une Francophonie économique alimentée en milliards de $
2008-06-09

Par Daniel Allard

« Imaginez si deux millions de personnes décident d'investir chacun 100$ - qui ne leur en coûtera que 50$ grâce à un incitatif fiscal -, on amasse 200M$ », s'est enthousiasmé un François-Xavier Simard incitateur de l'idée de doter la Francophonie d'une Société d'investissement vouée à des participations en équité en entreprise dans les pays francophones en émergence. S'inspirant du modèle du Fonds de solidarité FTQ du Québec, c'est l'aspect qui veut que les ressources financières proviendraient ici de la société civile et pas initialement des pouvoirs publics, qui donne du panache à cette proposition. Déjà à l'origine de l'idée de la RIFÉ, le dynamique avocat de Québec a donc fait mouche une deuxième fois, nourrissant une des rares recommandations qui ira au XIIe Sommet de la Francophonie. Doter la Francophonie d'un opérateur économique qui pourrait faire la différence, voilà une belle idée qui va tout à fait dans le sens de montrer qu'il existe des facilités francophones allant bien au-delà de la langue commune.

De bonnes idées, il y en a eu d'autres, dont celle émise par un participant de sélectionner aux deux ou trois ans une "capitale mondiale francophone de la culture", une adaptation du modèle européen actuel.

C'est qu'avant l'ouverture officielle les participants savaient déjà que les principales recommandations tirées de cette inédite Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFÉ 2008) seraient portées, en octobre prochain, à l'attention des décideurs politiques du XIIe Sommet de la Francophonie qui se tiendra également à Québec. Face à cet objectif de permettre aux divers acteurs de la Francophonie de donner un nouvel élan à un espace économique, disons-le, plus théorique que fonctionnel, quelque 250 représentants et dignitaires d'une trentaine de pays ont finalement consacré trois jours de mai à l'exercice.

Présent pour l'inauguration du 16 mai, le Secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf a voulu stimuler les troupes : « J'ai la conviction que la Francophonie est dans son rôle lorsqu'elle se préoccupe d'économie ». Pour lui, la "Francophonie économique" existe déjà : « Il existe des structures qui s'efforcent de donner un contenu à cet ensemble toujours en construction. Mais c'est la première fois que des entreprises privées et leurs représentants naturels que sont les chambres de commerce et de métier prennent l'initiative, (...) persuadent la Francophonie institutionnelle d'être leur partenaire et proposent trois jours de réflexion et d'échange pour répondre à cette question quelque peu insolente : « la Francophonie économique, mythe ou réalité ? ». Mobilisateur, M. Diouf soutient aussi que « La Francophonie a la masse critique pour être un laboratoire exemplaire à l'échelle de la planète ».

De fait, les statistiques récentes montrent que les échanges commerciaux entre les pays francophones sont imposants. Ils s'élèveraient actuellement à quelque 688 milliards de $US par année.

La Francophonie
pèse pour 19%
du commerce mondial
des marchandises

Abdou Diouf lui-même le sent bien : « (...) le partage d'une langue, non pas imposée, mais choisie, constitue un atout incontestable. D'autres espaces linguistiques, tels que l'hispanophonie ou l'arabophonie, en ont du reste tiré toutes les conséquences, en faisant de leur langue commune un élément clef de l'extension de leurs échanges. »

En comparaison, les 68 États et gouvernements membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) représentent 13% de la population mondiale, 12% du PIB mondial, 19% du commerce mondial des marchandises et 26% des investissements directs étrangers mondiaux. « Mais si on la compare, la Francophonie est très en retard. Elle n'a tenu qu'une seule rencontre de ses ministres des Finances, alors que le Commonwealth en est à 39 », a jugé l'animateur de la RIFÉ, Jean-Louis Roy, poursuivant en donnant exemple qu'à elle seule l'Inde a un ministère entier avec la seule responsabilité de relier sa diaspora dans le monde, alors que la Chine se donne pour objectif de créer 1 000 centres Confucius, dont un ouvert récemment à Edmonton qui n'est pas passé sous silence.

« La faiblesse de la Francophonie ce n'est pas la Bulgarie qui parle peu le français, c'est nous pour ne pas leur avoir apporté davantage d'outils pour y améliorer le sort de la langue », d'ajouter un Jean-Louis Roy qui fut, entre autres, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la francophonie entre 1990 et 1999.

« La Francophonie est en train de perdre l'Afrique », a souligné un autre participant, en rappelant que les étudiants africains prennent justement le chemin de la Chine et de l'Inde dorénavant.

Témoin de l'opération charme chinoise, le président de la Conférence Permanente des Chambres Consulaires Africaines et Francophones, Lamine Niang, a rappelé lui qu'il y a quelques mois, à l'occasion du sommet sino-africain tenu en Chine pour renforcer les relations économiques entre ces deux continents, toute la communication était faite en anglais bien sûr, mais aussi en français.

DÉPASSER LE CRITÈRE DE LA LANGUE
La Francophonie doit dépasser le seul critère de la langue pour représenter un espace économique valable. Comment rendre le marché francophone plus lisible ? Comment faire un marché significativement préférentiel pour les entreprises ? Il faudra créer des symboles. Certains ont parlé du système des valeurs francophones comme critère. On est encore loin des réalités quotidiennes des gens d'affaires !

Soyons inventifs ! En marge de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne peut-on pas imaginer une "Initiative francophone pour le commerce" (IFC) organisée autour d'une harmonisation règlementaire accélérée du commerce infra francophonie... Être un « laboratoire exemplaire », tel que le souhaite Abdou Diouf, n'est-ce pas ça ?

On peut aussi favoriser la circulation de l'information. Penser à des normes communes au bloc francophone. Avoir des politiques d'accompagnement qui permettent aux entreprises d'avoir de meilleurs produits, des gens bien formés, des produits de qualité. Bref un label francophonie.

Parce que si la Francophonie économique institutionnelle existe, elle a certainement des problèmes de lisibilité. On a entendu, dans les microphones de la RIFÉ, des choses comme « la Francophonie a du savoir-faire, mais ne sait pas le faire savoir ! »

Pourtant des initiatives intéressantes existent, tel le Plan de valorisation du français en Asie du Sud-Est (Valofrase) appuyant des entreprises qui incitent leurs employés à apprendre le français. Ou celle de l'Association investir en zone franc, créée en 1998 suite à une décision des ministres des Finances de la Zone franc CFA. Depuis, le site Internet http://www.izf.net/, propriété commune de la CEMAC et de l'UEMOA, est devenu un puissant outil d'intégration économique régionale par la mise en ligne d'informations opérationnelles homogènes sur l'ensemble des pays de la Zone Franc, contrôlées à la source par les institutions régionales de la Zone Franc. Avec plus de 8 000 pages et plus de 2 000 liens vers des sites externes, il est aujourd'hui le premier site francophone africain par l'audience (plus de 65 000 abonnés à son « Espace Entreprises ») et il contribue non seulement à combler la fracture numérique Nord-Sud, mais également Sud-Sud, au profit de l'ensemble des acteurs économiques.

Sur un autre plan, il n'y a pas qu'en Chine que la main-d'œuvre est à bas salaire. Pourquoi ne délocalisons-nous pas davantage en français, en Francophonie, plutôt qu'uniquement vers la Chine !

L'EXEMPLE DE L'OHADA
Comment faire un marché significativement préférentiel pour les entreprises ? L'exemple de l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique mérite ici l'attention. Une Francophonie économique capable de s'imposer ressemblerait, entre autres, à l'OHADA. Née d'un traité signé en 1993, à l'île Maurice, avec l'objectif d'harmoniser le droit commercial, cette initiative est devenue une véritable opération d'unification. Résultat : la législation des affaires est actuellement la même dans les 16 pays africains membres de ce groupe, dont font notamment partie les huit pays de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UÉMOA).

Pour les entreprises, toute la zone OHADA est donc devenue un seul territoire, un marché doté d'un avantage préférentiel concret grâce au droit des affaires unifié qui y fait loi. Ici, on peut déjà parler de préférence francophone !

Mais il ne fait pas soleil partout !

QUASI SILENCE SUR LE FFA
Les « franco sceptiques » avaient aussi de quoi se mettrent sous la dent. « Et pourtant, tout avait déjà été dit ! », pouvaient-ils honnêtement penser. Capables de mettrent une main au feu que toutes les bonnes idées émises à la RIFÉ 2008 avaient satisfait les mêmes acteurs des années 80 et des années 90. La question devient donc de découvrir pourquoi, deux décennies après 1987 et le rendez-vous de Québec du 2e Sommet de la francophonie qui avaient fait naître le Forum francophone affaires (FFA), a-t-on l'impression que la Francophonie est encore au point de départ en matière économique ? La création du FFA avait pourtant donné un bel outil aux gens d'affaires.

« Bien qu'il semble évident qu'il n'a pas répondu aux attentes, personne ne veut taper sur le FFA moribond, de peur de déplaire aux chefs d'État qui l'on créé », d'exposer hors micro un homme bien au fait. Le sujet était devenu presque tabou lors de la RIFÉ, où un vent de renouveau était palpable. Les gens d'affaires souhaitent maintenant un organisme au sein même de l'OIF.

Vite
un mécanisme
de visa d'affaires

« L'exercice a permis de réaliser qu'il est temps d'agir puisque tous les intervenants sont prêts, intéressés et motivés. La langue française peut et doit nous servir de vecteur économique pour nous permettre de faciliter les échanges commerciaux dans cet espace francophone », a donc souligné comme bilan de clôture de la RIFÉ Daniel A. Denis, le président de la Chambre de commerce de Québec, au nom des promoteurs de l'événement.

L'absence de la barrière de la langue constituant certes un avantage, il est difficile pour l'instant de voir d'autres atouts économiques significatifs à faire des affaires entre francophones. Pire ! Moustapha Kassé, un professeur et conseiller spécial du président de la République du Sénégal, qui témoignait n'avoir mis qu'un jour à recevoir un visa pour les États-Unis bon pour dix ans, alors qu'il fallut 15 jours pour finalement recevoir son visa pour le Canada, déboute tous les plaideurs « d'espace francophone ». Et encore, ce M. Kassé fait partie des chanceux... il l'a obtenu son visa du Canada ! Ce problème serait devenu assez grave pour devenir une recommandation officielle de la RIFÉ, appelant les États à mettre en place un véritable mécanisme de visa d'affaires.

BILAN DE LA RIFÉ 2008
Les cinq recommandations qui iront au XIIe Sommet de la Francophonie, en octobre, se lisent donc comme suit :

1. Créer, au sein de l'OIF, un pôle de développement  et d'animation économique sous la forme d'un organe subsidiaire dont l'une des fonctions est de coordonner et mobiliser les réseaux existants et à venir qui rassemblent les différents acteurs économiques.

2. Créer une Société Francophone d'Investissement dont les ressources proviendront de la société civile et bénéficieront dans chaque pays d'incitations fiscales. Cette société prendra des participations en équité dans des entreprises dans les pays francophones en émergence.

3. Créer des conditions favorables au développement des milieux d'affaires (environnement juridique et fiscal incitatif, socio-économique stable, soutien et encouragement au développement des réseaux d'affaires, etc.).

4. Créer les conditions favorables à la diffusion de la culture entrepreneuriale et encourager, faciliter la création d'entreprises.

5. Favoriser la libre circulation des gens d'affaires, vecteurs de création de valeur, par la mise en place dans l'espace francophone d'un visa d'affaires.

Sensibles à l'actuelle crise alimentaire, les participants ont aussi lancé un appel à la mobilisation des entrepreneurs de l'espace francophone pour contribuer à l'augmentation de la production agricole et à la résolution de cette crise.

« La langue, c'est la cerise sur le gâteau. Si vous êtes aussi bon que vos concurrents et que votre client potentiel a un choix à faire, la langue peut faire la différence », a argué Pierre Simon, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. L'os est là ! Il faudra plus qu'une RIFÉ pour bâtir les avantages compétitifs de la Francophonie. Est-ce pour cela que la Chambre de commerce de Québec a été approchée pour éventuellement participer à l'organisation d'une deuxième RIFÉ, en 2009, en Europe ? Fin mai, rien de cela n'était évidemment confirmé.

Plus personne ne pense à ces "enfants de langue" de l'époque de Colbert, ces jeunes qui étaient envoyés dans des villes étrangères, dès l'âge de six ans, pour y maîtriser totalement la langue locale, aux bénéfices ensuite des gens d'affaires Français, et que finançait alors la Chambre de commerce de Marseille. Notre époque commande des résultats rapides.

« Regarder à l'horizon ne suffit plus, il faut regarder en haut, car le changement est trop rapide », analysait à ce propos le PDG de Pôle Québec Chaudière-Appalaches, Paul-Arthur Huot en conseillant à son auditoire de la RIFÉ de mobiliser les visionnaires. Concerter, mobiliser et agir sont ainsi devenus trois mots universels pour celui qui, en août 2008, prendra la route de Toronto, pour y diriger le Bureau économique du Québec.

Michel Guillou, parmi les fondateurs de l'époque de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), créée il y a 40 ans, en appelle à construire « la 3e Francophonie, celle de la mondialisation ». Pour lui, il faut sans attendre créer, ce dès le Sommet de Québec, une agence économique subsidiaire de l'OIF. « Il faut que les chefs d'État francophones redeviennent entreprenants, se comportent comme des chefs d'entreprise, arrêtent d'avoir peur et alimentent l'espoir avec des projets », a-t-il lancé avec conviction.

Jean Charest
surprendra-t-il ?

D'ailleurs, on peut définitivement se demander, à quand un homme d'affaires à la tête de la Francophonie ? Tant qu'elle se donnera des leaders politiciens, sa vocation économique manquera d'envergure. Comment appeler autrement que "formidable occasion manquée" le silence du premier ministre du Québec, Jean Charest, hôte du prochain sommet, qui à quelques mois du rendez-vous, répand son idée de libre-échange Canada-Europe, semblant ne rien proposer à la visite francophone qui s'en vient ! L'homme nous surprendra peut-être, en octobre, dans le feu de l'action.

Soulignons enfin l'outil moderne qui a été mis à la disposition des participants, soit une communauté de pratique sur Internet. Ce forum peut donc être utilisé pour poursuivre les échanges au-delà de la RIFÉ : www.avantpostconference.com/francophonie_economique

Et longue vie à tous les Frédéric Couttet de la Francophonie!

Fait à Québec le 9 juin 2008.


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