Chronique "TI" TI et santé : le tiers monde n'est pas là où on le pense ! 2006-04-13 Par Jacques Pigeon Chroniqueur jpigeon@elara.ca
La prochaine fois que vous irez rendre visite à un malade à l’hôpital prenez quelques minutes pour observer ce qui s’y passe. Attardez vous surtout au poste de nursing ; voyez ce que font les infirmières. Elles écrivent. Eh oui, elles semblent passer un temps fou à remplir des dossiers. Pourtant, il existe de nombreuses technologies qui pourraient alléger considérablement ce fardeau, mais il n’y a pas de budgets pour çà. En fait, les hôpitaux canadiens et, peut être encore plus les hôpitaux québécois, sont malades de sous investissement chronique et un des domaines où cela se fait le plus sentir, c’est en matière de technologies de l’information. Je suis toujours étonné de voir quand je vais à l’hôpital combien les choses ont peu changé sur le plan administratif au cours des cinquante dernières années. C’est vrai, on a maintenant une carte en plastique ; la personne qui prend les rendez-vous téléphoniques a un ordinateur, mais le dossier est toujours en papier. Le plus triste, c’est de voir une technicienne produire une image numérique, l’imprimer pour l’archiver sur support papier. QUAND LA TECHNOLOGIE SE FAIT DISCRÈTE Au Québec, nos chirurgiens opèrent moins de deux petites journées par semaine parce que les établissements n’ont pas les budgets pour en faire plus. Rationnement oblige, comme en temps de guerre. Imaginez un instant ce que serait la situation si nos établissements de santé avaient investi en technologies de l’information au même rythme que les banques, ou plus près de nous, comme les caisses populaires. Le dossier patient serait une réalité. Un médecin pourrait faire bon nombre de consultations par le Web, ou même par téléphone, et transmettre électroniquement l’ordonnance à votre pharmacie. Mieux encore, le médecin qui doit faire face à plus de 200,000 diagnostics possibles aurait accès à un système d’aide à la décision qui, en quelques instants, le mettrait sur des pistes de solution, lui donnerait accès à la toute dernière information sur les traitements pour un diagnostic donné. L’hôpital numérique au Québec, ce n’est pas pour demain. On vit encore au royaume des études et des projets pilote. PRISONNIERS D’UN CARCAN IDÉOLOGIQUE Mais la santé, ce n’est pas pareil. C’est beaucoup trop important pour laisser çà au privé. Le logement, çà l’est probablement tout autant. Avez-vous songé un instant dans quel état serait le parc de logements s’il fallait laisser çà au gouvernement. Si vous voulez voir ce que çà donne, allez à Moscou, à Varsovie, ou dans les banlieues de Paris. Pourtant, le secteur des soins dentaires qui sont des vrais services de santé devrait nous ouvrir les yeux. Pas de problèmes d’accès là où se trouve la majorité de la population. Les cabinets investissent allégrement dans les nouvelles technologies. Ne resterait qu’à généraliser l’assurance et on disposerait d’un régime de soins privé où le consommateur décide. Les médias contribuent plus souvent qu’à leur tour au renforcement de la doctrine de la pensée unique avec des expressions simplistes et réductrices comme « la médecine à deux vitesses ». Comme l’a dit un personnage connu, on roule plutôt à une vitesse et c’est sur le « beu ». Les médias, surtout dans les chaînes publiques, utilisent ce ton suspicieux de tout ce qui n’est pas public, dont indésirable. Ils deviennent ensuite de grands amplificateurs de grogne offrant de belles tribunes complaisantes aux « statuquotistes » et des interviews agressifs à ceux qui osent proposer des changements qui donneraient plus de place au privé. Remercions les chroniqueurs comme Alain Dubuc de LA PRESSE qui n’hésite pas à dénoncer les défenseurs des intérêts corporatistes de tout acabit. SAUVER LE SYSTÈME OU SAUVER LES MALADES? Le Rapport Couillard montre que la largeur du couloir politique est bien étroite. On y répète tous les dogmes du modèle canadien. Tout le monde a droit à tous les services gratuitement, sans égard à ses moyens. Le système public doit être préservé à tout prix. En fait, il semble plus important que l’accès aux services de santé pour les Québécois. Pour les auteurs du rapport, les délais d’attente perdurent dans la plupart des systèmes de santé occidentaux. On oublie de dire qu’ils n’existent à peu près pas en France (un pays où le code du travail fait 2501 pages) et que dans toutes les sociétés occidentales, l’option du privé est toujours là, sauf au Canada et au Québec où l’on s’entête à conserver le monopole. Officiellement du moins. Le monopole qui nous afflige et l’énorme bureaucratie qui le maintien ne sont jamais remis en cause même si on sait tous que ce mode de gestion est, par sa nature, inefficace, qu’il résiste à l’innovation et affiche une grande tolérance à la médiocrité. Foi d’ancien sous ministre ! La concurrence entre établissements, publics et privés, est la seule façon connue de mettre fin a l’incroyable centralisation bureaucratique qui nous opprime, de libérer les forces innovatrices et de redonner le pouvoir où il doit être: près des citoyens, des consommateurs de soins. Sans compter que, contrairement a une idée reçue, il existe bel et bien une offre de soins de santé en réserve. Lire à ce sujet la démonstration éloquente du chercheur Paul Daniel Muller « Vers un système de santé mixte » telle que résumée récemment dans LA PRESSE. Saurait –il en être autrement dans un système où tout est rationné ? Je reconnais toutefois qu’il ne s’est pas encore dégagé un consensus suffisamment costaud pour permettre au gouvernement d’apporter des changements structurels aussi importants. On préfère, entre temps, jouer à l’autruche. Les cliniques de radiologie privées poussent comme des champignons et les radiologistes y partagent leur temps avec leur charge hospitalière; ce que l’on refuse aux chirurgiens ! Ils achètent des équipements les plus récents et vous livrent des services rapides que vous payez avec votre carte de crédit. C’est en contradiction flagrante avec les principes d’accès universel et gratuit, mais comme le système public ne peut suffire, on ferme les yeux. D’ailleurs, comble d’ironie, les plus grands acheteurs de ces services sont …le gouvernement : CSST et SAQ. Il en coûte beaucoup trop cher d’attendre les disponibilités du système public. L’autre ironie, c’est que le plus grand défenseur du système canadien, celui à qui répugne le plus le système français, est le Parti québécois. Ce qui ne cesse de m’étonner, c’est que nos partis politiques, tant fédéraux que provinciaux, à l’exception de l’ADQ, savent fort bien que la situation actuelle est intenable. Comme l’a dit un célèbre consultant canadien, le système de santé a une capacité d’absorption pratiquement illimitée des sommes qui lui sont dévolues. Les faits sont d’ailleurs éloquents : on a doublé les budgets des services de santé au cours de cinq dernières années et les listes d’attentes, à part quelques glorieuses exceptions, n’ont cessé de s’allonger. PAS D’ARGENT À INVESTIR DANS LES NOUVELLES TECHNOLOGIES Lisez attentivement le propos du professeur Sylvain Landry des HEC : « En matière de santé, les feux sont presque toujours braqués sur le clinique, le dernier médicament, le nouveau traitement ou le matériel de pointe. Dans l’ombre de ces vedettes, on trouve généralement, dans le sous-sol de nos établissements de santé, tout ce qui relève du soutien à la prestation de soins, dont les activités de logistique hospitalière qui, selon certaines études atteignent jusqu’à 46% du budget d’un centre hospitalier. Autre chiffre intéressant, les infirmières consacrent en moyenne, environ 10% de leur temps à des taches logistiques, du temps qu’elles ne peuvent consacrer aux soins. » Ajoutez le temps occupé à remplir les dossiers ! C’est comme çà, les monopoles ! C’est pourquoi la vraie solution à nos problèmes passe par un changement structurel majeur : l’introduction de la concurrence (comme elle existe dans le secteur de l’éducation, par exemple) pour libérer les forces innovatrices et donner du pouvoir au patient. Il faudra ensuite demander à tous ceux qui ont les moyens de le faire – je ne voudrais surtout pas mettre en péril l’accès universel - à contribuer personnellement à leurs soins pour mettre fin au sous investissement chronique qui rend impossible les investissements en TI nécessaires à l’amélioration de la productivité du système québécois. Fait à Montréal le 13 avril 2006. |
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