La destination touristique internationale de demain... Ce qu'en pense le président de Transat A.T. 2006-02-23 Par Daniel Allard C'est en plein hiver québécois que la Chambre de commerce de Québec avait invité le président et chef de la direction de Transat A.T., Jean-Marc Eustache, à être conférencier devant ses membres, dans la salle de bal du célèbre Château Frontenac, image emblématique de la force touristique de la ville de Québec, s'il en est une. En ce 21 février 2006, l'homme n'avait cependant pas beaucoup de bonnes nouvelles à partager avec son auditoire, si ce n'est que la croissance de l'industrie touristique mondiale reste impressionnante... mais combien pleine de défis et de bouleversements! Dans cette "destination" Québec qu'il dit tant apprécier, où il souligne la réussite à concilier conservation et "évolution", l'homme d'affaires annonce clairement ses couleurs : le tourisme est une véritable industrie! « N'en déplaise aux sceptiques, le tourisme n'est pas une aimable activité de loisirs qui se trouve par chance à avoir des retombées économiques heureuses », insiste-t-il, chiffres à l'appui.
Mais l'homme parlait devant un auditoire déjà largement convaincu et c'est sur ce qu'il pense de la "destination touristique internationale de demain" qu'on souhaitait surtout l'entendre. PREMIER DÉFI: LA MÉTAMORPHOSE
Autre problème, pour un regard canadien, « (...) le marché américain nous pose actuellement un sérieux problème. Après quelques années de quasi-stagnation, il semble en effet vouloir rétrécir! En 2004, nous avons accueilli au Canada 15,1 millions de touristes américains... c'est environ 1% de plus qu'en 1998 ! (14,9 M)... Et attention, en 2005, les données préliminaires laissent présager une baisse de près de 5% sur 2004 ! », observe-t-il. Devant ces chiffres, l'homme ne mâche pas ses mots : « L'heure est grave, et ce dossier préoccupe au plus haut point l'industrie et la Commission canadienne du tourisme ». Et si on regarde l'autre contingent important pour le Québec, en 2004, les touristes français étaient au nombre de 337 000 environ, en baisse de plus de 25% en dix ans. Les touristes de demain « Cette baisse drastique a été pour vous beaucoup moins sévère qu'en Ontario... Pour le moment, vous vous en sortez bien, grâce à la qualité de votre destination », analyse-t-il. Mais son avertissement semble sans appel. Outre les Américains, les Anglais et les Français, se sont actuellement les Allemands, les Japonais, les Australiens, les Sud-Coréens et les Mexicains qui forment l'essentiel du contingent touristique canadien. Et pour tirer parti de la croissance future du tourisme international, il faudra « reconnaître que cette mixité relative devra s'accentuer, et agir en conséquences ».
Un seul exemple donne toute l'ampleur des bouleversements à venir. Les Russes et les Chinois ne font que commencer à s'aventurer à l'étranger. Présentement, les ressortissants de chacun de ces deux pays dépensent annuellement environ 15 milliards $US à l'étranger, soit le même montant que dépensent les 16 millions d'habitats des Pays-Bas ! Et on pourrait faire des démonstrations analogues en parlant de l'Inde, de l'Europe de l'Est ou de l'Amérique latine. Non seulement En 2004, il y avait dans le monde 82 millions de touristes de plus qu'en l'an 2000. Mais pendant cette période de cinq ans, le nombre de voyageurs en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest a diminué, alors qu'il augmentait de 30% en Asie. En 2005, pour un total de 808 millions de touristes dans le monde, l'Asie affiche une croissance de 7%, contre 4% pour l'Amérique du Nord et 2% pour l'Europe de l'Ouest (source : OMT). Et il s'agirait bien d'une tendance lourde, car sur la période de 25 ans allant de 1995 à 2020, l'Organisation mondiale du tourisme estime que les parts de marché de l'Amérique du Nord et de l'Europe vont toutes deux diminuer (celle des Amériques passerait de 19,3% à 18,1% et celle de l'Europe de 59,8% à 45,9%), alors que celles de ces régions plus exotiques pourrait dans certain cas doubler. « Au Canada, la tendance est déjà amorcée : notre part de marché de la demande touristique mondiale était de 3,5% il y a 20 ans, elle est à peu près de 2,9% au moment où on se parle, et d'ici cinq ou six ans elle sera à 2,5% », expose M. Eustache, en citant cette fois des chiffres du World Travel & Tourism Council. Conséquence pour le moins fâcheuse, en 2004, le Canada a d'ailleurs été éjecté de la liste des dix destinations les plus populaires dans le monde selon l'OMT. Jean-Marc Eustache ne fait pas dans la demi-mesure; il a diagnostiqué une véritable métamorphose de l'industrie touristique et la réaction doit être du même ordre: "Pour toute destination qui veut se faire une place au soleil, tout doit être revu : le produit, la stratégie, le marketing, le réseau de distribution, l'appareil d'accueil, etc." L'IMPACT FONDAMENTAL D'INTERNET Pour lui, Internet contribue fortement à rendre le marché du tourisme à peu près ''parfait'' au sens économique du terme. « Vous pouvez gérer un ''bed&breakfast'' de trois chambres à Madrid, si vous avez un site Web, vous avez le monde entier à vos pieds. Vous êtes sur le même écran radar que le Hilton de l'autre côté de la rue », image qu'il. Pour le monde du tourisme, jamais la concurrence n'a été aussi rude! DEVENIR UNE "EXPÉRIENCE" PLUS QU'UNE "DESTINATION"! Face à l'émergence de ce marché à créneaux spécialisés, il faut faire des choix. Mais attention, s'adapter à ces nouvelles réalités ne sera pas suffisant, parce que tout le monde va le faire. Et le Canada devra d'autant plus faire mieux que les autres qu'il fait face à certains obstacles structurels:
Et que conseille l'homme d'expérience ? « Personnellement, je vois au moins trois grandes directions dans lesquelles il faut travailler : Deuxième chantier, celui des recherches humaines : (...) Nous risquons la pénurie, nos taux de roulement sont trop élevés, surtout en région, et, de manière générale, la formation et le perfectionnement, dans les entreprises touristiques, sont inadéquats (...) À ce chapitre, on a une grosse, grosse commande devant nous. Troisième dossier majeur, le marketing au sens large, incluant toute la question d'Internet. (...) Saupoudrer quelques millions de dollars à gauche et à droite ne donnera aucun résultat. Il va falloir à la fois du courage et de l'imagination. Le courage de faire des choix, le courage de mettre la main au portefeuille. L'imagination nécessaire pour coiffer au poteau les centaines et les centaines de concurrents qui, déjà, sont à pied d'œuvre », a averti le fondateur et toujours dirigeant de Transat, devenue, en une vingtaine d'années, l'une des dix plus grandes entreprises de tourisme intégrées au monde. Son chiffre d'affaires atteignant aujourd’hui les 2,4 milliards $ ! « Il va falloir être très agressif au plan du marketing, et cela va coûter cher, très cher », a-t-il conclu. Jean-Marc Eustache n'a pas manqué, aussi, de souligner fortement le travail acharné de Pierre Labrie, qui depuis des années à la tête de l'Office du tourisme de Québec « ...a prouvé son engagement à développer Québec comme une grande destination touristique ». Fait à Québec le 23 février 2006. |
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