Chronique "Réussir en Chine" Le circuit culinaire lorsque vous visiterez la Chine 2006-02-20 Par Jules Nadeau Chroniqueur , Communik-Asie jules@communikasie.com consultant en affaires asiatiques Chacun de nous possède sa petite idée sur la cuisine chinoise, mais peu la connaissent vraiment, et pour cause! Chez nos amis chinois, s’alimenter ne signifie pas seulement se nourrir pour survivre. Voilà un acte journalier conforme à une philosophie d'harmonie, de goûts et de textures. La cuisine de ce pays est sans doute l'art le plus riche en rituels et en coutumes, sans oublier les symboles, les superstitions et tant de références à l’histoire. Vous vous retrouverez vite avec 5 000 ans de culture chinoise dans votre fin bol de porcelaine posé à côté de vos baguettes. On peut même parler d’un savant mélange de philosophie dans ses produits choisis et de science dans ses nombreuses techniques de cuisson. À la diversité des climats de ce vaste pays (presque aussi étendu que le Canada) répond une cuisine complexe et multiple. Bien que les différentes cuisines régionales se soient graduellement rapprochées les unes des autres, quatre grandes régions gastronomiques peuvent être distinguées. Chacune d’elles possède ses méthodes spécifiques de préparation dont les adeptes sont très fiers. « La cuisine de l’Est est acide, celle de l’Ouest pimentée; au Sud on mange sucré, au Nord salé », peut-on convenir selon la formule abrégée de l’épicurien Zhu Ziye, personnage principal du roman de Lu Wenfu. La cuisine du Nord regroupe ici celle de Pékin et celle de la province voisine du Shandong. Ne pouvant pas faire pousser de riz à cause de leurs hivers rigoureux, les gens du Nord se sont spécialisés dans tout ce qui peut se faire à base de farine : nouilles, crêpes, ravioli, galettes, etc. Plusieurs sinologues, comme des géographes, ont longtemps insisté sur les profondes distinctions séparant la Chine du Nord de celle du Sud. CANARD DE PÉKIN Par contre, si le réputé Quanjude reste l’endroit idéal pour donner de la face lors d’un repas corporatif (avec un budget bien étoffé), il y a mieux. C’est le journaliste Éric Meyer qui m’a fait découvrir un « Canard de Pékin » beaucoup plus typique, plus économique et même, plus savoureux. Connu des expatriés le plus avertis, le Li Qun, district de Chongmen, ne paye vraiment pas de mine, et il faut s’y rendre pedibus parce que les taxis ne peuvent pas s’enfoncer aussi profondément dans cette hutong. Ce soir-là, nous étions une bonne douzaine de compagnons de ripaille à la table. Tassés comme des grains de riz dans un bol. Mais le fin observateur qu’est Éric Meyer, lui-même fervent Pékinois depuis 1987, avait raison au sujet de la qualité de la bonne chère. Vraiment savoureux! À la fin du repas, toutefois, le gérant spuriant a poliment rappelé à notre groupe de francophones qu’il fallait vider notre cubicule. Sitôt dit, sitôt fait. D’autres habitués faisaient déjà la queue à l’entrée! Également dans les hutong, une autre année, notre programme prévoyait un repas dans une famille typique au cours d’une randonnée en cyclopousse dans ces venelles. C’était une première, et je m’attendais à une petite mise en scène genre famille modèle du tourisme révolutionnaire des années 70. Mais le couple Zhang, papa du Shandong et maman pékinoise, n’avait d’autre objectif que celui de bien nous régaler. Et de recueillir plusieurs yuans pour arrondir les fins de mois. Ce fut le meilleur repas de certains membres du groupe, dont plusieurs habitués de notre quartier chinois, toujours à la recherche d’une authentique gastronomie. Des plats exquis se succédèrent sur la table de la petite salle de séjour. Avec une bouteille de vin de raisin Dynasty du Hebei, à moins de dix dollars, vite achetée au dépanneur voisin. Contraste total, le cadre historique le plus évocateur que j’ai connu en une quinzaine de voyages fut le célèbre Palais d’été. Il est difficile d’en décrire l’ambiance impériale de façon aussi élégante que la prolifique auteure Pearl Buck, mais précisons que les grands du monde marxiste y ont festoyé avec le Grand timonier et le Petit timonier aussi. Nous n’étions qu’un simple groupe de touristes prolétaires, mais une vénérable guide sexagénaire nous avait obtenu cette faveur d’un repas dans un pavillon privé. Belle surprise! Le Palais d’été fut le lieu de tant d’intrigues de l’impératrice douairière Ci Xi qui fut elle-même une grande gastronome. Je me souviens encore d’un plat sans égal de bœuf braisé avec un autre de champignons du type muer, oreilles de bois. CUISINE MÉRIDIONALE Les petites bouchées, appelées dimsum (dianxin), contribuent à la renommée de cette école. Petits pains farcis, boulettes de viande ou de crevettes, travers de porc, gâteaux à la pâte de mangue ou aux œufs. Sans oublier une litanie de noms cantonais difficilement traduisibles à cause de l’exotisme de ces spécialités. À Hong Kong et à Guangzhou, plus particulièrement les week-ends, on se réunit entre parents et amis jusqu’au début de la matinée pour ce cérémonial consistant à choisir ses amuse-gueules favoris à partir de chariots circulant entre les rangées de tables. Les Cantonais désignent ce genre de sorties par le terme yumcha, aller prendre le thé. Le brouhaha est souvent complet. Les cellulaires sont superactifs. C’est le petit velours à vous offrir à Hong Kong ou dans les quartiers chinois comme à Montréal ou bien Vancouver et New York, pour plus d’ambiance. À Guangzhou, dit la légende, on mange tout ce qui tient sur pattes sauf les pattes de table, tout ce qui vole sauf les avions, et tout ce qu'il y a dans les mers à l'exception des bateaux. Bref on y trouve une variété incroyable de plats. C’est aussi le paradis des amateurs de sensations fortes du palais avec toutes sortes de bestioles comestibles. Malgré tout, pour abdomen conservateur, le petit cochon de lait y jouit de la plus grande célébrité. Nous savourons ce baume de l’estomac dans le chic « Jardin du nord » (Beiyuan), formidable refuge de plantes subtropicales avec ses étangs et ses fenêtres bleutées. Le serveur vient d’abord nous montrer la jeune bête à consommer, puis après la distribution des meilleures parties, la chair fond littéralement dans la bouche. Ces repas sont de véritables banquets qui n’auraient pas de prix chez nous, mais les touristes ne s’en rendent pas toujours compte. Ce type de porc rôti est habituellement réservé aux grandes occasions. À Xian, ville des célèbres guerriers de terre cuite, pour une spécialité plutôt amusante, on se plaît à servir une quinzaine de sortes de succulents raviolis chinois, les jiaozi. Un tour de force, pour arriver à vous surprendre, d’un panier-vapeur à un autre. Ayant recours aux cinq saveurs traditionnelles, sucré, acide, amer, pimenté et salé, soit frites ou cuites à la vapeur, les farces sont garnies de différentes viandes ou elles sont végétariennes. Le spectacle de danse de la dynastie Tang (618-907) qui suit, avec les ravissantes danseuses, sert à superposer le plaisir des yeux à celui du palais. Sinon, en temps ordinaire, les jiaozi demeurent un des mets les plus simples et démocratiques que l’on commande par dizaines avec des amis intimes. Mais ils demeurent toujours délicieux quand même! QUATRE OU HUIT CUISINES ? Dans le cadre d’un contrat de relocalisation de ressources humaines du Canada vers la Chine, nous nous sommes rendus en territoire musulman pour en inspecter les particularités locales. Peu de gens vont dans la région autonome du Ningxia, dans le Nord-Ouest, et plusieurs m’ont averti de me préparer à manger de l’agneau -- un peu comme s’il s’agissait d’une punition. Or, je n’ai jamais mangé une aussi délicieuse viande que dans un restaurant d’une petite ville située non loin de la capitale, Yinchuan. L’extérieur du restaurant familial est peint en vert et tout le personnel porte la calotte blanche. Des photos souvenirs y font état de la visite de nombreuses personnalités du Moyen-Orient. Le patron est d’une amabilité extraordinaire et fera même sortir des chaises devant la façade de l’établissement pour une autre photo en souvenir des Canadiens de passage. Mais le plus mémorable c’est ce plat d’agneau à la texture si tendre et si parfumée. Plutôt délectation que punition! Le service est des plus courtois. Et tant de plats exquis pour une facture ridiculement bon marché. De cette région, nous avons rapporté en souvenir plusieurs litres de Red Ningxia, un alcool à base de gouji, petits fruits rouges jusque-là inconnus, qui donne une sorte de porto. Interculturel oblige, pas toujours facile de donner un nom à ce qui se retrouve dans votre bol. L’heure des devinettes! Le tofu séché, légèrement caoutchouteux, en confond plusieurs. Le mystère des fécules de racines de lotus intrigue toujours. Que dire des œufs de mille ans? Ce qui ressemble au poulet ne serait-il pas du serpent, puisque c’est la saison de ce mets recherché en hiver? Les étrangers les moins braves évitent systématiquement tous les poissons par peur des arêtes et tous les plats épicés du Sichuan et du Hunan. Par contre, à déplorer, il ne faut pas s’attendre à manger de fameux nids d’hirondelle ou des ailerons de requin à cause du coût passablement élevé. Malheureusement ou heureusement, dans ce pays, ce n’est pas tous les jours l’abondance des 100 plats comme c’était la pratique pour l’impératrice Ci Xi à la fin de la dynastie des Qing (1644-1911). Par moments, c’est plutôt catégorie purement élémentaire et alimentaire. Aux restaurants de la Grande muraille, avec un million de visiteurs par an, le temps est précieux et le luxe rare. À Guilin, sur la croisière des pains de sucre de la rivière Li, le lunch est correct mais non mémorable, sauf pour l’élixir d’osmanthe, alcool apte à tout relever. Inévitablement, à chaque périple, une des villes se mérite le titre de moins appétissante que les autres. Tout est relatif. Les opinions varient aussi beaucoup. La Chine a aussi connu les époques où un simple bol de riz traçait la frontière entre la vie et la mort. Pour les becs sucrés comme moi, les vrais desserts se font patiemment attendre. Les rares beignets de bananes caramélisées ne laissent personne indifférent. Pour un bon bol de sésame noir à la cantonaise, mon péché véniel, faut aller dans des échoppes spécialisées. Conseil d’écureuil : dans les pittoresques marchés publics, il est facile de faire provision d’exquis bonbons de Suzhou, de dates et d’abricots séchés. Sinon, en automne, pour les masses populaires, la pastèque réglementaire deux fois quotidienne annonce toujours la fin des agapes. THÉ ET ALCOOL « Tout gourmet qui se respecte est un disciple de Lu Yu et de Du Kang », a écrit notre instructeur en la matière, Lu Wenfu. Le premier personnage, Lu Yu, poète du 8e siècle et auteur du Livre du thé, est considéré comme le saint patron de cette boisson nationale. Un célèbre restaurant de Hong Kong porte son nom. La Chine en demeure le plus grand producteur et consommateur mondial. Personnellement, j’avoue maintenant ne plus être capable de me passer de ma tasse de thé quotidienne, surtout pendant la saison froide. À la suite d’un véritable cours magistral avec démonstration sur cette boisson nationale dans une plantation de Hangzhou, ville du célèbre lac de l’Ouest, le Puits du dragon (Longjing) est devenu mon grand favori. Ce thé vert légèrement fermenté possède aussi des vertus médicinales vantées par plusieurs enquêtes menées en Occident. C’est le seul thé dont on peut mâcher les feuilles sans y trouver un goût amer. Disciples aussi du légendaire Du Kang? Ce personnage de la lointaine dynastie Xia (21e siècle au 16e siècle avant notre ère) est considéré comme l’inventeur de l’alcool. Plus tard, le poète Li Bai (701-762) a certainement été un de ses disciples les plus convaincus en menant une vie de vagabond, de bon buveur et d’épicurien tout en passant à l’immortalité comme un des meilleurs littéraires de la dynastie Tang. Pour un toast à cet illustre romantique, recommandons le vin jaune de Shaoxing, vieux de 2 500 ans, succulent alcool de riz ordinairement consommé chaud – comparable au sherry. Il existe quatre grandes sortes de cet alcool couleur ambre distillé avec de l’eau du lac Jianhu. Shaoxing est une ville de canaux où vécurent Zhou Enlai et l’intellectuel révolutionnaire Lu Xun (1881-1936). Les jolies bouteilles de Shaoxing sont exportées vers plusieurs pays et rehaussent la réputation culinaire du Zhejiang. Sinon, au restaurant, comme boissons, il y a souvent deux bouteilles de bière grand format fichées sur chaque table. (Souvent à côté du magnum de Coca-Cola ou de 7-Up qui ne semblent pas du tout nuire au décorum même dans les grands mariages.) Deux à trois dollars suffisent pour un simple renouvellement de bière locale de marque Hirondelle de Pékin, mais plus rarement de la bonne Qingdao (Tsingtao). Son apparition en Chine remonte à 1903, lorsque des religieux allemands fondèrent une brasserie dans la ville du même nom au Shandong. Minceur orientale? La cuisine chinoise jouit d’une bonne réputation à ce chapitre parce qu'elle utilise beaucoup de légumes cuits à la vapeur et de viande maigre. Les plus carnivores des Québécois me disent souvent avoir eu l’impression d’y manger comme un oiseau. D’autres se réjouissent qu’il n’y ait jamais plus de deux ou trois assiettes de viande. Ni beaucoup de desserts. Résultat, plusieurs compatriotes se réjouissent de pouvoir revenir à la maison sans avoir pris un seul kilo. Pour conclure, je laisse le mot de la fin à Pierre Baulu qui s’est lancé dans l’aventure géniale et prometteuse de voyages gastronomiques au pays de Li Bai. Le jeune retraité montréalais confirme bien notre idée de départ. « Les repas jouent un rôle social important en Chine. Ils sont le terrain d’harmonisation de tous ceux qui vivent ensemble : la famille, les amis, les collègues de travail. Ils sont aussi une nécessaire étape de fraternisation avec ceux qui sont susceptibles de pénétrer le clan familial ou amical ou encore de devenir des collaborateurs d’affaires. » À retenir ! Prochain article : SAUVER LA FACE ET DONNER DE LA FACE. Fait à Montréal, le 19 février 2006. |
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