Économie et Francophonie
Moncton n'a pas oublié Monaco!

par Daniel Allard

 

Le Sommet de la Francophonie de Moncton n'a pas oublié la conférence ministérielle spéciale sur les questions économiques de Monaco, mais il n'est pas allé plus loin.

En se réunissant pour la première fois dans le monde de la Francophonie, dans la Principauté de Monaco, les 14 et 15 avril dernier, dans le cadre de la  Première conférence des ministres francophones de l'Économie et des Finances, le ministre québécois Bernard Landry et ses pairs voulaient en quelque sorte donner ses lettres de noblesse à la Francophonie économique et des affaires. Ils quittèrent sûrement Monaco avec confiance, se disant que le Sommet de Moncton allait prendre le relais et poursuivre la construction d'un véritable "avantage francophone" sur le plan économique et commercial. Une impression qui ne devait pas être étrangère avec leur décision de ne pas institutionaliser leur rencontre de ministre et de ne pas prévoir de seconde conférence!

Les résultats de Monaco furent vastes et complexes (Voir la Déclaration dans le #11 de COMMERCE MONDE). Sans parler de Zone de libre-échange de la Francophone, les ministres ont mis la table et harmonisé leur discours sur des objectifs économiques importants. Un plan d'action autour de la notion de développement d'un espace de coopération économique francophone y a été articulé. Trois initiatives particulières, pour lesquelles ils ont décidé de faire des études de faisabilité, avaient aussi émergé de leurs travaux: 

  1. La création, à Monaco, d'un dispositif francophone d'information économique destiné notamment à éclairer les acteurs économiques sur les possibilités d'investissement;

  2. La constitution d'un réseau d'institutions de formation au commerce international;

  3. L'établissement d'un fonds destiné à l'intégration et à la pleine participation des pays les moins avancés au système économique mondial.

Le Sommet de Moncton a-t-il oublié les travaux de Monaco? Non! Dans leur Déclaration finale (voir encadré ci-bas), les chefs d'État et de gouvernement sont explicites sur le sujet: "...nous nous félicitons de ses résultats. Nous appelons à la mise en œuvre de ses recommandations ainsi qu'à l'intensification de notre concertation". Et le paragraphe 4.2 du Plan d'action (voir aussi l'encadré ci-bas) reprend textuellement les trois priorités de la Conférence de Monaco.

Déclaration finale
VIIIe Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage

(Moncton, 3-5 septembre 1999)

12. Solidarité francophone : La Francophonie est un pont entre les peuples, entre le Nord et le Sud. L'usage d'une langue commune facilite les échanges économiques, les transferts d'expériences, les coopérations et l'aide au développement. La Conférence des ministres de l'Économie et des Finances de Monaco a manifesté la solidarité qui anime notre espace de coopération et nous nous félicitons de ses résultats. Nous appelons à la mise en œuvre de ses recommandations ainsi qu'à l'intensification de notre concertation.

13. Espace de coopération et de concertation : Conscients des bénéfices qu'apporte une mondialisation économique aux effets maîtrisés, nous soutenons les efforts en vue du renforcement et de l'aménagement du système financier mondial et voulons consolider la libéralisation des échanges commerciaux autour de l'OMC. Cependant, conscients aussi des risques de marginalisation que la mondialisation comporte pour les pays en développement, nous entendons faciliter l'intégration du plus grand nombre de nos pays au système du commerce mondial, dans le cadre d'un environnement favorable à la croissance, équitable et respectueux de la primauté de l'Homme. Nous encourageons donc le développement de processus d'intégration régionale de coopération économique, et appelons la communauté internationale à adopter une attitude positive pour l'aide au développement et pour le traitement de la dette, en particulier celle des Pays les moins avancés.

Plan d'action
VIIIe Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage

(Moncton, 3-5 septembre 1999)

AXE N°4 : COOPÉRATION ÉCONOMIQUE

4.1. Concertation

La Conférence des ministres de l'Économie et des Finances de la Francophonie, réunie à Monaco en avril 1999, a adopté une Déclaration qui guidera l'action des différents opérateurs et acteurs de la Francophonie en matière de coopération économique à trois niveaux : États et gouvernements, entreprises et ressources humaines. Nous avons décidé de renforcer la concertation francophone tant au sein des organisations multilatérales que dans la perspective des conférences internationales particulièrement importantes. Cette concertation, politique et technique, nous permettra de partager et d'accroître notre information mutuelle, afin, lorsque cela sera possible, d'aboutir à des propositions communes. À cet égard, nous convenons de nous concerter dans la perspective du prochain cycle de négociations à l'OMC et tout au long de ce cycle. Soucieux de favoriser l'intégration régionale en cours, nous appuyons les efforts destinés à renforcer la compétitivité des économies des États et gouvernements membres, à favoriser le développement des échanges intra-régionaux et la cohérence des politiques macro-économiques, et à harmoniser les règles juridiques applicables à la vie économique. Nous poursuivrons nos efforts pour lutter contre la pauvreté. Nous nous emploierons à persuader la communauté internationale d'adopter une attitude plus équitable sur la question de la dette, particulièrement celle des Pays les moins avancés.

4.2. Aide au commerce et à l'investissement

Nous invitons les opérateurs de la Francophonie à développer leur action économique là où leur expérience offre aux pays membres une véritable plus-value : l'information, la formation, et l'aide à l'intégration au système économique mondial. La Francophonie devrait également promouvoir différentes formes de coopération : Nord-Sud, Sud-Sud et tripartite. Dans cet esprit, nous approuvons les projets suivants, dont nous demandons la mise en oeuvre lors du biennum 2000-2001 :

  • Création d'un dispositif francophone d'information économique destiné notamment à éclairer les acteurs économiques sur les possibilités d'investissement;

  • Constitution d'un réseau d'institutions de formation au commerce international;

  • Établissement d'un fonds destiné à l'intégration et à la pleine participation des pays les moins avancés au système économique mondial.

4.3. Aide au développement des entreprises

Nous rappelons, par ailleurs, notre appui aux actions que la Francophonie mène pour la création, le développement, le partenariat et le soutien des entreprises, notamment au Sud et dans les économies en transition. Cet appui doit se manifester plus particulièrement par l'encouragement des transferts de technologies, la formation technique et un accès facilité au crédit, notamment grâce à la poursuite des programmes de mobilisation de l'épargne locale. Nous convenons de renforcer les programmes destinés à favoriser une plus grande implantation de la Francophonie dans les domaines des nouvelles technologies et des industries culturelles. Nous invitons l'Agence intergouvernementale et les opérateurs à inscrire leur programmation en matière économique dans le cadre défini par la Conférence de Monaco, et à rechercher systématiquement une concertation et une coopération efficaces avec les organisations internationales spécialisées.

4.4. Aide au développement durable

Nous renouvelons notre appui aux actions que mène l'Agence intergouvernementale, par le biais de son Institut de l'Énergie et de l'Environnement, notamment pour assurer une présence active de la communauté francophone dans les négociations pour les conventions internationales en matière d'environnement. En matière d'énergie, il s'agit de poursuivre les efforts en vue d'une maîtrise endogène du développement et de la gestion des systèmes énergétiques nationaux.

Les décisions des chefs d'État et de gouvernement ont-elles, sur le plan commercial, contribué à construire un "avantage francophone"? Le concept "avantage francophone" mérite d'abord quelques explications! Un seul exemple permettra de saisir l'immense potentiel commercial dont recèle la Francophonie: une étude américaine a déjà fait la démonstration qu'il en coûte 15% de plus à une entreprise des États-Unis, anglophone, qui veut vendre au Québec, comparativement à son compétiteur francophone, simplement du fait que celui-ci n'a pas besoin de se soucier des problématiques de traduction! Autrement dit, dans un territoire francophone comme le Québec, qui possède des lois imposant l'étiquetage et la publicité en langue française, les entreprises francophones bénéficient d'un "avantage francophone" de 15%! Combien de gouvernements, parmi les quelque 52 territoires de la Francophonie, font respecter ce genre de réglementation? Des considérations de la sorte contribuent à construire, à l'avantage des gens d'affaires francophones, un véritable "avantage francophone".

Michel Grégoire, conseiller à la Direction générale de la francophonie du Ministère des Relations internationales, avait accompagné le ministre Bernard Landry à Monaco. Il voit l'avantage francophone sous un autre angle: "Sur le plan strictement commercial, n'oublions jamais que la proximité géographique fait énormément défaut pour la grande majorité des pays de la francophonie entre eux. Là où la Francophonie peut jouer un rôle important, c'est en développant un espace de COOPÉRATION économique. Et à ce titre, ce que la Francophonie peut faire de mieux sur le plan commercial, c'est d'appuyer les pays du Sud à être plus aptes à faire du commerce, avec qui que ce soit", explique-t-il. Les conclusions de la conférence de Monaco vont d'ailleurs essentiellement dans cette direction.

DE BATHURST À MONCTON!

Comment les gens d'affaires présents lors du 7e Forum francophone des affaires (FFA) tenu à Bathurst, en juin dernier, peuvent-ils faire un constat de Moncton? "Mon rêve, c'est créer une Union Francophone (UF), à l'instar de l'Union Europénne (UE), et que ce soit autre chose qu'une unité statistique", avait dit l'un d'eux à Bathurst. "Je rêve que le FFA devienne l'Agence de développement économique de la Francophonie", y avait dit un autre. "Je rêve de rapprocher le FFA du Sommet de la Francophonie lui-même, pour que nous arrêtions de nous cacher", y avait encore dit un troisième homme d'affaires. Pour un autre, il fallait faire de la Francophonie un "projet valable"! "Pourquoi pas un PASSEPORT FRANCOPHONE", osait un cinquième, pour éviter les problèmes de visa comme ceux encore vécus par des gens du Cameroun, qui ont vu la route vers Bathurst finir en refus mal compris.

"La Francophonie sera lorsque la francophonie économique vivra!", clament souvent d'érudits observateurs du monde de la Francophonie officielle. Les plus heureux de Bathurst seront assurément, sur la base des discours, les jeunes. "Il faut décloisonner nos systèmes d'éducation pour permettre aux jeunes d'aujourd'hui de savoir devenir", avait rêvé un participant du FFA. Il semble que ses paroles aient raisonné fort à Moncton, comme ce souhait d'une jeune qui avait rêvé de se servir de la Francophonie pour atteindre le développement durable! Pour le reste, les gens d'affaires francophones peuvent encore espérer que l'appel de travailler de concert entre États francophones pour "Réussir Seattle", en décembre prochain - dans le cadre du nouveau round de l'Organisation mondiale du commerce qui promet de discuter fort de diversité culturelle et d'agriculture - soit un appel entendu. Car hormis ce pas en avant, pour eux, Moncton aura plutôt été un sommet franco..."off"!

Sur la Francophonie économique: Voir aussi COMMERCE MONDE #10 et #1