À 2 000$ le kilo dans certains cas, les
gels de silice spécifiques attirent facilement l'attention. C'est donc
presqu'en riant que les fondateurs de l'originale entreprise de Québec
racontent qu'il n'y a pas si longtemps encore, ils profitaient des
week-ends pour visiter les fleuristes de la région, afin d'y vendre, à
15$/kilo, un gel de silice capable de fabriquer de magnifiques fleurs séchées!
"Ca faisait au moins un petit revenu pour l'entreprise", précise
Hugo Saint-Laurent.
Aujourd'hui,
ses clients ont une autre allure et "jardinent" plutôt dans des
laboratoires de renom: BioChem
Pharma, M.I.T., Astre Research, Bristol Myers
Squibb, Boehringer Ingelheim,
Southern Research Institute, SmithKline
Beecham... En tout, ils sont déjà une centaine, à travers le
Canada, les États-Unis et en Jamaïque.
Avec de légitimes
visées mondiales, SiliCycle
s'intéresse et intéresse en fait tous les laboratoires du monde qui font
de la chromatographie, parce qu'elle est la seule entreprise qui leur
offre de les débarrasser du gel de silice souillé tout en le régénérant.
La chromatographie est une méthode de séparation des constituants d'un mélange,
fondée sur leur absorption sélective par des solides qui se réduisent
en poudre, dits pulvérulents.
Semblable et aussi blanc que du sucre en poudre, le gel de silice,
largement utilisé dans ce processus, en ressort généralement avec le
titre de déchets dangereux, bon que pour les sites d'enfouissement
appropriés. Le génie de Luc
Fortier, l'autre co-fondateur de SiliCycle, c'est d'avoir trouvé une
façon de recycler ce gel de silice. Une technique qu'il est encore le
seul à maîtriser sur une base commerciale dans le monde et qu'il s'apprête
à utiliser à l'échelle industrielle dès fin septembre 1999.
UNE HISTOIRE D'ÉTUDIANT OBSERVATEUR ET PERSÉVÉRANT
RESPECTUEUX DE L'ENVIRONNEMENT
Alors étudiant
en chimie à l'Université Laval,
Luc Fortier n'apprécie pas constater que tout le gel de silice utilisé
lors des travaux en laboratoire se retrouve automatiquement à la
poubelle, après une seule utilisation. C'est là que naît l'idée:
trouver une façon de recycler le gel de silice. Nous sommes en 1988,
l'année de la graduation du jeune chimiste. Appuyé par le professeur Robert
H. Burnell, qui trouve alors l'initiative excellente - et qui
l'accompagne toujours d'ailleurs - le chercheur s'acharne, puis découvre
et développe un procédé qui fait maintenant du gel de silice un produit
réutilisable.
Mais la
brillante invention avait encore du chemin à faire pour atteindre l'étape
de la commercialisation. À la recherche d'un partenaire, c'est à travers
les références de l'organisme Entrepreneuriat
Laval que Luc Fortier rencontre Hugo Saint-Laurent, pour sa part tout
nouveau gradué en génie chimique, une première fois, dans le sous-sol
du Pavillon Vachon, en 1994.
Ensemble, ils décident de monter un plan d'affaires, qu'ils proposent
d'ailleurs à Entrepreneuriat Laval, dans le cadre du concours "De
l'idée au projet".
Une très
bonne idée! Ils en sortent doublement primés, en raflant pour 1994-95,
le 1er prix Enviro-Défi, remis
par Enviro-Accès pour
l'avancement des technologies environnementales au Québec, et le 1er prix
Défi Sol-Déchet, remis par la compagnie Groupe Serrener inc. pour la création d'une nouvelle technologie en
gestion des déchets. Sur la même lancée, une aide de 44 000$ du plan
Paillé, en 1995, permet aux deux fondateurs fraîchement incorporés
de véritablement se lancer en affaires. La suite de leur histoire ne fait
que démontrer qu'ils ont su utiliser à peu près tous les moyens pour réussir
mis à la disposition de jeunes entrepreneurs dans la région de Québec: SAJE,
CRÉDEQ, CQVB, DÉC,
FPGST-E, FAE, CNRC,
SPEQM, Accès Capital, MIC,
INNOVATECH...
En mars
1996, un premier employé, Simon
Bernier, un autre gradué en génie chimique de 1994, se joint au duo.
Un mois plus tôt, l'incubateur du Centre
de création et d'expansion d'entreprises de Québec (CRÉDEQ) avait répondu
favorablement à leur demande d'adhésion. C'est là qu'ils passeront les
25 prochain mois. Toujours à la recherche de la mise au point d'un
premier procédé artisanal de production, la petite équipe se lance
aussi à la recherche de ses premiers clients. Ce qui est fait dès juin
1996: "Si ma mémoire est bonne, Biogénie
a été notre premier client. Une commande de l'ordre de 6 000$. Mais
parfois, c'est à coup de 100$ que nous acceptions des contrats",
explique Hugo Saint-Laurent, aujourd'hui directeur général de SiliCycle.
Au
printemps 1997, l'arrivée d'André
Couture, fraîchement gradué en génie industriel de l'Université du Québec à Trois-Rivières, donne une nouvelle
impulsion à SiliCycle, les deux fondateurs l'accueillant comme
partenaire-actionnaire. La recherche d'un véritable premier financement
les amène même à devoir conclure qu'ils doivent voir plus grand! Résultat:
c'est à la hauteur de 850 000$ que se conclut cette première phase de négociation.
En fait,
l'année 97-98 fut particulièrement mouvementée: fin de la période
d'incubation au CRÉDEQ et déménagement, finalisation d'un financement
de 850 000$ (150 000$ du CQVB, 100 000$ d'Accès Capital, un prêt petite
entreprise, PPE, de 250 000$ de la Banque
Royale, 78 000$ du MIC, 84 000$ du FPGST-Environnement, 65 000$ du
FAE, 35 000$ du CNRC et 90 000$ de DÉC). En février 1998, en la personne
de Serge Olivier au c.a., Accès
Capital (une filiale de la Caisse
de dépôt et placement du Québec) devient le quatrième actionnaire
de SiliCycle.
UNE CAPACITÉ DE PRODUCTION MULTIPLIÉE PAR 20 AVANT
L'AN 2000
Depuis
avril 98, SiliCycle a quitté l'incubateur du CRÉDEQ, faute d'espace
disponible. "Ce fut tordu de trouver un local approprié",
confie après coup le directeur général, maintenant bien content des 5
500 pieds carrés qu'il occupe, toujours à Québec, sur la rue
Saint-Jean-Bapthiste, tout juste à l'ouest du Parc
technologique du Québec métropolitain, dans un immense bâtiment qui
permettra facilement d'agrandir, le moment venu.
La priorité
du moment va cependant aux derniers ajustements qui permettront le passage
à la phase de production industrielle. "On se considère en fin de
phase de démarrage. Il aura fallu 2-3 ans pour la mise à l'échelle de
notre procédé. Depuis la fin de 1996, nous avons pu compter à plusieurs
reprises sur l'aide du CNRC (Conseil
national de recherche du Canada) pour améliorer notre procédé.
Maintenant, la production industrielle automatisée, c'est pour la fin du
mois de septembre qui arrive", ajoute-t-il fébrilement.
Septembre
1999 est donc le mois cible au cours duquel l'entreprise, grâce à
l'installation de ses nouveaux équipements, multipliera par un facteur de
20 sa capacité de production. Et cette nouvelle étape n'est d'ailleurs
pas la seule bonne nouvelle. "Il nous faut répondre à la demande,
et comme des clients nous en demandent, nous allons devoir aussi produire
du gel de silice neuf", poursuit Hugo Saint-Laurent.
Cette décision
d'ajouter un volet fabrication à celui de la récupération -
aujourd'hui, il préfère parler de régénération plutôt que de
recyclage - touche en fait le coeur du potentiel de développement de
l'entreprise au-delà du court terme. L'aspect le plus excitant de cette décision
est d'ailleurs le fait qu'avec certains équipements nouveaux, l'option de
fabrication de gel de silice spécial, dit "fonctionnalisé",
ouvre aussi la porte d'un marché extrêmement lucratif: "On parle
alors d'un produit qui se vend jusqu'à 2 000$ le kilo. Et ce n'est qu'un
début, car il y aura des applications nouvelles", précise l'homme
d'affaires, qui vise ainsi de nouveaux marchés, tel celui de la pétrochimie,
entre autres.
Septembre 1999
est le mois cible où SiliCycle
multipliera par un facteur de 20
sa capacité de production.
Autre élément
positif, d'ici quelques mois, le processus de brevet pour le procédé de
régénération sera également complété, ce qui permettra d'envisager
des transferts de technologies ou des implantations d'usines à l'étranger.
Cette dernière option risque même de s'imposer, du simple fait que les réglementations
environnementales, particulièrement en Europe, peuvent rendre difficile
l'exportation de la silice souillée et qu'il vaudra mieux la traiter sans
sortir d'un pays.
Enfin,
lors du dernier Gala des Fidéides,
de la Chambre de commerce régionale
de Sainte-Foy, SiliCycle a finalement été nommée Jeune
entreprise innovante de la région de Québec en 1999.
UN MARCHÉ MONDIAL COMPTANT MOINS DE DIX JOUEURS
Actuellement,
seulement sept-huit fabriquants se disputeraient le marché mondial du gel
de silice. Tenant visiblement à demeurer peu loquace à ce propos, Hugo
Saint-Laurent explique tout de même que le plus important producteur est
une société en Allemagne, E-Merk,
qui détient environ 60% du marché. Nos recherches ont par ailleurs
identifié la compagnie Pharmacia,
à Uppsala, en Suède, ainsi que Grace
Davison, aux USA. Une société au Japon et quelques autres en Europe
seraient aussi du nombre, mais aucune entreprise du Canada.
Aujourd'hui,
SiliCycle vend et récupère du gel de silice essentiellement à travers
le Canada et les États-Unis. Son client Biochem
Pharma lui a aussi fait réaliser des ventes en Jamaïque. Ses
produits restent destinés aux chercheurs employés dans les compagnies
pharmaceutiques et biotechnologiques, dans les centres de recherche
universitaires et dans les laboratoires hospitaliers. Jusqu'à maintenant,
la force de vente de la compagnie n'a toujours compté que sur la vente
directe par ses propres dirigeants, auprès des opérateurs de site de
chromatographie en laboratoire.
Avec une
moyenne d'âge autour de 25 ans, l'équipe d'une quinzaine d'employés de
SiliCycle sait également qu'elle doit relever le défi de la maturité,
surtout aux yeux des investisseurs-partenaires qui se font de plus en plus
nombreux, si elle veut prendre une place significative sur le marché
mondial. Avec la création d'une SPEQ (Société
de placements dans l'entreprise québécoise), l'entreprise a par
ailleurs offert un programme d'accès à l'actionnariat à ses employés.
La direction de SiliCycle reste aussi très fortement constituée de
jeunes ingénieurs. Remarque à laquelle Hugo Saint-Laurent se presse de répondre:
"Nous recherchons activement des vendeurs avec profil scientifique
depuis deux mois. Et surtout, un senior en vente pharmaceutique, pour les
ventes à l'exportation."
LA RÉGION DE QUÉBEC COMPTE UNE IMPORTANTE
MINE DE SILICE
Bien
qu'il ne s'agisse que d'un hasard, c'est à quelques dizaines de
kilomètres seulement d'une importante mine de silice que les
fondateurs de SiliCycle ont créé leur entreprise! Saint-Urbain,
dans la région de Charlevoix, juste au nord-est de Québec, compte
effectivement un site qu'exploite la compagnie Baskatong
Quartz. Il s'agit d'une mine de SiO2 de très bonne qualité,
mais qui a le défaut d'être loin des marchés, sur la route 381,
dans le Parc des Grands-Jardins! Une douzaine d'employés y
extraient la fameuse pierre de silice blanche. C'est dans la région
de Montréal que la compagnie Unimine
exploite, à Saint-Canut et à Saint-Donat, la plus grosse mine de
silice au Québec. Le SiO2 sert surtout dans la production
industrielle du verre, du carbure de silicium et du silicium-métal.
Une très faible part devient du gel de silice!
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Pourquoi
sont-ils toujours seuls au monde à faire de la régénération de gel de
SiO2? "C'est parce que c'est super compliqué.
Luc Fortier y a consacré onze années de sa vie", explique son
partenaire, qui ne voit toujours pas de concurrence à l'horizon. "Le
plus beau de l'affaire, c'est que notre recette chimique permet maintenant
d'offrir le produit le plus pur sur le marché, du gel de silice plus pur
que du neuf", continue-t-il. Et à 40$/kilo, ce gel régénéré est
vendu encore 20% moins cher que le gel neuf, actuellement à 50$/kilo sur
le marché, en plus d'éviter de lourds coûts d'évacuation de déchets
dangereux pour ses clients.
Combien en
vendent-ils? Sans aller dans le détail, Hugo Saint-Laurent accepte de
dire que son chiffre d'affaires annuel est encore sous le million $, mais
assure qu'il va bientôt le dépasser! Une prédiction tout à fait crédible,
compte tenu des investissements en cours, qui permettront à SiliCycle de
passer maintenant à un niveau de production industriel, à partir d'un
procédé entièrement automatisé. Une prédiction qu'il n'est
manifestement pas seul à partager, puisque la Société
INNOVATECH Québec et Chaudière-Appalaches vient de s'ajouter aux
autres investisseurs fidèles à SiliCycle, avec une participation de 300
000$ annoncée début septembre! Un investissement qui s'inscrit dans une
ronde de financement de 400 000$, puisque Accès Capital investit pour sa
part 100 000 $.