Les Lentilles Doric inc.
Un maillon au coeur de la "Fused-silica Valley"

par Daniel Allard

 

Qu'ont en commun Kodak, Lucent Technologies, Siemens, la NASA, l'Armée et la Marine américaines, 3M, Alcatel et SDL? Tous ces noms prestigieux, qui développent les technologies des diodes lasers et de la fibre optique, passent des commandes chez Lentilles Doric. Nulle part ailleurs dans le monde, ils arrivent à trouver une micro-lentille cylindrique à gradient d'indice aussi performante.

doric.gif (21914 bytes)Ce qu'ils achètent a souvent la grosseur d'un bout de cheveu, mais vaut plus cher que de l'or! Les plus petites commandes s'envolent dans les environs de 200$US, pour quelques centimètres de fibre. C'est de la très haute technologie.

Les faisceaux lasers produits par des diodes ont l'avantage de demander peu d'énergie pour fonctionner, mais l'alignement du faisceau laisse parfois à désirer. Pour minimiser ces erreurs, on utilise - par exemple pour les photocopieurs, les scanners, les lecteurs de disques compacts - des micro-lentilles dites à gradient d'indice, qui corrigent l'astigmatisme du faisceau des lasers à diodes. Lorsqu'il a mis au point, en 1994, la micro-lentille qui porte maintenant son nom, Sead Doric a fait faire un bond de géant à cette technologie.

Fabriquée selon le même procédé que la fibre optique, cette lentille, une fois installée devant les lasers à diodes, transforme le faisceau divergent en un faisceau parallèle avec un maximun d'efficacité et une qualité exceptionnelle. D'un diamètre variant de 60 microns à 3 millimètres, elle permet une meilleure transmission de la lumière. Autre avantage: il ne faut que quelques secondes pour aligner la lentille Doric avec le faisceau laser, alors que cette opération demande jusqu'à deux heures avec les produits concurrents.

La découverte n'est pas restée dans l'ombre. Trois distinctions ont rapidement souligné l'exploit. En 1995, le magazine Lasers&Optronics le classait parmi les 10 meilleurs produits de l'année, le primant Technology Award Winner. De plus, il fait partie des cinq technologies finalistes de la catégorie optique du Award décerné par Laser Focus World, un autre magazine américain. En 1996, c'était au tour du magazine Photonics Spectra de l'inscrire parmi son Photonics Circle of Excellence Award, comme un des 25 meilleurs nouveaux produits de l'année.

A quoi cette technologie sert-elle? Outre pour le couplage laser-fibre optique, des applications pour le pompage de diode laser et la collimation de diode laser utilisée dans les illuminateurs laser sont connues.

"Au début, je vendais surtout une curiosité de recherche", explique Sead Doric, avouant qu'il n'a d'ailleurs pas exploré toutes les facettes de sa technologie. Pour l'instant, la majorité des clients achètent en petit volume la fameuse lentille, pour des usages en laboratoire qui servent à l'intérieur des programmes de R&D.

Cette lentille pourrait éventuellement se retrouver dans chaque appareil équipé d'un laser à diodes. Par exemple, à l'intérieur de photocopieurs et de lecteurs de CD, qui constituent des produits de masse. Le marché mondial pour ce type de laser est actuellement de l'ordre de plusieurs centaines de millions $.

Si le développement de la technologie du couplage du laser à diodes avec la fibre optique dans le domaine des télécommunications tient les promesses que fonde l'industrie, un véritable klondike s'ouvrira pour l'entreprise du chercheur-entrepreneur.

SARAJEVO, LONDRES, QUÉBEC

Natif de Sarajevo, c'est là que Sead Doric retourne, à titre de professeur à l'université, après avoir obtenu son diplôme du Imperial College de Londres en 1984. A l'automne de 1988, profitant d'un voyage aux États-Unis, il a l'occasion de venir visiter les installations de l'Institut national d'optique (INO), fleuron du Parc technologique du Québec métropolitain (voir le Dossier, COMMERCE MONDE #4). Fraîchement bâti et bien équipé, l'Institut le séduit, tout comme la ville de Québec. L'INO, qui vient à peine d'ouvrir ses portes et recrute son personnel, recherche justement un spécialiste en matière de gradient d'indice. Pierre Lavigne, alors responsable de la recherche, lui offre le poste. Un contrat d'un an renouvelable. Il décide de plonger et s'installe à Québec début 1989. L'engagement durera six ans et fera de lui un entrepreneur.

Des six années passées à l'INO, il retient surtout l'exceptionnelle occasion qu'il a eue de travailler dans un contexte multidisciplinaire particulièrement stimulant et propice à la recherche. Ce qui constitue aujourd'hui un des brevets qui fait la fierté de l'INO est pourtant passé bien près d'être relégué à l'oubli, énième victime des projets catalogués "impossibles". Hors d'un endroit comme l'INO, le chercheur pense qu'il n'aurait pas pu aboutir. Mais la chance aura souri, lorsqu'un technicien d'une autre équipe de recherche de l'INO, mis à contribution, permettra la mise au point de la fameuse micro-lentille.

DE CHERCHEUR A ENTREPRENEUR...

"Il est naturel qu'un chercheur quitte un milieu comme l'INO, une fois qu'il croit pouvoir lancer une entreprise pour commercialiser le fruit de sa recherche", explique Sead Doric.

En janvier 1995, il quitte son confortable statut de chercheur à l'INO et un salaire qui fait dans les 60 000$, avec en poche une licence d'exploitation mondiale exclusive concernant une micro-lentille qu'il a lui-même mise au point. A lui de la faire connaître! Des conditions avantageuses de transfert de technologie sont négociées avec l'INO, détenteur du brevet. Le sous-sol de sa maison suffira pour démarrer l'entreprise.

"Lorsque j'ai reçu des clients japonais, qui comme ils le font presque toujours veulent voir les installations avant d'acheter, je ne pouvais quand même pas louer une usine factice pour les impressionner. Ils m'ont posé des questions sur le produit. La démonstration que je leur ai fait a largement suffi", se rappelle-t-il.

C'est cependant le marché de la ville de Jena (Iéna), dans l'ex-Allemagne de l'Est, qu'il est le plus fier d'avoir percé. "Dans le domaine de l'optique, cette ville est très prestigieuse. Étant moi-même originaire d'Europe de l'Est, je suis très fier de fournir mes lentilles à plusieurs entreprises de Jena, dont le centre de recherche", raconte-t-il, satisfait, comme celui qui fait maintenant la leçon à ses professeurs.

Le chiffre d'affaires de Lentilles Doric ne se compte pas encore en millions $, mais "chaque année, on a au moins doublé les ventes", affirme l'homme d'affaires. Des ventes qui vont aux quatre coins de la planète (Australie, Allemagne, Israël, Amérique du Nord...). "Pour le Japon et la France, j'ai choisi d'avoir des distributeurs. Ailleurs, je dessers moi-même la clientèle. Je suis un bon client de FedEx", dit-il. "Et depuis les débuts, j'ai toujours réinvesti les bénéfices dans l'entreprise, ce qui fait que je compte actuellement sur un gros inventaire".

La croissance soutenue de l'entreprise a récemment permis l'acquisition d'un solide bâtiment en béton armé - le 1298, rue Saint-Paul, à L'Ancienne Lorette - auparavant propriété de Bell Canada. L'endroit offre deux niveaux de 2 500 pieds carrés chacun et donne toute la latitude que souhaite Lentilles Doric pour poursuivre son développement.

...A FABRIQUANT DE COMPOSANTES OPTIQUES

A produit unique qu'elle était depuis son lancement, il y a trois an et demi, l'entreprise va dorénavant ajouter le volet fabrication de composantes optiques. Dans ses nouveaux locaux depuis juillet 98, la PME emploie présentement six personnes (des ingénieurs et des techniciens spécialisés). "Je viens d'engager un spécialiste en polissage et peux livrer des lentilles cylindriques de toutes formes. On fait déjà presque toutes les composantes optiques (prismes, miroirs, etc). Il n'y a actuellement aucune compagnie de ce type au Québec. Si vous avez besoin de composantes optiques, vous devez aller acheter en Ontario ou aux USA", explique le président.

"Il n'y a actuellement aucune compagnie
de ce type au Québec."

Fort de son statut de leader mondial en micro-lentilles, Sead Doric vise maintenant à devenir un fabricant de composantes optiques qui compterait de 20 à 30 employés. A combien évalue-t-il ce marché au Québec? "Je n'ai pas besoin de le savoir, je vise le marché mondial", répond-t-il naturellement.

Expert-instructeur pour le compte de l'International Society for Optical Engineering (SPIE), il ne cache pas que cette position lui offre d'excellentes opportunités de promotion: "Je suis devenu un globe-trotter, avec SPIE, pour qui j'accepte de faire des conférences partout. C'est le meilleur marketing que je puisse faire. On m'offre d'aller parler devant les gens qui constituent mes clients potentiels, alors..."

Qu'importe, chaque année, il s'impose de participer à quelque six foires à travers le monde. Les plus importants événements: PHOTONICS WEST, à San Jose, ainsi que la OPTICAL FIBER CONFERENCE (OFC) et le CLEO, également aux États-Unis, mais qui changent de ville chaque année. En 1997, il a aussi fait une présentation lors de la première édition d'Opto-Contact Québec, un événement annuel similaire.

"Dans l'avenir, on devrait ajouter à Opto-Contact un volet foire, pour donner de la visibilité à tout ce qui se fait ici, à Québec", conseille l'expert, évidemment intéressé par ce qui touche le développement de l'optique-laser dans sa ville d'adoption.

FUTUR "Fused-silica Valley"

La présence dans la région de Québec d'un tel niveau d'expertise n'est pas un hasard. Si Lentilles Doric commercialise aujourd'hui un produit breveté de très haute technologie, c'est parce que son président a eu l'opportunité, en tant que chercheur à l'INO, d'oeuvrer dans un milieu très favorable au développement du domaine de l'optique-laser. Son exemple n'est pas unique. Avec les Bomem, EXFO, Gentec, Laser InSpek, Nortech Fibronic (voir le Profil d'entreprise, COMMERCE MONDE #1), Technologie Lyre et autres maillons - inspirés d'abord par l'Université Laval et également, depuis dix ans, par la présence de l'INO - Sead Doric prédit même que Québec est destinée à devenir une "Fused-silica Valley"!

La silice fondue (fused-silica, en anglais) est la matière de base qui sert à la production de la fibre optique. Comme pour la désormais célèbre Silicone Valley californienne, Sead Doric situe la région à l'avant-garde dans le monde. Pour lui, après San Jose, San Diego, Tucson et Rochester, Québec et Ottawa sont les pôles d'importance en Amérique dans l'optique-laser. Il croit aussi que Québec réunit tous les ingrédients pour devenir un pôle majeur de développement pour l'industrie de la fibre optique.

"Comme tous les Bosniaques, je suis têtu", lance Sead Doric dans la conversation. L'an prochain, il fêtera ses dix ans à Québec. Parions que si dix autres années la Québec Fused-silica Valley devient mondialement reconnue, l'entrepreneurship d'un Bosniaque de L'Ancienne Lorette n'y sera pas étranger!