POUR FAIRE LE POINT
SUR LE JAPON Jean Dorion, délégué général du Québec à Tokyo L'économie japonaise apparaît pour l'instant comme la grande malade du G7. En janvier, le quotidien Asahi publiait les résultats d'un sondage sur la perception par les Japonais de leurs conditions de vie: 79% des interrogés se disaient inquiets quant à l'avenir et 90% estimaient qu'il faut "changer la politique et l'économie nationale". Cette inquiétude, engendrée en particulier par l'accroissement du chômage, tend à limiter la croissance de la consommation au bénéfice de l'épargne. L'OCDE prévoit qu'en 1999, le Japon reprendra sa place de champion mondial de l'épargne des ménages, avec un taux de près de 16% (contre des taux compris entre 1 et 2% au Canada et aux Etats-Unis). Ce n'est pas mauvais pour l'avenir du Japon, mais ce n'est pas très bon pour la relance immédiate de l'économie japonaise. L'excédent de la balance commerciale japonaise a pourtant atteint en 1998 le chiffre record de 13,98 trillions de yen (env. 185 milliards de $CAN), selon un rapport préliminaire du Ministère des Finances. C'est une hausse de 40,1% sur l'excédent de l'année précédente mais elle s'explique uniquement par la baisse des importations, elle-même attribuable à l'inquiétude des consommateurs du Japon, et aussi de ses industriels. Ces derniers, face aux sombres perspectives offertes par l'Asie en général, qui absorbe plus de 40% des exportations japonaises, ont réduit leurs importations de matières premières. Cette baisse des importations, la première enregistrée depuis cinq ans, a été de 10,5%. Le Canada et le Québec paraissent plus touchés que la moyenne par ce phénomène. Les données préliminaires de Statistiques Canada pour l'année 1998 indiquent un recul de 38,8% des exportations québécoises vers le pays du Soleil levant. Après avoir presque doublé durant les cinq années précédentes (passant de 374 à 730 millions $C entre 1992 et 1997) elles auraient donc chuté brutalement l'an dernier, pour s'établir à 447 millions $CAN. La ventilation par produit indique que presque toutes les catégories sont atteintes. Ces chiffres laissent songeurs quand nous les confrontons aux témoignages de nos clients québécois (et nous avons servi l'an dernier plus de deux cents entreprises). Quoi qu'il en soit, les chiffres d'une seule année ne doivent pas nous faire oublier quelques réalités fondamentales. La première, c'est que l'économie japonaise reste la deuxième de la planète. Avec un PIB tournant autour de cinq mille milliards U.S., elle égale à peu de choses près celles combinées de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Et, exprimé en dollars, le revenu du Japonais moyen reste le double de celui de son homologue québécois. La deuxième réalité, c'est que le déclin des importations ne peut être que partiel et temporaire: quand les gens s'inquiètent pour leur avenir, ils ne coupent pas nécessairement sur les petits plaisirs quotidiens (parlez-en aux Français, pour qui la "crise" japonaise n'existe pas: leurs ventes de vins, vêtements, cosmétiques etc. au Japon sont en forte hausse; les Japonais et Japonaises trouvent apparemment dans l'achat de ces denrées une consolation à leurs malheurs économiques!) Les consommateurs insécurisés renoncent plutôt aux grandes dépenses, celles qui les engagent à long terme. Ainsi, le nombre de mises en chantier domiciliaires est-il tombée en 1998 à 1,198,000, contre 1,387,000 l'année précédente, entraînant une chute de 41% des importations de bois. Or, il est invraisemblable qu'une baisse aussi prononcée dans un secteur essentiel puisse se maintenir; aussi la Délégation générale à Tokyo est-elle optimiste pour l'avenir de son secteur bois. Il y a trois ans, grâce à une entente entre le MRI et le MRN, et avec le support du Q-Web (Ste-Foy) nous engagions trois personnes pour faire la promotion de nos produits ligneux. Au moment où j'écris ces lignes, l'entente vient d'être renouvelée pour trois ans. Nous publierons d'ici quelques jours un répertoire en japonais des fournisseurs québécois du secteur et nous encourageons ceux d'entre eux qui sont déjà sur le marché japonais à y rester. Quant viendra la reprise, ce sont ceux qui seront restés qui vont presque tout remporter. La troisième réalité, c'est que la crise a du bon pour les fournisseurs étrangers: par exemple, la parcimonie des consommateurs, en forçant les distributeurs japonais à chercher des fournisseurs moins coûteux, les amènera à se tourner vers l'étranger. La crise a aussi du bon pour le Japon: la colère de l'opinion publique force présentement le gouvernement à oser des réformes fondamentales et indispensables dans plusieurs domaines, et tout particulièrement dans le secteur financier. Et cela commence à porter fruit: les tankan, ces sondages périodiques de l'humeur des milieux industriels et commerciaux, commencent à montrer moins de pessimisme, et même un début d'optimisme, dans ces mêmes milieux. Enfin, une quatrième réalité, c'est que certaines caractéristiques de la société japonaise la rendent ouverte à des produits pour lesquels le Québec a développé une expertise particulière. L'économie japonaise est une économie avancée: dans l'ensemble des importations effectuées par le Japon, les produits manufacturés comptaient pour 19,8% en 1985; en 1996, cette part était de 59,4%, une progression spectaculaire de 40 points en onze ans! Une économie d'exportation de produits à valeur ajoutée, comme celle du Québec, ne peut qu'être avantagée par cette situation. Nous avons soutenu les premiers pas au Japon de Softimage, dont les logiciels sont maintenant ici assez répandus. Nous avons fait de même pour Exfo, de Ville Vanier, dont les appareils d'entretien de fibres optiques ont fait une belle percée. Et notre trimestriel en japonais "Nouvelles du Québec" consacrait récemment deux pages à l'Institut national d'optique, de Ste-Foy; l'agent japonais de l'Institut nous a demandé 150 exemplaires de la publication, pour distribution à ses principaux partenaires. Le Japon est aussi démographiquement une société vieillissante: l'un de nos attachés a fait la promotion du Kinball, un ballon très particulier créé par Omnikin, de Charny: le succès de ce jeu destiné à garder en forme, en particulier, les personnes âgées, est tel qu'une association japonaise de kinball est née. Enfin, une masse énorme de Japonais est loin de souffrir de la crise et continue à vouloir davantage jouir de la vie: le Festival culinaire québécois que nous organisons depuis quatre ans à l'hôtel Okura, l'un des plus prestigieux au monde, avec l'homme d'affaires André Pomerleau de Québec, et avec le support de l'Ambassade canadienne, a attiré cette année près de neuf cents convives fortunés et influents, venus goûter les spécialités du chef Marie-Chantal Lepage, du Manoir Montmorency. En plus du sirop d'érable, le poisson et les fruits de mer de l'Est du Québec y étaient à l'honneur, tout comme ils le sont avec Grizzly (saumon fumé) et Canasia, un exportateur de Québec spécialisé surtout dans l'agro-alimentaire, deux autres assidus de la Délégation générale. Le thème de la bonne vie nous amène au tourisme et à de bonnes nouvelles. D'après Tourisme Québec, alors que le Canada dans son ensemble subissait en 1998 une baisse de 14% de sa clientèle touristique japonaise, le Québec aurait vu la sienne grimper de 1%, avec 50,000 visiteurs. Les Japonais qui ont vu l'Ouest canadien et l'Amérique anglo-saxonne en général cherchent maintenant quelque chose de différent et le Québec, avec son histoire plus ancienne, sa culture française et sa gastronomie, peut le leur offrir. À ce triple égard, d'ailleurs, Québec et l'Est du Québec sont particulièrement favorisés. Le Japon, malgré ses problèmes provisoires, reste un pays prospère et un immense marché. La Délégation générale est là pour servir nos exportateurs qui veulent en tirer profit. |