1ère Conférence des ministres de l’Économie et des Finances de La Francophonie
Bernard Landry et 43 autres ministres adoptent la Déclaration de Monaco

par Daniel Allard

L'objectif non avoué de la rencontre de Monaco, les 14 et 15 avril dernier, était de donner ses lettres de noblesse à la Francophonie économique. Un intervenant sur place a d’ailleurs rappelé que la Francophonie n’a rien à prouver dans le domaine culturel, mais a encore tout à prouver dans le domaine économique, spécifiant qu’elle est "... un contenant qui doit encore définir son contenu économique".

Pour "articuler un plan d'action autour de la notion de développement d'un espace de coopération économique francophone", les 44 ministres présents ont adopté la Déclaration de Monaco sur la construction d’un espace de coopération économique francophone.

Dans leur esprit, "la coopération entre entreprises est au coeur de la coopération économique francophone dans laquelle l'entreprise privée occupe la place qui lui revient..." En ce sens, il est essentiel de "favoriser l'établissement d'un environnement juridique et institutionnel favorable à l'épanouissement de l'entreprise sous toutes ses formes."

À l’issue de leurs travaux consacrés à l’investissement et au commerce international, les ministres, réunis pour la première fois sur ce sujet dans l’histoire de la Francophonie, ont adopté une déclaration commune qui pose les jalons de la construction d’un espace de coopération économique francophone, conformément à la décision du Sommet de la Francophonie de Hanoi en 1997.

Soulignant l’importance des prochaines négociations commerciales multilatérales (Seattle, États-Unis), la Déclaration de Monaco rappelle la vocation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à accueillir en son sein tous les membres de la communauté internationale. Les ministres de l’Économie et des Finances de la Francophonie entendent renforcer leur concertation pour que le système commercial international contribue davantage au développement durable et aux attentes des populations marginalisées et faire ainsi valoir les principes défendus par La Francophonie, telles la solidarité et la promotion de la diversité culturelle, sur les grands enjeux économiques internationaux. Ils appellent aussi la communauté financière internationale à maintenir son soutien aux politiques de développement, qu’il s’agisse d’aide publique ou d’investissements privés.

Les ministres se sont également engagés à agir pour favoriser la création d’un environnement politique et juridique stable, propice à l’accroissement de l’investissement et du commerce, notamment par l’harmonisation des cadres juridiques existants, la mise en place d’actions de formation et d’information, destinées tant aux États et à la fonction publique, qu’au secteur privé.

Où mèneront ces travaux des ministres? Le thème de la Conférence, "Investissement et Commerce", était ambitieux. Plusieurs pensent que la Francophonie a pour objet de servir de pont, de pont entre pays de niveau de développement différent et de pont entre régionalisation et mondialisation. Autant le Secrétaire Général de la Francophonie que les dirigeants de la Principauté de Monaco se sont formellement engagés afin de voir à concrétiser la lettre de la déclaration. Mais il a été convenu de ne pas pérenniser les réunions des ministres de l’Économie et des Finances de la Francophonie.

OUI À L’ENTRÉE DE LA CHINE À L’OMC

En soulignant "...l’importance des prochaines négociations commerciales multilatérales et la vocation de l’OMC à accueillir en son sein tous les membres de la communauté internationale", les ministres ont implicitement appuyé la demande d’adhésion de la Chine à l’OMC actuellement à l’étude et pour laquelle les États-Unis font toujours barrage.

Notons enfin que la déclaration accepte le principe d’un fonds destiné à appuyer l’intégration et la pleine participation des pays les moins avancés au système économique mondial. Aucun chiffre n’est cependant avancé quant à l’ampleur de cette initiative.

LANDRY VEUT "PUISSAMMENT" RELANCER LE FFA

Le ministre Bernard Landry y dirigeait la délégation québécoise. Il a profité de sa présence pour souhaiter qu’à l’occasion de cette conférence le Forum francophone des affaires (FFA) - qui tiendra ses assises, en juin, à Bathurst, au Canada - "soit puissamment relancé, qu’on regarde son passé, qui n’est sans doute pas parfait, et qu’il soit évalué. Mais il doit à mon avis jouer un rôle majeur dans le développement de la Francophonie économique", a-t-il aussitôt ajouté.


DÉCLARATION DE MONACO


1. Lors du 7ème Sommet des Chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant le français en partage (Hanoï, 14-16 novembre 1997), la Francophonie a décidé de mettre en œuvre une coopération économique spécifique, et pour la première fois, de tenir à cet effet une Conférence des Ministres de l'Économie et des Finances de la Francophonie.

2. Les Ministres de l'Économie et des Finances se sont réunis, dans le cadre de l'Organisation Internationale de la Francophonie, à Monaco les 14 et 15 avril 1999 afin de convenir, conformément à la Déclaration d'Hanoi, d'orientations centrées sur le développement d'un espace de coopération économique adapté à la spécificité de la Francophonie et à ses objectifs.

3. Les Ministres ont choisi de placer au centre de leurs débats le thème "Investissement et Commerce".

4. La Francophonie s'identifie par sa diversité, notamment sur le plan des niveaux de développement économique de ses membres qui appartiennent à différents ensembles régionaux de coopération.

5. La Francophonie trouve son unité dans la complémentarité de ses membres et dans le partage d'un patrimoine de valeurs et de conceptions, reconnaissant notamment:

  • l'importance de la promotion de la diversité linguistique et culturelle face aux défis de la mondialisation et la nécessité de prendre en compte cet objectif dans la définition de règles multilatérales dans le domaine du commerce et de l'investissement;

  • le lien essentiel entre le développement économique, la démocratie et la bonne gouvernance;

  • la responsabilité de l'État dans la promotion d'un modèle de développement qui ne dissocie pas l'économique du social et sa vocation à assurer à tous la satisfaction de leurs besoins fondamentaux;

  • le rôle de l'entreprise, particulièrement celui du secteur privé, comme principal moteur du développement économique destiné au service de la personne;

  • l'instauration d'un cadre de coopération privilégiant l'économie et la solidarité réelle en vue d'aider ceux de ses membres en développement et notamment les pays les moins avancés, les pays enclavés et les petits États insulaires, à se doter de moyens et à créer les conditions favorables à leur développement.

  • 6. Sur la base de cette approche commune, les Ministres ont procédé à un échange de vues sur les enjeux de l'intégration régionale et sur les nouvelles règles du jeu internationales en matière d'investissement et de commerce dans le contexte du processus de mondialisation de l'économie. Ils ont noté avec satisfaction la convergence d'analyses qui, par-delà la diversité des situations économiques, existe entre eux sur ces questions.

    7. Les Ministres considèrent que la Francophonie, forte de ses traditions et de ses valeurs partagées, forte aussi de sa représentativité à l'échelle mondiale, a un rôle important à jouer dans la promotion de la prospérité parmi ses membres. Ils considèrent comme nécessaire et urgent l'insertion de ceux-ci dans le cadre évolutif de la réglementation du commerce et de l'investissement au niveau international. Évoquant des questions d'actualité comme la mise en place de l'euro, la renégociation de la Convention de Lomé, le développement du commerce électronique, la préparation des négociations commerciales sous l'égide de l'OMC et la recherche d'un cadre multilatéral pour l'investissement international, les Ministres ont entamé un échange de vues qui a favorisé le partage de l'information, la compréhension réciproque et la concertation multilatérale.

    8. Les ministres soulignent l'importance des prochaines négociations commerciales multilatérales et la vocation de l'OMC à accueillir en son sein tous les membres de la communauté internationale. Ils veilleront à ce que ces négociations favorisent une participation plus grande du monde en développement aux bénéfices de l'ouverture aux échanges et à l'investissement et à ce que le système commercial contribue davantage au développement durable et aux attentes des populations. Ils notent en particulier la nécessité d'accentuer les efforts destinés à améliorer la capacité des pays en développement à participer au système commercial mondial. Ils encouragent aussi les pays développés à continuer d'améliorer l'accès aux marchés des exportations des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés.

    9. En particulier, les Ministres prennent acte de la variété des processus d'intégration régionale auxquels participent les différents pays membres de la Francophonie. Tout en reconnaissant la diversité des stades atteints par la réalisation de ces processus, les Ministres soulignent que les initiatives de libéralisation des échanges fondées sur une assise régionale, lorsqu'elles se développent d'une manière compatible avec le cadre juridique multilatéral existant, contribuent à une meilleure insertion des pays intéressés dans l'économie mondiale.

    10. La mondialisation représente un défi pour les membres de la Francophonie. L'augmentation des échanges commerciaux et des investissements, favorisée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication ainsi que par la mise en œuvre de politiques de libéralisation et d'ouverture, est apparue comme un moteur de la croissance. Cependant, tous les pays n'ont pas bénéficié également de la mondialisation de l'activité économique et devant le risque de marginalisation et de paupérisation de certains d'entre eux, il est important de veiller à en mieux maîtriser le processus et de chercher à en réduire les effets négatifs par une solidarité agissante dans le cadre de la Francophonie. Cette solidarité suppose le renforcement de la qualité de l'aide publique au développement, du transfert de technologies et de capacités nationales des pays en voie de développement, en particulier de leurs ressources humaines.

    11. Les Ministres sont convaincus que la paix, la sécurité et la stabilité sociale dans le monde ne peuvent être atteintes dans des conditions de pauvreté et d'inégalité de développement croissantes. Ils considèrent que le drame humain et social de la grande pauvreté est un frein majeur au développement économique des pays concernés. Ils reconnaissent la nécessité de minimiser le coût social qu'entraîne la mise en place de politiques d'ajustement structurel par un effort particulier de lutte contre la pauvreté. Ils soulignent l'importance de la mise en œuvre de politiques économiques et sociales destinées à assurer les conditions d'un développement durable et appellent la communauté financière à maintenir son soutien sous la forme de flux d'aide publique au développement et d'investissements privés suffisants.

    12. Face à la charge de la dette qui entrave le développement de nombreux pays, les ministres reconnaissent l'importance des récentes propositions visant à l'allégement du fardeau de la dette, notamment dans le cadre de "l'initiative sur la dette des pays pauvres très endettés". Ils constatent, cependant, que les délais de mise en œuvre de cette initiative sont longs et les conditions contraignantes et proposent de les améliorer tout en s'assurant que ce processus d'allégement permette une sortie définitive du cycle de l'endettement grâce aux efforts réalisés par les pays bénéficiaires en matière de gestion économique et sociale et de bonne gouvernance.

    13. Les ministres recommandent d'intensifier les initiatives de la communauté internationale sur la dette, dans un esprit d'équité et de responsabilité. Ils souhaitent que le financement de celles-ci soit assuré par un partage équitable. Il s'agit de permettre à tous les pays pauvres et endettés, ayant fermement engagé des réformes économiques appropriées soutenues par les institutions de Bretton Woods, de bénéficier d'un traitement adapté en vue de rendre leur dette soutenable.

    14. Les Ministres considèrent que l'ouverture au commerce et aux investissements internationaux, le développement des infrastructures adaptées et des ressources humaines, le partenariat social, le respect des droits sociaux et de l'environnement, l'égalité des sexes, sont des éléments importants du progrès économique et social. Dans ce contexte, ils reconnaissent les efforts de certains pays membres sur la voie des réformes structurelles et de l'ouverture de leurs économies en vue de ce progrès et invitent les pays membres plus avancés économiquement à étudier toutes les possibilités additionnelles de coopération. Ils soulignent l'importance du partenariat entre le gouvernement et le secteur privé comme cela a été mis en évidence lors du sommet social de Copenhague (mars 95). La Déclaration de Crans Montana (juin 1998) et les travaux de la première réunion de "partenariat pour le Développement", organisée par la CNUCED (Lyon, novembre 1998) vont dans le même sens.

    15. Les Ministres demeurent, toutefois, préoccupés par la situation financière qui prévaut au niveau international. L'instabilité des marchés financiers nuit aux perspectives de croissance économique, affecte les cours des matières premières, accentue les services de la dette. Ils reconnaissent que les réformes à l'étude au sein des instances internationales appropriées sont d'une grande importance. Ces réformes doivent viser à garantir une meilleure stabilité du secteur financier par des mécanismes améliorés de gestion et surtout de prévention des crises financières; elles doivent également faire davantage appel à la participation du secteur privé. Ils soutiennent les initiatives lancées pour accroître la transparence et l'ouverture du système financier international, améliorer les mécanismes de surveillance et de supervision des secteurs financiers nationaux et l'élaboration de lignes directrices pour une libéralisation maîtrisée des mouvements de capitaux qui aidera les pays en développement.

    16. Face aux nombreux défis qu'elle rencontre, la Francophonie, s'appuyant sur ses plans d'action, programmes et résultats engrangés depuis le Sommet de Maurice (1993), s'engage à agir à trois niveaux :

    a) concernant les États et Gouvernements, la Francophonie entend :

    • promouvoir les principes d'une saine gestion économique comme la transparence, la responsabilisation, l'efficacité de la fonction publique, une politique macro-économique qui permet de mieux absorber des chocs extérieurs dans le contexte d'une économie ouverte, la participation de la société civile et la lutte contre la corruption pour favoriser la création d'un environnement politique stable et propice à l'accroissement de l'investissement et de l'activité commerciale;

    • resserrer ses liens avec les organisations internationales à vocation économique;

    • favoriser la concertation francophone au sein des organisations internationales et en marge des conférences internationales;

    • témoigner d'une solidarité efficace par l'aide au développement, qu'elle soit publique ou privée;

    • apporter son soutien à la coopération et à l'intégration régionales;

    • promouvoir les différentes formes de coopération: entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre les pays du Sud ainsi que triangulaire.

    b) en direction des entreprises, la Francophonie entend soutenir:

    • la création et l'amélioration des infrastructures publiques et services d'accompagnement publics;

    • l'émergence et la croissance d'un secteur viable de petites et moyennes entreprises;

    • la promotion de l'environnement institutionnel et normatif des entreprises et l'harmonisation des cadres juridiques existants, à l'instar de l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (l'OHADA), qui contribuent à la sécurisation des investissements et des relations commerciales;

    • la mise en place, grâce aux moyens modernes de collecte et de communication des informations, de banques de données destinées aux entreprises;

    • l'étude des marchés où une spécificité francophone peut trouver place et en particulier pour les industries culturelles et linguistiques;

    • l'instauration d'un partenariat dynamique entre les entreprises du Sud et celles du Nord, mais aussi entre celles du Sud;

    • la promotion de la coopération technique dans le domaine des télécommunications.

    c) en faveur des ressources humaines, la Francophonie entend poursuivre et intensifier son action pour promouvoir:

    • l'échange d'informations et le transfert de connaissances;

    • la formation dans les domaines de l'économie, du commerce et de l'entreprenariat;

    • l'exploitation la plus large possible des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans le suivi de la Conférence de Montréal de 1997.

    17. Les Ministres ont décidé de faire progresser la coopération économique francophone en proposant des initiatives concrètes qui correspondent aux trois niveaux d'intervention déterminés ci-dessus. Soucieux de compléter et de renforcer les axes d'action traditionnels de la francophonie que sont l'information, la formation et la concertation, ils se sont entendus pour:

    a) développer le partage d'informations à caractère économique entre les États et les Gouvernements aussi bien qu'entre les entreprises francophones;

    b) faciliter la participation de tous les membres de la Francophonie au commerce mondial, en renforçant l'intégration régionale et en contribuant à la formation des acteurs économiques;

    c) contribuer à l'établissement d'un environnement sans cesse plus favorable à l'investissement dont l'accroissement est une condition essentielle du développement.

    Les Ministres ont souhaité que des initiatives porteuses d'un effet de levier et d'une valeur ajoutée, prenant en compte les actions menées au sein des organisations internationales, viennent concrétiser ces objectifs.

    Dès lors, ils ont décidé de faire étudier, entre autre, les projets suivants:

    • un dispositif d'information économique francophone, notamment sur les opportunités d'investissement;

    • un réseau d'institutions de formation en commerce international;

    • un fonds destiné à appuyer l'intégration et la pleine participation des pays les moins avancés au système économique mondial;

    De plus, ils invitent l'Agence Intergouvernementale et les opérateurs de la Francophonie à mettre sur pied ou à renforcer, pour le biennum 2000/2001, des projets concrets s'inscrivant dans le cadre défini par la Conférence de Monaco.

    18. Les Ministres sont enfin convenus de confier le suivi des orientations décidées par cette Conférence au Conseil Permanent de la Francophonie (CPF) et à son président, le Secrétaire général de la Francophonie, qui travaillera en synergie avec l'Agence de la Francophonie et les autres opérateurs ou partenaires (Agence Universitaire de la Francophonie, Forum Francophone des Affaires, etc.). Le CPF proposera toute mesure utile à la bonne exécution des décisions de la Conférence et rendra compte aux instances qualifiées de la Francophonie.