Commerce équitable |
par Daniel Allard Le
"commerce équitable" est loin de faire partie du quotidien des
populations d'aujourd'hui. Il risque pourtant, dans les années à venir,
de prendre une place de plus en plus grande dans les habitudes de
consommation, partout à travers le monde. De quoi s'agit-il au fait? COUPER
LES COYOTES! "Le
commerce équitable, ça veut d'abord dire de couper les
"coyotes", les trop nombreux intermédiaires qui s'ingèrent
dans la chaîne du produit", expliquait Laure Waridel, une
conférencière invitée à Québec par le Plan Nagua. Cette
organisation de coopération internationale de Québec soulignait ses 30
ans d'actions - essentiellement avec la République Dominicaine - par un
colloque, les 16 et 17 avril dernier. La
première initiative de certification équitable est née aux Pays-Bas, en
1988. La Fondation Max Havelaar prenait alors le nom du personnage
légendaire d’un roman hollandais qui dénonçait la situation des
planteurs de café en Indonésie au moment de la colonisation. La
certification, fondée sur des principes de justice, consistait d’abord
à permettre au café équitable de pénétrer le réseau de mise en marché
conventionnel et d’ainsi rejoindre le plus grand nombre de consommateurs
possible. Des torréfacteurs conventionnels se sont ensuite ouverts à
cette idée nouvelle et ont commencé à torréfier du café équitable
certifié par Max Havelaar. Ils permirent la première entrée de
produits équitables dans les grandes épiceries et les restaurants. Cette
percée du café équitable permit de soutenir les initiatives de milliers
de familles productrices de café. Il
est maintenant possible de se procurer du thé, du cacao, du chocolat, du
sucre, du miel et des bananes certifiés équitables dans des milliers de
points de vente européens. D'ABORD
LE CAFÉ Le
café est la deuxième denrée légale transigée sur les marchés
internationaux, après le pétrole. Au Canada seulement, il se consomme
chaque année 100 millions de kilos de café, soit deux tasses per capita
chaque jour. Mais
les premières raisons qui ont fait apparaître des interventions de
commerce équitable dans le monde du café sont ailleurs. Le marché
mondial d'aujourd'hui est dominé pas cinq multinationales: Philip
Morris, Sara Lee, Proctor & Gamble, Nestlé
et Cara. À l'autre bout de la chaîne, 25 millions de cueilleurs,
répartis dans 70 pays, tentent de retirer une juste part des fruits de
cette industrie. La situation oligopolistique qui règne au niveau du
cycle final du produit, contrairement à une situation diamétralement
opposée en début de cycle, rend la donne structurellement inéquitable
pour les hordes de petits producteurs à la base. Sensible
à cette situation, la compagnie Max Haveelar, des Pays-Bas, a
démarré depuis 1988 une structure de commerce équitable. Le modèle
a depuis fait des petits et on retrouve des réseaux de commerce équitable
aussi au Canada. MÉGA
OU MINI TENDANCE? Sommes-nous
face à une nouvelle tendance qui modulera une bonne part des marchés de
consommation de demain? Plusieurs osent le croire. Le Plan Nagua lui-même
ne cache pas qu'il travaille actuellement à lancer son propre réseau de
commerce équitable de café à travers le Québec. La
réalité oblige cependant à qualifier actuellement le commerce équitable
de "moins que marginal" aux dires même de Bob Thomson, (Email:
fairtrade@cyberus.ca
et site Web: Le
commerce équitable en chiffres dans quelques pays
Source:
Information transmise par Marjoleine Motz. FLO-International, Utrecht,
janvier 1999 et Bob Thomson. Transfair
Canada, Ottawa L’Europe
demeure la principale destination mondiale pour les produits issus du
commerce équitable. Dans le cas du café, entre 75% et 80% de la
production certifiée équitable est distribuée dans les épiceries,
bureaux et restaurants de ce continent. Nombre de produits alimentaires
portant le logo de garantie d’un revenu décent pour les producteurs et
du respect de l’environnement sont parvenus à se tailler une place sur
les rayons des grandes épiceries - particulièrement en Suisse, aux
Pays-Bas et en Allemagne - et plus de 70 000 points de vente en Europe
offrent non seulement du café et des produits d’artisanat, mais également
des vêtements, du vin, des épices et des céréales. Un type d’échanges
qui soutiendrait directement plus de 800 000 familles de producteurs du
Sud, soit plus de cinq millions de personnes dans 45 pays. Leader
en la matière,
Max
Havelaar Pays-Bas certifie en moyenne 3 200 tonnes de café par année, ce
qui représente tout de même entre 2% et 3% du marché néerlandais. La
banane Max Havelaar y détient 7% du marché et le chocolat 0,5%, ce qui
représente tout de même une moyenne de 200 tonnes de chocolat équitable
par année. Récemment, l’organisme célŽbrait la vente de son 100
millionnième paquet de café! Le
commerce équitable en Suisse est aussi fréquemment montré en exemple,
notamment pour sa réussite en ce qui concerne la pénétration du marché
conventionnel. Les deux principales chaînes alimentaires du pays, Migros
et Coop, offrent une ligne de produits équitables, certifiés par
Max Havelaar. Il est donc possible de se procurer du café, du chocolat,
du sucre, du thé, du miel et des bananes dans la vaste majorité des
grandes chaînes d’alimentation, ainsi que dans les magasins
d’alimentation naturelle et autres petites épiceries. On compte plus de
7 000 points de vente, dont 212 Magasins du Monde, pour une
population d’à peine plus de 7 millions d’habitants, ce qui signifie
que 85% des épiceries vendent des produits équitables, achetés régulièrement
par 150 000 familles helvétiques. Quant au café équitable, une
cinquantaine de mélanges provenant de 16 pays producteurs sont offerts
sur le marché, y détenant une part de 5%. L’initiative
de certification suisse est née en 1992, appuyée par le Bureau fédéral
des affaires étrangères et les principaux organismes de solidarité
internationale du pays. Le soutien du gouvernement helvétique a permis
d’obtenir le financement nécessaire à l’établissement de Max
Havelaar. L’association entre les différents intervenants fut fort bénénéfique
pour l’implantation du commerce équitable en Suisse. Elle a permis
d’obtenir une plus grande attention médiatique, un meilleur financement
et a facilité la pénétration des institutions publiques et des cafétérias.
Le premier produit certifié équitable fut le café. En l’espace de
quelques mois seulement, celui-ci a obtenu 5% du marché grâce à la
participation de plusieurs torréfacteurs et à celle des grandes chaînes
alimentaires. En 1997, les bananes équitables furent lancées et
connurent également un grand succès en accaparant 13% du marché. Points
de vente de produits équitables par million d‘habitants
Source:
European Fair Trade Association(EFTA).-Fair Trade in Europe: Facts and
figures on the fair trade sector in 16 European countries, février 1998,
p. 10. En
Amérique du Nord, la réponse des consommateurs à la mise en marché du
café équitable semble encourageante et est de bon augure pour l’avenir
du commerce équitable. La quantité moyenne de café équitable vendu
mensuellement au Québec est passée de 25 kilogrammes à plus de 600
kilogrammes en moins de trois ans. Ce n’est qu’un début et d’énormes
défis restent à surmonter, particulièrement en ce qui concerne la mise
sur pied d’un réseau de distribution étendu. Au
Québec, pour promouvoir adéquatement le commerce équitable,
l’organisme montréalais ÉquiTerre (Email:
eqtcafe@cam.org
et
site Web: www.cam.org/~equiter
,
qui
s’est inspiré des succès européens:
- Née en 1997, FairTrade Labelling Organizations est basée
à Bonn en Allemagne alors que sa division café est à Utrecht aux
Pays-Bas. FLO-International regroupe maintenant les différentes
organisations de certification européennes, nord-américaines et
asiatiques. Ses membres certifient non seulement du café, mais aussi du
thé, du sucre, du miel, des bananes, du jus d’orange et du chocolat,
selon les pays. Dans le cas du café, 324 organisations de producteurs de
18 pays sont actuellement inscrites sur le registre de commercialisation
équitable administré par FLO. Sur ce nombre, 136 sont acceptées
provisoirement et pourront figurer dans la catégorie permanente après
avoir prouvé qu’elles pouvaient respecter leurs engagements durant au
moins deux récoltes.
- Établie en 1989, la Fédération internationale de commerce
alternatif (IFAT), basée à Oxford en Grande-Bretagne rassemble des
groupes de producteurs et d’artisans du Sud et des organisations de
commerce équitable du Nord. Les membres d’IFAT procurent un chiffre
d’affaires annuel d’environ 400 millions $US et travaillent avec plus
de 300 groupes de producteurs.
- Autre source d’inspiration, le réseau d’EFTA importent les
produits de près de 800 groupes de producteurs et d’artisans provenant
de 44 pays. Le chiffre d’affaires annuel des membres réunis approche
100 millions d’écus (plus de 188 millions $CAN). Ils emploient
approximativement 560 personnes et peuvent compter sur des dizaines de
milliers de bénévoles. Au
Canada et aux États-Unis, le commerce équitable est évidemment en phase
de développement. Même si les premières initiatives de
commercialisation équitable ont été mises de l’avant dans les années
1950, par des Ménonites qui ont fondé Ten Thousand Villages
(Dix Mille Villages), un organisme sans but lucratif qui distribue de
l’artisanat et quelques produits alimentaires équitables par le biais
de 200 boutiques en Amérique du Nord. Côté
certification, TransFair Canada fonctionne depuis 1994 et TransFair
USA depuis 1995, mais le premier sceau de certification équitable
n’a été apposé au Canada qu’en 1997 et en 1998 aux États-Unis. Au
Canada, on compte maintenant 10 torréfacteurs et trois importateurs détenant
une licence de certification équitable. En 1998, 45 tonnes de café équitable
ont été vendues au pays, soit trois fois plus que l’année précédente. Bridgehead est un autre organisme de commerce équitable fondé au Canada, en 1981. Ses ventes se font principalement par catalogues et dans ses trois magasins situés à Ottawa, Vancouver et Toronto. En plus de l’artisanat, il vend du café équitable, qu’il se procure auprès de Equal Exchange, une maison de torréfaction située dans le Connecticut, aux États-Unis. Parmi ses clients, on compte notament le Cirque du Soleil, qui sert et vend exclusivement du café équitable. Au Québec, Bridgehead travaille en étroite collaboration avec OXFAM-Québec.
UNE
TENDANCE D’AVENIR Chose
certaine, l'influence grandissante des médias, qui rapprochent de plus en
plus les une des autres les différentes réalités économiques de la
planète entière, donne de bons arguments aux promoteurs de ce genre de
commerce. Les géants style Nike ne pourront plus jamais écouler
aussi facilement, partout sur la planète, des biens produits à 1$ par
jour aux confins de l'Asie. Le geste de "fair play" derrière toute structure de commerce équitable risque bien de s'imposer en tant que norme du marché. Qu'importe le temps qu'il faudra, celui qui sait ne peut pas, éternellement, ne rien faire. |