Accès CUBA : |
par Daniel
Allard
Recevoir
à Québec un ministre du gouvernement cubain, une semaine après la déclaration
incendiaire du premier ministre du Canada, remettant en question les
relations entre les deux pays, tenait quasiment de l'exploit. C'est tout
de même ce qui a été réalisé par l'équipe du Centre
de commerce international de l'est du Québec (CCIEQ), en mars
dernier. Dans ce tumulte, plus de 150 gens d'affaires, non seulement du Québec,
mais entre autres de France et d'Australie, ont fait le point sur les
opportunités d'affaires dans la plus grosse île des Caraïbes. Entourés
de conférenciers chevronnés, les participants profitaient d'une somme
d'expertise rarement accessible en un seul point de l'Occident. À lui
seul, Ibrahim Ferradaz, le
ministre de l'Investissement étranger et de la Coopération économique
de Cuba, était entouré d'une demi douzaine de leaders de l'économie
cubaine. UNE ÉCONOMIE "SOCIALE-CAPITALISTE" Les
mesures appliquées par les autorités pour survivre à la transition
imposée par la disparition de l'URSS font aujourd'hui de Cuba une économie
difficilement qualifiable. Bien que l'État reste à la tête de tout, sur
le terrain, la décentralisation et la concurrence s'appliquent: 570
agences commerciales et 29 offices opèrent les activités de commerces étrangers
et 302 compagnies sont engagées dans les transactions commerciales étrangères. Même
chose dans le secteur agricole, où plus des deux tiers des terres arables
du pays sont cultivées par 4 000 coopératives de travailleurs et 106 000
petites fermes, avec accès à la vente libre. Quelque 170 000 individus
travailleurs autonomes opèrent des petites entreprises dans différents
secteurs d'une économie où le dollar américain circule librement. Mais
à Cuba, une entreprise n'est jamais employeur de ses employés, même si
on accepte maintenant des projets avec 100% de capital étranger. Le cahier
du participant pour le Sommet Cuba 99 comprenait, à lui seul, 130 pages
d'opportunités d'affaires diverses. Est-il intéressant de faire des
affaires à Cuba? En vertu de la loi 77-Loi
des investissements étrangers et de la loi 165-Décret-loi des zones franches et des parcs industriels, les
concessionnaires et exploitants de zones franches qui jouissent du régime
spécial sont exemptés du paiement de l'impôt sur les bénéfices et de
l'impôt sur l'utilisation de la force de travail à titre d'exemption
totale pour les 12 premières années! Les dernières
années ont vu les Cubains en donner beaucoup pour attirer les
investissements étrangers. La réponse se fait pourtant toujours timide.
Bien qu'on se fasse dire fréquemment qu'en affaires, tout est négociable
à Cuba. On ne fait
pas des affaires avec les Cubains par fax et par téléphone. Il faut
aller sur place et souvent. Ce n'est pas une bonne idée de planifier
qu'un seul voyage par année. Heureusement, quatre heures de vol suffisent
pour joindre Québec à La Havane. Idéalement, la meilleure stratégie
consiste à être là, habiter là, et démontrer un réel engagement, un
"commitment", comme disent les Anglais! "À
Cuba, on fait des affaires sur la base de la confiance personnelle",
a bien expliqué Mark Entwistle,
ex-ambassadeur du Canada à Cuba, de 1993 à 1997, et président du
Sommet. "Et c'est très mal vu de tenter de contourner le processus
administratif et de viser le politique. C'est même contre-productif. On
ne parle pas à Fidel Castro
pour y régler ses affaires. La méthode, c'est de prendre le temps de
trouver la bonne personne technique pour faire cheminer le dossier",
ajoute-t-il.
LE COMMERCE CUBA-USA N'EST PAS ILLÉGAL! John S. Kavulich II, qui préside
l'organisme non-gouvernemental U.S.-Cuba
Trade and Economic Council, Inc. (www.cubatrade.org), à New York, a sûrement
surpris plusieurs personnes en allongeant une très longue liste de ce
qu'une compagnie américaine peut faire à Cuba. La réalisation de
contrats est par exemple autorisée dans plus d'une vingtaine de secteurs
disparates. Un type d'investissement indirect - sans contrôle - par un
pays tiers est même autorisé.
On vante
beaucoup le secteur des biotechnologies à Cuba. Les intéressés doivent
savoir que York Medical est la
seule compagnie canadienne ayant des "joint ventures" avec les
cubains dans ce secteur. Mais le
tourisme demeure, et de loin, la locomotive de l'économie du pays. Il y a
dix ans, cette industrie était presque à zéro. Un million de touristes
ont visité l'île en 1996 et il semble bien que l'objectif de 2 millions
sera atteint en l'an 2000. Un début, puisque les Cubains visent 7
millions de touristes pour 2010! Ces
chiffres font évidemment rêver les gens de la compagnie Krispy
Kernels, de Sainte-Foy, qui écoule ses noix et ses arachides en sacs
sur le marché de Cuba depuis trois ans, sans difficulté. "Au début,
nous avons commencé seuls. Nous passons maintenant par une entreprise de
Montréal qui est là depuis 15 ans et qui assure la commercialisation là-bas",
expliquait dans un autre forum Christine
Côté, la directrice exportation. "Avec Cuba, il faut aussi être
en mesure de supporter des états de compte de 120 jours", ajoute, au
coeur du concret des affaires, madame Côté. Les
communications sont un autre domaine prometteur. Actif en multimédia, Yves Lacourcière est aussi de ceux qui n'avaient pas besoin de
participer au Sommet Cuba 99 du CCIEQ. Ses entrées à Cuba, elles sont
bien établies depuis longtemps et permettent à son projet de se développer
comme il le souhaite. Depuis 1997, dans un bureau de la Côte de la
Montagne, à Québec, son équipe prépare la mise en place d'une
plate-forme technologique qui, de connivence avec les Cubains, jouera un rôle
majeur sur l'ensemble du marché latino-américain de la formation à
distance. Disponible en tout temps via Internet (http://www.vites.qc.ca),
cette plate-forme permet à l'utilisateur d'évoluer à son propre rythme
à l'intérieur de son activité de formation et d'être suivi de façon
personnalisée. En septembre, un contrat avec les municipalités du Québec,
pour le cours Comptabilité
municipale 2000, permettra de démontrer autrement leur potentiel. Déjà
trois quart de million de dollars ont été investis en développement. "Nous en sommes actuellement à la phase de traduction du démo, que nous présenterons aux Cubains cet automne, afin de livrer la marchandise et de finaliser une entente pour février 2000", explique le président Lacourcière. VITES - Centre de téléformation Virtuel International de Transfert et d'Echange du Savoir - est le nom de l'entreprise qu'il a fondée, en 1997, avec cinq partenaires québécois: ADMI Productions, Informatique Comtel, Mirage Multimedia, le CMTBQ et D4M, une firme de Chicoutimi. En partenariat avec CINAI Internet de Cuba, le projet a déjà l'aval du Red Interregional de Teleformacion en America y Caraibe (RITAC), un réseau, fondé à Santo-Domingo en juin 1998, regroupant 32 pays hispanophones. Pyrovac, une entreprise du Parc
technologique du Québec métropolitain qui a développé le marché
de Cuba au cours des deux dernières années, vit, elle, ce qui est le
plus frustrant avec les Cubains, la pénurie de financement. "Ils
veulent notre technologie, mais ne sont pas capables de trouver 100 000$
pour une étude de faisabilité", témoigne la porte-parole de
l'entreprise, qui met actuellement ses énergies sur le marché européen. "PORTE-AVION" POUR L'AMÉRIQUE LATINE? Ce sommet
de Québec a aussi permis d'apprendre que Cuba s'apprête à bientôt
joindre le marché commun des Caraïbes (Caricom). Ce qui n'est pas sans
intérêt, lorsqu'on considère Cuba à travers les enjeux stratégiques
en Amérique latine. La grande question à moyen terme devient alors: qui
aura le "porte-avion" cubain? Certains
sont déjà passé à l'étape suivante et ne doutent aucunement de la
justesse de leur analyse. "Ne perdez pas votre temps en Chine, en
Indonésie et où encore... Ne laissez pas passer une opportunité comme
Cuba" renchérissait, entre deux séances officielles du Sommet, un
"conférencier" improvisé qui habite sur place depuis quelques
années.
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