Voici l’article 4 de 4 de notre dossier spécial
Parce qu’il fallait bien tenir compte du contexte et qu’il devenait impossible, voire inconséquent, de continuer de vous parler béatement d’un voyage touristique – même en Inde -, alors que l’humanité entière se mettait en mode « d’état de guerre » pour contrer une pandémie, notre 3e RDV de 4 s’était adapté avec un surtitre de circonstance : « (…) en choc COVID-19 / Virus LI WENLIANG ».
Parce qu’il faut bien en revenir de cette pandémie, la transcender… parce qu’elle finira par passer, comme bien d’autres misères que supporte l’humanité… Parce qu’il faut bien en revenir aussi… de l’Inde. Ce dernier article se concentrera sur des souvenirs marquants, parce qu’ils donnent espoir… Comme des moments de sens. Et comme pour rester en harmonie avec le besoin du moment, de ce printemps 2020, qui rêve de vivacité, de survie et d’après…
Que nous restera-t-il après la COVID-19, quelque part en 2020-21 ? Que nous reste-t-il après six semaines passées dans le sud de l’Inde, fin 2019, quatre mois plus tard ?
Voici quatre (4) moments, à mes yeux et selon mon coeur de grand voyageur, qui donnent du sens à mes bons souvenirs de l’Inde, et surtout des Indiens:
1er moment de sens : Même à Bombay, un train bondé ne vous laisse pas tomber
J’avais laissé plusieurs trains passer, le temps de prendre toute la mesure de l’aventure, vers les 9 h 00 du matin de ce 28 décembre 2019, sur les quais de la station Andheri. Rien à voir avec la version du Métro de Montréal. Ici, il faut littéralement batailler sa place, et très vite, dans un wagon pourtant énorme. Et ceux-ci étaient encore plus bondés, ultra-bondés, lorsque arriva le moment de faire le chemin inverse, vers les 19 h 00, de la tête de ligne, station ChurchGate, pour rentrer finaliser mes bagages après ma journée Bombay, la seule, et ma toute dernière journée avant un vol de nuit qui m’attendait pour rentrer au Canada.
Photos: Arrivée au coeur de Bombay/Mumbai à la stratégique station ChurchGate le 28 déc. 2019.
Bras bien chargés, jamais je n’aurais pu réussir ce trajet sans la collaboration de plusieurs Indiens du même wagon. En vérité, jamais je n’en serais ressorti à bon port n’eut été de la clairvoyance, l’amabilité, la gentillesse, la volonté d’entraide et de solidarité qui me furent dévolues par une soudaine brigade improvisée d’habitués de Bombay. Un s’assura que je sorte à la bonne station; un autre que je me maintienne pendant le trajet assez proche de la porte pour pouvoir sortir le moment venu; alors qu’un troisième, un jeune, grand, mince gaillard, judicieusement planté entre moi et ladite porte, se fit derechef mandater de voir à bien m’extraire, avec lui, de l’étouffant et incroyablement bondé wagon, au moment venu. Moment qui arriva heureusement assez vite, car j’étais bien proche de ne plus pouvoir tenir, « ensardiné » et de plus en plus compressé par tous. Et c’est bien ce qui se passa: sans ce jeune, grand et fort sauveteur, je ne serais jamais sorti là, à ma station Andheri. Merci gens de Bombay.
2e moment de sens : 120 secondes d’un long feu rouge dans le silence d’un trafic discipliné
Bengalore n’était pas une destination prévue dans les premiers plans de mon voyage. Mais je n’aurais que ce seul souvenir de mon passage de quatre jours dans cette métropole affairée, et j’en serais satisfait. Ce moment de sens fut d’abord un moment de surprise. Comment ne pas être surpris, alors qu’en piéton prudent au cœur d’une des principales métropoles économiques indiennes, découvrant une intersection que de nombreux arbres gardent ombragée, c’est l’image d’un feu de circulation au rouge qui capte d’abord totalement votre attention… Ce n’est certes pas sa couleur rouge qui fait surprise, mais vite le décompte des secondes qui s’y affichent aussi. Et surtout la conséquence ! Car la véritable surprise fut ensuite de constater que s’étalait devant mes yeux, et bien au-delà de ce qu’ils pouvaient voir, des centaines de véhicules, évidemment à l’arrêt, mais moteur coupé ! Serrés pare-choc à pare-choc… aux aguets… cette masse indénombrable de conducteurs de voitures, de camions, de taxis, de motos, tuktuk 3-roues ou d’autobus… tous dans un silence surnaturel, suspendu, accroché… Oui, bel et bien accroché à ce petit temps (de grâce), à ces dernières des 120 secondes d’un feu au rouge déclinant : 5, 4, 3… oui, un silence qui tient jusque là… Jusqu’à 2, 1… Quasiment la dernière seconde, qui voit, là, mille vrombrissements se réactiver. Tout un vacarme de moteurs divers – pourtant habituels dans une telle mégapole -, mais qui s’étaient bel et bien tous reposés deux minutes, 120 secondes, permettant un silence inattendu. Faisant s’ébahir le touriste que j’étais.
Me disant que c’est notamment ainsi que cette ville gagne donc sa réputation internationale de « Smart City », de « ville intelligente » qui applique des technologies innovantes, améliorant la qualité de vie de ses citoyens. Et effectivement, le temps de l’arrêt à un feu rouge, j’eu ce beau plaisir d’avoir l’impression, momentanée – deux petites minutes – que l’air du coin était plus respirable et agréable.
3e moment de sens : croiser un ange dans la 7e plus grosse ville de la planète
On dit que Bombay-Mumbai, avec ses plus de 20 millions de citadins, arriverait au 7erang des villes les plus populeuses de la planète. Je n’avais évidemment pas fermé l’œil de la nuit dans ce dernier grand trajet en train de mon voyage qui m’avait vu quitter Ratnagiri vers les 20 h 30 (avec 3 heures de retard) et m’avait fait tout de même arriver à l’heure prévue, en pleine fin de nuit à 04 h 00, dans une station bien endormie, quasi déserte, du nord de la méga-ville. Pas grand monde pour m’indiquer mon chemin… Je trouvai tout de même la gare, un guichet ouvert, puis un billet pour un train urbain, cette fois, qui me rapprochera du centre-ville. Mais pour aller où ? Je ne le sais pas encore : il n’y a jamais eu assez de courant dans les prises électriques de ce train de nuit pour me permettre de rechanger mon téléphone et je fus donc incapable de préparer et planifier quoi que ce soit. Je suis donc là, me demandant même si je prends le train-urbain dans la bonne direction…
Et c’est justement là – et à cause de ça – que ça arrive. Qu’il est là pour moi ! C’est à cet homme, arrivé de nulle part avec ses habits d’homme d’affaires-voyageur, sacoche d’ordi et bagages conséquents, qui marche dans la même direction que moi et à qui je demande si je suis bien dans la direction sud… Et qui, me le confirmant, s’installe debout (oui, bien qu’il soit environ 04 h 15 du matin, il y a beaucoup de monde), qui se cramponne donc, dans le même wagon. Tout proche de moi. Et c’est là que des yeux se regardent plus longuement. Qu’il engage la conversation. Qu’une confiance s’installe rapidement, naturellement.
Tellement que quelques minutes et que trois ou quatre stations plus tard, non seulement je me sens plus assuré en sa présence, toujours en étranger que je suis, en terre totalement inconnue, en pleine nuit… Mais voilà que j’ai un ange qui vient de comprendre ma situation, mal aisée, et qui m’offre spontanément gite pour la journée, en plus de son aide pour organiser ma dernière journée en Inde. Et surtout ma seule journée dans sa ville à lui. Cette ville que lui connaît.
Moins d’une heure plus tard, il m’ouvre la porte de son appartement de fonction, m’en confie la clé, et repart. Car il a fait un détour pour ainsi m’accommoder. Lui, c’est ailleurs, dans l’immense Mumbai, qu’il doit faire sa journée.
Cordialement, il m’expliquera vite tout : «Tu peux dormir là ; prendre une douche ici ; laver ton linge là ; te faire à manger ici… Tu es chez toi. » Et de s’attabler un petit temps encore pour me rédiger un programme pour la journée, et d’y inscrire méticuleusement le nom de toutes les stations de train que j’avais à traverser pour me rendre… et ensuite bien revenir, chez-lui. « Et assure toi de rentrer pour 20 h 00 ici, au plus tard, car il faudra que je t’organise un transport pour l’aéroport, pas plus tard que 21 h 00, pour que tu ne manques pas ton vol (prévue lui à 01h30) », me préviendra-t-il avant de quitter pour un RDV d’affaires qui, manifestement, le préoccupait, je le senti bien.
Et c’est ainsi que je fus l’hôte, honoré, d’un ange à Mumbai, lui tout autant honoré… Il voudra à peine tremper ses lèvres dans le petit verre de vin blanc de Mysore que j’insistai de boire avec lui, pour le remercier, dans la petite heure que nous partageâmes, avant nos adieux en soirée.
« Quand tu reviens en Inde, tu peux venir ici n’importe quant. Tu as ici un toit qui t’attend », me répétera cet homme bon jusqu’à la fin.
Sa gentillesse avait-elle à voir avec le fait qu’il ne me cacha pas sa foi zoroastrienne ? Sa chambre était effectivement dotée d’un petit coin dédié à sa spiritualité affirmée. Je me plais dorénavant à croire qu’en ce XXIe siècle, tous les croyants du sage Zoroastre – ce philosophe de bien avant Jésus, le juif fait chrétien, ou Mahomet le musulman – sont aussi des anges comme lui. Encore merci à toi.
Photos: C’était à Mysore que j’avais pu acheter le célèbre vin de la place, non sans goûter aussi ledit fruit trouvé directement dans les marchés de rue de cette ville également courue pour son Palais royal … de pures délices!
4e moment de sens : Kanyakumari le bout du monde de l’Inde
Ce n’est pas sur les programmes touristiques usuels, mais j’y tenais : allez à l’extrême pointe sud de l’Inde, du sous-continent indien. Là tout au bout ! À l’endroit précis qui voit les vagues de trois morceaux d’océan se rencontrer, se mélanger, faire un. Là, parce que des milliers de gens sont levés avant le soleil à chaque jour pour justement le saluer, lorsque, lui, se lève.
C’est un moment magique, exquis ! Je ne regrette tellement pas le long chemin d’autobus pour aller jusque là ; ce détour de deux jours (plutôt que de continuer en traversant au Kerala pour remonter ensuite plein nord, par cette fois la côte occidentale de l’Inde du Sud (Côte de Malabar). Kanyakumari : presque village plutôt que petite ville. Essentiellement des hôtels, pour des touristes d’ailleurs quasi exclusivement indiens (pendant deux jours nous ne verrons aucun autre occidental) ; un mémorial en bord de mer, dédié à Mahatma Gandhi ; une intrigante, tonitruante, éclatante église chrétienne ; mais surtout une situation géographique exceptionnelle.
Dans la rumeur des vagues qui arrivent de trois côtés, à travers les coups de sifflet des deux-trois soldats qui avertissent périodiquement les audacieux de ne pas s’avancer davantage dans ses eaux toujours dangereuses – pousser par de grands et forts vents sans retenue -, qui disputent pour ne faire regarder que de loin cet immense drapeau rouge (symbolique… le pense-t-on instinctivement) sur un dernier rocher, qui fait office de bout d’un monde. Oui, monde qui n’a pas son pareil…
Et lorsqu’il se pointe, ce dit soleil, une clameur sourde s’élève de la foule, comme une satisfaction, un remerciement, un contentement. Comme si un sens venait d’être donné à cette nouvelle journée toute jeune, cette journée qui commence.
Là pourtant justement où ce pays finit.
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