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Chronique « AFFAIRES et ÉTHIQUE » | ||||||
Les mécanismes de la corruption et les pièges implacables qu'elle peut créer Par Gérard Verna,
LES CONDITIONS FAVORABLES À LA CORRUPTION
LES ACTEURS DE LA CORRUPTION Mais attention aux définitions trompeuses. Aux yeux de la morale ou de l'éthique, le corrupteur sera celui qui prend l'initiative de l'opération de corruption et le corrompu celui qui accepte ce que l'autre lui propose. Mais aux yeux de certains États qui veulent protéger leurs fonctionnaires, est considéré comme corrompu actif celui qui donne et corrompu passif celui qui reçoit...
QUELLE EST L'AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE ? Il est généralisé sur toute la planète et ce n'est pas le vent croissant de cupidité, de spéculation, de valorisation de l'argent, de monétarisation, de commercialisation systématique (sport, santé, etc.) qui va le faire diminuer, même si dans le même temps de nombreux États se donnent des législations restrictives. « Les élites politiques et leurs acolytes continuent de toucher
des pots-de-vin chaque fois que l'occasion se présente », a déclaré Peter
Eigen, président de Transparency International qui publie chaque
année un index mondial de la corruption. « Main dans la main avec des milieux
d'affaires corrompus, ils enchaînent des nations entières dans la pauvreté,
freinant ainsi leur développement durable. La corruption est extrêmement élevée
dans les régions pauvres du monde mais également dans beaucoup de pays dont les
sociétés investissent dans les pays en voie de développement », a-t-il ajouté. QUE FONT LES ENTREPRISES? Mais elles ont parfois des sous-traitants locaux ou de pays tiers avec lesquels elles peuvent négocier discrètement des accords de représentation commerciale largement rémunérés et incluant implicitement le reversement de commissions occultes à ceux qui les espèrent.
Cette
façon de tourner la loi offre des avantages et des inconvénients. Elle peut, à
court terme, permettre de gagner des contrats et donner une fausse illusion de
sécurité et de victoire. Mais, à moyen terme, elle est toujours très coûteuse,
trop coûteuse et parfois même coûteuse longtemps. On ne sait jamais combien a été distribué et à qui, ni même si quelque chose l'a effectivement été et cela peut devenir extrêmement gênant lors de discussions officielles ultérieures avec des responsables qui ont peut-être un lien indirect, favorable ou défavorable, avec l'entreprise sans que ses responsables le sachent vraiment. Car à faire faire la sale besogne par d'autres pour ne pas se salir les mains, on prend le risque de perdre le contrôle de ses affaires. CONCLUSION Les victimes de la corruption sont souvent dans l'ignorance de ce qui leur est retiré. Lorsqu'un marché de travaux publics donne lieu à un bakchich, elles peuvent être lésées en tant que contribuables ou en tant qu'automobilistes. Dans les deux cas, il leur est impossible d'apprécier clairement le surcroît d'impôts ou l'excès de péage qu'elles ont à acquitter. Lorsque les victimes sont nombreuses et peu conscientes, la triche est d'autant plus facile. En revanche, lorsque les victimes potentielles sont mieux identifiées, il convient de ne pas adopter une attitude passive. Les grandes catastrophes industrielles, comme Tchernobyl et Bhopal, sont liées non pas à la corruption, en tant qu'attitude active, mais plutôt à la tricherie par passivité. Les risques objectifs de certaines usines sont très grands, mais une série de collusions engendrent la passivité des différents acteurs. Fraudeurs et autorités, corrupteurs et corrompus, entrepreneurs négligents ou indélicats et leurs victimes sont liés dans des situations où il y a eu, à un moment au moins, convergence d'intérêt. Un bon exemple historique, de très grande dimension, est celui de la prohibition de l'alcool aux États-Unis dans les années trente. Au lieu d'aboutir à une société tempérante, cette mesure parfaitement radicale eut pour effet d'offrir un extraordinaire terrain de développement pour les activités de la pègre. De plus en plus l'idée s'impose que les mesures réglementaires doivent avoir un caractère raisonnable par rapport à la nature humaine, aux motivations et aux capacités morales réelles des individus. Les contrebandes sont pour beaucoup l'histoire de ces zones floues où la réglementation crée l'opportunité de triche, sans pour autant que le contrebandier fasse l'objet d'une forte désapprobation des honnêtes citoyens... qui d'ailleurs lui achètent parfois ses marchandises. Parfois les choses vont loin. Même lorsqu'on se pare de la
respectabilité et de la dimension d'une grande banque internationale. Un bon
exemple de fruit empoisonné est celui de la BCCI, la Bank of Credit
and Commerce International, fermée en juillet 1991. Des centaines de
milliers de déposants ont été partiellement ou totalement ruinés par la faillite
de cette banque. Liée aux services secrets de plusieurs pays occidentaux,
contribuant directement aux trafics d'armes et de drogue, elle a pratiqué le
détournement de fonds de sa clientèle à grande échelle. Ce qui est étonnant dans
l'affaire de la BCCI, c'est la respectabilité qu'elle a su maintenir pendant
tant d'années, alors même qu'elle était engagée dans des opérations clairement
criminelles. Là aussi, le mot-clé est "opportunisme". Cette respectabilité n'a
pas été mise en cause parce qu'elle arrangeait trop d'acteurs. L'affaire BCCI a
une grande vertu démonstrative : elle montre les liens systémiques qui existent
entre services secrets, paradis fiscaux et sociétés écrans, trafics d'armes et
circuits financiers parallèles. Le malheur dans cette affaire est que plus de
cent mille petits déposants se sont retrouvés pris au piège lorsque la banque a
été fermée. |
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