Retours sur le « Tribunal populaire » de Québec et de Chaudière-Appalaches et sur le FSM de Mumbai (Inde)

par Renaud Blais
Militant Altermondialiste

En bonne partie à cause de la conjoncture nationale au Québec, les forces vives de la société civile, groupes et/ou individu, sont à ce moment très mobilisées autour d’une RÉSISTENCE face aux reculs que le gouvernement du Québec continue de vouloir imposer à la société toute entière. Dans ce contexte, le Comité promoteur de ce 2e Forum social a décidé, à la fin de février, de tenir non pas un forum social, mais une activité plus modeste, un Tribunal populaire, où les groupes sont venus exposer leurs récriminations à l’égard du gouvernement Charest.

Mon impression générale suite à cette décision, et de sa réalisation avec succès, est qu’il est plus facile (voir habituel) pour de grandes organisations comme les syndicats par exemple, de mobiliser CONTRE un gouvernement que de travailler à la concertation et à l’établissement de convergences devant mener à l’élaboration d’ALTERNATIVES citoyennes… Comme une juste devise le dit : « Rien ne sert de tirer sur les fleurs, il suffit de ne pas oublier de les arroser… »

Malgré la participation modeste de plus d’une centaine de personnes, des avancées nombreuses furent constatées par les organisateurs. Une véritable chimie a été vécue entre les membres des groupes de la rive sud et de la rive nord de notre grand fleuve, ce qui laisse entrevoir un avenir prometteur. De nouveaux groupes qui n’étaient pas actifs au Réseau du Forum social de Québec-Chaudière-Appalaches se sont joints. Ce Tribunal populaire a permis une mise en commun et d’exposer les revendications de « groupes sectoriels » qui n’ont pas toujours à l’esprit ce que font les autres tout près de chez eux. Ceci sont quelques PLUS que le Tribunal populaire du Réseau du Forum social Québec-Chaudière-Appalaches a permis. Ceci dans la perspective de mobilisation large contre la « tronçonneuse CHAREST » dans nos services publiques et sociaux non moins essentiels comme le ministère de l’Environnement qu’on affame davantage afin certainement de le rendre inopérant.

La liste des récriminations à l’égard du gouvernement Charest entendues devant ce Tribunal populaire sera bientôt présentée dans le site du Réseau à : www.reseauforum.org

ACTUALITÉ INTERNATIONALE
Pour ce qui est de l’actualité internationale, le site Web du Forum social mondial s’enrichit tous les jours des résultats obtenus lors des toujours très nombreuses activités de tous genres auxquelles donne lieu la tenue d’une édition de cet extraordinaire rassemblement international, annuel pour le moment, que constitue le Forum social mondial. Pour le moment, parce qu’il est question de le tenir aux deux ans, pour permettre la tenue plus régulière de forums sociaux locaux, nationaux, régionaux et thématiques dont les résultats pourraient être acheminés plus systématiquement aux forums sociaux mondiaux. Après l’Inde en 2004, l’an prochain Porto Alegre sera de nouveau la ville hôte. Ensuite, il est question de l’Afrique, plus précisément du Maroc et probablement à Casablanca pour 2007. Ensuite l’Océanie est sur la liste… La décision sera prise sur la fréquence des forums sociaux mondiaux lors du prochain Conseil international, sorte de permanence du FSM où le groupe Alternatives du Québec est représenté depuis le début, à Porto Alegre en janvier 2005.

La quatrième édition du FSM, du fait qu’elle eut lieu en Inde, a fait progresser le FSM de nombreuses façons : une réelle internationalisation et une consolidation de l’expérience FSM, un élargissement géographique et thématique, aussi une évolution de la compréhension chez les militants de la diversité de la réalité vécue par les différents groupes sur les différents continents… Certaines questions qui entent les délibérations des FSM depuis le début ont continué de cheminer. Par exemple, le questionnement à savoir est-ce qu’il est toujours aussi pertinent de refuser une représentation officielle des partis politiques ? Le refus clair de ne pas admettre les groupes qui font la promotion de la violence comme moyen de changement a été de nouveau posé avec l’organisation, marginale mais présente du « Mumbai resistance ». Il s’agit d’un groupe d’extrême gauche qui ont organisé leur contre-forum social mondial. Le débat persiste à savoir si dans l’enceinte même du FSM ont doit élaborer des alternatives concrètes ou si ce « moment-lieu » de débat doit demeurer un moyen de rencontre de groupes et d’individus qui en dehors du FSM comme tel peuvent à tout moment faire émerger des regroupements et/ou coalitions, où des actions concrètes peuvent être élaborées. Il y aura toujours des plus impétueux et des tenants de la concertation vers une convergence très large.

J’ai pu lire le témoignage d’un Coréen qui disait que le FSM avait permis à des Coréens de réaliser qu’il fallait qu’ils établissent des convergences entre eux, pour participer au FSM. J’ai trouvé ça extraordinaire d’enseignement quant à ce que peut permettre des rencontres comme le FSM.

Des activités larges, auto-organisées ouvertes ça ne correspond pas « à la façon de faire », de bien des groupes. Ceux-ci sont encore peu nombreux à participer à des forums officiels. Par ailleurs, les activités autonomes qu’engendrent les invitations aux Forum sociaux ont continué de se développer avec l’expérience indienne.

Une des originalités du FSM à Mumbai fut qu’une large majorité des participantEs au FSM l’ont fait de façon autonome et sur leur propre base. Une majorité de ces « actions » ont été des expressions culturelles artistiques comme la danse, la musique; sans oublier la mise en valeur de slogans politiques présentés de toute sorte de façon plus originale les unes que les autres.

Le Forum de Mumbai a surtout été une manifestation populaire, une manifestation du peuple. Par rapport à Porto Alegre, mais surtout par rapport aux forums sociaux européens qui ont mobilisé principalement des gens des classes moyennes. La présence à Mumbai des Intouchables, des paysans, des organisations de femmes et de jeunes, des gens visiblement pauvres, a été largement majoritaire. « Le Forum est devenu non seulement plus mondial ; il a été également plus social ».

Une autre contradiction frappante a été entre les gens qui manifestaient dans les rues, souvent criant des slogans et frappant sur des tambours, et ceux qui discutaient dans les salles de réunion. La diversité est une caractéristique marquante des Forums sociaux et à Mumbai elle était très nette, mais sans un dialogue entre les diverses cultures, elle peut se transformer en dialogue de sourd et les gens ne se rencontrent pas. « Apprivoiser l’interculturalité demande du temps. Elle ne s’improvise pas. »

DÉFI POUR L’AVENIR
« Bien sûr, nous avons progressé depuis la chute du mur de Berlin, ou depuis la chute de l’Apartheid en Afrique du sud. Tous les progrès sont significatifs. Les forums sociaux, les alliances diverses sont importantes. La question demeure : Comment allons-nous faire pour être, dans ces forums, par ces alliances, vraiment à la hauteur ? Ferons-nous vraiment basculer l’empire ? » Cf. les 3 dernières citations : Gustavo Marin - Atouts et tensions de la dynamique altermondialiste, 20/02/2004.

« What is happening here is that we are connecting with people from Brazil, South Africa, Canada… We go home knowing we are not alone. We are also discovering how to be more effectively coordinated. » Mrs Homa Kadeep, helps coordinate campaigns defending forest peoples rights to land and natural resources across India.

This, [the WSFs founders/ Charter of Principles] argues, requires a space to serve a common objective of creating alternatives to neo-liberalism and war. That space would function as a public square without leaders or pyramids of power. It is intended as "a factory of ideas" or an incubator from which new initiatives aiming at the construction of another world can emerge… » Cf. Hilary Wainwright - From Mumbai with hope, 27/02/2004 Red Pepper, March 2004.

Le FSM suscite beaucoup d’intérêt à tel point que le président de la Banque mondiale a exprimé le souhait d’y prendre la parole: « The president of World Bank, Mr. Wolfensen, reportedly requested the organizers to let him speak at the WSF 2004 ». Cf. Humeira Iqtidar - NGO factor at WSF worries activists,18/02/2004.

Un élément très important et INCONTOURNABLE à prendre en compte, pour toutes celles et ceux qui souhaitent « suivre un peu le développement du Forum social mondial » dans les prochaines années. Il s’agit d’un texte fondamental pour l’avenir, publié lors d’une rencontre officielle du Comité international du Forum social mondial qui a suivi l’édition 2004 en Inde. C’est plus de 20 pages et dans une autre langue très répandue. En voici un petit extrait :

« Developing common national, regional/continental, and especially international, plans of action is such a complex political and practical process that the most productive framework(s) and base(s) for detailed tactical and strategic discussions arise most securely from the discussions and debates within and between national/regional frameworks or social/sectorial networks. »

Pour les intéresséEs, le texte complet est à : http://www.reseauforum.org/documents/WSF-IC 2-2004.doc

Quelques phrases très riches de sens pour « voir, sentir ou frémir le FSM »
« En 2002, selon le principal organisateur indien, il n’y avait pas plus de 200 personnes du pays qui avait entendu parler du Forum social mondial. En 2004 des centaines d’organisations et plus de 100 000 Indiens y sont venus, en provenance de tous les groupes sociaux, et parmi eux 30 000 dalits (les intouchables), les adivasi (les peuples tribaux) et des femmes de partout. En outre, à la différence de la culture politique traditionnelle en Inde, pour la première fois, une large gamme de tendances politiques ont travaillé ensemble ». Cf. Immanuel Wallerstein - La force croissante du Forum social mondial, 16/02/2004.

Pierre Rousset, dans : Retour sur les conditions d’un succès, 15/02/2004, établit « les raisons du succès du 4e FSM aux faits qu’il y eut Hyderabad, en janvier 2003, le Forum social asiatique, ce qui a donné lieu à de nombreuses activités de type forum social dans les différentes localités et régions de l’Inde, ce qui a permis à des groupes très divers, qui n’avaient jamais travaillé ensemble, de parvenir à la collaboration nécessaire pour rendre possible l’organisation du 4e Forum social mondial. Une Tamoule témoigne : « Nous ne pouvons pas nous parler, nos langues sont trop éloignées. Mais quand je les vois manifester, je comprends le message, je reconnais des situations communes. Nous nous rencontrons par-delà les barrières linguistiques. Nous vibrons. Nous sommes heureux d’être ici, ensemble. »

« Nous avons maintenant deux projets de globalisation, un provient de la société civile et l’autre du système néolibéral. Un jour ils négocieront un contrat pour promouvoir un monde meilleur et plus juste », Boaventura de Sousa Santos, sociologue portugais.

Le FSM est… « le plus grand réservoir de pluralité ethnique, linguistique, religieuse et culturelle du monde dont nous n’avons jamais été témoin. De plus, cette diversité est d’une richesse d’interaction et d’idées. » Praful Bidwai, in: India Hosts the World February 16, 2004, The Nation magazine.

«Pas de projets qui sortent du FSM ? Mais prometteur par le concept qui se propage partout sur la planète. Une centaine de FS en Italie seulement… », Michael Albert - Mumbai, Le FSM et l’avenir, 11/02/2004.

Et, pour terminer, même pour celles et ceux qui croient ne pas pouvoir lire l’espagnol, lisez ceci vous y verrez plein de sens : « El Foro Social Mundial es la verdadera [véritable] ONU, porque aquí están los pueblos con voz propia. [ ici sont les peuples avec leurs voix propres] Este es el auténtico espacio de convergencias de sectores y naciones, para decir lo que aspiran y lo que es importante para la humanidad ». Ce sont les propos de la leader équatorienne Blanca Chancoso dans un discours à la fin du Forum. “ Otro mundo es posible, urgente y necesario.»