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Malgré des annonces intéressantes du ministre Audet
« La Boule de cristal » du CRIM n'augure rien de bon à court terme pour l'industrie des TIC au Québec

par Daniel Allard

Parlant juste avant le rédacteur en chef du journal Les Affaires, le ministre du Développement économique et régional et de la Recherche du Québec, Michel Audet, a eu du flair en quittant la salle bondée de plus de 500 personnes très attentives. Son moral est ainsi resté sauf avant que René Vézina défile son analyse plutôt sombre, particulièrement pour l'avenir immédiat des entreprises de l'industrie des TIC. L'événement « La Boule de cristal » du CRIM, le Centre de recherche informatique de Montréal, tenu sur deux jours, au Palais des congrès de Montréal, les 4 et 5 février 2004, avait manifestement plus préoccupant que la « téléportation » de Ray Kurzweil, son futurologue conférencier-virtuel vedette, à offrir!

Si le président de Kurzweil Technologies a donné sa conférence via hologramme en 3D interactif et en temps réel - sur le thème de la convergence de l'humain et de l'ordinateur - en restant très confortablement assis dans son bureau de Boston (outre sa voix « DarthVaderisée » et caverneuse « l'exploit » valait certainement le déplacement pour les participants - merci au CRIM), René Vezina, lui, n'avait heureusement pas des heures en avion à franchir pour venir présenter son exposé et ce fut tant mieux, car à 7 500 $US seulement pour louer la technologie nécessaire, le mode conférencier-téléporté n'est pas encore un deal!

René Vézina c'est refusé à être un pessimiste, arguant l'importance de la lucidité! Mais son analyse reste troublante:

  • Les lendemains qui chantent pour des avenirs meilleurs risquent d'être plus lents, car le vieillissement de la population va retarder l'application des nouvelles technologies promises dans ce Québec vieillissant par ailleurs plus vite que la moyenne mondiale;

  • Sur le plus court terme, on va selon-lui devoir faire monter les taux d'intérêt plus rapidement que ne le dit actuellement Alan Greenspan, et le jour ou les taux augmentent, la bourse va baisser, ce qui laisse moins de capital disponible pour le financement de l'industrie des TIC;

  • Et si c'est incertain du côté boursier, c'est encore pire pour l'entrepreneur du Québec! Chroniquement en sous-capitalisation et habitué que l'État faisait tout, entre cet « État qui fait tout » d'avant et « l'État qui fait peu » des Libéraux maintenant au gouvernement, il y a un vide qui va faire mal: « Le ministre Audet va-t-il pouvoir modifier la notion, l'image, que les Américains ont du Québec et réussir ainsi le pari de voir arriver ici assez de capitaux privés pour répondre aux besoins? », a-t-il lancé.

«Il faut trouver des ponts,
des ponts de liane s'il le faut,
pour garder l'espoir...»

« Il faut du capital patient pour ne pas voir s'évanouir les rêves de nos jeunes, sinon ils vont quitter le Québec... On a dit à nos jeunes : ‘Vivez vos rêves!' et les investisseurs, eux, vivaient leur fantasmes... Le capital va faire de plus en plus défaut; ce n'est pas vrai qu'il manque d'idées et que le capital est là... Il faut trouver des ponts, des ponts de liane s'il le faut, pour garder l'espoir... Compter sur les réunions de famille du jour de l'an pour se financer, c'est pas vivable », a aussi dénoncé le rédacteur en chef de l'hebdomadaire LES AFFAIRES.

MALGRÉ DES ANNONCES INTÉRESSANTES DU MINISTRE AUDET

Pour sa part, le ministre Audet, avant d'exposer plusieurs informations pertinentes, y est allé de quelques effets de surprises: « Vous n'avez pas besoin de me dire que les boules de cristal, ce n'est pas particulièrement la tasse de thé des hommes et des femmes politiques. Et puis moi, je ne suis pas un cyberpoliticien, un homme particulièrement excité par les prouesses informatiques », a-t-il lancé d'entrée de jeu.

Plus loin, il a ensuite affirmé que : « ...plus personne n'a les moyens de faire de la recherche pour la recherche… pas plus, hélas que nous ne pouvons pratiquer, comme à une certaine époque, l'art pour l'art. Nous consentons des efforts significatifs en R-D parce que nous en escomptons des retombées concrètes en matière de développement économique. Je ne veux pas soumettre la R-D à une espèce de comptabilité mercantile, mais la préoccupation de l'application industrielle de la R-D doit être répandue, y compris dans les équipes de recherche. »

Il a aussi détaillé « un projet qui, justement grâce aux technologies de l'information, va permettre de simplifier la vie des entrepreneurs et des entreprises ».

UN PORTAIL UNIQUE D'ICI 6 MOIS

« En matière d'informatique comme en bien d'autres domaines, le Québec vit un paradoxe. Des observateurs étrangers viennent nous dire que certains ministères figurent parmi les organisations les plus avancées, au plan technologique, du Canada, et même de l'Amérique du Nord. D'un autre côté, on nous reproche un incroyable retard dans le développement des services gouvernementaux en ligne. Ça semble contradictoire a priori. Pas vraiment. Cela s'explique du fait qu'au gouvernement, les développements informatiques se sont trop souvent faits en silo. (...)Il suffirait de rassembler ces développements isolés dans un même portail, une même voie d'accès, un guichet unique en somme, pour que soudainement, apparaisse une forêt en assez bonne santé plutôt qu'une juxtaposition d'arbres.

C'est l'essence du projet de services en ligne du gouvernement… du moins dans sa première phase. Je m'en tiendrai aux services aux entreprises... Les technologies de l'information constituent une avenue extraordinaire pour contrer la complexité des réglementations et des formalités administratives.

(...)Nous avons examiné la situation d'un entrepreneur qui veut démarrer un restaurant avec permis de boisson. Il doit s'adresser à 6 ministères et organismes différents, remplir 16 formulaires, répéter 27 fois ses nom et adresse, 21 fois le nom de l'entreprise. On va s'adresser à lui, par formulaires interposés, en l'appelant de 21 manières différentes. Il est tantôt un requérant, un demandeur, un exploitant, un entrepreneur, un fondateur, un associé, un propriétaire, un responsable administratif, un signataire, une personne morale… et j'en passe.

Bref, c'est compliqué. Et c'est surtout impossible de ne rien oublier. Mais grâce à l'informatique, et aussi à une volonté politique de simplifier la vie des gens, nous allons mettre en ligne, dans six mois, et je dis bien dans six mois, un portail qui donnera aux entrepreneurs et aux entreprises l'accès convivial à l'information complète dont ils ont besoin et la possibilité d'effectuer, en ligne, de nombreuses transactions avec le gouvernement.

Nous allons mettre en ligne,
dans six mois,
et je dis bien dans six mois,
un portail qui donnera aux entrepreneurs
et aux entreprises l'accès convivial
à l'information complète
dont ils ont
besoin...

Des étapes subséquentes permettront de pousser plus loin ces développements, notamment en étendant la prestation électronique de service et en donnant accès à l'information sur les services du gouvernement fédéral puis ceux des municipalités. »

Le ministre Audet s'est ensuite attardé au domaine plus large de la recherche-développement au Québec et de l'importance qu'elle présente pour l'actuel gouvernement.

« Au Québec, nous avons atteint un niveau de maturité en R-D. Nous avons les infrastructures, les équipes de recherche, les institutions et les mécanismes de liaison entre la recherche et l'industrie, les projets porteurs, les mesures fiscales incitatives et le capital de risque pour commercialiser les découvertes. Bref, nous avons un système de recherche-développement. Ce système s'est bâti lentement, patiemment, avec quelques erreurs de parcours sans doute, mais avec constance et détermination. »

« La part de notre produit intérieur brut consacré à la R-D n'a cessé de croître depuis dix ans. En 2001, le Québec a consacré à la R-D 2,67 % de son PIB. À ce niveau, nous nous plaçons au dessus de la moyenne des pays de l'OCDE et même du G-7. Nous sommes au 8ième rang des 30 pays de l'OCDE, en avance sur l'Ontario et le reste du Canada. Notre gouvernement s'est fixé l'objectif de porter à 3 % du produit intérieur brut notre effort collectif en R-D d'ici 2008. Il s'agit d'une cible ambitieuse et elle devrait tous nous mobiliser. Il faut non seulement augmenter la part de la recherche sur le PIB mais aussi viser à accroître les retombées économiques et sociales de cette recherche. »

Notre gouvernement
s'est fixé l'objectif de porter à 3%
du produit intérieur brut
notre effort collectif en R-D
d'ici 2008

« Ce qui est particulièrement intéressant et prometteur, c'est qu'une part grandissante de la R-D au Québec s'effectue dans les entreprises. Ces dernières sont maintenant responsables de 63 % des dépenses en recherche-développement au Québec. Et cette proportion dépasse ce que l'on observe ailleurs au Canada. »

« Notons toutefois que tout n'est pas rose. Les activités en recherche-développement demeurent concentrées dans quelques grands secteurs d'activités industrielles que sont l'aérospatiale, le secteur pharmaceutique, le matériel de communication et le génie. Les succès québécois sont attribuables à quelques grandes entreprises. 2 % des entreprises québécoises engagent à elles seules 72 % des dépenses en R-D. On peut ajouter qu'en dehors de quelques grands centres urbains, la R-D est largement absente. »

Depuis 1987, le nombre de travailleurs hautement qualifiés a augmenté de 40% et représentent aujourd'hui plus du tiers des emplois totaux au Québec. Mais le ministre dit qu'il demeure néanmoins sur mon appétit. « Le résultat des recherches ne pénètre pas assez rapidement dans les entreprises. Nous accusons un important écart de productivité, en particulier avec les États-Unis. On me dit qu'il y a des divergences méthodologiques entre les experts sur la manière de calculer la productivité. (...)Mais une évidence demeure et nous l'avons observée au cours des derniers mois. Lorsque le dollar canadien augmente, les entreprises manufacturières québécoises perdent des parts de marché aux États-Unis et des emplois au Québec. Si elles n'avaient pas de problème de productivité, nos entreprises ne seraient pas aussi sensibles aux fluctuations du taux de change. »

« Beaucoup d'entreprises manquent de productivité parce qu'elles n'investissent pas suffisamment en équipements et machinerie. Elles ne sont pas suffisamment informées des découvertes récentes, dont l'application leur offrirait l'occasion de prendre une position concurrentielle enviable sur les marchés d'exportation. Pourtant, nous avons 28 centres collégiaux de liaison et de transfert et de technologie, 6 centres de liaison et de transfert, des consortium de recherche regroupant les entreprises et les chercheurs, des mécanismes de concertation entre les universités et les entreprises. Bref, il y a bien des gens qui veulent marier la recherche et la production de biens et de services, mais ces agences matrimoniales semblent fréquenter les mêmes cours et elles n'ont pas l'air d'avoir beaucoup de succès auprès des PME. »

« En tant que ministre responsable à la fois du développement économique et de la recherche, je crois qu'il faut analyser, avec le maximum d'objectivité, ces mécanismes de liaison et de transfert de la recherche vers l'industrie. Je souligne ce défi sans chercher de bouc-émissaire. Je dis simplement que les contribuables québécois seront d'autant plus enclins à soutenir le gouvernement dans son appui à la R-D si ces contribuables peuvent constater par eux-mêmes que cette R-D leur donne accès à de meilleurs emplois et qu'elle contribue au développement de leur région et à leur proche enrichissement. »

« Il faut reconnaître aussi que les petites et moyennes entreprises ont vraisemblablement moins besoin d'effectuer elles-mêmes des recherches (elles n'en ont pas toutes la capacité, loin de là) que d'accéder aux technologies existantes. Autrement dit, il y a des limites évidentes à la pénétration de la R-D dans les PME. Ce n'est pas une fin en soi. On peut aider ces entreprises autrement que par la R-D, notamment en leur facilitant l'accès aux meilleures technologies existantes dans leur domaine d'intervention. »

LIEN ENTRE R&D ET ACCÈS AUX CAPITAUX DE RISQUE

« (...)près de 70 % des investissements en capital de risque au Québec ont un caractère public. Il y a un lien évident entre la R-D et le capital de risque. La R-D alimente en quelque sorte la création de nouvelles entreprises technologiques qui elles, ont besoin de capitaux pour se développer. Le gouvernement a précisément rassemblé dans un même ministère les responsabilité du développement économique, régional et de la recherche afin de favoriser une meilleure complémentarité d'action entre ces composantes. »

Le rapport Brunet (...)déposé en décembre dernier en arrive au constat que le gouvernement ne devrait pas être aussi présent dans le capital de risque et devrait plutôt chercher à intéresser davantage le secteur privé. On soutient même que la présence aussi dominante du gouvernement, en plus de coûter très cher, nuit à l'industrie privée dans ce domaine... À peu près tous les observateurs économiques reconnaissent que ce diagnostic est fondé. On diverge quelque peu d'opinion sur la manière d'effectuer la transition, mais à peu près tout le monde s'entend pour reconnaître qu'il faut faire davantage appel au capital privé pour développer les entreprises québécoises, notamment celles du secteur des hautes technologies. Et bien, c'est ce que nous allons faire, après avoir entendu les personnes intéressées lors d'une commission parlementaire qui se tiendra à compter du 24 février prochain. »

« Nous voulons prendre appui sur le secteur privé, pas prendre sa place là où il doit jouer son rôle. Et, lorsque cela sera nécessaire, lorsque le risque est nettement plus élevé, le gouvernement constituera des sociétés mixtes de capital de risque. Bref, certaines règles du jeu vont changer en cours d'année dans le financement des entreprises en démarrage, et notre objectif est d'offrir les meilleures conditions à ces entreprises pour accélérer leur développement. »


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Commerce Monde #39