DOSSIER

Entrevue avec Gilles Breton
« Globalisation, quels enjeux pour les universités? » prise 2

par Daniel Allard

La récente publication des actes de ce colloque international tenu à l'Université Laval, du 18 au 21 septembre 2002, donne l'occasion de revenir sur une réflexion qui n'a rien perdu de sa pertinence. La majorité des participants au colloque «GLOBALISATION Quels enjeux pour les universités?» semblait voir la mondialisation sous un oeil très interrogateur. « Que peut-on reprocher à la mondialisation des universités? Améliorer la mobilité des professeurs et des étudiants n'a que du bon », lançait alors Gilles Breton, directeur du Bureau international de l'Université Laval et président du colloque, dans sa conférence d'introduction. Co-directeur, avec Michel Lambert, de la publication GLOBALISATION ET UNIVERSITÉS Nouvel espace, nouveaux acteurs, (Éd. UNESCO et PUL) Gilles Breton a accepté de répondre aux questions de Commerce Monde, le 11 décembre 2003.

« Allons-nous laisser à la seule autorité de régulation du commerce mondial (OMC) le soin de réguler l'enseignement supérieur de plus de 150 pays? »

« Accepter de voir le monde universitaire global, c'est tout à la fois respecter le système national auquel on appartient et construire un espace permettant d'échanger avec les pays du Sud. »

Deux-cent-soixante-quatre pages pesantent de sens, quatorze communications scientifiques signées John Daniel, Chris W. Brooks, Jamil Salmi, Hans van Ginkel, Jane Knight, Michael Gibbons, Bernard Pau, Riccardo Petrella, David E. Bloom, Goolam Mohamedbhai, Teboho Moja, Jan Currie, Craig D. Swenson, Peter Scott, avec une conclusion du recteur de l'Université Laval de l'époque, François Tavenas (occupant maintenant la même fonction au Luxembourg), FAIRE LIEN AVEC S09) avec la mise en contexte d'usage et l'analyse synthèse des co-directeurs de l'ouvrage, Gilles Breton et Michel Lambert. Bref, une belle lecture du temps des Fêtes!

Ce livre, comme d'ailleurs celui que vient de lancer Jean Lanoix et titrant INTERNET 2025 L'importance d'imaginer le futur (qui fait également l'objet d'un article dans ce numéro de COMMERCE MONDE), est de ceux qui peut changer la vie de celui qui en fait une lecture attentive. (FAIRE LIEN AVEC S20)

Gilles Breton, qui est aussi un professeur de science politique, c'est d'ailleurs fait un devoir de terminer sa lecture du second dans les plus brefs délais! Car bien des solutions aux problématiques soulevées dans GLOBALISATION ET UNIVERSITÉS trouvent une réponse séduisante dans la réflexion prospectiviste de Jean Lanoix.

En cours d'entrevue, il nous apprenait aussi que François Tavenas était pour sa part à Dakar, durant la même semaine, pour préparer un colloque qui se déroulera aussi dans la capitale du Sénégal, en février 2004, avec les actes de Globalisation, quels enjeux pour les universités? pour toile de fonds.

Il sera également intéressant d'écouter la conférence que prononcera l'actuel recteur de l'Université Laval, Michel Pigeon, devant les membres de la Société des relations internationales de Québec (SORIQ), au Château Frontenac de Québec, le 19 février 2004.

(COMMERCE MONDE) Une « mondialité démocratique et équitable » (page 33), l'expression est de vous, entre autres grâce à la contribution des universités. Êtes-vous encore optimiste, sincèrement, à cet égard?

(GILLES BRETON) « Je ne suis pas optimiste, je suis réaliste! »

(C. M.) Dans le contexte de l'économie marchande, la bataille n'est-elle pas déjà perdue?

(G. B.) « Non. C'est un marathon, pas un sprint! Et à cet égard, la Déclaration de l'AIU [Association internationale des Universités] et des universités européennes est très encourageante. Il faut s'inspirer de ce qui se passe actuellement en Europe...

([Par exemple, l'Université] Laval a un double avantage:

  1. au niveau des pratiques au Québec, et même au Canada, elle est parmi les meilleurs, sinon la meilleur. Je pense ici particulièrement à la mobilité internationale des étudiants;
  2. elle a aussi comme grande force d'avoir une logique de développement institutionnel et la capacité de saisir les enjeux dans leur mesure globale. Le rôle de veille intellectuelle, que doit jouer une université, est ici très présent.

(...)Par ailleurs, quand on regarde les enjeux sur le plan institutionnel, ce n'est pas la Chine qu'il faut surveiller [qui fait peur], c'est l'Inde! Avec leur réseau d'universités, directement branché sur le mode de communication anglais, leurs dizaines de milliers de Ph. D., etc... leur potentiel est nettement plus grand que celui des Chinois, à l'heure actuelle. »

(C. M.) Continuons sur l'exemple de l'Université Laval que vous venez d'aborder. Laval, une « université classique », de plus en plus en compétition avec les autres types (virtuelle, d'entreprise, privée à but lucratif, pour les adultes - cas de l'Université de Phoenix - voire carrément des universités marchandes comme le montre l'étude concernant trois universités australiennes: Murdoch, Monash et Melbourne), est-elle en bonne position pour être une bonne université dans l'avenir?

(G. B.) « C'est très facile de faire du bas de gamme. Ici, on refuse des propositions de double diplomation continuellement. Laval, par ailleurs, applique déjà depuis quelques années la formule de DÉC-BACC, en partenariat avec des cégeps de la région. »

(C. M.) Faudrait-il faire disparaître le model du cégep québécois dans un tel contexte mondial?

(G. B.) « Non. Ce qu'il faut c'est réarticuler le lien CÉGEP-UNIVERSITÉ(...) »

(C. M.) Est-ce que les Universités sont encore absentes du débat officiel sur l'éventuelle adoption de l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services) à l'OMC, comme ce fut dénoncé lors du colloque?

(G. B.) « Je ne le sais pas. Il faut parler à Sylvie Malançon, du Ministère de l'éducation du Québec, pour être bien à date sur ce sujet. »

(C. M.) L'actuel contexte des « approches concurrentielles » dans le monde universitaire, cela à plus de bon que de mauvais, selon-vous?

(G. B.) « Cela n'a même pas d'intérêt de mon point de vue! Dans la vie, on assiste à des partenariats... La solution, c'est de travailler en réseau... D'ailleurs, je pense sincèrement que dans quelques années, la définition d'une bonne université sera entendue que sur la base de la qualité de ses partenaires internationaux. »

(C. M.) Le « jumelage d'universités » (page 252) que propose M. Gibbons et que reprend avec insistance M. Tavenas en conclusion, vous en pensez quoi, en pensant particulièrement à ce que ce concept a donné jusqu'ici au niveau des villes dans le monde?

(G. B.) « Je n'ai pas de problème avec ça. Si on parle bien sur de l'objectif de contribuer à réduire les écarts avec les pays du Sud... C'est le côté ethique de la chose qui est ici fondamental... »

(C. M.) Justement, à ce sujet, je cite: vers « un espace universitaire mondial » (page 27); le « knowledge gap » avec ses statistiques effroyables (page 29). Avez-vous peur du « Global Apartheid » plus maintenant que lors du colloque, il y a maintenant 15 mois?

(G. B.) « Il faut tout faire [pour éviter ce drame]. Si nous, le Monde Universitaire, ne sommes pas capables de voir cet enjeu-là, et de trouver à le solutionner, on est dans le trouble.

Il faut être innovateur ici. Les universités doivent absulument inventer de nouvelles solutions. Pensons, par exemple, à des programmes de circulation des cerveaux. »

« Si l'on compte 1 diplômé au doctorat pour 5 000 habitants dans les pays de l'OCDE en 1997, on en retrouve 1 pour 70 000 au Brésil, 1 pour 140 000 au Chili et 1 pour 700 000 en Colombie (source: page 29, dans l'introduction du livre, selon une étude de la Banque mondial de 2002).

Et, pour dire les choses brutalement, la question se pose de savoir si, après avoir assuré la croissance des pays développés après la seconde guerre mondiale par ce que certains ont appelé le pillage des ressources naturelles des pays du Sud, les pays développés vont récidiver en ce début du XXIe siècle avec, cette fois-ci, le pillage de la matière grise. La question se pose si l'on sait, pour ne prendre qu'un seul exemple, que, sur 500 000 étudiants étrangers qui fréquentent annuellement une université américaine, seulement le tiers retournera dans son pays d'origine (source: toujours cité de la page 29, dans l'introduction que signe Gilles Breton).

(C. M.) Justement sur cette question, êtes-vous au courant de l'activité d'information qui se tiendra, ici même, sur le campus de l'Université Laval, tout l'avant-midi du 17 décembre, pour informer les étudiants étrangers en fin de parcours académique des possibilités de demande de résidence permanente. Donc de faire carrière au Canada, plutôt que dans leur pays d'origine? Avez-vous confiance que l'Université Laval saura faire face à cet enjeu du « BRAIN DRAIN »?

(G. B.) « Non, je ne savais rien de cette initiative [du Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration du Québec, en collaboration avec le Bureau d'accueil des étudiantes et des étudiants étrangers (BAEE) de l'Université Laval], C'est noté, je vais certainement aller faire un tour là le 17 décembre. »

(C. M.) « Si la richesse mondiale a progressé,la paupérisation de l'Afrique s'est aggravée », affirme Teboho Moja. Comment voyez- vous le NEPAD dans le contexte des besoin du milieu universitaire?

(G. B.) « L'ACDI investi maintenant zéro $ pour l'Afrique dans le domaine de l'éducation supérieur. Elle met des ressources uniquement pour l'éducation de base. Ces pays ne s'en sortiront pas plus sans une bonne couche de Ph. D.!

Le NÉPAD? Il faudra voir dans le concret. Un atelier de l'AUCC se tiendra justement sur le thème du NEPAD, à Dakar, en février 2004. »

(C. M.) Vous avez résumé ainsi la pensée de Riccardo Petrella: « En d'autres termes, la globalisation n'est-elle pas un concept destiné à masquer les échecs des diverses politiques de développement mises en oeuvre par les pays du Nord dans les pays émergents? » Optant pour une solidarité conduisant à la mise à disposition libre et gratuite des connaissances, sa solution se rapproche étrangement de l'idée d'un « portail des connaissances », avancée par Jean Lanoix dans INTERNET 2025. Qu'en pensez-vous?

(G. B.) « Petrella a un petit peu de difficulté à analyser la globalisation. Son premier réflexe, c'est de la démoniser. C'est très fort, cette tendance, en Europe. (...)Pour le reste, il faut que je lise Lanoix avant de vous répondre. »

(C. M.) Jane Knight parle de l'insuffisance de l'offre d'enseignement supérieur au niveau mondial. Vous-êtes d'accord avec son analyse?

(G. B.) « Oui, et surtout dans les pays du Sud. »

(C. M.) En avant-propos, vous rappelez qu'après avoir soutenu jusqu'à récemment que l'éducation supérieure était un luxe pour les pays en développement et que son financement était l'affaire des seuls bénéficiaires,la Banque mondiale remet en question ses analyses antérieures et place désormais l'enseignement supérieure au coeur de ses priorités. Elle prend en outre le soin de démontrer la corrélation entre l'enseignement supérieure, désormais qualifié de vital, et le développement économique des pays émergents. Si la rumeur qui envoi Colin Powel à la tête de la Banque mondiale se confirmait, verriez-vous cela comme une bonne nouvelle?

(G. B.) « Je n'en sais rien! J'étais en Europe la semaine dernière et je n'étais pas au courant pour cette rumeur concernant Powel. Depuis qu'il est au gouvernement à titre de Républicain au sein de l'équipe de George W. Bush, il est perçu parmi les plus modérés... Attendons voir! »

(C. M.) La préface du livre s'interroge à savoir si la libéralisation du commerce des services d'enseignement supérieur dans le cadre de l'OMC représente une menace ou une opportunité pour l'enseignement supérieure? C'est une menace ou une opportunité?

(G. B.) « La globalisation est une opportunité; l'OMC est une menace! »

(C. M.) La même préface parle du Forum global international pour l'assurance qualité, l'accréditation et la reconnaissance des qualifications dans l'enseignement supérieur. De quoi sagit-il?

(G. B.) « C'est la stratégie de l'UNESCO afin d'établir des normes, d'établir ce qu'est une université et ce qui n'est pas une université. Le processus avance bien et c'est une bonne nouvelle. »

(C. M.) Merci et joyeuse période des Fêtes, monsieur Breton.

Qu'avait été l'idée
la plus importante à retirer
de ce colloque?

Des participants avaient répondu...

« That Higher Education must make more efforts to understand the many different dimensions of global interdependence and integrate these into the curriculum of all disciplines. »

Chris W. Brooks

Director Public Affairs and Communications

OECD, Paris

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« Une idée que je crois importante: La nécessité, sans cependant tomber dans le relativisme, de respecter réellement la culture des autres, d'accepter pleinement que ce sont des égaux et de faire l'effort de les comprendre, en luttant notamment contre le sentiment latent ou déclaré de supériorité qui existe souvent si l'on appartient à une culture dominante et à une région ou à un pays développé. »

Justin Thorens

Ancien recteur

Université de Genève

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« I believe we must spread the message that although globalization had the potential to assist with poverty reduction, because of poor policy choices it has in many cases actually worsened poverty. Globalization is, however, a reality that will not be easily stopped. Universities, therefore, have a societal obligation to ensure that globalization - of all aspects of society, not only of universities - is structured by well-informed policies that put the betterment of all of society at the forefront. Professor Teboho Moja of New York University delivered an excellent presentation on Globalisation Apartheid. I believe her comments are available on the web site. »

Lara K. Couturier

Associate Project Director and Director of Research

The Futures Project: Policy for Higher Education in a Changing World

Brown University, Providence

www.futuresproject.org

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« Ce que nous retenons, le président Michel Kaplan (Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) et moi-même est la double idée suivante: une claire perception de l'inquiétude des étudiants face à la mondialisation mais s'accompagnant d'une certaine ignorance de son contenu, de ses effets et de ses mécanismes. Il y a un effet "chiffon rouge" de la mondialisation, laquelle devrait être mieux expliquée en montrant que tout n'est pas nécessairement à rejeter, mais qu'en revanche, il est indispensable de savoir maitriser le phénomène.

Or cette question de la maîtrise de la mondialisation conduit au deuxième aspect de l'idée que nous avons retenue: nous avons été frappés par un certain unanimisme des responsables universitaires dans le souci que cette maîtrise de la mondialisation fasse apparaître clairement que l'éducation n'est pas un marché comme un autre, ni un produit comme un autre. Si la circulation des personnes et des idées est en effet un objectif prioritaire de tout système universitaire dans le monde actuel, celui-ci ne peut être atteint que dans le respect de la spécificité des valeurs culturelles qui doit faire échapper l'activité éducative aux règles de droit commun du marché et des échanges. »

Cordialement

Prof. Yves DAUDET

Vice President de l'Universite

Pantheon-Sorbonne (Paris I)

daudet@univ-paris1.fr

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« Comme organisateur du colloque, je retiens que GLOBALISATION Quels enjeux pour les universités? a confirmé que les pistes de réflexion qui sous-tendaient l'organisation de cette rencontre n'étaient pas mauvaises. C'est-à-dire que si les universités doivent continuer à faire de l'internationalisation, à savoir de la mobilité étudiante internationale, intégrer dans les cursus académiques des dimensions internationales, etc, il faut aussi qu'elles fassent plus que de l'internationalisation. Ce qui signifie de prendre en charge les enjeux globaux nouveaux qui se développent dans le monde de l'éducation supérieure tel que la marchandisation-privatisation des universités, l'exode des cerveaux ou bien encore le "knowledge gap" qui ne cesse de s'élargir entre les pays développés et la nécessité de la mise en place d'une gouverne globale de l'éducation supérieure et surtout d'élaborer les stratégies nouvelles qui s'imposent.

De ce point de vue, il me semble que l'ensemble des travaux de ce colloque aura permis d'ouvrir une réflexion quant à la nécessité pour les universités de repenser leurs pratiques internationales et de réfléchir en ce sens au fait qu'elles peuvent constituer des acteurs importants de la construction d'une mondialité démocratique et équitable.

Voilà, en quelques mots, ce que je retiens de ce colloque. Mes salutations les meilleures. »

Gilles Breton

Directeur, Bureau international

Université Laval


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Commerce Monde #38