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Pourquoi une épicerie slave a ouvert ses portes dans l'arrondissement
Charlesbourg?
par Daniel Allard
La
nouvelle était déjà intéressante en soit: une épicerie slave - et c'est
d'ailleurs son nom, l'Épicerie slave - ouvre à Québec. Mais elle
devenait doublement d'intérêt lorsqu'on découvrait que le lieu
d'établissement n'était pas le centre-ville et ses rues Saint-Jean ou
Saint-Joseph, mais plutôt la grande banlieue. Pourquoi donc à Charlesbourg?
Venait-on, du coup, de découvrir un avantage comparatif méconnu des terres
charlesbourgeoises?
« C'est à cause du coût du loyer... », répond
d'abord Sergei Zaski, un des deux co-propriétaires, en remettant
notre pendule à l'heure. « Mais, effectivement, il y a beaucoup de Russes
et de Bosniaques qui habitent le quartier, plus au Nord, à Charlesbourg ».
Ah! Notre intuition n'était pas si mauvaise! Il y a effectivement une
concentration de nouveaux immigrants d'Europe orientale installés en
terres charlesbourgeoises. Une réalité sociologique qu'avait probablement
découverte le locataire précédent du 6385, porte #4, de cette 3e avenue
Est, car c'était un Bosniaque qui visait particulièrement la clientèle
bosniaque. Le nom de ce commerce (Extra Produits Européens) est
d'ailleurs toujours apparent en façade, parce que le duo Fedorov-Zaski se
contente encore d'un bout de carton à travers la fenêtre pour afficher le
nom de leur jeune commerce.
Leur première idée était effectivement de
s'établir sur la rue Saint-Jean. Mais la concurrence et surtout le prix
des loyers ont vite changé les plans. L'alternative d'investir 300$ de
peinture pour donner une ambiance chaleureuse à ce local disponible a donc
fait l'affaire. « Nous n'avons pas racheté ce commerce, mais uniquement
son fonds de marchandises », explique, entre deux clients, le jeune homme
d'affaires (nous sommes un mercredi après-midi et le téléphone sonne, pour
justement acheter des cartes téléphoniques, et les clients entrent). C'est
que les gens passent au 6385, de cette 3e avenue... une adresse qui
affiche d'ailleurs un renouveau tout dans l'international, puisque la
porte voisine, dans le même petit centre commercial, est le restaurant
Dragon de Chine, qui offre encore un coupon spécial d'ouverture bon
jusqu'au 15 novembre 2003.
UN SALON DE THÉ
Leur première véritable idée avait même un goût
encore plus nostalgique envers leur Europe natale. C'était d'ouvrir à
Québec un authentique salon de thé, dans le plus pur style européen!
« Trouvez-moi le financement et j'ouvre demain »,
lance-t-il le regard vif et allumé. Lui, Ukrainien qui a connu Paris, et
ses nouveaux complices, Russes autant friands de ces lieux de bonne
culture, n'ont pas fait une croix sur ce projet. Mais comme le hasard des
opportunités qui se présentent le laisse en plan, ils se concentrent pour
l'instant sur l'épicerie. Ce pur hasard y est d'ailleurs déjà pour
beaucoup, car c'est bien par hasard qu'il a connu son associé
d'aujourd'hui.
« En me déplaçant avec mon téléphone portable dans
la rue à Québec, je parlais avec ma mère, qui est toujours en Ukraine, et
Nathalia Katayeva a entendu que je parlais en Russe. C'est comme ça
que nous avons fait connaissance », explique-t-il. Le jeune homme
d'affaires a ensuite connu l'époux de Nathalia, Alexandre Federov,
qui est aujourd'hui son associé dans l'Épicerie slave. Depuis deux ans
qu'il est établi à Québec, tout comme la famille Katayeva-Fedorov, le mois
de juin 2003 restera sans doute parmi les plus fébriles dans la vie de cet
Ukrainien de 27 ans. L'ouverture officielle d'une épicerie, c'est beaucoup
plus accaparant que la maintenance du petit bloc à appartement qu'il a
acheté, et où il habite aussi, dans le quartier Saint-Pascal. Mais moins
de cent jours plus tard, il sent que l'aventure penche du côté du succès
et il peut déjà dire que l'affaire fait déjà ses frais... et se développe
bien. Un électricien était d'ailleurs en pleins travaux de branchement
d'une vitrine réfrigérée supplémentaire, pendant l'entrevue réalisée
milieu août, ce qui permettra d'offrir encore plus de produits frais.
Les produits! Venons-y. Que trouve-t-on de spécial
dans cette épicerie slave? Bien de l'exotisme, voire que de l'exotisme, et
beaucoup d'exclusivité, via des variétés de confitures, chocolats, thés,
cafés, boissons gazeuses, friandises, tisanes médicinales, conserves,
aliments secs, choucroutes, charcuteries, saumons, etc. Divers journaux et
revues en langues étrangères, de la bière russe et deux ou trois bons vins
croates et slovènes, dont un muscat bien choisi. On peut aussi s'y
approvisionner de ce qui est le secret des gros buveurs de vodka russe en
achetant au litre du kéfir, ce « lait caillé » qui prépare un estomac à
tous les abus! La sélection de vidéos de film en version russe et
bosniaque (qu'il préfère vendre, mais accepte de louer avec promesse de ne
pas les copier à ceux qu'il sait peu riches) fait ses frais. Un produit
qui marche très bien, c'est les cartes pour les téléphones interurbains (Pride,
Globo, Call Value, Ola, African Voice). On
vous les vend même sans que vous vous déplaciez; il n'y a qu'à téléphoner
à l'épicerie au 634-1717.
Bref, une gamme de produits provenant surtout de
Russie, Pologne, Ukraine, Bosnie, Serbie, Liban et même quelques-uns de
Turquie... et d'Allemagne (pour son chocolat!) : « En Europe, la
réputation du chocolat allemand est très reconnue », m'informe-t-il, en
continuant de partager une excellente eau polonaise très légèrement
gazeuse: la Muszyny. Et le produit dont il est le plus fier: « Mes
charcuteries russes », répond-t-il sans hésitation, en faisant goûter,
évidemment.
L'endroit n'a rien d'un bazar. C'est une
accueillante petite épicerie spécialisée. Mais on y sent le sens de la
solidarité et de l'entraide. Les oeuvres d'un peintre russe sont
accrochées au mur. Une jeune cliente bosniaque demande un taxi! Il lui
tend son téléphone. « Vous connaissez ce monsieur? », offre après le coup
de fil Sergei, en montrant la carte d'affaires, pour une prochaine fois!
Sa clientèle cible provient évidemment des
citoyens originaires de ces pays (un groupe qu'il évalue personnellement à
3000 personnes actuellement dans la région de Québec et qui se donne le
mot pour profiter de ses bons prix). « Mais la clientèle québécoise
commence à venir », assure-t-il avec un brin de fierté évident.
Des Québécois qui viennent, eux aussi, parce que
les prix y sont attrayants. Mais également pour le choix, qui l'est autant.
« Je dirais que 30% de ma marchandise est exclusive. On ne la trouve pas
ailleurs à Québec », affirme-t-il, en pensant à son pain de seigle russe
et à sa variété de Lokoums (des petits bonbons style jujube avec du sucre
en poudre; celui que j'ai goûté était délicieux).
Et comment comprennent-ils les étiquettes pas
souvent traduites dans la langue de Molière? Cette autre touche exotique
devient même ici un avantage, car elle permet à Sergei d'offrir poliment
son assistance dans un excellent français (parce que l'ancien militaire de
métier a aussi fait des études en philosophie à Paris avant de venir vivre
en Amérique). Et sa marchandise, il la connaît. Pour une bonne part, c'est
via des contacts personnels qu'il s'approvisionne à Montréal, Toronto et
ailleurs, s'évitant les intermédiaires. Ce qui explique pourquoi il vend
si peu cher, à la grande surprise et grande satisfaction de sa clientèle.
« La boîte de choucroute qui se vend à 3$ sur la rue Saint-Jean, elle est
ici à 1,99$ pour le double de la quantité », donne-t-il en exemple.
MAISON DES PEUPLES MIGRATEURS
Comme les affaires semblent bien aller, ces
immigrants-entrepreneurs gardent en tête cette idée initiale qu'ils
caressaient d'ouvrir à Québec un véritable salon de thé, avec toute la
classe et le style qu'offrent ceux d'Europe. « Peut-être même dans la
petite annexe de l'épicerie actuelle », n'exclut pas Sergei Zaski.
Et pourquoi pas ouvrir aussi cette « Maison des
peuples migrateurs », un projet de maison d'accueil pour nouveaux
immigrants, histoire de les héberger dans les premiers jours, « qui
s'autofinancerait », assure Sergei, et qui a été présenté à la Ville, mais
qui cherche encore du capital d'investissement!
Pour ma part, je suis reparti de ma découverte de
l'Épicerie slave non sans avoir acheté, entre autres, une boîte de Sprats,
un poisson fumé d'Estonie, et une boîte de jujubes à la cerise enrobés de
chocolat « Made in Pologne », en me promettant d'y revenir. |