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Spécial Festival d'été de Québec
Musique sans frontières

par José Slobodrian, journaliste-chroniqueur

Où sont passés les artistes de l'Inde, de la Chine, de l'Île de la Réunion? Un coup d'œil au programme de la 36e édition du Festival d'été de Québec et on est tenté de penser qu'il est beaucoup moins exotique que l'année précédente. Mais c'est une conclusion on ne peut plus erronée.

 

La musique aujourd'hui n'a plus de frontières. Un Colombien (de la Colombie Britannique) interprète des ragas sur une « slide guitar » de l'Inde, un groupe américain funky plonge ses racines dans la culture africaine et des artistes venus de la France livrent des sons maghrébins. De l'Australie, le vent nous emmène ses autochtones en tenue tribale et un groupe folk rock d'inspiration américaine aux harmonies exaltantes. Alors que la fonte des frontières tend à fusionner les musiques, la dévotion de certains artistes aux styles du passé ou d'ailleurs redonne un nouveau souffle de vie à ces sons purs, pour notre pur plaisir, et le leur…

Encore une fois, cette année, impossible d'assister à tous les concerts. Suite à la cérémonie de la remise des prix Miroir et en discutant avec quelques membres du jury, je constate avoir manqué plusieurs spectacles mémorables. Et vice versa, à ma grande surprise. Contraint donc à choisir, comme l'année dernière mon attention se tourne surtout vers les artistes venus d'ailleurs. Et quels artistes!!

Voici donc ma revue de cette année:

Natacha Atlas, la France maghrébine

Natacha est une chanteuse française accompagnée de ces nombreux musiciens : joueur de tablas aux apparences de fakir, bassiste, violoneux (et batteur), claviériste (imitant cora, orgue, flûtes), batteur, joueur de petit djembé et belle choriste chanteuse. Avec des allures de tsigane, Natacha chante des airs en arabe et ensuite en anglais parfois accompagné de son joueur de tablas et cédant la place à sa choriste, une beauté noire, élancée, souriante, à la voix du tonnerre. Lorsque la choriste prend la relève, le groupe verse dans la musique plus moderne avec des soupçons de reggae et même du plus synthétique. Entre les mains de ces musiciens, les rythmes maghrébins tourbillonnent de plus en plus rapidement pour devenir endiablés. Après une démonstration des prouesses de ces batteurs, Natacha revient sur scène en dansant du ventre pour clore le spectacle en beauté. Par un après-midi ensoleillée, une des belles surprises du festival!

Sonny Landreth, le maître du slide-guitar

Sonny donne l'apparence d'un oiseau rare au chant céleste, du moins pour ceux pour qui le «slide guitar» blues-rock évoque le divin. Il est venu se poser sur la scène du Carré d'Youville juste le temps de faire comprendre qu'il est le maître de son style de guitare.

Selon mon humble avis, en termes de virtuosité, il est à son style ce que Stevie Ray Vaughan était au sien (pour avoir eu la chance de le voir!). Il joue avec ses cinq doigts de la main droite (sans mentionner sa paume et son poing...) avec une virtuosité qui semble lui être propre. Des trilles et des arpèges supersoniques, et un petit doigt qui travaille sans encombre alors que les autres doigts empêchent tantôt les autres cordes de vibrer ou l'accompagnent dans des suites endiablées.

Décidément distorsionné, il n'est pas venu pour ceux qui auraient voulu l'entendre en acoustique. Mais, avec la dévotion corps et âme à son art, il a livré un concert mémorable que la foule a souligné par son ovation debout quasi instantanée à la fin du show. Son style est difficile à décrire car il passe du blues pur au blues rock avec quelques soupçons de progressif et toujours avec le slide au doigt. La panoplie de sons qu'il réussit à produire est réellement époustouflante.

Je mentionne pour les initiés qu'il joue sur une Gibson avec un ampli Marshall. Sa guitare est munie d'un système digital à boutons commandes, sans doute adaptée pour émettre les sons exacts qui autrement exigeraient de changer de guitares ou d'amplis. Le spectacle s'est produit sur un simple décor, avec un bassiste, un batteur et Sonny, lui-même, en blue jeans. Heureux les mordus qui l'ont vu et entendu!

Billy Bragg

Pour ceux qui le connaissent, Billy Bragg, ce contestataire et révolutionnaire, ne paraît pas vieillir. La dernière et seule fois que j'avais eu le plaisir de le voir était à Vancouver lorsqu'il a joué devant une salle à moitié vide dans une boîte sur le site d'Expo 86. Même look, même son. Au Festival d'été 2003, sa première fois à Québec, le Carré d'Youville était bondé de spectateurs qui, fait surprenant, réagissent à ses monologues comiques et originaux même s'il ne parle pas un mot de français et que son anglais est typiquement… anglais.

Seul sur scène, muni d'une simple guitare semi-acoustique verte, branchée dans un ampli Fender (avec beaucoup de distorsion s'il vous plaît), tous les thèmes y ont passés : la guerre, Bush, le FMI, la Banque mondiale, les multinationales, l'homosexualité, Marx, le socialisme, l'anti-mondialisation, et j'en passe. Ses vus sur un Canada uni lui ont valu quelques hués auxquelles il a répondu, sans flancher. Il avait subi le même sort à Montréal. Cependant, comment en vouloir à quelqu'un qui exprime ses convictions avec autant de sincérité? Et qui, par surcroît, inspiré par un fait étymologique viking (toujours comique), prêche pour la semaine de quatre jours…. Ça porte à se questionner sur la profondeur de sa culture.

Ses chansons résonnent simples et puissantes. Sa voix énergique de contestataire se fraie un chemin au-dessus des accords simples, tantôt avec force, tantôt avec tendresse. On ne peut demeurer indifférent devant la beauté crue de ce que fait et dit ce troubadour de la compassion qui chante, sans doute de façon autobiographique, à propos de ceux qui « souffrent » de « socialism of the heart ».

La rue Kétanou, il y a des cigales dans la fourmilière!

Deux guitares classiques et un accordéon joués par trois chanteurs qui évoquent des sons de l'Espagne, de la France, du Portugal, de la Méditerranée en général et de la vieille chanson française. Ces musiciens qui passent avec fluidité d'une mélodie et d'un rythme à l'autre ont réussi à ensoleiller un sombre après-midi où le thermomètre plonge en bas de 15oC. Plus tard, ils ont enflammés le Pub Saint Alexandre avec leurs rythmes intenses et leurs prouesses sur la petite scène qui font penser à des vedettes de rock déchaînés. Ils chantent : « c'est pas nous qui sommes à la rue, c'est la rue Kétanou ». Lors du rappel au Carré d'Youville, ils sont rejoints sur scène par le groupe Polémil Bazar pour chanter Il y a des cigales dans la fourmilière. Heureusement!

Paul Cargnello, jeune contestataire

Il est difficile de classer ce chanteur au nom italien et à l'accent anglophone originaire de l'ouest de Montréal. Il se présente sur scène coiffé d'un chapeau noir, cravaté rouge et vêtu d'un complet bleu marin, avec des lunettes argentées et des favoris blonds foncés lui conférant vaguement un look de juif hassidique. (Serait-il un fervent fan de M. Zimmerman, i.e. Bob Dylan?) En dépit de son habillement conservateur (il s'est laissé aller au Pub Saint Alexandre et a terminé torse nu…), les causes contestataires qu'il épouse ne sont pas sans faire penser aux messages livrés la veille par Billy Bragg. Par contre ce jeune auteur/compositeur semble encore être un rookie à côté du vétéran.

Paul est accompagné par son frère à la guitare, d'un bassiste, d'un batteur et d'un joueur de mélodica qui joue son petit clavier sur les cuisses en soufflant dans un tube en plastique transparent. Armé de sa guitare acoustique et de son harmonica, il chante pour les femmes, pour l'Haïti, contre la guerre en Iraq, avec des musiques qui s'inspirent du reggae, du ska, du blues, du funk… « Take it to the bridge! » Malgré sa jeunesse, son orchestre se défend bien et réussit à livrer un spectacle intéressant. C'est un plaisir de voir que le flambeau de la tradition des chanteurs engagés passe à la nouvelle génération!

The Strawbs, acoustique progressif à son meilleur

Trois vieux routards du folk rock progressif, armés de trois guitares acoustiques et de leurs voix et harmonies aux mille reflets nous transportent autant que n'importe quel groupe rock électro-synthétisé. On y entend des saveurs de Genesis, Jethro Tull, Cat Stevens, même de Yes. Pas surprenant puisque The Strawbs a été précurseur de tous ces groupes.

Solo Razaf, Malgache au traditionnel jazzé

Solo joue seul sur scène avec une guitare acoustique à la caisse de résonance en forme de petit triangle allongé. Sous une fine bruine d'été il chante le Toutou, oiseau qui présage la pluie en Afrique australe et donc, la vie. Il réussit, malgré la température maussade d'un dimanche midi à insuffler une belle ambiance au Carré d'Youville. Ce musicien, qui chante en Malgache et parfois en français, fait preuve d'une dextérité étonnante avec ses mélodies et accords ponctués d'envolées à la vitesse de l'éclair. Inspiré du jazz et du traditionnel, les mélodies de son chant et de la guitare se fusionnent en harmonies à la fois douces et nuancées. D'ailleurs, il traduit cette réalité en musique dans sa pièce Moderne Trad avec laquelle il dit faire le pont entre les deux. Rythmée et soulignée des basses, sa musique comporte parfois des saveurs presque brésiliennes. Sa voix se métamorphose momentanément en percussion avec des cliquetis et des souffles en guise de blocs de bois, de boîtes de sable… Cette étonnante palette de sons harmonieux en font un virtuose d'un style d'une rare beauté.

Jorane, créature mythique incarnée pour notre désir

La dernière fois que j'ai vu jouer Jorane c'était sur une petite scène au bord d'un lac dans un coin de la Beauce par une belle nuit d'été, il y a plusieurs années déjà... Depuis, elle n'a fait qu'approfondir ce qu'elle laissait déjà présager. Au moins lors de son spectacle avec l'OSQ, dans l'antre éclairé de bleu du Petit Séminaire de Québec, sa voix ne se lance plus dans les plaintes stridentes.

Dès son entrée en scène, sa voix magique subjugue un public qui la connaît déjà bien. C'est clairement une artiste née, dramatique, théâtrale, radieuse. Une fille dans l'auditoire s'est écriée spontanément entre deux pièces : « Jorane tu es une nymphe »! En effet, elle dégage quelque chose de pas tout à fait de ce monde comme une genre d'héroïne épique de l'antiquité. Gracieuse et douce, mais puissante à la fois, elle incarne sa musique éthérée à la perfection.

Parfois seule avec son violoncelle et parfois accompagnée de l'orchestre symphonique de Québec, de sa choriste et de ses musiciens, elle nous a livré un parfait spectacle pour clore le Festival d'été de Québec 2003. Une de ses nouvelles pièces était chantée en anglais, ce qui laisse déjà entrevoir de nouveaux horizons. Elle a aussi présenté une pièce envoûtante en compagnie de deux musiciens pakistanais invités, un aux tablas et l'autre à la voix ténébreuse et mystérieuse.

Les sons qu'elle chante, même sans lien avec une langue connue, transportent dans les émotions profondes. Et, lorsqu'elle chante d'une rencontre nocturne avec la mort (Dit-elle), elle transporte autant sinon davantage. Sans doute que la pleine lune, qu'on n'apercevait pas encore dans le ciel au-dessus de la cour du Séminaire, faisait déjà sentir son influence. Un spectacle mémorable et bien rempli qui a semblé se terminer bien trop vite! Souhaitons qu'elle reviendra au Festival l'année prochaine...

Mes scènes préférées…

Ma scène préférée cette année, comme les années antérieures est celle du Pub Saint-Alexandre. L'ambiance de fête, la sonorité excellente et la proximité des artistes que procure cette salle chaleureuse et intime, n'a d'égal nulle part ailleurs. En second lieu, et bien, elles sont trois : la Place Métro (Carré d'Youville), entourée de la vielle porte Saint-Jean, du Capitole et du Palais Montcalm, l'Emprise du Clarendon, jazz bar classique, et la Cour du Petit Séminaire de Québec, un refuge entouré d'histoire. Clairement, je préfère les scènes plus intimes.

EN CONCLUSION: DES DÉCOUVERTES À SOUHAIT!

Le bilan préliminaire de participation présenté par les organisateurs le 14 juillet semble positif; la légère baisse de participation serait imputable à la baisse de tourisme Américain et à une température de chandails et parapluies. Par contre, je suis surpris et heureux de savoir que la vente de macarons s'est maintenu à un niveau élevé (90 au lieu de 100 mille) en dépit du fait que le prix est passé à 12$ cette année (de 10$). C'est une preuve que nous y trouvons tous notre compte. À mon avis, on ne peut avoir mieux pour une si petite somme.

Dans sa version 2003, le Festival d'été de Québec a su demeurer fidèle à lui-même en nous présentant toute une série de découvertes, certaines nouvelles et d'autres, nouvelles pour certains (dont moi). La virtuosité des musiciens était certainement au rendez-vous cette année, en partant du jazz, au blues, par le folk et le folk rock, jusqu'aux musiques traditionnelles et internationales, les oreilles des connaisseurs ont pu être réellement comblées!

Textes vérifiés par www.MusiScript.com , spécialistes en partitions musicales de tous genres.


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Commerce Monde #36