LA MATURATION D'UNE RÉGION
MÉTROPOLITAINE: DÉMOGRAPHIE
ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
À QUÉBEC
Paul Villeneuve, spécialiste en
aménagement du territoire, Université Laval
" Au moment où l'agglomération se
métamorphose en deux villes et trois MRC comprises dans une communauté
métropolitaine, au moment où ces entités auront à produire des plans de
développement et des schémas d'aménagement, il paraît opportun de faire le
point. Partons donc des données compilées par l'ISQ et réfléchissons à une
dimension très visible du devenir de Québec, la façon dont nous aménageons
son territoire. La maturation et le début de vieillissement de la
population de Québec ont-ils des effets sur l'organisation spatiale des
activités au sein de l'agglomération? Les diverses composantes de
l'agglomération maturent-elles au même rythme? Comment ce processus de
maturation se combine-t-il à d'autres processus tout aussi fondamentaux,
comme la féminisation de la main-d'oeuvre et la scolarisation accrue des
personnes, pour modifier la géographie sociale de la région urbaine de
Québec? Le régime de croissance démographique lente qui accompagne cette
maturation a-t-il des avantages sur le plan de l'aménagement du territoire?
Tentons d'esquisser des réponses à ces questions. "(...)
AMÉNAGER EN FONCTION D'OBJECTIFS
SOCIÉTAUX
" Aménager le territoire, c'est
disposer les activités et les oeuvres humaines dans l'espace, les unes par
rapport aux autres. La notion d'" aménagement du territoire " en est venue
à désigner surtout une fonction étatique. Au Québec, l'aménagement du
territoire constitue une mission de l'État, celui-ci incluant les
municipalités et les institutions supramunicipales. Cependant, les
individus, les ménages et les entreprises contribuent aussi beaucoup à
façonner les établissements humains. Ces divers acteurs poursuivent
habituellement des objectifs lorsqu'ils aménagent. Sur le plan de la
collectivité, quatre grands objectifs reviennent continuellement, bien que
selon des fréquences variables, quand il est question d'aménagement du
territoire : l'efficacité économique, l'équité sociale, la qualité de
l'environnement et la qualité de la vie.
Ceux-ci peuvent être définis et mis
en relations de multiples façons. Depuis quelques années, la notion de
développement durable désigne un type de développement qui poursuit
conjointement ces quatre objectifs. Essayons de nous demander comment la
maturation démographique de Québec affecte la poursuite de ces objectifs.
"(...)
QUÉBEC, COPENHAGUE ET VIENNE
" Sous le régime français, et sous le
régime anglais mais à un degré moindre, Québec fut capitale coloniale d'un
très grand empire territorial. Copenhague et Vienne furent également, en
leur temps, capitales d'empire. Quelle signification cela peut-il bien
avoir pour Québec, ici et maintenant? Québec est la plus vieille parmi les
grandes villes canadiennes avec ses 39,6 ans d'âge médian. L'âge de sa
population ressemble plus à celui des villes européennes, dont l'urbanité
est souvent remarquable. Par exemple, la grande maturité de Copenhague et
Vienne se traduit dans la qualité de plusieurs de leurs aménagements
urbains. Tout se passe comme si ces villes avaient appris de l'histoire.
Après avoir été puissantes, elles s'attachent maintenant à être belles et
conviviales.
Québec est la plus vieille
parmi les grandes villes canadiennes
avec ses 39,6 ans
d'âge médian
Copenhague possède la plus longue rue
piétonne d'Europe. Tivoli et le Prater attirent résidents et touristes. En
principe, ces villes matures devraient avoir appris de l'histoire à tenir
compte de l'ensemble des objectifs sociétaux dans leurs aménagements. On
souhaite à Québec un sort similaire.
Québec, la plus européenne des villes
nord-américaines, peut se permettre de s'inspirer tout autant de l'Europe
que de l'Amérique. Les rues piétonnes ont du succès en Europe; elles en
ont moins en Amérique. Qu'à cela ne tienne. Québec n'a qu'à trouver la
formule hybride qui lui convient! "(...)
VIVRE EN RÉGIME DE CROISSANCE LENTE
" Selon toute probabilité, nous
devons donc nous préparer, dans la région de Québec, à vivre en régime de
croissance démographique lente. Et fort probablement aussi en régime de
croissance économique assez lente. Est-ce un drame? Les plus âgés se
souviendront des débats des années 1970 sur la "croissance zéro ", alors
que la notion de développement durable n'avait pas encore cours. Il suffit
de rappeler à cet effet l'impact du premier rapport au Club de Rome
intitulé Halte à la croissance? (Meadows et al., 1972) qui
souligna avec force les limites environnementales et sociales de la
croissance effrénée des décennies d'après-guerre. Depuis, la recherche de
modèles de développement qui conjuguent l'ensemble des objectifs sociétaux
esquissés plus haut n'a cessé de progresser. Présentement, l'Europe
apparaît plus désireuse que l'Amérique de se mettre au diapason du
développement durable. Les discussions dans la foulée de Kyoto en sont un
indice clair. Des villes-phares peuvent émerger, en Amérique, qui montrent
la voie du développement durable de ce côté-ci de l'Atlantique. Pourquoi
Québec ne joindrait-elle pas le club des Portland et des Porto Alegre?
Pourquoi Québec
ne joindrait-elle pas le club des
Portland et des Porto Alegre?
Pour préparer le terrain en ce sens,
tentons maintenant de saisir d'autres mutations majeures qui interagissent
avec le processus de maturation démographique. "(...)
LABORIEUSE MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE
ORGANISATION DE L'ESPACE
" Le passage de la société
industrielle à la société informationnelle, le vieillissement social, la
féminisation de la main-d'oeuvre et de l'enseignement supérieur, la
progression de l'accès à la propriété résidentielle (de 1951 à 1996, le
pourcentage de propriétaires-occupants est passé de 36 à 55% dans la RMR
de Québec), toutes ces tendances contribuent à restructurer l'espace
métropolitain. Tentons donc, maintenant, de caractériser sur le long terme
la restructuration en cours afin d'esquisser des scénarios souhaitables
d'aménagement.
Avec la Révolution tranquille, la
capitale provinciale est devenue la capitale de l'État du Québec. Elle
s'est modernisée rapidement, trop rapidement comme le montrent à souhait
certaines formes architecturales de son centre et de ses périphéries "suburbaines".
Elle conserve toutefois son coeur préindustriel et, chose exceptionnelle
en Amérique du Nord, elle n'a pas de centre des affaires massif. Tout se
passe comme si le ralentissement économique de Québec entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle avait permis de préserver le centre
patrimonial. Les quelques grands édifices à bureaux de la ville sont
dispersés à l'échelle d'une zone centrale dont on pensait, vers 1970, au
plus fort de la poussée modernisante, qu'elle se remplirait de gratte-ciel.
Les prévisions démographiques indiquaient alors que Québec atteindrait le
million d'habitants vers l'an 2000(...)
L'aéroport de Québec souhaite la bienvenue dans la
"technorégion" de Québec. Ces nouvelles formes urbaines
signalent peut-être des changements sociaux profonds. Déployées le long de
corridors de croissance, habituellement une autoroute, les technorégions
comprennent une gamme complète de lieux d'emploi, de consommation, de
loisirs et de services. Leurs résidents y satisfont une grande partie de
leurs besoins et désirs, sans avoir à se rendre dans le centre-ville
traditionnel. Certains auteurs vont même jusqu'à suggérer que le centre
d'une technorégion, pour chacun des habitants, n'est plus le centre-ville
traditionnel, mais plutôt chaque foyer, car les membres d'un ménage créent
leur propre ville à partir de leur lieu de résidence, dans l'éventail des
destinations atteignables en voiture.
À Québec, les jeux ne sont toutefois
pas faits. La ville fortifiée garde ce qui reste, sans doute, la dimension
la plus significative de la centralité urbaine, la dimension symbolique.
Le Vieux-Québec demeure le lieu par excellence où le passé nous
touche de sa puissance évocatrice et la Grande Allée nous y conduit
toujours, mais dans un décor architectural beaucoup moins homogène. Cette
artère est devenue une composante essentielle de l'axe urbain Québec-Sainte-Foy. Elle occupe l'un des deux sommets de la dorsale de
l'île urbaine qui constitue le nouveau coeur de l'agglomération, l'autre
sommet étant occupé par le nouvel hôtel de ville de Sainte-Foy, symbole
s'il en est de la bicéphalité régionale, d'ailleurs en train de se
résorber, sur le plan politique du moins, depuis le 1er janvier 2001.
Cette nouvelle centralité est le résultat de la mise en oeuvre d'une
logique fonctionnelle. Elle traduit le rôle de l'automobile comme
architecte de nos villes. Elle fait éclater les lieux de vie d'antan.
Il n'est pas du tout assuré qu'elle
se reconstitue en un lieu de vie plus large, qui serait autre chose qu'une
série de voies de circulation. Mais la métaphore insulaire évoque un
espace clos, identifiable, et l'île urbaine aidera peut-être à faire
naître l'identité de ce nouveau centre. L'axe le plus prestigieux de
Québec fait le lien entre la ville monumentale et patrimoniale à l'est et
la ville technicienne et commerciale à l'ouest. L'opposition historique
entre Québec et Montréal se double maintenant, dans l'agglomération, d'une
mise en tension entre Québec et Sainte-Foy. Il ne faut pas s'y tromper,
ces oppositions sont porteuses de dynamismes tout autant qu'elles
apparaissent, à l'occasion, stériles. Le patrimoine et la modernité
doivent cohabiter. La période préindustrielle et la culture issue du
terroir laurentien ont laissé des traces importantes dans le paysage et
les façons de faire. Il en va de même de la période industrielle et de la
culture moderne. Mais qu'arrive-t-il après l'industrie et après la
modernité? L'économie postindustrielle et la culture postmoderne qui
prennent forme sous nos yeux tentent, souvent de façon maladroite,
d'articuler tradition et modernité. Québec constitue un des rares lieux en
Amérique du Nord où tradition et modernité se fécondent mutuellement.
Comment ne pas succomber aux attraits d'un terroir urbain si riche et si
fertile (Villeneuve, 1997)?
En guise de conclusion, précisons les
quelques atouts de Québec qui lui viennent de sa maturité et de sa
croissance lente. S'ils sont mis judicieusement en valeur, ces atouts
devraient permettre à l'agglomération de bien se positionner à l'avenir
dans le concert des villes du monde qui prennent au sérieux l'objectif de
société qu'est le développement durable.
Le paradoxe de Québec : une ville où
il fait bon élever
les enfants qu'on n'a plus
Québec est une petite métropole qui
offre une qualité de vie exceptionnelle, surtout pour les familles. Ce
facteur peut être mis en valeur, beaucoup mieux qu'il ne l'est
présentement, pour attirer des jeunes couples liés aux secteurs de la
nouvelle économie qui sont présents à Québec. Dans le numéro de mai 1995
de Chatelaine, Québec est classée première sur les 25 plus grandes
agglomérations urbaines canadiennes. Le classement a fait suite à une
enquête auprès des lectrices afin de leur faire dire ce qu'elles
considèrent être les qualités importantes d'une ville. Neuf indicateurs de
santé, de qualité de l'environnement et de sécurité sont utilisés pour
arriver au classement. Plus récemment, la revue Today's Parent
(www.todaysparent.com) d'avril 2001 récidive et classe Québec en tête de
douze grandes villes canadiennes comme milieu le plus favorable pour
élever des enfants. L'éventail d'indicateurs est plus large encore.
Québec
n'est pas
une ville chère
"La Ville de Québec peut se vanter
d'être un endroit très attirant pour les nouvelles entreprises. Car après
Sherbrooke, la capitale offre aux industries les coûts d'implantation les
plus bas parmi 52 villes américaines et européennes étudiées par la firme
KPMG " (Le Soleil, 24 sept. 1999). Parmi les villes de plus
de 500 000 au Canada, Québec est celle où le logement est le moins cher
après Winnipeg, selon le recensement de 1996. Ce facteur est lié au
premier. Québec peut devenir une grande (et non grosse) ville
internationale en suivant le modèle de villes comme Genève, qui se pique
d'être " la plus petite des grandes capitales ". Cependant si cette
stratégie réussit, à l'instar de Genève, Québec ne sera plus, dans
quelques décennies, une ville où le coût de la vie est faible.
Présentement, Québec peut jouer cette carte des faibles coûts, un peu
comme les quartiers centraux de certaines villes qui connaissent une gentrification à partir d'un bas coût du logement qui fait que cela est
risqué mais profitable d'y investir.
Québec possède
un des plus beaux sites urbains
au monde
Québec possède un des plus beaux
sites urbains au monde. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à relire les
textes des auteurs non québécois colligés par Luc Bureau dans
Pays et mensonges (Boréal, 1999). Ceci est, bien sûr, un
avantage comparatif important en matière de développement touristique,
surtout que la beauté du site de Québec allie nature et culture. Depuis
quelques années, et le phénomène s'amplifie, la culture (autant au sens
anthropologique qu'au sens des lettres et des arts) devient un important
facteur de positionnement pour les villes. À telle enseigne que les
économistes qui pratiquent les " sciences régionales " multiplient les
études à ce sujet. Pour eux, il s'agit d'avantages comparatifs " soft ",
mais d'avantages qui pèsent relativement de plus en plus lourd dans le
contexte de la nouvelle économie. Robert Lepage symbolise très bien
cette mouvance où les liens entre créations culturelles, innovations
technologiques et circulation internationale deviennent le lot quotidien.
Bien sûr, Lepage peut passer de moins en moins de temps à Québec et,
éventuellement, se relocaliser, mais c'est le risque qu'il faut courir, et
surtout, il faut attirer, en retour, à Québec le plus grand nombre de
Neil Bissoundath possible !
Québec possède
une excellente
"profondeur régionale "
Avec la grande région qui l'entoure,
Québec dépasse le seuil critique du million (Scott, 2001) et
renferme une diversité suffisante d'activités pour assurer la pérennité de
son développement. Polèse (2000) offre une analyse percutante et
tout à fait à jour de la place du Québec dans le processus actuel
d'intégration de l'économie nord-américaine. Surtout, il montre que la
partie sud-ouest du Québec s'intègre bien alors que la partie nord-est se
marginalise. Toute la question est de savoir si la région de Québec est
avec le sud-ouest ou avec le nord-est. La région fait partie du sud-ouest,
mais elle est à la périphérie du sud-ouest. La région métropolitaine de
Québec est chanceuse de pouvoir compter sur des régions environnantes très
différentes les unes des autres. Avec la Côte-de-Beaupré et Charlevoix,
elle peut développer un tourisme culturel haut de gamme. Avec la Beauce,
elle peut appuyer l'entreprenariat et l'innovation technique dans des
industries classiques et avec Sainte-Foy, elle peut le faire dans des
industries de la nouvelle économie. Même la présence d'une bonne partie de
l'appareil d'État à Québec offre des occasions de développement économique.
L'exemple de la géomatique est à ce sujet très clair. Québec offre la plus
forte concentration de recherche et de développement en géomatique au
Canada, en partie en raison du rôle historique de l'État dans la gestion
du territoire et surtout des forêts, la géomatique s'étant développée ici
à partir de la photogrammétrie.
En somme, dans un monde où l'espèce humaine devra,
de plus en plus, exercer une certaine sagesse, afin d'assurer tout
simplement sa propre survie, les endroits marqués par une croissance lente
ne sont pas nécessairement à plaindre. Bien performer sur des indicateurs
de développement durable risque de devenir bientôt plus recherché que de
bien performer sur les indicateurs classiques de croissance économique. "
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