CONSEIL D'AVOCAT
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CONTENEURS ET BOÎTES À SURPRISES par Louis Buteau, avocat Les succès du port de Montréal au cours des dernières décennies, à l'instar de l'industrie du transport maritime de marchandises générales, reposent en grande partie sur l'avènement et le développement du transport par conteneurs. Plus qu'une simple boîte, le conteneur s'est vite avéré le moyen par lequel transports terrestre et maritime allaient consacrer leur union. Grâce au conteneur, il est désormais possible de prendre en charge une cargaison à la porte même de l'usine d'un manufacturier pour la livrer à l'entrepôt de son destinataire situé sur un autre continent. Le conteneur a également permis de faciliter et d'accélérer la manutention des marchandises (tout comme son ancêtre, la palette) tout en diminuant grandement les risques de perte, de vol ou de dommage à la cargaison. Les opérations de transport sont toutefois devenues plus complexes et les intermédiaires plus nombreux. Il en résulte des problèmes juridiques souvent fort difficiles à résoudre. Par exemple, supposons l'achat de féts de produits de nettoyage à base d'eau manufacturés en Europe centrale pour livraison, en avril, à un distributeur près de Pittsburgh aux États-Unis. Les termes de la vente prévoient le transfert des risques et responsabilités pour le transport des marchandises à l'usine du vendeur (Ex-Works). L'importateur en avise son transitaire et lui confie l'organisation du transport. Celui-ci communique alors avec son correspondant européen tout en précisant que le produit ne doit pas être exposé à des températures en deçà du point de congélation. Ce dernier relaye verbalement cette information à son intermédiaire habituel pour de tels transports à destination de l'Amérique du Nord, un NVOCC (Non-Vessel Operating Common Carrier). Le NVOCC, par définition, n'opère pas de navires. Il communique à son tour avec la ligne maritime de son choix afin qu'un conteneur standard soit positionné à l'usine de l'expéditeur pour son chargement par les employés de l'usine. Le chargement complété, les portes du conteneur sont scellées, une lettre de transport ou connaissement direct de porte à porte (door-to-door) est émis par le NVOCC sans mention que la marchandise est sensible au gel. La phase terrestre du transport jusqu'au port d'embarquement à Anvers, en Belgique, débute. Une fois le conteneur chargé à bord du navire au port d'embarquement, la ligne maritime émet au NVOCC un second connaissement direct pour la portion maritime et terrestre du transport entre Anvers, le port de Montréal et son terminal du nord-est des États-Unis. Ce second connaissement (tout comme celui du NVOCC) ne précise pas que le conteneur a été chargé en pontée et que le navire qui y est nommé est celui d'une autre ligne maritime conformément à un contrat d'affrètement d'espace (slot charter) entre ces deux lignes maritimes. Il s'agit en effet d'arrangements de plus en plus fréquents entre les lignes maritimes afin de maximiser la fréquence des départs, de desservir plus de ports et d'optimiser l'utilisation de leurs navires. À son arrivée à sa destination finale sur le châssis d'une remorque, le conteneur est en apparence intact. Toutefois, à l'ouverture des portes, on constate que plusieurs des féts ont éclaté ou que les composantes de leur contenu se sont séparées sous l'action du gel et du dégel. De même, certains féts se sont affaissés sous le poids de ceux de la rangée supérieure. L'assureur de la cargaison indemnise le destinataire de la cargaison et est ainsi subrogé aux droits de son assuré contre le ou les responsables du dommage. Mais qui sont-ils ? Parce que la première difficulté que soulève une telle situation est de localiser l'étape à laquelle le dommage a été causé, le premier a être pointé du doigt sera le NVOCC puisque son document de transport de porte à porte prétend couvrir la période totale du transport. Sous réserve des clauses d'exonération ou de limitation de responsabilité prévues au document de transport ou par la loi, tout transporteur est en effet responsable des dommages survenus à la cargaison pendant son transport. En défense, le NVOCC ne manquera pas de soulever les mentions " said to contain " et " shipper's stow, count and load " ajoutées au connaissement afin de repousser la présomption à l'effet que les marchandises lui ont été remises en bon état et condition au point d'origine. Il est en effet probable que le dommage pour l'affaissement des féts de la rangée inférieure soit imputable au mauvais arrimage de la cargaison à l'intérieur du conteneur par l'expéditeur ou à des féts trop fragiles. De même, il est possible que le document de transport comporte une clause sur son endos à l'effet que le NVOCC n'est responsable que pour la portion du transport qu'il effectue personnellement. Or, hormis le transport de l'usine au port d'Anvers par une douce journée de printemps, chacune des autres étapes du transport a été effectuée par des tiers. La ligne maritime qui a émis le second connaissement direct risque de faire les frais de cette réclamation si l'enquête révèle que le conteneur a été transporté en pontée malgré l'absence d'indication à cet effet sur le connaissement. Jusqu'à récemment, le transport non autorisé d'une cargaison en pontée était assimilé à une " faute fondamentale " (fundamental breach) entraînant automatiquement la perte par le transporteur maritime du bénéfice de toutes les clauses d'exonération et de limitation de responsabilité prévues au connaissement. Bien que les rigueurs de ce principe ont depuis été grandement atténuées, le transport non autorisé d'une cargaison en pontée n'en demeure pas moins une faute du transporteur à moins qu'un usage clair et bien connu ne le permette. Cette question est fort d'actualité si l'on tient compte du nombre toujours grandissant de conteneurs transportés en pontée. Le propriétaire du navire, quant à lui, sera fort réticent à traiter cette réclamation. Il exigera plutôt que l'on s'adresse à la ligne maritime qui a émis le connaissement (slot charterer). Dans la mesure où le réclamant se voit obliger de procéder à l'arrestation du navire impliqué, son propriétaire sera alors contraint d'intervenir. Sa responsabilité sera toutefois plus difficile à établir si l'on considère son implication lointaine dans le contexte du présent exemple. La responsabilité des transitaires impliqués pourrait aussi être retenue s'il est établi que ceux-ci auraient dé proposer l'utilisation d'un conteneur équipé d'un système de climatisation compte tenu de la nature de la cargaison et de la période de l'année à laquelle cette expédition devait être effectuée. Bien qu'un véritable transitaire, au sens propre du terme, n'agisse qu'à titre de mandataire, il sera tenu responsable du dommage si l'on peut lui reprocher une faute dans l'exécution de ses tâches. Les apparences sont aussi souvent trompeuses. Nombre de transitaires agissent en fait à titre de transporteur contractant (ou NVOCC) et peuvent alors être poursuivis à ce titre. Compte tenu de ces difficultés et des courts délais de prescription en cette matière (de 9 mois à une année), il peut s'avérer nécessaire d'instituer un recours en justice contre plusieurs des parties impliquées. La possibilité de procéder à l'arrestation du navire en Cour fédérale afin d'obtenir un cautionnement pour garantir le paiement de la réclamation devra également être considérée. Malheureusement, la Cour fédérale refusait récemment d'exercer sa juridiction à l'égard des transporteurs routiers de sorte que les circonstances peuvent nécessiter l'institution d'une action distincte contre ceux-ci devant la cour provinciale compétente. En somme, le conteneur n'a pas que révolutionné l'industrie du transport maritime. Il a repoussé les frontières traditionnelles du droit maritime au point qu'elles doivent empiéter sur celles du droit terrestre. De nouvelles solutions propres à ce type de transport sont également nécessaires si l'on tient compte des nouvelles difficultés que son utilisation peut parfois occasionner. |
Commerce Monde #36 |