PROFIL D'ENTREPRISE

Primeur
Certification aux pratiques coopératives
La Coopérative de développement régional Québec-Appalaches prépare une première mondiale

par Daniel Allard

Les fidèles lecteurs du cyberjournal s'en souviendront, la tenue du congrès de l'Alliance coopérative internationale (ACI) à Québec en 1999 avait amené beaucoup de monde. Pendant toute une semaine, la ville de Québec était devenue le centre du monde coopératif. COMMERCE MONDE avait couvert l'événement (S5 du #13). Gérard Perron, lui, y était participant. Et de ce « participant attentif » émergera bientôt une initiative originale, qui poussera à nouveau la région de Québec au coeur des enjeux du milieu des coopératives à travers le monde. À l'automne de 2003 sera officiellement lancée une Certification de la conformité aux pratiques coopératives©.

« C'est effectivement lors du congrès de l'Alliance coopérative internationale, en 1999, que j'ai remarqué qu'il y avait des audits, des bilans, mais rien qui permettait de véritablement confirmer ce qu'est une coopérative », explique Gérard Perron, le directeur général de la Coopérative de développement régional Québec-Appalaches (CDRQA). Son équipe regroupe et représente les quelque 200 coopératives des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches et crée un climat et des conditions favorables à l'émergence de nouvelles coopératives.

Après ce constat de 1999 et la confirmation auprès de ses membres (à partir, entre autres, de deux études de marché) qu'il y avait un besoin non comblé en matière de certification des pratiques coopératives, la décision fut prise de bâtir un tel outil. Les résultats des travaux du professeur Daniel Côté, de l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal sont également à la source de ce programme. Ses recherches démontrent que les coopératives les plus rentables économiquement sont celles ayant le mieux intégré les principes coopératifs dans leurs pratiques de gestion. C'est partant de ces acquis que fut donc développé un outil servant de mesure à la qualité de ces pratiques dans la vie des organisations coopératives.

Les coopératives
les plus rentables économiquement
sont celles ayant le mieux intégré
les principes coopératifs

« Pour bâtir notre cadre de certification nous avons utilisé les sept principes d'une coopérative selon l'ACI », une approche qui fait croire à Gérard Perron que l'outil sera d'application universelle. « Nous, on pense que c'est exportable... Aller hors Québec va déjà en dire beaucoup », ajoute-t-il.

Un élément du projet qu'ont sûrement hâte de vérifier les collaborateurs que sont le Conseil de la coopération du Québec et le Bureau de normalisation du Québec, autant que les partenaires financiers y ayant cru dès le début: la Fondation de l'entrepreneurship, le Fonds national de formation de la main-d'oeuvre, le Bureau de la Capitale Nationale, le Ministère du Développement économique et régional et Développement économique Canada.

BILAN DE LA PHASE D'EXPÉRIMENTATION

Pour valider le matériel développé dans le cadre de nombreuses consultations préalables, l'équipe de la CDRQA et ses partenaires s'est imposée une étape de projets-pilotes.

Huit coopératives ont ainsi accepté de participer aux projets-pilotes de validation, soit quatre coopératives financières (trois caisses Desjardins et une Promutuel), trois coopératives de consommateurs (alimentation, services à domicile et milieu scolaire) et une coopérative de travail. Une expérimentation qui est maintenant finalisée et qui permettra le développement de l'outil de certification pour ces trois modèles de coopératives.

L'expérimentation se terminait officiellement le 30 avril 2003. Les gestionnaires des huit coopératives impliquées ont été rencontrés et leurs commentaires seront intégrés au document final. Preuve que cette « certification en devenir » n'est pas une mission impossible, les huit projets-pilotes ont tous conduit à un des trois degrés prévus (une coopérative aurait accédé directement au troisième et ultime degré, deux au second et cinq atteignaient le premier degré).

Manifestement, l'outil de certification sera accessible pour les coopératives. « (...)Mais l'exigence n'est pas insignifiante, bien que la barre est facile à atteindre », reconnaît Gérard Perron. « Si tu as la volonté, c'est facile de passer le premier degré », ajoute-t-il.

L'objectif, c'est de mobiliser le milieu coopératif pour le renforcer. Comment va vieillir ce système de certification? « L'amélioration continue est prévue annuellement. On s'ajustera donc continuellement, mais je pense que notre formule initiale tiendra très bien la route pour les premiers dix ans », prédit ce vieux routier du milieu coopératif.

Renforcer le milieu coopératif! Qu'en retirent-elles, au fait, les coopératives, de ce processus de certification? Les principaux avantages aux yeux des participants des projets-pilotes sont nombreux:

  • Mieux comprendre ce qui distingue une coopérative et rend plus facile sa mise en valeur;
  • Réaliser toutes les activités faites sans conserver de traces (qu'on ne peut donc mettre en valeur);
  • Donne des arguments concrets pour expliquer les principes coopératifs;
  • Prise de conscience personnelle pour mieux maîtriser la différence coopérative;
  • Savoir comment vendre aux membres un sentiment d'appartenance autre qu'en donnant une ristourne;
  • Responsabilisation du conseil d'administration;
  • Pouvoir mieux aider les membres en comprenant mieux leurs besoins;
  • Ristourne n'est plus le seul élément de distinction;
  • Meilleure structure en ce qui concerne l'approche pour mettre la différence coopérative en valeur;
  • Identification des points à améliorer;
  • Mieux mesurer les indicateurs sociaux;
  • Meilleure connaissance de l'oeuvre utile au sein de la communauté;
  • Donne des éléments pour que les membres contribuent et s'impliquent;
  • Aide à faire connaître les principes et les faire reconnaître.

Voilà une liste particulièrement concrète et substantielle de retombées positives qui devraient convaincre plusieurs coopératives à se lancer dans le processus de certification. Pendant l'été, l'équipe de Gérard Perron se concentre sur la finalisation de toute la documentation pertinente. Le développement étant presque terminé, la mise en marché devient la prochaine priorité. Une phase où l'on devrait voir le Conseil de la coopération du Québec prendre le leadership, puisque c'est d'abord à l'échelle du Québec que l'outil sera commercialisé pendant l'automne 2003 (idéalement en octobre, alors que se déroule « La semaine de la coopération »).

On vise
un lancement officiel
en octobre 2003

Dès lors, l'ensemble des coopératives du Québec aura accès à cet outil unique au monde! « Mais dès le printemps 2004 nous aborderons l'ensemble du territoire canadien et rapidement aussi le niveau international », assure Gérard Perron, confiant de voir ses discussions avec la haute direction de l'Alliance coopérative internationale, qui a son siège à Genève, conduire à une entente pour faciliter la commercialisation au niveau international.

Avec les quelque 3000 coopératives que compte le Québec, le premier marché cible est déjà d'envergure. À l'échelle du Canada, autant le Conseil canadien de la coopération (francophone) que la Canadian Cooperative Association (anglophone) sont intéressés; ce qui devrait faciliter un développement rapide. Et qu'importe ce qui arrivera avec l'ACI, Gérard Perron sait déjà qu'il y a au moins un réseau espagnol (avec 700 coopératives) qui attend le « bébé »; la carrière internationale de celui-ci s'annonce donc aussi rapide.

La CDRQA: un outil de développement économique

Née, en 1983, du désir et de la volonté des coopératives d'être dans leur région respective les artisans de leur propre développement économique, la Coopérative de développement régional, Québec-Appalaches (CDRQA) regroupe l'ensemble des coopératives des régions administratives 03 et 12. Structurée et opérationnelle, la CDRQA s'est développée progressivement et assure une présence active dans le développement coopératif et économique régional.

Depuis maintenant vingt ans, la CDRQA est :

  • un organisme de concertation et de développement coopératif visant à regrouper toutes les coopératives de la région de Québec-Appalaches;
  • un lieu d'échanges, d'animation, d'orientation et de planification;
  • porteuse de dossiers et s'inscrit dans des actions concrètes de développement.

DES RÉSULTATS IMPRESSIONNANTS

Depuis sa création, la CDRQA a constitué 163 coopératives, représentant plus de 3 220 emplois créés ou maintenus. Il est intéressant de souligner que 77% de ces coopératives sont toutes en opération après dix ans.

Tableau 1
Taux de survie des coopératives par rapport aux entreprises privées
  Après 3 ans Après 5 ans Après 10 ans
Entreprises privées n.d. 36 % 20 %
Coopératives en général n.d. 64 % 46 %
Coopératives appuyées par la CDRQA 98 % 84 % 77 %

  • Les coopératives sont plus durables que les entreprises du secteur privé

Près de 65% des coopératives franchissent le cap des cinq années d’existence comparativement à 36% pour le secteur privé. Après dix ans, le taux de survie est de 46% pour les coopératives et de 20% pour les entreprises du secteur privé. Et les statistiques en faveur du modèle coopératif sont encore plus impressionnantes si on se concentre sur les résultats de la CDRQA: dans ce cas précis, 98% des coopératives appuyées par la CDRQA étaient toujours en opération après trois ans, 84% après cinq ans et 77% (plus du trois quant) après dix ans. Un score presque quatre fois supérieur à celui des entreprises du secteur privé dans ce dernier cas (77% contre 20%).

  • Promo Plastik, coopérative de travail

Lorsque l’entreprise Plastique Gagnon inc. voulut se départir de sa constituante « Promo Plastik » en 1992, les six employés décidèrent de l’acquérir et de se constituer en coopérative de travail. Cette décision permettait à l’entreprise de demeurer à Saint-Jean-Port-Joli plutôt que de passer à des intérêts étrangers et de déménager avec ses nouveaux propriétaires. Depuis, quatre employés se sont joints à la Coopérative. Promo Plastik se développe sur des bases solides en produisant des objets promotionnels sur les marchés locaux et internationaux. Entre autres, la Coopérative produit l’effigie du Bonhomme Carnaval de Québec depuis de nombreuses années, des protège-cartes de débit et de crédit pour le mouvement Desjardins, des tirelires pour Poste Canada et, récemment, l’effigie de la mascotte de l’équipe de France pour le Mondial de soccer, 1998.

  • Coopérative des travailleurs de Maska

Depuis 1964, la compagnie Poulies Maska s’est taillée une place enviable, tant au Canada qu’aux Etats-Unis, dans le marché de la conception, de la fabrication et de la distribution de poulies de type commercial et industriel. Engagée dans une démarche d’excellence et de qualité, l’entreprise a amorcé récemment un virage vers la gestion participative où chacun des travailleurs contribue au bon fonctionnement de la production et à l’amélioration du milieu de travail. C’est ainsi qu’est née la Coopérative des travailleurs de Maska, deuxième actionnaire en importance de l’entreprise. Les membres de la coopérative participent aux grandes décisions de gestion ainsi qu’aux résultats. Ensemble, ils possèdent 12% des actions votantes et 8% du capital participant. En 1995, dans le cadre d’un concours organisé par la firme Arthur Anderson et le Financial Post, l’entreprise se classait parmi les 50 entreprises à capital privé les mieux gérées au Canada.

  • L’alternative coopérative est une solution de plus en plus d’actualité pour affronter les grands défis

À la suite d’une enquête menée par la Direction des coopératives du ministère de l’Industrie et du Commerce sur le potentiel de croissance de la formule coopérative, il ressort que cinq types d’entreprises sont plus particulièrement propices à la création d’une coopérative:

  • Les entreprises dont la succession n’est pas assurée;
  • Les entreprises dans les secteurs en repositionnement;
  • Les entreprises de la nouvelle économie;
  • Les services gouvernementaux pouvant faire l’objet d’une privatisation;
  • Les travailleurs autonomes.

POURQUOI UNE « CERTIFICATION COOPÉRATIVE »?

La formule coopérative est un outil de développement économique qui se distingue en permettant à ses membres d'être plus que des spectateurs: à la fois propriétaires et usagers, pouvant exercer démocratiquement la propriété et le contrôle, procurant du travail aux meilleures conditions possibles, les membres reçoivent des biens et des services en participant activement à la croissance de l'entreprise.

Cette formule déjà centenaire et appliquée aux quatre coins de la planète ne fait pas que le coopératisme est une garantie de résultat. La plus grande surprise de Gérard Perron, depuis qu'il s'efforce de bâtir une « certification coop », c'est d'ailleurs d'avoir constaté que toutes les coopératives étaient demanderesses d'outils en la matière, qu'importe leur domaine d'action!

À quoi précisément servira donc le développement de ce programme de « certification de conformité aux pratiques coopératives© » (en anglais il faudra parler de certification of compliance with co-operative practices)? Cette certification permettra aux coopératives de mieux comprendre ce qui les distingue pour ensuite le mettre en évidence de manière concrète. Elle se veut d'abord un outil pour aider les gestionnaires. Ce qui explique que l'accessibilité soit en haute priorité dans la mécanique du programme.

« Nous l'avons construit avec la volonté qu'il soit simple à utiliser et que ses bénéfices soient concrets à court terme », précise Gérard Perron, reconnaissant que la certification servira ici davantage aux coopératives directement, qu'à la population. Avec raison, les gens aiment bien se rassurer avec tous les ISO 8000/9000/14000... de ce monde, voyant-là un gage de qualité. La « certification coop » -son nom sera dévoilé seulement lors du lancement officiel - aura certes un peu le même effet, mais plutôt indirectement.

Les coopératives qui se qualifieront se verront décerner une certification qu'elles pourront utiliser dans toutes leurs communications. La certification fera aussi partie du coffre à outils du gestionnaire puisqu'elle sera un puissant catalyseur pour l'amélioration de la qualité de la vie associative.

Il y aura en fait trois degrés de certification: « L'idée de mettre trois degrés vise d'abord à encourager l'amélioration continue, ensuite à donner plus d'accessibilité au processus (...)Le 1er degré vérifie surtout la circulation de l'information, que les administrateurs de la coopérative sont bien informés et renseignés sur les actions de la coopérative; le 2e degré vérifie s'il y a eu des décisions de prise; le 3e degré vérifie si l'on est passé à l'action ». Ces explications de Gérard Perron démontrent bien que la démarche de certification vise d'abord à stimuler la bonne marche d'une coopérative.

Et si pour des raisons d'accessibilité la démarche offerte comporte trois degré, le résultat du processus aboutit à une certification unique. La certification sera la même pour tous. Une simplicité que l'adaptation au niveau des exigences à atteindre selon les secteurs aura rendue possible.

LES COÛTS DE LA PROCÉDURE

Entreprendre une démarche de certification ne sera pas une opération ruineuse pour les coopératives: « Les coûts pour la première certification seront d'environ 1 500$. La procédure pour changer de degré coûtera environ 1 200$ et la révision - annuelle ou biennale selon le degré - reviendra à environ 600$ », approxime Gérard Perron, qui le soir même de l'entrevue avait une réunion avec ses partenaires sur l'appellation à donner à cette certification et qui ne pouvait évidemment pas encore confirmer la tarification définitive qui sera offerte aux coopératives.

Qui accordera cette certification? Au Québec, c'est le Bureau de normalisation du Québec (une division du CRIQ) qui va certifier. Une entente a déjà été négociée en ce sens. Gérard Perron fait aussi remarquer que l'organisme gouvernemental est déjà accrédité aux niveaux canadien et international, ce qui pourrait aider pour la suite des choses.

Mais avant de penser reconnaître et facturer les premiers clients, il faut former des gens qui seront capables d'assister une coop dans son processus de certification. Bien qu'accessible, la démarche impose des devoirs à faire et un appui extérieur sera souvent de rigueur. Et ici, la CDRQA n'a pas du tout l'intention de déléguer le travail à un autre.

UN BOOM DE CROISSANCE QUE LA CDRQA COMPTE BIEN SAISIR

C'est effectivement au sein même de l'équipe de la Coopérative de développement régional, Québec Appalaches que Gérard Perron compte constituer l'offre de formation pour assurer la préparation des gens qui pourront aider les coopératives à atteindre le niveau de certification désiré.

« Nous avons évalué que le besoin en aide varie entre zéro et une journée au maximum », précise-t-il. Les coopératives qui solliciteront une aide experte externe ne devront donc pas débourser des sommes énormes.

Et preuve que la CDRQA compte bien saisir le petit boom de croissance à sa portée, la première journée de formation est déjà à l'agenda pour le 24 septembre 2003 avec l'ensemble des dix autres coopératives de développement régional du Québec.

Un retour sur l'investissement qui est certes mérité pour Gérard Perron et son équipe, qui sont tout de même les inventeurs de cette première mondiale!

www.cdrqa.coop

www.coop.org


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Commerce Monde #36