CHRONIQUE DE LOUIS BALTHAZAR Une guerre injustifiée par Louis Balthazar Titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM En dépit d'un rapport d'étape assez peu révélateur de la part des inspecteurs des Nations Unies, même si la démonstration de Colin Powell en a laissé plusieurs sceptiques, les faucons du gouvernement Bush semblent bien déterminés à porter la guerre contre l'Irak pour en finir avec Saddam Hussein. Le nombre des militaires américains prêts à déclencher les opérations atteint 150000 à la mi-février. Les Britanniques, légèrement moins impatients, ont déjà dépêché d'imposants dispositifs. POURQUOI LA GUERRE? Pourquoi cet empressement? Le Président Bush n'a-t-il pas eu recours au Conseil de sécurité des Nations Unies pour faire émettre une résolution qui s'est traduite par l'envoi d'une équipe d'inspecteurs qui fait son travail résolument, sans entrave majeure du gouvernement irakien et sans avoir encore relevé de traces significatives d'armes de destruction massive? Pourquoi interrompre ce processus, ne pas attendre des preuves flagrantes du danger que représente l'Irak pour recourir ensuite à une seconde résolution du Conseil de sécurité qui autoriserait l'usage de la force? Ces preuves pourraient bien être produites assez tôt avec l'aide des services de renseignement des États-Unis. Les Américains font valoir que déjà la résolution du 9 novembre 2002 avertissait l'Irak de « conséquences sérieuses » si on n'obtempérait pas à la mise en demeure de fournir la liste des armes de destruction massive et de les détruire. « Saddam n'a pas désarmé », déclare le secrétaire d'État, Colin Powell, et le président irakien n'a donné aucune information sur les programmes d'armement en cours depuis le moment où une équipe d'inspecteurs a été forcée de quitter, en 1998. C'est sur Saddam Hussein que repose le fardeau de la preuve, disent les Américains. C'est à lui qu'il revient de démontrer ses bonnes intentions. Il est incontestable que Il est incontestable que personne ne peut faire confiance en Saddam Hussein et que son régime représente quelque chose de profondément odieux. Il a semé la terreur partout dans son pays, il a persécuté toutes les minorités dont les Kurdes au nord et au sud les Chiites, qui sont en fait une majorité. Il a réprimé toute liberté d'expression. Il a utilisé des armes chimiques et bactériologiques contre l'Iran et mis en œuvre un programme d'armes nucléaires. Il ne se trouve à peu près personne hors d'Irak qui ne souhaite le renversement de ce régime. Fait remarquable, il semble que tous les Irakiens de l'extérieur, toutes tendances confondues, appuient une intervention militaire sous la direction des États-Unis. La conseillère du président, Condoleezza Rice, a cité l'exemple d'autres pays, l'Afrique du Sud, l'Ukraine, le Kazakhstan, qui ont démantelé volontairement des armes nucléaires après avoir invité des inspecteurs à visiter les sites et à observer les destructions d'armes. C'est à cela qu'on s'attend de l'Irak et c'est cela qu'on n'a pas obtenu. La seule présence des inspecteurs ne viendra jamais à bout des armes de destruction massive sans coopération active de la part du gouvernement irakien. On fait valoir encore que les Américains ont déjà envahi des pays pour obtenir la chute d'un régime totalitaire et ont contribué à leur reconstruction démocratique, comme dans le cas de l'Allemagne et du Japon en 1945 et, l'espère-t-on, dans le cas de l'Afghanistan depuis 2001. UNE GUERRE INJUSTIFIABLE La guerre contre l'Irak n'en demeure pas moins injustifiable et constituerait, dans la situation actuelle, un très grave précédent dont les conséquences pourraient être beaucoup plus dévastatrices que positives. D'abord, quoi qu'en disent les Américains, et quelque interprétation qu'on puisse faire de la résolution 1441 du Conseil de sécurité de l'ONU, le fardeau de la preuve repose sur ceux qui ont recours à la guerre. On ne fait pas la guerre à un pays parce qu'il ne désarme pas. On ne l'aurait sûrement pas fait contre l'Afrique du Sud, l'Ukraine et le Kazakhstan s'ils n'avaient pas désarmé. La grande majorité des observateurs, responsables politiques comme citoyens ordinaires, veulent qu'on leur fasse la démonstration que l'Irak représente une menace. Or cela n'est pas encore démontré et les Américains ne peuvent invoquer la légitime défense pour justifier des opérations belliqueuses. Aussi terrible que soit Saddam Hussein, il n'a pas posé de geste provocateur depuis plusieurs années. Une intervention américaine, qui ne serait appuyée que par une poignée d'alliés, sans autorisation des Nations Unies, sans le concours de partenaires aussi importants que la France, l'Allemagne, la Russie, la Chine et même, espérons-le, le voisin canadien, dans un contexte d'hostilité généralisée de tous les pays du Moyen-Orient, à part Israël, serait un précédent plus dangereux et aux conséquences plus imprévisibles que la guerre du Vietnam. Dans ce dernier cas, on pouvait au moins invoquer les nécessités de la guerre froide et l'agressivité évidente d'un régime communiste. Toutes les interventions militaires récentes des États-Unis étaient mieux justifiées et mieux appuyées que celle qu'on projette en Irak. En 1991, on défendait la souveraineté d'un État membre des Nations Unies, le Koweit, après avoir rassemblé la plus imposante coalition qu'on ait observée au 20ième siècle. En 1995, on protégeait la Bosnie contre l'exécrable nettoyage ethnique des Serbes dont les cruelles menées avaient provoqué le scandale de toute la communauté internationale. En 1999, on bombardait la Serbie pour libérer les Kosovars. Dans ces deux derniers cas, tous les pays de l'OTAN se portaient solidaires des Américains. En 2001, on pouvait sûrement invoquer la légitime défense en utilisant la force contre le régime des Talibans qui hébergeait de toute évidence l'organisation responsable des attentats du 11 septembre. Pour le moment, les Américains ne nous ont présenté aucune justification comparable. En faisant la guerre à l'Irak, ils établiraient un effroyable précédent, celui de porter la guerre à un pays que seuls les Américains et quelques autres ont jugé passibles de punition violente, sans confirmation des Nations Unies ou d'une organisation internationale représentative. Comment ne pas croire que le motif déterminant de l'intervention serait l'ambition d'exercer un contrôle absolu sur un des plus importants producteurs de pétrole au monde? Comment ne pas croire que les amis de MM. Bush et Cheney, qui ont obtenu de leur gouvernement qu'il s'abstienne de toute incitation à économiser l'énergie, voudraient avoir les mains libres pour exploiter la totalité des sources d'approvisionnement du Moyen-Orient? Le gouvernement Bush, dont la popularité est décroissante, réussirait sans doute à obtenir un ralliement populaire autour du drapeau, au moins pour le début des hostilités, comme ce fut le cas, dans la guerre du Golfe de 1991, pour Bush père qui avait fait face à une opposition plus forte à la fois au Congrès et dans l'ensemble de la population. Mais si la guerre devait être longue et coûteuse en vies humaines, combien de temps durerait cet appui? Et que dire des ravages qu'elle produirait sur une économie déjà fragile? Enfin, contrairement à ce qu'on espère, tout indique qu'une guerre en Irak, dans les circonstances actuelles, ne ferait qu'aggraver la menace des réseaux terroristes animés par l'islamisme radical. Pour toutes ces raisons, en songeant que la décision finale n'est pas encore annoncée, contrairement à ce qu'on avait fait pour la guerre de 1991, il faut espérer que le gouvernement Bush cherchera plutôt, dans les semaines qui viennent, à se concilier ses partenaires du Conseil de sécurité en donnant plus de temps aux inspecteurs et en opposant au régime irakien un front uni. Un consensus de tous les membres permanents du Conseil de sécurité serait plus susceptible d'engendrer quelque recul de la part de Saddam Hussein ou de le réduire à l'impuissance. Quel que soit le déploiement de troupes, cette hypothèse est toujours ouverte. Quant au gouvernement canadien, il fait bien de temporiser sans heurter son puissant voisin par des déclarations trop intempestives. Le moment venu, il ne sera pas facile de demeurer à l'écart d'un partenaire auquel nos forces militaires sont passablement intégrées, ce qui est sans doute à l'origine des propos inquiétants de M. McCallum à Washington. En l'absence d'appui de l'ONU, le Canada devrait pouvoir s'abstenir discrètement. On ne voit pas comment il pourrait se soustraire cependant si le Conseil de sécurité allait autoriser l'usage de la force contre l'Irak. (Québec, le 6 février 2003) |
Commerce Monde #34 |