sommaire Gagnants des prix « UN MONDE À FAIRE » par Daniel Allard Des quatre coins de la planète, le Québec tente d'attirer des immigrants sur son territoire. Des services d'immigration du Québec existent dans les délégations générales à Bruxelles, New York, Mexico et Paris, ainsi que dans les ambassades du Canada à Damas, Hong Kong, Rabat et Vienne. Mais c'est certainement à Paris que les plus grands efforts sont mis. L'équipe québécoise du Service à l'immigration dans la capitale française compte en effet 30 personnes. Une fois par mois, un membre de cette équipe se rend une semaine à Bruxelles pour aider à faire des entrevues et trois fois l'année c'est la même chose vers Londres. De plus, Israël est couvert par Paris, ainsi que, partiellement, le Maroc. Depuis un an chef de la promotion de ce service, Manon Boucher ne manque pas d'originalité dans sa façon de relever le défi qui lui a fait quitter Québec et le ministère de l'Industrie et du Commerce pour venir travailler à Paris. « J'ai accepté cette affectation de deux ans. J'en suis maintenant à mis parcours. Ma force est dans le marketing et c'est pour cela que je suis ici », raconte-t-elle de son bureau de la rue la Boétie. À travers la conversation, on apprend que la France est un pays avec un facteur «pull», où il faut y vendre le Québec. Dans un pays «push» on retrouverait un intérêt en soit à vouloir le quitter. Ce n'est normalement pas le cas en France et il faut donc y faire de la promotion. Et jusqu'à l'an dernier, la manière était unique: placer des annonces dans les journaux puis organiser des séances d'information. Manon Boucher a évidemment trouvé que ce n'était pas suffisant. Elle a ajouté plusieurs interventions, dont certaines très originales:
« J'avais deux objectifs avec ces journalistes: leur faire connaître que le Québec est demandeur d'immigrants et démystifier l'hiver. Ils ont passé toute une semaine au Québec, dont une journée entière avec un immigrant français de leur propre région respective et 36 heures dans une pourvoirie afin d'apprivoiser l'hiver. On a aussi fait une visite de la ville de Québec... J'ai même dû appeler le journaliste de la Presse canadienne Normand Delisle en renfort pour rassurer un journaliste français qui en était rendu à douter de la véracité de ce qu'on lui faisait vivre », se rappelle en riant Manon Boucher, bien fière de son coup. Les résultats sont-ils au rendez-vous? Ces statistiques révèlent que Strasbourg (avec un ratio de 2,1) est la ville d'où provient proportionnellement le plus grand nombre d'immigrants français. En chiffres bruts, c'est la région parisienne qui vient au premier rang, suivie de la ville de Toulouse. Les gens admis sont actuellement célibataires dans 70% des cas. « Avec la Ville de Québec, c'est sûr qu'il y aurait quelque chose de plus à faire. Si on veut devenir le 2ièm pôle d'immigration, il faut se donner des outils... Moi, j'attends répond Manon Boucher, sur ce qu'elle arrive à faire actuellement avec les gens de la capitale. Manifestement, elle aimerait bien pouvoir compter sur un répondant unique au nom de toute la région. « Si j'avais un guichet-unique », soupire-t-elle doucement, rappelant que ce n'est pas son job à elle de trouver un emploi à la personne immigrante. Elle a bien reçu la nouvelle pochette d'information de la ville en une vingtaine d'exemplaires. Tous les conseillers du bureau de Paris ont donc obtenu une copie. Mais elle voudrait bien faire beaucoup plus: « J'attends monsieur Yves Dallaire n'importe quand. » Et ce n'est pas sa patronne, Micheline Baril, la directrice du Service, qui s'opposera à donner un coup de pouce particulier en faveur de la capitale, elle qui est aussi originaire de la ville de Québec. OPÉRATION BORDEAUX COUTE QUE COUTE Étrangement, il s'en est fallu de peu pour que « La semaine de Québec à Bordeaux » devienne une belle occasion manquée, en matière de sensibilisation à l'immigration au Québec! Autour de février-mars, elle se rappelle avoir rencontré des représentants de la Chambre de commerce de Québec (CCQ), venus présenter leur démarche proactive. En août, elle téléphonait à la Ville de Québec pour savoir s'il y aurait un volet immigration lors de la « Semaine à Bordeaux ». La réponse fut: « Si c'est le cas, c'est la CCQ qui sera responsable. » « J'ai ensuite tenté de rejoindre la personne responsable à la chambre de commerce, sans réponse... J'ai donc décidé de m'arranger toute seule. » Sans demander de permission à personne, elle a loué une salle à Bordeaux avec l'aide d'Espace Emploi International, une équipe de fonctionnaires français spécialisés avec qui elle a l'habitude de travailler, pour organiser une soirée d'information qui adonnait en même temps que le passage des Québécois. Elle a fait son travail, quoi, en profitant d'un excellent « timing ». Malheureusement, elle est restée seule et la Ville de Québec n'aura que très peut profité de cette belle occasion de marquer des points. Manon Boucher s'est tellement arrangée seule que ce n'est que le lundi 23 septembre qu'elle croise, par hasard, l'attachée de presse du maire de Québec, elle aussi à la délégation générale du Québec à Paris pour finaliser le programme, et lui apprend qu'elle tiendra cette soirée d'information à Bordeaux, le mardi 1er octobre. Les réflexes bien aiguisés, Luci Tremblay lui a automatiquement dit: « O.K.... Monsieur L'Allier va être là! ». Le maire de Québec fut effectivement présent, modifiant son agenda en conséquence pour pouvoir venir saluer une salle comble pendant une quinzaine de minutes. L'honneur était sauvé! On appelle ça attraper un train au passage à quelques kilomètres de l'arrivée! Si l'anecdote démontre la volonté du maire Jean-Paul L'Allier d'être présent à des activités faisant la promotion de l'immigration à Québec, elle montre aussi qu'il a fallu dans ce cas que l'initiative vienne d'ailleurs, pas des principaux intervenants de la région de Québec. Il y avait, de plus, de manière évidente, de la confusion entre la Ville et la CCQ. La machine n'est manifestement pas rodée. Peut-être parce que la France n'est d'ailleurs pas l'objectif premier de la Chambre de commerce de Québec, qui identifie d'abord l'Europe de l'Est pour répondre aux besoins de la région de Québec.
La séance d'information débutera à 19h, mais 30 minutes avant il y a déjà 10 personnes dans le grand amphithéâtre. À cinq minutes du début, ils sont maintenant 120 et ça continue d'entrer massivement. Dans un doux murmure, ils scrutent tous le formulaire et sans doute davantage la grille de pointage permettant d'évaluer leur chance d'accéder à une vie nouvelle. Pas évident, choisir l'immigration. Émigrer, c'est mourir un peu! Les quelques têtes grisonnantes ne le savent pas encore, mais la « crème plus fraîche » des 20-35 ans est la cible du Québec. Plusieurs jeunes couples semblent d'ailleurs arriver ensembles. Supers coups doubles en perspective! Petit signe du succès de l'opération, il n'y a plus de formulaire sur la table à l'entrée. Pas de panique, une boîte en dessous en contient d'autres. Ouf!!! La pub titrant « EXPATRIATION » dans le journal Sud-Ouest du samedi a définitivement fait mouche. C'est l'heure, on commence. Ils sont bien rendus 250 lorsque Manon Boucher donne rapidement la parole au maire de Québec pour débuter la conférence. Son petit discours de 10 minutes suscite moult questions orientées surtout sur la facilité à se trouver un emploi. Jean-Paul L'Allier, qui devait ne rester que quelques minutes, se prend au jeu des questions. Il passera bien un autre quart d'heure à répondre de son mieux, visiblement heureux, mais donnant toujours l'heure juste sans dorer la pilule. Environ 25% des mains se lèvent pour signifier qu'elles ont déjà visité le Québec. Une bonne part de rêve remplit donc cette salle bondée. UN « TGV POUR QUÉBEC » MANQUÉ Le lendemain, de 9h à 17h, Manon Boucher poursuivait son opération Bordeaux et offrait encore une initiative spéciale baptisée « Un TGV pour le Québec ». Dans les bureaux d'Espace Emploi International et avec un autre petit coup de main de la responsable de ce service, Catherine Galharret, elle a rencontré immédiatement les gens ayant leur formulaire rempli à la main en l'évaluant sur le champ, leur épargnant une démarche administrative qui impose normalement deux à trois mois d'attente. L'occasion était rêvée de voir aussi un représentant de la Ville de Québec y tenir en même temps une journée « Un TGV pour Québec », rencontrant et informant du coup tous ces demandeurs de nouvelle citoyenneté en espérant les attirer jusqu'à Québec. Au moins cinq équipes de journalistes, de France et du Québec, sont venues faire leur travail en parallèle à celui de Manon Boucher. Mais personne de la ville de Québec. On peut encore parler d'une belle occasion manquée. Après sa journée exténuante d'entrevues, Manon Boucher avait encore le sourire pour faire immédiatement le bilan devant trois journalistes qui avaient hâte de savoir: « J'ai une très bonne moyenne avec 59 acceptations et 7 refus et six ou sept personnes sont reparties avec le formulaire pour réfléchir davantage », annonce-t-elle visiblement satisfaite. Le taux de passage de cette première étape - tout à fait gratuite - est généralement autour de 55%. Était-elle surprise de voir cette salle comble le soir d'avant? « La salle, hier, c'était une bonne salle, mais pas une surprise. C'était comme à Nice, à Marseille ou Lyon », commente Manon Boucher. À coup de 200-300 personnes, son cheminement face à l'objectif du Québec d'accueillir toujours plus d'immigrants semble fait de pas substantiels. Et pour cette fois à Bordeaux: mission accomplie! D'un jour à l'autre environ 60 personnes recevront leur invitation à déposer officiellement une Demande de certificat de sélection, en n'oubliant pas d'y inclure les 300$ de frais. Dans environ six mois, une bonne proportion (autour de 85% seront sélectionnés) s'apprêtera à partir vivre au Québec. Sans doute moins à Québec que si la ville avait été plus proactive à les attirer jusque dans la capitale, un certain mercredi 2 octobre tout ensoleillé de 2002!
Mais dans sa ville d'adoption pour encore une année, la Québécoise Manon Boucher peut se dire qu'il y aura encore bien d'autres occasions pour se reprendre. Effectivement, elle est bien occupée la dame. Juste pour le mois d'octobre, elle présentait une séance d'information sur les possibilités d'établissement au Québec à Bordeaux le mardi 1er, à Lyon le 7, à Grenoble le 9, à Montpellier le 31 et à Toulouse le 24. Même chose à Paris les 2-7-14 et 22 octobre! Heureuse à Paris, elle pense encore beaucoup à Québec et n'hésite pas à penser tout haut. Elle nous explique qu'elle proposerait un véritable « comité consultatif », où tous les secteurs pourraient venir dire leurs besoins. Elle se demande aussi s'il y aura quelqu'un pour l'emploi et l'immigration à la future CODEM. Une question en forme de souhait, évidemment!
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