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Globalisation, quels enjeux pour les universités?
par Daniel Allard
Les organisateurs de ce colloque international
tenu à l'Université Laval, du 18 au 21 septembre 2002, n'en
attendaient sûrement pas tant. Une véritable manifestation de jeunes
contestataires face à la mondialisation pour cet événement purement
académique. Des gardes de sécurité ont dû contrôler l'accès à l'auditorium
Hydro-Québec du Pavillon Alphonse-Desjardins pour le reste
des conférences. Les activistes du dernier Sommet des Amériques
s'ennuyaient peut-être de leurs bons moments du printemps 2001? Reste
qu'ils en ont finalement été quittes pour s'apercevoir qu'ils
manifestaient contre des gens qui partagent globalement leur point de vue.
La majorité des participants au colloque «GLOBALISATION Quels enjeux
pour les universités?» semblait également voir la mondialisation sous
un oeil très interrogateur.
« Que peut-on reprocher à la mondialisation des
universités? Améliorer la mobilité des professeurs et des étudiants n'a
que du bon », lançait pourtant Gilles Breton, directeur du
Bureau international de l'Université Laval et président du colloque,
dans sa conférence d'introduction. La réponse est vite venue d'une
citation d'un Italien (Barello): « La globalisation n'est pas
seulement un élargissement du terrain de jeu, elle est aussi une
modification des règles du jeu. »
De quels enjeux parle-t-on? De celui des écarts de
la connaissance entre les pays riches et les pays pauvres. De l'exode des
cerveaux. Du mode de régulation du système universitaire global. «
Actuellement, les universités des pays pauvres ne subventionnent-elles pas
les programmes de formation supérieure des universités des pays riches, en
leur fournissant des gradués qu'elles n'ont pas à former? », questionnera
par exemple un des participants. C'est évidemment une façon de voir les
choses, une façon qui révèle assurément un vice du système.
DES TEMPS QUI CHANGENT
Depuis Bologne et la création de la première
université au début du XIIe siècle, beaucoup de chemin parcouru!
L'institution jouissait d'un statut d'extraterritorialité qui la
soustrayait à l'influence du prince et de l'Église. Expression extrême du
fondement de l'autonomie universitaire et de la liberté académique. Le «
professeur-chercheur » n'a pas toujours existé, c'est à l'Université de
Berlin, au XIXe siècle, que ce modèle est né. Maintenant, plusieurs
pensent que l'université virtuelle, la « Formation à distance » (FAD), va
combler les fossés séparant les universités les unes des autres.
L'opportunité du virtuelle, permettant d'optimiser un cheminement de
formation en arrimant les atouts de différents établissements, devenant de
plus en plus possible et facilité.
Parce que nous vivons dans une société fondée sur
le savoir, on demande à l'université de jouer un rôle économique de
premier plan. Auparavant traditionnellement humaniste et critique,
résistante aux modes et subversive aux idées toutes faites, indépendante,
on lui impose aujourd'hui la soumission aux lois du marché. On lui demande
d'être un partenaire de développement dans un contexte néo-libéral.
Lorsqu'elle servait plutôt à produire une élite
vivant en vase clos dans la société son indépendance avait une logique.
Maintenant qu'elle forme la majorité fonctionnelle de la société, elle
doit s'arrimer à la réalité socio-économique de l'ensemble de la société.
En cela, elle est devenue plus démocratique. Doit-elle ne devenir qu'un
instrument de développement économique comme les autres?
« L'université de doit surtout pas devenir
l'instrument de promotion et de réalisation d'un mouvement conjoncturel...
carrefour où se traite l'ensemble de l'information d'hier et
d'aujourd'hui... elle contribue par l'intrant particulier du savoir, à
configurer l'avenir », pense Anne Marrec, présidente de la TELUQ. Et
contribuer au développement de l'intelligence collective, c'est bâtir la
capacité à comprendre le monde, à le rendre plus intelligible et à le
rendre davantage maîtrisable.
« L'horloge de la planétarisation ne s'enfarge pas
dans les chapelles. Pas de mondialisation sans FAD. Pas de FAD sans
réseaux. Pas de réseaux sans harmonisation... Encore une fois, la fonction
va créer l'organe », lisait-on encore dans la revue Réseau, le magazine
de l'UQ d'août 2001.
« Ce ne serait pas la trouvaille du siècle de la
réduire [l'Université] à n'être qu'un des bras séculiers de la
mondialisation marchande... d'autant plus que cette dernière ne réussit
pas encore à éviter l'exclusion de millions de personnes et la répartition
terriblement inégale de la richesse » y dit pour sa part Pierre Lucier,
président de l'Université du Québec.
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Hans van Ginkel,
recteur de l'Université des Nations unies à Tokyo, pense que
l'enjeu c'est aussi le modèle de financement et de fonctionnement des
universités, face à une globalisation qui n'est, par ailleurs, pas un
phénomène nouveau dans l'histoire humaine. Nous serions incidemment en
pleine période de mutation, une période où il y a donc des incertitudes
partout et pour laquelle Chris W. Brooks, directeur à l'OCDE,
suggère de ne pas voir les choses en noir ou en blanc. Selon-lui, il y a
deux aspects importants à retenir face à l'avenir: « Nous sommes à la fin
d'un cycle dans les pays développés, on arrive à un siècle de la biologie
et les mutations seront grandes; il y aura changement des règles
financières et de gouvernance corporative (éthique, lutte à la fraude,
pénurie de financement public). » Monsieur Brooks, d'une façon
surprenante, a aussi déclaré que Kofi Annan avait oublié une
sixième priorité à Johannesburg, au dernier Sommet de la Terre:
l'éducation. Ce qui explique que l'OCDE a réagi en élevant sa
préoccupation face à ce domaine. Sir John Daniel, assistant
directeur général à l'éducation à l'UNESCO, a même poussé une
définition du « développement humain durable »: un développement qui
reconnaît à la connaissance, dans le monde, un statut de bien commun de
l'humanité.
POURQUOI LA GLOBALISATION PERTURBE
FONDAMENTALEMENT LES UNIVERSITÉS?
La globalisation touche directement les enjeux de
concurrence et de mode de production. Ces derniers dépendent grandement
des niveaux de connaissance. C'est donc parce que la connaissance touche
directement le monde universitaire que les universités sont aussi un des
enjeux fondamentaux de la globalisation.
Et à ce titre, loin d'être un des moins célèbres
conférenciers de ce colloque, Riccardo Petrella, professeur à l'Université
catholique de Louvain, n'aime pas ce qu'il voit: « L'université
n'éduque plus, elle forme! C'est une extraordinaire violence qui est faite
à l'éducation », juge-t-il en prévoyant jusqu'à l'émergence d'un «Knowledge
Equity Market».
« La fonction fondamentale de l'éducation, c'est
apprendre à dire bonjour à l'autre... Je propose d'abolir les MBA
School, ces gens qui veulent tuer l'autre », a aussi tonné un Petrella
en pleine forme.
Que faire? Créer une autre mondialisation.
S'aventurer sur le terrain stimulant de la création d'une nouvelle
université. Petrella avance d'ailleurs trois principes fondateurs de cette
« université nouvelle »:
- elle est un service public sans privatisation
possible;
- pas de compétitivité dans le système (car
compétitivité et coopération ne peuvent pas se côtoyer);
- abolition de la propriété intellectuelle.
Alors que des universités qui remboursent les
frais de scolarité si le nouveau gradué n'a pas d'emploi dans son domaine
en six mois, cela existe. À l'heure des e.university (les
universités Internet), des franchises universitaires (University of
London to Sri Lanka) et des Corporate University (Motorola
University), les idées de Riccardo Petrella risquent d'élever le
débat jusqu'au niveau de la haute polémique. Mais un autre conférencier a
aussi lancé cette merveilleuse citation de Foucault: « Travailler,
pour un intellectuel, c'est arrêter de penser ce qu'il pensait déjà! »
« Travailler,
pour un intellectuel,
c'est arrêter de penser
ce qu'il pensait déjà! »
Les universités sont-elles en crises? Le colloque
laisse plutôt une impression de profondes et incontournables mutations. Et
même si la situation était telle, les participants pouvaient repartir en
gardant l'espoir, car on leur a aussi rappelé qu'en chinois, le mot crise
s'écrivait avec deux symboles: « danger » et « opportunité
»!
UN DÉBAT AUSSI À L'AGENDA DE L'OMC
Les quelque 200 personnes
rassemblées lors du colloque de Québec n'étaient pas les premières à
approfondir le sujet de la mondialisation et de ses effets sur le
milieu des universités. En avril 2002, l'Association internationale
des universités (AIU) avait aussi tenu, à Lyon en France, une
conférence sur « L'Internationalisation de l'Enseignement supérieur:
Politiques et Pratiques ». Une rencontre qui devançait stratégiquement
la date butoir de juin 2002 de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC) pour soumettre les requêtes concernant l'ouverture des marchés
au commerce des services, y compris l'éducation.
Dans un tel contexte, et alors
que la restructuration des systèmes européens d'enseignement supérieur
pour relever le défi de la mondialisation et de l'intégration bat
aussi son plein, il n'est pas surprenant d'apprendre que l'AIU
pourrait envisager de créer un Observatoire sur
l'Internationalisation.
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Quelle est l'idée la
plus importante à
retirer de ce colloque?
Des participants répondent!
« En ce qui me concerne, j'aimerais retenir, non pas une, mais deux
idées
maîtresses qui ont émergé de nos débats.
D'une part, les universités doivent rester fidèles à leurs valeurs
fondamentales de libre circulation des idées et des personnes. Dans le
contexte de la mondialisation que nous connaissons, ceci a pour
implication
principale de rechercher de nouveaux modèles de collaboration entre
universités, en particulier entre les universités des pays développés
et
celles des pays du sud. L'idée d'un parrainage entre universités du
nord
et du sud est particulièrement prometteuse; elle est sans aucun doute
plus
porteuse de développement productif que la multiplication
d'initiatives de
nature commerciale où des universités du nord iraient offrir des
services
d'éducation supérieure payants dans les pays du sud.
D'autre part, il est très clair que l'enseignement supérieur ne peut,
en
aucun cas, être considéré comme une "marchandise" qui devrait être
couverte
par les accords du GATS et l'OMC au même titre que le bois, les avions
ou
les services financiers. L'enseignement supérieur est un bien public
au
service de toute la population de chaque pays; il est agent
d'affirmation
de la diversité culturelle et agent de développement économique et
social à
portée universelle. En ce sens, s'il doit faire l'objet d'un cadre
mondial
de réglementation des échanges, ce cadre doit lui être propre et
devrait
être développé sous les auspices de l'UNESCO comme le prévoit
d'ailleurs la
charte fondatrice de cet organisme international. »
François Tavenas
Recteur honoraire de l'Université Laval
Québec
*****
« That Higher Education must make more efforts
to understand the many different dimensions of global interdependence
and integrate these into the curriculum of all disciplines. »
Chris W. Brooks
Director Public Affairs and
Communications
OECD, Paris
*****
« Une idée que je crois importante: La
nécessité, sans cependant tomber dans le relativisme, de respecter
réellement la culture des autres, d'accepter pleinement que ce sont
des égaux et de faire l'effort de les comprendre, en luttant notamment
contre le sentiment latent ou déclaré de supériorité qui existe
souvent si l'on appartient à une culture dominante et à une région ou
à un pays développé. »
Justin Thorens
Ancien recteur
Université de Genève
*****
« I believe we must spread the message that
although globalization had the potential to assist with poverty
reduction, because of poor policy choices it has in many cases
actually worsened poverty. Globalization is, however, a reality that
will not be easily stopped. Universities, therefore, have a societal
obligation to ensure that globalization - of all aspects of society,
not only of universities - is structured by well-informed policies
that put the betterment of all of society at the forefront. Professor
Teboho Moja of New York University delivered an excellent
presentation on Globalisation Apartheid. I believe her comments are
available on the web site. »
Lara K. Couturier
Associate Project Director and
Director of Research
The Futures Project: Policy for Higher Education in a Changing World
Brown University, Providence
www.futuresproject.org
*****
« Ce que nous retenons, le président Michel
Kaplan (Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) et moi-même est la
double idée suivante: une claire perception de l'inquiétude des
étudiants face à la mondialisation mais s'accompagnant d'une certaine
ignorance de son contenu, de ses effets et de ses mécanismes. Il y a
un effet "chiffon rouge" de la mondialisation, laquelle devrait être
mieux expliquée en montrant que tout n'est pas nécessairement à
rejeter, mais qu'en revanche, il est indispensable de savoir maîtriser
le phénomène.
Or cette question de la maîtrise de la
mondialisation conduit au deuxième aspect de l'idée que nous avons
retenue: nous avons été frappés par un certain unanimisme des
responsables universitaires dans le souci que cette maîtrise de la
mondialisation fasse apparaître clairement que l'éducation n'est pas
un marché comme un autre, ni un produit comme un autre. Si la
circulation des personnes et des idées est en effet un objectif
prioritaire de tout système universitaire dans le monde actuel,
celui-ci ne peut être atteint que dans le respect de la spécificité
des valeurs culturelles qui doit faire échapper l'activité éducative
aux règles de droit commun du marché et des échanges. »
Cordialement
Prof. Yves DAUDET
Vice President de l'Universite
Pantheon-Sorbonne (Paris I)
daudet@univ-paris1.fr
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« Comme organisateur du colloque, je retiens
que GLOBALISATION Quels enjeux pour les universités? a confirmé que
les pistes de réflexion qui sous-tendaient l'organisation de cette
rencontre n'étaient pas mauvaises. C'est-à-dire que si les universités
doivent continuer à faire de l'internationalisation, à savoir de la
mobilité étudiante internationale, intégrer dans les cursus
académiques des dimensions internationales, etc., il faut aussi
qu'elles fassent plus que de l'internationalisation. Ce qui signifie
de prendre en charge les enjeux globaux nouveaux qui se développent
dans le monde de l'éducation supérieure tel que la
marchandisation-privatisation des universités, l'exode des cerveaux ou
bien encore le "knowledge gap" qui ne cesse de s'élargir entre les
pays développés et la nécessité de la mise en place d'une gouverne
globale de l'éducation supérieure et surtout d'élaborer les stratégies
nouvelles qui s'imposent.
De ce point de vue, il me semble que
l'ensemble des travaux de ce colloque aura permis d'ouvrir une
réflexion quant à la nécessité pour les universités de repenser leurs
pratiques internationales et de réfléchir en ce sens au fait qu'elles
peuvent constituer des acteurs importants de la construction d'une
mondialité démocratique et équitable.
Voilà, en quelques mots, ce que je retiens de
ce colloque.
Mes salutations les meilleures. »
Gilles Breton
Directeur, Bureau international
Université Laval |
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