Chronique de Louis Balthazar Une victoire pour le conservatisme américain par Louis Balthazar Une grande victoire pour George W. Bush. Non pas tellement en raison du nombre de sièges que les Républicains ont enlevé aux Démocrates: un nombre somme toute assez faible, bien que suffisant pour faire basculer le contrôle du Sénat et maintenir celui de la Chambre des Représentants. Les États-Unis continuent d'offrir l'image d'un pays divisé entre deux factions presque égales. Mais Bush peut pavoiser surtout parce qu'il a fait mentir la règle selon laquelle le parti présidentiel perd toujours des plumes à mi-mandat. Un phénomène très rare que celui d'un président qui conquiert le contrôle du Congrès durant sa deuxième année à la Maison-Blanche. POURQUOI? À quoi attribuer cette victoire? D'abord sans doute à l'ardeur d'un Commandant en chef qui s'est transformé en organisateur d'élection, délaissant le bureau ovale pour faire campagne un peu partout au ras des pâquerettes pendant plusieurs semaines. Bush s'est révélé habile communicateur avec un succès qui rappelle celui de son modèle Ronald Reagan. Mis au monde par la tragédie du 11 septembre 2001, il a su exploiter à fond l'insécurité qui habite quantité d'Américains en leur offrant l'image d'un Commandant en chef bien en selle, maître de la situation et rassurant. Même s'il n'existe aucun rapport établi entre les attentats d'il y a 14 mois (dont la mémoire est toujours vivement entretenue), les infractions de Saddam Hussein envers les Nations Unies et la terreur vécue dans les banlieues de Washington au cours du dernier mois, dans l'esprit des Américains, tout cela est lié. Le citoyen moyen a peur. Il se sent menacé dans sa vie quotidienne et cela lui fait oublier beaucoup de choses. Dans ce contexte, il était difficile pour les Démocrates d'attirer l'attention des électeurs sur une économie qui va mal, sur une scandaleuse répartition des richesses et sur combien de problèmes sociaux qui affligent leur pays. Pas facile non plus d'amener les gens à comprendre la complexité de la situation internationale et à répudier la vision simpliste que leur offrent leurs dirigeants. Les Démocrates sont demeurés à cours d'idées, à court de thèmes accrocheurs et susceptibles de rallier l'électorat. Même si plusieurs parmi eux au Sénat ont refusé d'endosser la résolution à l'endroit de l'Irak qui équivaut à une véritable déclaration de guerre, il reste que leur leadership n'a pas osé se dissocier de la politique présidentielle. Par peur de ne pas paraître bons patriotes, les sénateurs démocrates dont le siège était en jeu ont voté, pour la plupart, en faveur de la résolution. Il faut noter tout de même des exceptions majeures: le regretté Paul Wellstone du Minnesota qu'on a remplacé à la hâte par le prestigieux Walter Mondale, Jack Reed du Rhode Island, Carl Levin, du Michigan et Richard Durbin, de l'Illinois. Les trois derniers ont conservé leur siège. Comme quoi il existe des Américains en Nouvelle-Angleterre et dans des États populeux comme le Michigan et l'Illinois pour supporter ceux qui se tiennent encore debout. LES CONSÈQUENCES Les Républicains vont donc contrôler le processus législatif dans les deux Chambres du Congrès. La voie est libre pour le programme législatif du président. D'abord des coupures de taxes permanentes, des coupures qui doivent profiter surtout aux plus riches, comme Al Gore l'a répété à satiété il y a deux ans. Mais qu'à cela ne tienne. Le peuple en a décidé ainsi! Ensuite, la création du bureau national de la sécurité intérieure. Puis le fameux programme énergétique, ne contenant aucune mesure significative de conservation, mais autorisant plutôt la prospection pétrolière au sein même des réserves écologiques de l'Alaska. Un programme d'assurance médicament au bon plaisir des compagnies d'assurance et peut-être même la privatisation partielle de la sécurité sociale. De plus, George Bush espère bien faire entériner ses nominations de juges conservateurs que bloquait ou retardait jusqu'ici la Commission des Affaires judiciaires du Sénat. Les Démocrates conservent suffisamment de sièges au Sénat pour s'opposer à des législations qui requièrent des majorités qualifiées. Il sont même en mesure de forcer des délais en ayant recours aux tactiques dites de filibuster, mais ils ne gagneront guère la sympathie du grand public en agissant ainsi. Des Républicains libéraux pourront, à l'occasion, se joindre à la minorité démocrate pour contrer des mesures trop conservatrices, mais ils se font rares ces modérés de la droite. George Bush est aussi en mesure d'imposer sa politique étrangère. Il l'était déjà, fort de la résolution du Congrès l'autorisant à mener la guerre en Irak, au moment où il jugerait que Saddam Hussein refuserait de collaborer avec les inspecteurs des Nations Unies. Les résultats des élections du 5 novembre ne peuvent que le conforter et stimuler la détermination de ceux qui constituent le parti de la guerre au sein de son gouvernement. Il n'est pas si sûr cependant que le président soit si empressé qu'on le croit de lancer ses troupes à l'assaut de l'Irak. Comment ne pas penser qu'il ne soit pas conscient des périls d'une invasion et que le scénario vécu par son père ne lui soit pas présent à l'esprit? On se rappelle que le premier Président Bush connut des déboires après avoir triomphé en Irak. Dans la conjoncture présente, c'est un pénible dilemme qui s'annonce. Ou la guerre en Irak est courte et couronnée de succès, mais suivie d'un dur retour aux réalités ingrates d'un lourd déficit budgétaire et d'une situation économique problématique. Ou la guerre est longue et pénible et la population américaine réagit mal, comme ce fut le cas au moment de l'aventure vietnamienne. Dans les deux cas, la situation n'augure rien de bon pour un renouvellement du mandat présidentiel en 2004. Sans doute les Démocrates peuvent-ils se consoler en évoquant les mésaventures d'un président qui ne pourra plus se permettre de blâmer le Congrès pour se dédouaner. En attendant la prochaine échéance, le reste du monde, qui subit l'hégémonie américaine, ne peut que compter sur les éléments modérés de cette administration qui, jusqu'à maintenant, a été plus agressive en paroles qu'en actes. C'est un bien mince espoir. Car l'ouverture au dialogue international n'est pas très forte chez les Républicains. |