LE CANADA, LE QUÉBEC ET LE MONDE par
Louis Balthazar |
On
connaît bien l’incorrigible tendance du gouvernement Chrétien à se
mettre le nez dans les plate-bandes des provinces. Bourses du millénaire,
projets d’intervention dans les soins de santé à domicile, de
garderies “nationales” et quoi encore! OBJECTIFS
INTERNATIONAUX DU CANADA On
est moins au courant des agissements comparables de notre gouvernement
quasi monarchique sur la scène internationale. À l’intérieur, au
moins, on tâche d’y mettre les formes, on réclame un droit
d’intervention au nom du traditionnel pouvoir de dépenser. On en
discute. Les médias, l’opposition (ce qui en reste) interviennent. Bien
peu de tout ça à l’étranger. Qui connaît bien, par exemple, le
contenu du Livre blanc du gouvernement canadien sur la politique étrangère,
un énoncé de politique toujours en vigueur qui date de 1995? On y
affirme trois objectifs majeurs de notre action internationale:
Va
pour les deux premiers objectifs, encore qu’il est difficilement
concevable qu’on puisse poursuivre le premier sans le concours des
provinces. C’est le troisième qui suscite des interrogations
fondamentales quant au fédéralisme canadien. On peut se demander
d’abord ce que c’est que la culture canadienne dans ce pays où tout
le monde reconnaît facilement que le Québec possède une culture
distincte. Mais le pire n’est pas là. Voyez seulement comment on
explicite cet objectif culturel: La
vitalité de notre culture est aussi essentielle à notre succès économique.
Dans une économie mondiale davantage axée sur les connaissances,
la qualité des personnes, leur éducation, leur ingéniosité et leur
adaptabilité sociale deviendront des éléments clés de positionnement
sur la scène internationale. Notre système d’éducation, notre
diversité culturelle et la croissance continue et dynamique de nos
exportations de produits et de services culturels contribueront grandement
à notre réussite au plan international. Tout
cela est fort juste, bien qu’il y ait lieu de s’inquiéter de cette
formulation qui réduit la culture à des produits et à des services.
N’est-ce pas là le cœur de l’argumentation des Américains qui
s’opposent à ce qu’on appelle “l’exception culturelle”,
c’est-à-dire la liberté pour les gouvernements de subventionner les
productions culturelles nationales? Mais ce qui, d’abord, fait sursauter
un Québécois et peut-être quelques autres partisans de l’autonomie
des provinces au Canada, c’est cette expression pour le moins cavalière:
Notre sytème d’éducation. Personne
ne conteste au pays que l’éducation soit une compétence exclusive des
provinces et que, par conséquent, pour le meilleur ou pour le pire, selon
les cas, nous ayons ici dix systèmes d’éducation différents. On est
donc en droit de s’attendre à ce que le document fédéral souligne le
rôle irremplaçable des gouvernements provinciaux en ce domaine. Eh bien
non! Nulle part le
document ne laisse-t-il même entrevoir que le Canada est une fédération.
Et dire que nos diplomates s’évertuent à répéter inlassablement sur
toutes les scènes du monde que notre pays est un des plus décentralisés
qui soit! Oui,
le mot “province” est bel et bien mentionné. Mais voyez de quelle façon: Le
gouvernement reconnaît l’importance capitale de l’enseignement supérieur
international. Nous
travaillerons de près avec les provinces, le secteur privé, les
universités, les collèges et tous les intervenants afin de promouvoir
les institutions d’enseignement supérieur de notre pays… Ainsi
donc dans ce pays, les provinces sont des intervenants
parmi d’autres! On m’avait pourtant enseigné que la fédération
canadienne comportait deux niveaux de gouvernment, seulement deux
pour le moment. À ma connaissance, cela n’a pas encore fait l’objet
d’un amendement constitutionnel. Vieille
histoire que tout cela? Malheureusement oui, mais toujours d’une
actualité brûlante. Plus que jamais les enjeux de la culture et de l’éducation
sont internationaux et plus que jamais notre gouvernement fédéral se
comporte comme s’il était le seul acteur international vraiment apte à
nous représenter. Plus que jamais, on met tout en œuvre pour banaliser
la présence internationale du Québec, ses missions à l’étranger, son
réseau de délégations. Même en France, où on s’attendrait à une
reconnaissance du Québec, société distincte, foyer de vie francophone
au pays, le gouvernement du Canada met tout en œuvre pour donner
l’impression que la francophonie canadienne est répartie également à
travers tout le pays et ainsi faire oublier le rôle particulier du Québec,
pourtant “gouvernement participant” au sein de la francophonie. J’ai
entendu un ministre des Affaires étrangères du Canada prononcer
un discours à Québec, il y a deux ans, devant un auditoire composé en
grande partie de fonctionnaires québécois. Il a réussi à parler de
francophonie sans dire un traître mot du rôle du Québec au sein de
cette organisation. UN
PLAN STRATÉGIQUE QUÉBÉCOIS Le
ministère des Relations internationales du Québec vient de
publier, au printemps 2001, son plan stratégique pour les trois
prochaines années. On y rappelle les trois objectifs de la politique étrangère
canadienne. Au sujet du premier objectif, la prospérité et l’emploi,
on souligne la collaboration active du Québec et son association aux
missions économiques canadiennes. Pour ce qui est du deuxième, la sécurité,
on écrit que le Québec respecte pleinement la compétence d’Ottawa.
Mais le gouvernement québécois se dissocie du troisième objectif: la
formulation de cet objectif en matière d’enseignement, de culture et
d’identité, n’a nullement été convenue avec le gouvernement du Québec,
alors que ces sujets sont d’abord et avant tout de sa compétence. Cet
objectif ignore encore le Québec comme société forgée par une culture
propre de même que par les valeurs et les institutions qui en expriment
le caractère plus profond. Notez
que le ton de ces affirmations, comme celui de tout le document, n’a
rien de particulièrement propre à l’option souverainiste du
gouvernement Landry. C’est de bonne guerre. Car le ministère fédéral
se défend souvent de bloquer les actions et interventions québécoises
au niveau international en faisant valoir que les représentants québécois
cherchent avant tout à promouvoir leur projet souverainiste. On comprend
bien que les diplomates canadiens veuillent s’employer à défendre
l’intégrité et l’unité de notre pays. Il
est bien vrai que le gouvernement du Québec, notamment sous la direction
de Jacques Parizeau (1994-1995), a voulu, en quelques occasions,
occuper des tribunes internationales pour préparer l’avènement espéré
de l’indépendance. La réalité de la politique extérieure du Québec
est cependant tout autre. Aux États-Unis, par exemple, on s’est évertué,
depuis 1996, à faire oublier le projet indépendantiste, du moins à le
mettre entre parenthèses. Il en est de même à peu près partout dans le
monde, le plus souvent. D’ailleurs les meilleurs partenaires du Québec
sont plus que jamais, depuis quelques années, des États non souverains
tels la Wallonie, la Catalogne et la Bavière, trois régions autonomes
qui exercent des compétences internationales sans pour cela chercher à
obtenir la souveraineté politique officielles. En cet été 2001, le premier
ministre Landry se trouve en Belgique et en Allemagne, justement en
vertu de ce type de relations. Il est à souhaiter qu’il sache demeureur
discret quant à son option et restreigne, en bon diplomate, ses ardeurs
souverainistes. Du
côté d’Ottawa, on pourrait aussi espérer qu’on mette en pratique la
décentralisation dont on se targue. Qu’on accepte pleinement cette
transformation évidente des relations internationales qui permet à des
États non souverains d’exercer leurs compétences légitimes au niveau
international. D’autres États fédéraux comme la Belgique, la Suisse,
l’Allemagne on reconnu officiellement ce rôle à leurs composantes.
Pourquoi pas le Canada? Est-il
seulement permis de rêver? |