À
bas la mondialisation? …Et après?
par Louis Balthazar
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Pourquoi
s’oppose-t-on aussi ardemment à la mondialisation, tout particulièrement
lorsqu’elle prend des formes officielles comme lors du prochain Sommet
des Amériques? Parce
que ce n’est pas bien que les représentants de 34 États se réunissent
pour exprimer leur solidarité et échanger à propos de leurs problèmes
et intérêts, économiques et autres? Sûrement pas. C’est bien plutôt
contre les absents qu’on en a. Contre les grandes sociétés
multinationales qui, nous dit-on, en viendront à dominer complètement
nos vies, sans que nous ayons quelque droit de regard. Les 34 chefs de
gouvernement vont négocier, sans que nous en soyons informés et sans que
nous puissions nous prononcer comme citoyens, des accords qui mettront en
cause l’autonomie réelle de nos États, leur aptitude à redistribuer
la richesse, à dispenser des programmes sociaux, à préserver nos modes
de vie et nos valeurs culturelles. Ces accords sont encore susceptibles
d’aggraver les conditions de travail, de détériorer l’environnement,
de créer du chômage et de détruire la démocratie. Il
est bien vrai que toutes ces menaces planent sur nos têtes aujourd’hui
comme c’était le cas hier et comme ce le sera sans doute dans
l’avenir. La démocratie
est toujours fragile en régime de libre marché, comme elle l’est
d’ailleurs davantage quand le libre marché est aboli. L’autonomie des
États n’est sans doute plus ce qu’elle était, mais, compte tenu des
comportements de certains États tout puissants dans le passé, y
avons-nous tellement perdu en termes de liberté? Il est encore vrai que
nos gouvernements ne sont pas aussi transparents que nous le
souhaiterions, il s’en faut. Quant à la diversité culturelle, elle est
sûrement plus menacée que jamais. Il faut être voisin des États-Unis
pour le constater et s’en inquiéter. Tout comme du maintien de nos
programmes sociaux et de notre environnement. Mais
en quoi diable
Mais
en quoi diable le Sommet des Amériques est-il l’incarnation de toutes
ces menaces? Parce que ces 34 gouvernements vont négocier un vague et
incertain projet le libre-échange étendu à tout le continent? Mais peut-on croire un seul instant que des décisions irrémédiables
seront prises entre le 20 et le 22 avril prochain qui vont affecter considérablement
nos modes de vie? Allons
donc! Précisément parce que
nous vivons en démocratie, on peut être sûr que toutes ces décisions,
engagements, orientations feront l’objet d’interminables discussions
dans plusieurs forums, tout particulièrement au Parlement du Canada,
sans parler des instances propres aux autres pays, dont, au premier chef,
le Congrès des États-Unis. Notre
pays est déjà intégré à une zone de libre-échange, l’ALÉNA.
Pour ce qui est des États-Unis, c’est lors de la dernière visite
d’un président américain dans notre capitale, qu’a été concoctée
l’idée de lancer des négociations sur la libéralisation complète des
échanges commerciaux. C’était pour nous autrement plus important,
reconnaissons-le, qu’un accord avec les pays d’Amérique latine.
Pourtant le sommet canado-américain de mars 1985 s’est déroulé bien
tranquillement à l’abri de toute manifestation hostile. Ensuite, nous
avons eu droit à deux années de négociation, avec multiples
consultations, de houleux débats au Parlement
en 1988, un sénat libéral qui refusait son consentement, des élections
fédérales dont le libre-échange a été le principal enjeu.
Pour en venir finalement à la ratification d’un accord dont la
grande majorité des Canadiens se félicitent aujourd’hui, à commencer
par les Québécois qui ont vu leur commerce extérieur s’amplifier
considérablement, le taux de chômage diminuer et leur économie se
fortifier. Quelques années plus tard, ce traité a été étendu au
Mexique avec lequel nous tâchons péniblement de faire contrepoids à
l’énorme influence du géant américain sur notre économie. Là aussi,
les Canadiens applaudissent dans l’ensemble. Tellement qu’on est allé
chercher un autre partenaire, le Chili, alors que le Congrès américain
n’arrive toujours pas à consentir à
quelque extension de l’ALÉNA. Qu’on
me dise alors en quoi le fait d’ajouter 30 autres pays d’Amérique
latine à la zone de libre-échange sera-t-il plus menaçant! La démocratie
sera-t-elle bafouée parce que nos chefs de gouvernement négocient à
huis clos avant de soumettre un accord à leurs instances parlementaires? Pourrions-nous croire un seul instant que le Parlement
canadien n’aura pas l’occasion de se prononcer sur un traité établissant
la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA)? Et que dire du
Congrès américain dont l’appui à la voie dite
fast track (résolution sans amendement) est encore très
douteux et qui ne cesse d’exprimer toutes sortes de réticences quant au
projet? Et les autres pays d’Amérique latine? Le géant brésilien ne
semble guère disposé à laisser tomber une zone plus réduite qu’il
domine (le MERCOSUR) pour se lier avec les États-Unis et le
Canada, un pays qui ne s’est pas fait beaucoup d’amis au Brésil, ces
derniers mois. Alors,
est-ce bien la ZLÉA qui nous menace? Ou est-ce plutôt l’Organisation
mondiale du commerce? Ou n’est-ce pas bien davantage l’ALÉNA,
surtout le libre-échange canado-américain?
Si oui, il faudrait avoir le courage de démanteler ces
institutions, de recommander le retour au protectionnisme, aux tarifs élevés,
à l’autarcie économique. Est-ce bien cela que nous voulons? À
bas la mondialisation? Chacun chez soi? Chacun pour soi? Non merci. |