UN
NOUVEAU PRÉSIDENT AUX ÉTATS-UNIS EN 2001
par Louis Balthazar
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La
conjoncture actuelle offre de bons arguments au vice-président Al Gore
pour démontrer qu’il peut faire aussi bien que son adversaire en
matière d’économie. Après huit années d’administration démocrate
sous l’égide du tandem Clinton-Gore,
les Américains sont plus riches que jamais, le taux de chômage est à
son niveau le plus bas et il est bien difficile de souhaiter un
changement. Des promesses de réduction des impôts sont toujours
bienvenues aux États-Unis. Mais cette fois-ci, le bon peuple se porte
tellement bien que la perspective de coupures massives évoquée par George
W. Bush ne semble pas créer beaucoup d’enthousiasme. Tout se passe
comme si les Américains, se sentant comblés, étaient prêts à faire
preuve de «compassion », selon l’expression consacrée. C’est là
un trait du patriotisme américain, d’un certain sentiment de solidarité
nationale. Pour ce qui est de la sécurité nationale, elle n’a jamais aussi peu préoccupé la population américaine depuis les années trente. La guerre froide est terminée et les nouvelles menaces brandies par certaines élites, en ce qui a trait aux soi-disant États parias (Irak, Iran, Corée du Nord, Libye) ne touchent pas beaucoup les gens. On peut bien applaudir aux interventions musclées de l’aviation américaine à condition que cela n’occasionne pas de pertes de vies humaines. Les promesses de George Bush, en ce qui a trait au projet de défense spatiale contre des missiles ennemis, n’ont pas obtenu l’impact souhaité. Al Gore, de son côté, s’engage à mieux traiter les militaires et à maintenir les programmes en place. Cela paraît bien suffisant. S’ils
devaient s’en tenir aux questions fondamentales, Reste
le maintien des valeurs morales. Voilà le hic! Voilà qui rallie toute
la droite américaine et aussi le centre-droit de la nation, pourvu que
les pontifes fondamentalistes demeurent silencieux; et c’est bien là la
grande réussite de George Bush. Rappelons-nous le terrible épisode des
procédures de destitution de Bill Clinton. La population américaine a eu
honte de son président, mais elle lui a pardonné en quelque sorte parce
que les Républicains du Congrès, drapés dans leurs tuniques de grand-prêtres
offensés, sont apparus plus détestables que le président délinquant.
Bush et ses conseillers ont compris la leçon. Toute la convention républicaine
s’est déroulée comme si les défenseurs de l’orthodoxie et
protagonistes de l’impeachment n’existaient plus. On n’en exploite pas moins le
malaise laissé par un président aux mœurs légères et enclin au
mensonge. Sans trop critiquer directement Bill Clinton, ce qui apparaîtrait
trop mesquin, on met en évidence la solide intégrité du gouverneur du
Texas, son inflexibilité, son bon jugement, son aptitude à diriger les
pays. Pour le moment, cela fonctionne assez bien. Cela a permis à George
Bush de prendre une longueur d’avance, au cours de l’été, face à un
Al Gore dont le nom rime avec bore,
c’est-à-dire ennuyeux, prétentieux et solidaire d’une administration
sans fibre morale. Al
Gore a bien réagi. Il a fait appel à un colistier aux valeurs morales éprouvées.
Joe Lieberman, le sénateur du Connecticut, qui fut le premier démocrate
à blâmer ouvertement Bill Clinton et qui peut donc se permettre de faire
campagne sur les mérites certains et évidents de l’administration démocrate.
De plus, le vice-président a voulu se dissocier de son ancien chef et se
présenter avec son propre programme, comme un nouvel homme. Cela lui
permet, au moment fatidique de la fête du travail, au début de la véritable
campagne des deux derniers mois, de devancer légèrement son adversaire républicain. Les
débats télévisés devraient avoir beaucoup d’importance, comme
c’est souvent le cas. En 1960 et en 1980, alors que les deux candidats
demeuraient nez à nez dans les sondages, les débats ont tranché et
favorisé l’élection de celui qui a le mieux performé. C’était Kennedy
en 1960 qui a réussi à battre Nixon
par une faible marge. C’était Reagan
en 1980 qui finit par écraser le président sortant, Jimmy
Carter. Carter, comme Gore, possédait sans conteste le meilleur
dossier, apparaissait comme plus compétent que son adversaire. Mais
Reagan avait des allures de sauveur et son assurance simplificatrice lui a
permis de séduire ses compatriotes. Les
débats télévisés QU’EST-CE QUE TOUT CELA AUGURE POUR NOUS, QUÉBÉCOIS ET CANADIENS? Disons
d’abord que cette élection nous concerne à plus d’un titre. Au
premier chef, sur le plan économique. Rien n’est indifférent pour nous
en ce pays où nous exportons 85% de notre production et une proportion
plus considérable encore des secteurs les plus dynamiques de notre économie.
En ce qui regarde les échanges commerciaux avec le Canada, il existe
assez peu de différence entre les deux candidats. Tous les deux sont voués
au maintien des accords de libre-échange et à leur extension éventuelle
à l’ensemble des Amériques. En cette matière, c’est le Congrès qui
importe: certains Républicains sont préoccupés par l’étanchéité
des frontières, ce qui n’est pas bon pour nos relations commerciales.
Certains Démocrates, en revanche, soutenus par les grandes organisations
syndicales, sont plutôt hostiles au libre-échange et parfois enclins à
jouer dur avec les exportateurs canadiens. Notons que le candidat Al Gore
a quelques comptes à rendre aux grands syndicats qui l’appuient. Cela
ne devrait pas l’entraîner cependant, pas plus que Bill Clinton, à
entraver la libéralisation des échanges. L’enjeu
fondamental de cette élection est ailleurs. Il porte essentiellement sur
le rôle du gouvernement. Les deux candidats demeurent fidèles à une
tradition américaine bien libérale en cette matière. L’un d’eux
cependant, dans la foulée des Jefferson, Jackson, Roosevelt, Truman, Kennedy, Johnson,
Carter et, dans une plus faible mesure, Clinton, favorise une intervention
gouvernementale significative en matière de santé, d’éducation, de
discrimination positive, d’environnement. L’autre, selon la tradition
inaugurée par Hamilton et
poursuivie par les Républicains, place un accent prononcé sur le
dynamisme des initiatives individuelles et sur la réduction du rôle du
gouvernement. «Le gouvernement ne doit pas devenir votre pharmacien»,
clamait récemment un ténor républicain pour dénoncer les programmes démocrates
d’assurance-médicaments. Dans
la mesure où nous entendons conserver certains éléments d’un modèle
québécois issu de la révolution tranquille, selon lequel le
gouvernement doit intervenir, au moins discrètement, dans l’économie
et dans notre vie culturelle et sociale, la contagion américaine
(toujours bien réelle et agissante) sera sans doute moins nocive avec un
président démocrate au pouvoir, d’autant plus que le candidat Al Gore
se présente avec un programme qui entend renouer avec la grande tradition
interventionniste de son parti. Qui dira que nous n’avons pas été
touchés par l’atmosphère qui prévalait à Washington du temps de John
F. Kennedy? Et que dire de l’influence du reaganisme dans les années
quatre-vingt? Quel sera
l’esprit des années 2000? |