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La
"doctrine Gérin-Lajoie" reprendrait du service par Daniel Allard
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Un
nouveau pan de la diplomatie québécoise s'est écrit, dans l'après-midi
du samedi 15 avril dernier, dans une salle obscure mais plus que remplie
du Centre des congrès de Québec. Reste à savoir quand la ministre
des Relations internationales
du Québec, Louise Beaudoin,
mettra à exécution l'engagement qu'elle a pris devant un public averti
qui n'en demandait probablement pas tant. L'AVENIR DE LA FRANCOPHONIE FAIT DES FLAMMÈCHES! C'est
lorsque le débat a voulu approfondir un volet de l'essai sur les
relations France-Québec publié en janvier par Philippe
Séguin (Plus français que moi,
tu meurs!), que les esprits se sont mis à s’échauffer concernant
les instances de la Francophonie et le rôle que le Québec peut y jouer.
Faut-il les changer? "Je
pense qu'il faut secouer le cocotier, effectivement. Mais il faut que je
fasse attention. Je suis ministre, pas dans l'opposition." "Ça
passerait bien, pourtant!", de glisser aussitôt Philippe Séguin,
provoquant instantanément un large éclat de rire dans la salle. "Je
suis assez d'accord avec le point de vue de Philippe Séguin concernant la
nécessité de changer les institutions de la Francophonie", répétera
en second souffle Louise Beaudoin. "Rappelons-nous que les Senghor-Bourguiba-Johnson avaient fait naître la Francophonie pour d'abord réduire les écarts nord-sud, pensant qu'après la langue et la culture en profiteraient. Or, cette Francophonie est un échec! La Francophonie est de fait une ambition beaucoup plus forte que ce à quoi on la réduit actuellement", a aussi mis en perspective le politicien français qui propose maintenant la création d'un véritable Parlement de la Francophonie. C'est
dans ce contexte que la plus belle surprise de ce débat est sortie,
lorsque le modérateur Laurent
Laplante a demandé: "Québec est-il prêt à risquer ce qu'il a,
au risque de le perdre, pour gagner un Parlement francophone, comme le
suggère Philippe Séguin?" "Je
réfléchis" ont été les premiers mots de la ministre Louise
Beaudoin, avant que la suite des échanges ne la pousse à dire, et à
redire: "Je vais le faire"! Bien consciente du poids de ses
mots, elle a d'ailleurs bien répété son engagement: "Je l'ai dit
devant 300 personnes. Je vais le faire!" FAIRE QUOI? Faire
quoi? Solliciter une audience à Tunis ou à Rabat, en utilisant au besoin
le poids de la France, sans s'occuper d'Ottawa! En bref, Philippe Séguin
propose que le Québec tente moins de se faire une place de force dans des
pays qui sont moins naturellement son allié et où Ottawa lui ferme
facilement les portes - exemple récent, la tentative du ministre Bernard
Landry en Amérique centrale - et qu'il profite mieux de la place
qu'il a déjà pleinement sur la scène internationale au sein de la
Francophonie. Le gouvernement du Québec se plaint publiquement de plus en
plus souvent qu'on lui
interdise toute présence significative dans des lieux stratégiques de la
scène internationale, tels Washington ou
Mexico. "Le
Québec joue d'égal à égal comme gouvernement au sein de la
Francophonie. Est-ce que les autorités à Tunis, ou à Rabat, par
exemple, vous refuseraient une audience pour faire avancer les dossiers
qui sont importants pour vous?", lance simplement Philippe Séguin.
"Il faut essayer, et même oser mettre Ottawa devant des faits
accomplis", a proposé comme tactique un homme au sourire en coin
manifestement heureux de pleinement profiter de sa liberté de libre
penseur. "D'accord,
je vais le faire", n'a pu s'empêcher de répliquer dans le feu de
l'action la ministre des Relations internationales du Québec, qui n'en était
d'ailleurs pas à sa première tentative de se gagner toutes les faveurs
du public présent. La diplomatie québécoise Louise
Beaudoin regrettera-t-elle d'avoir réagit ainsi? Lucien
Bouchard lui permettra-t-il de mettre en pratique "la tactique Séguin"?
Bien que le ton soit resté courtois tout au long des soixante minutes de
cette très belle joute oratoire, l'expérimenté politicien français a
finalement poussé la ministre québécoise à s'engager publiquement
devant pas moins de trois cents témoins! Les
Grandes conférences de la capitale
nationale, que présentait la Commission
de la capitale nationale du Québec en marge de la dernière édition
du Salon international du livre de
Québec, auront offert un débat entre la ministre des Relations
internationales du Québec et l'ancien président de l'Assemblée
nationale française et actuellement professeur invité et chercheur
associé à l'Université du Québec
à Montréal qui aura eu,
cette année, un impact hautement inattendu. Comme par hasard, trois jour plus tôt, le 12 avril de la même semaine marquait le 35e anniversaire du célèbre discours de Paul Gérin-Lajoie, qui fit naître la "doctrine Gérin-Lajoie" symbolisant une formulation véritable d'une politique internationale pour le Québec visant, entre autres, à reconnaître la nécessité pour le Québec de prendre la place qui lui revient et de faire entendre sa propre voix sur la scène internationale en écartant toute supervision de la part d'Ottawa et du gouvernement fédéral canadien. Un élément de l'histoire contemporaine du Québec que Louise Beaudoin, elle-même historienne de formation, aura sans doute plaisir à reméditer si elle met rapidement à exécution la suggestion de Philippe Séguin. |