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UN PARTI PRIS POUR L'AMÉRIQUE (Photo: Renée Méthot) |
par Louis Balthazar
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Quoi qu'en disent certains amis français
qui nous invitent à lutter à leurs côtés contre l'hégémonie
américaine, la relation primordiale pour le Québec, ce ne peut être
qu'avec les États-Unis d'Amérique. Parce que l'Amérique est à la fois
le lieu géographique de notre appartenance, le milieu de notre culture,
la source de nos expertises, de notre richesse et de notre valeur comme
société. Plus que jamais, nous appartenons à la maison américaine et
c'est à l'intérieur de ce cadre que tout se définit pour nous.
On dira tout ce qu'on voudra du traité de libre-échange nord-américain, de ses lacunes, de son déficit démocratique, des bouleversements sociaux qu'il a suscités. Les faits bruts sont là pour démontrer sans l'ombre d'un doute que les suites de ce traité ont été économiquement bienfaisantes pour le Québec comme société. Il est bien vrai que des emplois ont été perdus. Mais d'autres ont été créés en plus grand nombre et de meilleure qualité. Les exportations internationales québécoises ont augmenté de 130% en dix ans et cela est dû en majeure partie à la croissance des échanges commerciaux avec les États-Unis. Si le Québec enregistre toujours un surplus dans son commerce international, cela est dû encore au solde très avantageux de nos échanges avec les États-Unis. Nous vendons presque deux fois plus de marchandises aux Américains que ceux-ci en exportent chez nous. De plus, tout ce qui est dynamique dans notre économie, tout ce qui appartient à la haute technologie, tout ce qui a de l'avenir est relié à nos relations économiques avec notre grand voisin. Grâce aux échanges avec les États-Unis, les produits qui se classent au premier rang parmi ceux que nous exportons sont des équipements électroniques et du matériel de transport et non plus, comme cela a été le cas si longtemps, des matières premières ou des produits semi-finis. Les échanges avec les États-Unis croissent d'année en année. Ils comptaient pour 85% du total en 1999 et grimperont vraisemblablement encore pendant quelques années. À côté de cela nos échanges avec tous les pays de l'Union européenne n'atteignent pas 10%. Depuis 1992, nous échangeons davantage avec les États-Unis qu'avec les autres provinces canadiennes et cet écart a été sans cesse croissant depuis cette date. Cette situation est-elle dangereuse ? Notre culture et notre langue en sont-elles menacées ? Sans doute notre existence comme peuple distinct en Amérique du Nord a-t-elle toujours comporté un énorme défi. Cela est vrai aujourd'hui plus que jamais. Nos multiples transactions avec des anglophones, l'usage croissant de la langue anglaise comme langue de communication internationale risquent de nous faire perdre, à plus ou moins long terme, ce bien précieux qu'est notre langue et avec elle, ce qui nous caractérise comme société, notre culture. C'est pourquoi il faut veiller au renforcement de notre langue et de notre culture chez nous, dans nos transactions internes, dans nos synergies qui sont toujours essentielles à notre projection mondiale et au succès de nos opérations avec nos partenaires, particulièrement avec les Américains. Il faut plus que jamais agir sur le plan local tout en pensant global comme le veut l'adage. Il n'y a donc aucune contradiction, répétons-le, entre une ouverture sur le monde et la valorisation de notre enracinement culturel et régional. Comme le faisait valoir Robert Lepage dans une interview à Time Magazine l'automne dernier, le fait de rayonner partout dans le monde et d'utiliser l'anglais entraîne la nécessité de prendre conscience de ses racines. Pour bien communiquer, échanger avec les autres, il faut d'abord savoir qui nous sommes. Nous avons un rôle
fondamental à jouer dans la Francophonie Le danger de l'américanisation est bien réel et nous risquons toujours de nous perdre dans ce grand univers anglophone. Voilà pourquoi nous devons aussi nous appuyer sur nos relations avec la France et les autres pays francophones pour consolider notre appartenance linguistique, notre différence. Cela ne doit pas cependant obnubiler le fait fondamental que nous sommes des Nord-Américains, des Nord-Américains parlant français, mais Nord-Américains tout de même. Les Français et autres partenaires européens nous font sentir et le feront de plus en plus, qu'ils appartiennnent à l'Europe, que cela conditionne leurs choix et représente leur destinée. Nous devons nous aussi leur rappeler nos liens fondamentaux et existentiels avec l'Amérique. Nous avons un rôle fondamental à jouer dans la Francophonie mais ce sera en tant qu'Américains que nous le jouerons bien. On objectera encore que, sur le plan politique, nous ne comptons guère aux États-Unis. Washington se refuse à traiter directement avec le Québec et façonne son comportement en raison de sa relation cordiale avec le gouvernement canadien. Autrement dit, la plupart des politiques américains nous voient à travers l'image que le gouvernement Chrétien veut bien leur transmettre. Cela est bien vrai. Mais il est également vrai que la politique américaine s'étend bien au-delà du seul pouvoir exécutif. Contrairement à notre Parlement, le Congrès américain joue un rôle de plus en plus crucial dans les grandes orientations qui sont prises à Washington ; et rien n'empêche des membres du Congrès de traiter avec le Québec. De plus, n'oublions pas que les États-Unis sont aussi une fédération et que les gouvernements des États ont des pouvoirs considérables en matière de réglementation du commerce, par exemple. Or, ces gouvernements acceptent volontiers de tenir des relations étroites et cordiales avec le Québec. On l'a vu au cours des récentes visites du Premier ministre Bouchard aux États-Unis. Notons encore que Washington maintient toujours un poste d'observation privilégié à Québec. Le Consulat-général américain dans la vieille capitale n'a d'autre raison d'être que politique et occasionne des contacts fréquents entre Américains et Québécois. Le Québec est la seule province du Canada dans laquelle on trouve deux consulats-généraux des États-Unis. On dira encore que les Américains sont bien peu enclins à accepter la diversité culturelle et à nous reconnaître comme peuple distinct à l'intérieur du Canada. Sans doute. Mais, encore ici, il est remarquable de voir se multiplier les centres d'études québécoises aux États-Unis. Ce pays est le seul au monde à avoir donné lieu à la création d'une grande et vivante association d'études québécoises, à une revue trimestrielle (Quebec Studies) portant exclusivement sur le Québec. On ne trouve pas l'équivalent de cela en France ! Enfin, le meilleur ouvrage sur la question linguistique au Québec est celui d'un universitaire américain du Wisconsin qui s'appelle Marc Levine (La Reconquête de Montréal, VLB, 1997). En ce qui a trait aux médias, il faut bien reconnaître que l'image qu'on y transmet du Québec frise souvent la caricature. Il arrive de plus en plus toutefois, grâce au bon travail des représentants québécois en sol américain, que des reportages positifs et équilibrés soient publiés. Ainsi, le 25 avril dernier, un journaliste du prestigieux Washington Post signait un texte faisant état de l'impressionnante remontée de Montréal : " Avec l'aide de généreux crédits fiscaux de la part du gouvernement du Québec, écrivait Richard Perlstein, les firmes montréalaises ont investi plus d'argent dans la recherche et le développement que leurs homologues ailleurs au Canada. Ces efforts ont transformé l'économie de Montréal en l'une des plus ouvertes au monde. " Ne nous méprenons pas. Il ne s'agit pas de s'écraser devant les Américains au point d'en perdre tout esprit critique, comme cela se produit trop souvent chez nous et davantage ailleurs, tout particulièrement chez certains Européens tout à coup convertis aux vertus du capitalisme sauvage. Nous sommes particulièrment bien placés pour critiquer d'une manière intelligente et nuancée les excès de comportement auxquels on se livre fréquemment aux États-Unis. Notre critique y gagnera cependant à se situer à l'intérieur de l'univers américain auquel nous appartenons. Il arrive très souvent d'ailleurs que les critiques les plus pertinentes du système américain viennent de l'intérieur de ce pays, de ses universités, de ses centres de recherche, de certaines publications éclairées. Notre appartenance américaine ne se limite pas aux États-Unis. Le libre-échange a été étendu au Mexique, puis au Chili et le sera éventuellement, semble-t-il, à tout le continent. Le Canada, le Québec en particulier, mise beaucoup sur le Sommet des Amériques dont il sera l'hôte l'an prochain. Sans doute une zone de libre-échange continentale permettra-t-elle une certaine diversification des échanges commerciaux. Il ne faudrait pas cependant trop miser là dessus. Les États-Unis demeureront toujours le partenaire majeur. C'est peut-être surtout sur le plan culturel que l'appartenance américaine élargie nous sera bienfaisante. C'est ici que la présence de solidarités autres qu'économiques pourra contribuer à créer un espace américain comme on a créé une véritable entité européenne outre-Atlantique. Les jeunes citoyens des Amériques développeront peut-être une véritable conscience américaine, comme cela s'est produit en Europe. À cet égard, il faut accueillir positivement des contre-sommets qui se présentent comme une extension des échanges plutôt que comme une négation. Je reviendrai sur ce phénomène dans une autre chronique. Pour le moment, prenons bien conscience de cette réalité. C'est ici que le Québec s'est fait, c'est ici, en Amérique, qu'il se développera, que nous aimions ça ou non. Nous sommes des Américains. Le Québec dans l'espace américain Le Québec dans l'espace américain offre un portrait complet du rôle et de la singularité du Québec en Amérique du Nord, révélant à la fois la profondeur de l'américanité des Québécois et leur attachement à ce vaste ensemble géographique. Rien ne sert de nier la large dépendance du Québec à l'égard des États-Unis. Que ce soit sur le plan économique ou culturel, en raison de l'énorme force d'attraction de la culture américaine, ou sur le plan politique, l'avenir du Québec ne saurait se comprendre sans tenir compte de ses relations avec son voisin du sud. |