Industrie des croisières
Qu'importe le lieu de son terminal, le problème reste entier pour Québec

par Daniel Allard
photos exclusives: AÉRO PHOTO (1961) inc.

 

Initiateur du projet "Québec: Terminal de croisière", en 1994, personne ne conteste à Michel Mordret la paternité de l'idée de développer, à Québec, l'industrie des croisières. Un projet qui, au début, était fait avant tout avec l'intention de permettre le développement de l'aéroport de la ville. Six ans plus tard, le projet est très avancé et jugé prioritaire. Et c'est l'Administration portuaire de Québec (APQ) qui le mène de front. Un processus d'audiences publiques actuellement en cours doit valider la justesse de la stratégie de l'APQ d'aménager, d'ici l'automne 2001, au coût de 19,6M$, les infrastructures permettant de faire du site de la Poite-à-Carcy, en plus d'un port d'escale qu'il est déjà, un port d'attache et de destination. L'enjeu, c'est d'attirer en port d'attache à Québec un des 3 ou 4 navires qui devraient s'ajouter dans la zone Atlantique-nord dans les prochaines années.

Qui sont les principaux concurrents de Québec? La réponse de Michel Mordret est surprenante: "Le manque de liaison aérienne, la loi canadienne sur le cabotage et Halifax"!

Y-a-t-il urgence? "Il nous reste cinq mois pour nous décider, car il faut viser mai 2002. Oublions l'automne 2001, une queue de saison... Selon moi, les gens de l'Industrie se sont mis en mode attente, disant à Québec: réglez votre affaire de site et quand vous serez prêt, on va s'asseoir."  

Zone récréo-touristique très populaire, les quais de la Pointe-à-Carcy reçoivent déjà des dizaines de milliers de visiteurs, surtout l'été et l'automne. Plusieurs personnes sont d'avis qu'il y aura vite incompatibilité d'usage entre les opérations qui entourent la gestion d'un navire en port d'attache et l'actuel libre-accès total du site pour les piétons et cyclistes.  
(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)  

LE MANQUE DE LIAISON AÉRIENNE

"À mon avis, la décision des compagnies de croisière nous consacrant port d'attache tourne beaucoup moins autour de l'emplacement du terminal, qu'autour du problème des facilités d'accès à la région et des liaisons aériennes. Très peu de compagnies maritimes acceptent d'ajouter au risque opérationnel celui de l'aérien. D'autres part, ce n'est pas le rôle des compagnies aériennes de positionner des appareils si le risque financier d'une telle opération n'est pas garanti par un tiers."

Michel Mordret pense donc que si Québec veut démarrer avec sa vocation de port d'attache, les efforts devront également se porter vers les tours opérateurs qui positionnent, en même temps que le navire, la liaison aérienne. Et lorsqu'on avance que l'APQ dit avoir obtenu d'Air Canada l'assurance que cette compagnie aérienne allait ajouter des vols au rythme des besoins, il voit là un autre bel exemple du manque de connaissance, par l'équipe de Ross Gaudreault, de l'industrie des croisières.

LE PROBLÈME DE LA LOI DU CABOTAGE

"La loi fédéral sur le cabotage est-elle amendée actuellement? Personne ne parle de ce problème, mais c'est majeur", poursuit Michel Mordret. La loi canadienne sur le cabotage interdit effectivement aux bateaux battant pavillon étranger de relier deux ports au Canada.

"On peut très bien obtenir un permis en règle selon la loi actuelle du cabotage", explique cependant Martine Bélanger, Chargée de projet-Croisières, au sein de l'équipe de l'APQ. Mais le récit de son expérience avec le cas du Grande Caribe laisse clairement entendre que ce n'est pas une mince affaire! "On accorde un permis s'il est constaté qu'il n'y a pas de navire adéquat disponible au Canada. C'est très long et l'obtention d'un permis - dit temporaire - comprend l'obligation de faire inspecter le navire. Dans notre cas, cette opération se déroulera à Québec, tout juste quelques jours avant le premier grand départ de ce navire qui nous provient des États-Unis", ajoute celle qui ne sera complètement rassurée que lorsqu'elle aura vu son protégé quitter le quai en règle, début juillet.

 

Le Grande Caribe sera en port d'attache
à Québec en juillet 2000

Le projet "Croisière en eaux froides" a d'abord été piloté par la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain (CCIQM), qui engagea Martine Bélanger, en octobre 1998, pour un contrat d'un an. Depuis janvier 2000, elle occupe le poste de Chargée de projet-Croisières, au sein de l'équipe de l'Administration portuaire de Québec, qui récolte maintenant les premiers fruits d'un long travail de prospection et de promotion.

C'est après avoir recensé et contacté une quarantaine d'intervenants potentiels qu'elle avait obtenu rendez-vous, en décembre 1998, avec  Luther H. Blount, le président de American Canadian Caribean Line inc., qui possède trois navires. "Un de ses navires faisait déjà des escales à Québec depuis au moins cinq ans... J'ai réussi à le convaincre de choisir Québec comme port d'attache dans un projet-pilote pour l'été 2000", explique Martine Bélanger.

Plutôt que de partir de Ogdensburg, dans le nord de l'état de New York, pour se rendre par le fleuve Saint-Laurent jusqu'à Rocky Harbour, à Terre-Neuve, en faisant escale à Québec, le Grande Caribe partira donc du port de Québec pendant l'été 2000. Le Grande Caribe est un bateau de 100 passagers, catégorie couchette. 

Les deux dates à retenir sont le 1er et le 25 juillet 2000. Une croisière Québec-Rocky Harbour aura lieu du 1er au 13 juillet et une croisière retour Rocky Harbour-Québec aura lieu du 13 au 25 juillet. Une centaine de passagers viendront donc à Québec, la majorité en avion, pour embarquer le 1er juillet et autant s'y retrouveront pour terminer leur croisière le 25 juillet. Toute l'industrie touristique de la région de Québec souhaite évidemment les retenir dans la région grâce à des forfaits pré-croisière et post-croisière.

Cette petite victoire ne permettra cependant pas de vérifier si Québec comme port d'attache permet de rentabiliser une ligne de croisière. Le Grande Caribe fait de Québec son port d'attache en ayant déjà toutes ses places vendues d'avance. Avec ce projet-pilote, la région de Québec ne crée pas encore un nouveau produit. On déplace simplement le départ d'un produit déjà existant. "Il faut bien commencer par quelque chose", philosophe la première intéressée!

HALIFAX, UNE MENACE?

Comparativement à Québec, le port de Halifax a vécu une croissance fulgurante dans les trois dernières années: il est passé de 46 escales avec 44 000 passagers en 1997 - soit un bilan similaire à celui de Québec la même année - à 104 escales avec 140 000 passagers prévus pour la saison 2000. Pour l'instant, Halifax dame le pion à Québec. D'abord par le nombre de navires, mais particulièrement en nombre de gros navires, ceux de la catégorie de plus de 700 lits. Avec 95 de ces gros navires (91% du total) contre 35 pour Québec (51% du total), Halifax reçoit trois fois plus de gros calibres que Québec!

TABLEAU 1
ESCALES PRÉVUES À QUÉBEC ET HALIFAX (Saison estivale 2000)

Halifax Québec
Navires de plus de 700 lits 95 (91%) 35 (51%)
Navires intermédiaires  -- 6 (9%)
Navires de moins de 100 lits -- 28 (40%)
Total d'escales prévues 104 69
(Source: Michel Mordret)

La forte progression du port de Halifax s'explique en bonne partie par le déploiement des navires qui utilisent les ports de New York et de Boston en saison estivale comme port d'attache et qui programment Halifax comme port d'escale. Halifax est donc grandement favorisé comme port d'escale de par sa situation géographique, alors que Québec a du mal à suivre la croissance du marché, justement à cause de son éloignement de la Nouvelle-Angleterre.

"Halifax ne sert pas pour l'instant de port d'attache pour aucun navire de croisière, mais son "Ocean terminal" offre deux positions d'amarrage pour navire de grande capacité et pourrait éventuellement servir de port d'attache", analyse Michel Mordret.

Malgré l’avantage géographique autant qu’aérien de Halifax, il pense tout de même que l'énorme avantage de la qualité du produit touristique de Québec fera le poids: "D'après moi, les compagnies vont préférer Québec à Halifax, même si la question des liaisons aériennes nous désavantage".

OÙ CONSTRUIRE?

Dans l'industrie mondiale des croisières, Québec a su dans la dernière décennie se tailler une très bonne réputation de destination d'escale. L'accueil en "mode escale" se compare cependant peu à l'accueil en "mode attache/destination". Où faut-il donc construire les structures destinées à qualifier Québec comme port d'attache?

Michel Mordret concède que le site d'amarrage des navires en escale à la Pointe-à-Carcy, avec son accès piétonnier aux quartiers historiques, n'a aucun égal nulle part ailleurs en Amérique du Nord. "Mais une vocation de port d'attache, c'est un tout autre métier, aux objectifs qui diffèrent totalement et aux critères d'évaluation qui n'ont rien en commun avec les facilités de port d'escale, de par la nature très différente des opérations", poursuit-il.

Lorsqu'on lui demande si son idée est totalement faite quant au site le plus approprié, Michel Mordret laisse tomber une réponse qui démontre l'importance de ce projet à ses yeux: "Si on me démontre que la seule façon de concrétiser le projet c'est de viser la Pointe-à-Carcy, je suis prêt à changer d'idée." Mais pour l'instant, personne ne lui fera croire que c'est uniquement avec le site de la Pointe-à-Carcy que la région de Québec peut attirer un navire en port d'attache. Position que défend actuellement dure comme fer le pdg de l'APQ, Ross Gaudreault.

"Au début, j'appuyais le port de Québec. Lorsque j'ai découvert qu'il n'y avait pas deux projets - celui du port et celui du maire - mais un seul projet avec deux stratégies pour le réaliser, j'ai décidé d'appuyer la vision du maire L'Allier, parce qu'elle répond mieux, selon moi, aux besoins de l'Industrie."

"Monsieur Gaudreault dit, par exemple, qu'il va lutter contre le bruit en réalisant les opérations la nuit. Faux! Dans cette industrie, les bateaux arrivent au port vers 5 h du matin!" Sa liste des exemples qui montrent que l'équipe du port de Québec manque énormément de profondeur dans sa connaissance du dossier laisse plus que songeur.

"C'est encore faux de prétendre qu'un deuxième navire (Phase II du projet de l'APQ) ira s'installer à la Gare maritime Champlain. Si le premier navire à la Pointe-à-Carcy utilise le dimanche, le deuxième prendra le samedi, le troisième le vendredi, le quatrième le lundi, le cinquième le jeudi... jusqu'à pleine saturation des infrastructures."

"Ross Gaudreault a une mauvaise stratégie et il l'a vendue trop vite", détonne Michel Mordret. Sa solution: "S'asseoir ensemble et trouver les ressources pour réaliser l'approche du maire L'Allier. Il reste cinq mois", affirme-t-il.

Lorsqu'on lui expose le fait que Ross Gaudreault doit tout de même savoir de quoi il parle et qu'il a été élu à l'unanimité président de l'Association des Administrations Portuaires des Amériques (American Association of Port Autorities), le 20 mars dernier, à Washington (Ross Gaudreault entrera en fonction le 20 octobre 2000, lors de l'assemblée annuelle de l'AAPA, à Veracruz, au Mexique, et terminera son mandat en octobre 2001, lors de l'assemblée annuelle qui se tiendra à Québec et réunira environ 1000 délégués et invités) et que monsieur Gaudreault est également président du comité croisière de cette association, la réponse de Michel Mordret ne se fait pas attendre: "Monsieur Gaudreault connaît les grands patrons, mais il ne connaît pas suffisamment l'industrie des croisières... Et maintenant, je comprend pourquoi il tient à inaugurer son terminal dès l'automne 2001".

Après plusieurs années dans le milieu du voyage, particulièrement au sein du Groupe Transat, précisons que Michel Mordret est maintenant un consultant à son propre compte, Michel Mordret Consultants inc

UN PORT D'ATTACHE POUR QUI?
UNE INDUSTRIE DE PLUS EN PLUS CONCENTRÉE

Les joueurs dans l'industrie mondiale des croisières sont de moins en moins nombreux. Encore récemment, on parlait d'un marché largement dominé par quatre gros noms. Dorénavant, ils ne sont plus que trois, puisque P&O a acheté sa rivale Princess. Le tableau de l'industrie se résume maintenant ainsi:

CARNIVAL CORPORATION:

  • Carnival

  • Costa

  • HAL

  • Seabourn

  • Cunard

  • Winstar

RCCL:

  • Royal Caribean International

  • Celebrity

P&O:

  • P&O

  • Princess

(Source: Administration portuaire de Québec)



(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)

Vue actuelle de la Pointe-à-Carcy, site choisi par l'Administration portuaire de Québec


Vue actuelle de la Gare maritime Champlain, site où la Ville de Québec pense qu'il faut immédiatement aménager le terminal pour navire en port d'attache, tout en améliorant le site de la Pointe-à-Carcy où continueraient d'être accueillis les navires en escale.  
(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)  


L'Administration portuaire de Québec a choisi la Pointe-à-Carcy et la Ville de Québec la Gare maritime Champlain. Entre les deux, plusieurs citoyens suggèrent de considérer également le site de la Garde côtière.  

(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)  

Vue d'ensemble des sites en bordure fluviale. En haut à droite, la Gare maritime Champlain est à 2 kilomètres de la Pointe-à-Carcy. Entre ces deux sites
(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)  


(crédit photo: AÉRO PHOTO (1961) inc.)


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