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Immigration et commerce international par Dominique Jeanneret, Sylvain Boisclair et Daniel Allard |
Les
entreprises cherchent plus que jamais à vendre et même à s'établir à
l'étranger, mais réussir en affaires dans un autre pays est habituellement plus
difficile que chez soi. Les distances ne se comptent pas qu’en kilomètres
ou en décalages horaires et elles sont aussi - et surtout - culturelles.
Engager un travailleur immigrant dans son entreprise, c'est déjà une façon
d'y faire «entrer» un pays et un marché étranger. Les patrons un peu rusés utilisent souvent cette tactique qui
permet, d’une
certaine manière, d'introdiure le pays dans l'entreprise, afin de mieux faire
entrer l'entreprise dans le pays! Où
sont les immigrants du Québec? Très largement dans la région de Montréal.
Plus des deux tiers se trouvent sur l'île de Montréal seulement. Les
lois mathématiques étant ce qu'elles sont, on peut se demander si,
en accueillant bon an mal an moins de 3% des immigrants du Québec, la région
de la capitale manque le bateau? DES TRAVAILLEURS IMMIGRANTS "EN DEVENIR"... À
la Société de promotion économique
du Québec métropolitain (SPEQM), on ne se pose plus la question. La
réflexion est faite depuis longtemps et l'étape de l'action est déjà
engagée. La région de Québec dépend de plus en plus des entreprises de
la nouvelle économie et celles-ci comptent, pour assurer leur développement,
sur des travailleurs stratégiques - entendons essentiels au développement
de l’entreprise - qu’ils doivent souvent recruter à l’étranger.
Pour accroître la compétitivité de la région et de ses entreprises, la
mise sur pied d’un service facilitant l’établissement des
travailleurs stratégiques et leur famille devient nécessaire. Et
suffisamment de cas d’immigrants stratégiques venus mais vite repartis
lui ont été rapportés pour qu’elle passe en mode action. L'accueil
des travailleurs stratégiques est d'ailleurs une des trois nouvelles
priorités que la SPEQM a retenue dans son plan d'action de cette année. Un
processus d'appel d'offres pour ce projet - dont la fermeture de réception
des candidatures avait lieu le 4 février 2000 et qui avait reçu pas
moins de 25 propositions - a finalement permis de sélectionner la firme
de consultants Groupe Zone Communications. D'ici trois mois, la consultante Manon
Corneau a donc pour mandat de:
Quelle
forme prendra ce service? "Impossible de le dire pour l'instant.
Beaucoup de choses dépendront évidemment du ministère des Relations
avec les citoyens et de l'Immigration dans ce dossier, mais nous espérons que le service sera
offert dès cet automne", explique
la responsable des communications à la SPEQM, Paule
Bissonnette. La
démarche de la SPEQM veut essentiellement aider les entreprises à «faire
atterrir en douceur dans la région» les travailleurs stratégiques que
ces dernières ne trouvent pas au Québec et qu'elles sont obligées de
chercher ailleurs dans le monde. C'est finalement de s’organiser pour
mieux accueillir l’immigrant "en devenir", qui ne l’est pas
encore, mais que son futur employeur va convaincre de faire le grand saut
jusque dans son entreprise. ...AUX DÉJÀ IMMIGRANTS RÊVANT DE DEVENIR TRAVAILLEURS! À
côté de ces gens qui ont déjà virtuellement un emploi au Québec, et
ce avant même d'y être réellement un travailleur immigrant, il y a ceux
qui y sont déjà des immigrants, mais qui n'ont pas d'emploi! Entre
le 1er avril 1998 et le 31 mars 1999, 541 de ceux-ci sont passés par les
services du SOIT (Services d'orientation
et d'intégration au travail de Québec inc.):
Les personnes qui consultent les services du SOIT ont par ailleurs un niveau d’instruction élevé: 66% détiennent un diplôme de niveau collégial, universitaire ou post-universitaire - une formation acquise soit dans leur pays d’origine, soit au Québec - et 20% sont des techniciens de profession alors que 30% sont des professionnels. Tableau
1
(Source:
Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc., Québec,
février 2000)
Tableau
2
(Source:
Services d'orientation et d'intégration au travail de Québec inc., Québec,
février 2000)
Le
SOIT place-t-il fréquemment des immigrants suite à une demande spécifique
d’un employeur qui cherche à améliorer les forces en commerce
international de son entreprise? «Nous n’avons pas de chiffres précis
en cette matière. À ma connaissance, c’est arrivé quelques fois dans
les cinq dernières années, soit depuis que notre Service de placement
est en place... Maintenant, je dirais que les entreprises sont un peu plus
ouvertes à la valeur ajoutée que représente un immigrant au sein de
leur équipe», explique Pierre Touré. Le
Service de placement dont il parle, c’est
Laurence Amat et Xiaomian Xie!
Deux femmes manifestement passionnées par leur travail. Leur mission:
travailler avec les entreprises pour trouver du travail aux immigrants de
la grande région de Québec. "Ce que l'on fait, c'est finalement une
pré-sélection gratuite pour les entreprises." résument-elle, lors
d'une interview commune dans les bureau de l'organisme, au 275 rue de l'Église,
dans le quartier Saint-Roch de Québec. "Le
premier des messages que nous souhaitons passer aux patrons d'entreprises
de la région, c'est appelez-nous!" lancent aussi les deux agentes de
placement. "Il y a des entreprises qui nous appellent, mais c'est
plutôt rare", précise Laurence Amat. La vérité, c'est que si
elles attendaient que le téléphone sonne, la très grande majorité de
leurs clients resteraient chômeurs pour l'éternité. Les deux femmes sont continuellement pro-actives et prennent tous les moyens pour dénicher des opportunités d'embauches. Cette année, elles se donnent comme objectif particulier de développer davantage la région Chaudière-Appalaches. Ensemble, elles ont constitué une banque de plus de 300 entreprises. "C'est donc plus de 300 entreprises où nous avons au moins parlé une fois à la personne responsable du recrutement du personnel" explique Xiaomian Xie. La banque Et
dans leur travail quotidien, quel niveau d'ouverture d'esprit des
employeurs face aux avantages à engager un travailleur immigrant
constatent-elles? «À compétence égale, un c.v. passe mieux si un
candidat a une expérience de travail au Québec à présenter... et à
compétence égale un employeur va encore généralement prendre un
candidat local», risquent-elles sans hésitation. Et l’aspect commerce
international dans tout cela? Quelques
cas récents viennent rapidement à leur mémoire, mais leur témoignage
montre manifestement que c’est plus souvent indirectement que cela
arrive. Elles citent l’exemple d’un informaticien récemment placé
dans une entreprise, où l’employeur a ensuite beaucoup apprécié découvrir
aussi sa compétence en espagnol. «Mais nous ne plaçons pas fréquemment
notre clientèle avec ce souci là", constatent-elles. "Si
nous offrons un candidat, c'est que nous sommes persuadées qu'il est prêt
pour travailler. Sinon, on le renvoie dans les autres services du SOIT
pour parfaire ses compétences," précisent-elles. Évidemment, la
situation inverse est aussi fréquente: l'employeur est en demande, mais
la perle rare n'est pas au rendez-vous. "Actuellement, nous avons,
par exemple, une pénurie de chefs-cuisiniers," explique Laurence
Amat. BRANCHÉ JUSQU'À MONTRÉAL Pour
augmenter ses chances de succès, le Service de placement du SOIT n'hésite
donc pas à élargir sans cesse ses réseaux de contacts: "L'an
dernier, nous avons beaucoup travaillé avec nos collègues de Montréal.
Les gens d'affaires de Québec doivent aussi retenir que nous sommes
capables d'aller chercher des immigrants de Montréal qui ont de l'intérêt
pour venir travailler à Québec. Nous y travaillons avec des
réseaux bien établis avec d'autres organismes comme le SOIT. Et
à deux reprises, nous nous sommes impliquées dans des visites
industrielles en entreprises à Québec concernant des candidats qui
venaient de Montréal", expliquent-elles encore. Même
si le SOIT n'a jamais fait d'étude systématique de satisfaction des
employeurs ayant utilisé ses services de placement, Laurence Amat, après
quatre ans à ce poste, et Xiaomian Xie, pour qui cela fera deux ans très
bientôt, sont cependant persuadées d'une choses: "Nos employeurs
sont contents. On le sait, nous leur parlons constamment!" Et bientôt,
elles pourront d'ailleurs mettre des chiffres sur cette impression du
quotidien, car un questionnaire est justement en préparation à cette
fin. LE PARI DE L'AVENIR Même
si la région immédiate de Québec a connu un accroissement de sa
population d’environ 10% depuis 1986, sa masse critique de population
n'est actuellement pas suffisante pour créer un effet boule de neige pour
l'immigration. «Il faudrait que les décideurs publics et privés
inscrivent l'immigration dans leur priorité à titre de levier économique
régional» suggère Yuho Chan,
coordonnateur des services et conseiller en emploi au SOIT. Pour
lui, bien que des efforts de sensibilisation soient effectués régulièrement,
la mobilisation régionale face à la question de l’immigration se place
encore au rang des attentes. "Tant que les décideurs de tous les
niveaux ne passeront pas à l'action concrète, nous y perdrons en terme
de développement durable de l'immigration", ajoute l'homme, qui
pense évidemment ici aux immigrants investisseurs, qui représentent à
eux seuls un effet de levier stratégique pour une économie régionale,
mais aussi à l'accroissement démographique que représente
l'immigration. Des gens qui vivent et consomment "chez nous"
avant toute chose. Et il y a en plus l'échange multiculturel, qui
couronne l'apport économique de l'immigration d'aujourd'hui. Pierre Touré n'est sûrement pas celui qui va dire le contraire. Bien établi depuis 30 ans à Québec et au parfum des enjeux de la région, le directeur ne cachait d'ailleurs pas que le SOIT faisait partie des entreprises ayant sousmissionné pour le projet sur les travailleurs stratégiques de la SPEQM cité plus haut. |