Alliance Coopérative Internationale en congrès à Québec
Le monde coopératif doit aussi se mesurer à la mondialisation

 

par Daniel Allard

Ils étaient un millier, pour la première fois en congrès en Amérique du Nord. Le Mouvement Desjardins, qui va fêter son centenaire l'an prochain, avait réussi le bon coup de les convaincre de venir à Québec. Du 29 août au 3 septembre, bénis par un soleil des dieux toutes la semaine, c'est dans un climat plus qu'agréable que les délégués de l'Alliance coopérative internationale provenant de 93 pays, ont préparé la riposte, face aux bourrasques que fait souffler, de plus en plus fort, la mondialisation sur les coopératives des quatre coins de la planète.

Le milieu des coopératives n'est pas en crise. Le document "Global Co-operation in a New Century - a Situation Report", signé Edgard Parnell, aura cependant plongé les délégués de l'Assemblée générale de l'Alliance coopérative international (ACI) en mode "réformes importantes à l'horizon".

L'ACI, International Co-operative Alliance (ICA) en anglais, ne part pas tout à fait de zéro. Et ce n'est pas l'arrivée des grosses banques privées sur Internet qui l'impressionne. Le monde des coop exploite le web depuis belle lurette, sur la base de l'une de ses propres forces: la coopération et la solidarité entre membres.

DE LA CO-OPERATIVE-BUS LISTSERVE AU VCC

La Co-operative-Bus Listserve en est un bon exemple. Lancée dès 1994, avec 20 adhérents, la liste Internet qu'administre le University of Wisconsin Center for Co-operatives (UWCC) compte présentement quelque 375 membres à travers le monde. Avec un outil comme le listserver@relay.doit.wisc.edu, face à la règle de la concurrence des entreprises privées, le milieu coopératif à l'échelle de la planète se refile des tuyaux, des tactiques, de la formation continue, des informations stratégiques.

Exemple encore plus à propos, le VCC. Ce Virtual Community for co-operatives existe sur Internet depuis 1997 (http://edu.coop.org). Tous ses utilisateurs contribuent directement à l'alimenter et à le construire. Il est doté d'un système de base de données capable d'accepter des données de la part de n'importe quel utilisateur du net et de redistribuer cette information à partir de pages web formatées automatiquement, sans intervention humaine. 

Le International Co-operative Information Center (www.wics.edu/uwcc/icic) est encore un autre outil du genre. En place depuis 1995, c'est un projet conjoint de l'ACI et du UWCC. Et au Brésil, le Réseau Universitaire d'Incubateurs Technologiques des Coopératives Populaires (incub@uol.com.br), créé en 1995, est actuellement développé dans 13 grandes universités du pays (www.ilea.ufrgs.br/unitrab).

L'ACI a aussi un projet de E-Commerce en route. Il a débuté en janvier 1999. Dès le mois suivant, il fut proposé de mettre en place un site portal sur Internet pour le commerce entre coopératives, ainsi qu'une autorité de certification appelée Co-op Key. Malheureusement, le projet s'est retrouvé sur la glace, faute de financement suffisant!

En parallèle, une entente avec les autorités du réseau des Trade Point, mis sur pied par la CNUCED - une agence spécialisée de l'ONU - offre une alternative: "An Agreement to set up an Internet-based WorldWide Co-operative Board of Trade is now under consideration with an UNCTAD Trade Point Project partner in Silicone Valley", pouvait-on lire de la plume de Mary Treacy, la directrice des communications de l'ACI, dans le dernier bulletin ICA News, disponible lors du congrès de Québec.

Manifestement, malgré qu'il traîne étrangement une fausse image de "machin vieillot et dépassé" - probablement faute d'un effort de marketing adéquat - le monde des coopérative n'est globalement pas en crise. Il fallait d'ailleurs voir la présentation vidéo d'une sélection des meilleures publicités "coop" à travers le monde, lors du congrès de Québec. À la lumière de la situation au Québec, le système coopératif serait même en mesure de permettre un meilleur taux de survie des entreprises. (Voir encadré ci-bas.)

C'est en formant une coop que les employés ont relancé United Airlines et évité la faillite de ce mastodonte de l'aviation civile américaine! Avec une pub-télé originale et très communicative (des petits poissons qui ensemble font peur au gros!), CO-OP Atlantic a récemment fait grimper sa part du marché de 30% à 50%, dans l'Est du Canada.

AU QUÉBEC, LE BILAN GÉNÉRAL EST PLUTOT ENCOURAGEANT

Pour sa part, le ministre délégué à l'Industrie et au Commerce, Guy Julien, profitait de l'événement pour rendre publique une étude sur le taux de survie des entreprises coopératives au Québec. Portant sur les coopératives autres que financières, elle révèle que les entreprises coopératives du Québec ont un taux de survie deux fois supérieur à celui des entreprises en général: 64% de toutes les coopératives franchissent le cap des 5 ans d'existence, contre 36% pour les entreprises en général et 46% franchissent le cap des 10 ans d'existence, contre 20% pour les entreprises privées en général.

Au Québec, les 2 100 coopératives autres que financières constituent une force économique majeure générant un chiffre d'affaires de près de 6,2 milliards $, en hausse de 28% dans les cinq dernières années (1993-1998). Le nombre de coopératives au Québec est également en croissance constante: de 2025 quelles étaient en 1993, on en comptait 2127 en 1996 et 2217 en 1997 (le plus haut niveau de son histoire). En 1997, elles étaient à 56% de type Habitation, à 24% Autres consommateurs, à 10% de Travailleurs, à 7% Agricoles et à 3% de type Autres producteurs.

 

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L'URGENCE EST DAVANTAGE CHEZ TOUS LES "MOUVEMENTS DESJARDINS" DE CE MONDE

Comment les coopératives du secteur financier peuvent réagir devant des joueurs mondiaux, tel Citigroup, déjà en mesure de consacrer 200 millions $US chaque année, expressément pour le développement de sa présence sur Internet?

Ici, il y a bel et bien danger en la demeure. Selon Claude Béland, qui en plus de présider le Mouvement Desjardins, a la même fonction auprès de l'Alliance internationale des banques coopératives (AIBC), certains regroupements coopératifs pourraient effectivement basculer dans le monde capitaliste au cours des prochaines années, comme cela vient de se produire de manière significative en Amérique latine, où l'actif des banques coopératives a diminué de 25% depuis deux ans.

Un relevé, datant de 1998, du Centre de gestion des coopératives de l'École des HEC de Montréal montrait que le secteur de la coopération bancaire dans le monde totalisait 299 millions de membres et un actif de 6 000 milliards de $US, soit 17% de l'actif des 1 000 plus grandes banques de la planète. Selon une évaluation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les avoirs bancaires mondiaux s'élevaient à quelque 40 000 milliards $US en 1994.

À l'échelle mondiale, le mouvement coopératif est une force énorme, mais fragmentée! On évaluait à 14 500 le nombre de banques privées aux États-Unis en 1985; on en compterait maintenant plus que 9 000 et les 10 plus grosses représenteraient le 2/3 du capital! La moyenne du ratio coûts/revenus des banques était de 67% en 1985; elle est maintenant de 58% et certaines banques sont en-dessous de 50%! Devant les grandes fusions bancaires dans le secteur privé, l'AIBC cherche toujours la réaction appropriée! Mais bien des oreilles ont entendu et entendu encore le mot fusion, sur le parquet du congrès de l'ACI, à Québec, fin août. "Concentration et démocratie peuvent-ils faire bon ménage?", se demandaient bien des délégués inquiets.

Ceux-ci doivent aussi reconnaître que le public n'est plus impressionné par la forme de propriété, mais par l'efficacité à livrer un produit.

Mais pour que "Le mouvement coopératif contribue à donner un visage humain à la mondialisation", comme l'a proposé le ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, Stéphane Dion, à l'occasion de la cérémonie d'ouverture du congrès de l'ACI à Québec, il faudra aussi que la mondialisation ne vienne pas menacer les fondements du mouvement coopératif à travers la planète!

Un homme un vote, un taux d'intérêt limité mais juste, la répartition des surplus entre les sociétaires, proportionnellement au montant de leurs achats: tels furent les grands principes des pionniers de la coopération, il y a un siècle et demi.

La première initiative réussie de coopérative
fut lancée à Rochdale, en Angleterre,
par une vingtaine de personnes, en 1844.

RÉPONDRE AUX NOUVEAUX BESOINS

D'autres défis questionnent les banques coopératives. Aux États-Unis seulement, 11 milliards $ sont annuellement dirigés vers l'Amérique latine et les Philippines, par les immigrants voulant alimenter leur famille dans leur pays d'origine. Les Credit Union et Caisses populaires de ce monde ne peuvent pas actuellement répondre à ce besoin.

Dans le cadre de ses travaux de cette année, l'ONU est d'ailleurs appelée à discuter d'un rapport sur les mesures législatives et administratives prises dans divers pays en vue d'accorder aux coopératives un cadre juridique propice.

De Rochdale à l'ACI!

Les 28 tisserands qui fondèrent, à Rochdale en décembre 1844, dans une Angleterre en pleine révolution industrielle, la première coopérative de l'histoire de l'humanité, seraient plus qu'impressionnés, seulement 155 ans plus tard, de constater le chemin parcouru: fondée pour sa part en 1895, l'ACI est maintenant la plus vaste organisation internationale non gouvernementale et non confessionnelle au monde, elle compte 242 organisations membres provenant de 93 pays de tous les continents, 749 000 coopératives y sont affiliées, dont le membership total est de 725 millions de personnes.

A l'échelle des Nations, il n'y a que la Chine et l'Inde, parmi les quelque 200 pays du monde, qui comptent un plus grand nombre de personnes!

Pour sa part, le Canada est déjà passé aux actes. La nouvelle loi canadienne régissant les coopératives, sanctionnée le 31 mars 1998, donne davantage de flexibilité aux coopératives pour avoir accès à des capitaux tout en respectant leurs caractéristiques propres.

Le Canada compte environ 10 000 coopératives,
qui regroupent 15 millions de membres.
Soit 50% de la population du pays.

C'est après la lecture de People's Banks, d'Henry W. Wolff, alors président de la nouvelle ACI encore toute jeune, qu'Alphonse Desjardins se lance dans l'aventure des Caisses populaires au Québec. Aujourd'hui, ses successeurs doivent lire entre les lignes des stratégies des "World Banks" - les grosses banques de classe mondiale - pour organiser correctement leur avenir.

Aux vues des travaux du congrès et de l'Assemblée générale de Québec, il semble que la chaleur exceptionnelle et le soleil radieux de la capitale québécoise aient inspiré les 1000 délégués sur place et que l'Alliance coopérative internationale se soit mise sur les bonnes voies. Un participants au congrès de Québec aurait même proposé de créer un symbole, un logo mondial, genre "Made in Coop"!

Pour en découvrir davantage sur l'ACI: www.coop.org

(Toutes les présentations du dernier congrès de l'ACI seront d'ailleurs disponibles sur ce site dès le 20 septembre.)

PROCHAIN RENDEZ-VOUS POUR L'ICA:
25-27 SEPTEMBRE 2001
SÉOUL
CORÉE DU SUD