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"Je
propose la création d'une Organisation
mondiale pour le développement social."
Riccardo
Petrella,
président du Groupe de Lisbonne
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Elles sont nombreuses les personnalités
qui passent à l'occasion du Salon international du livre de Québec. Le
monde de la culture et de l'imaginaire y est habituellement largement
représenté. Cette année, au travers des livres proposant la détente,
l'évasion ou le rêve, un homme, de plus en plus internationalement
connu, venait ramener sur terre chaque citoyen que nous sommes. Le
politologue italien qui préside, depuis 1992, le Groupe de Lisbonne,
après les excès de la compétitivité, en avait cette fois contre la
gestion mondiale de l'eau. Son dernier ouvrage, Le
manifeste de l'eau, est un plaidoyer éloquent appelant à une
reconnaissance de nos ressources naturelles stratégiques comme bien
commun patrimonial de l'humanité. De la sorte, il porte un jugement
sévère sur ceux qui nous gouvernent, ainsi que sur nos institutions.
Son prochain ouvrage, Le désarmement
financier, poursuivra d'ailleurs dans le même sens. Comment
Riccardo Petrella voit-il l'avenir du monde? Nous l'avons interviewé,
le 11 avril dernier. |
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Entrevue
réalisée par Daniel Allard
(CMQC)
Pourquoi, dans votre analyse, mettez-vous les trois sujets: finance,
communication et eau, en tête de liste et dans un groupe à part? Est-ce une
question de stratégie que de choisir d'abord l'eau comme objet d'un premier
"contrat mondial"?
(Riccardo Petrella) "L'eau
est plus paradigmatique, à la fois sur le plan symbolique, politique et humain
et social. Sur le plan symbolique, elle évoque le problème de la vie et doit
être considérée comme un bien commun... Sur le plan politique, ensuite, parce
qu'elle évoque la question des règles, du droit et des institutions.
Symbolisant ici notre déficit politique à pouvoir gérer correctement la
ressource. D'autant plus que l'effet de la gestion de type étatisé a été de
justifier la tendance actuelle de se tourner vers la privatisation...
Finalement, sur le plan humain et social, le problème de l'eau évoque et met
en évidence tout le problème de la citoyenneté et de la souveraineté... Il
faut établir pour l'eau des moyens, des ingrédients de solidarité humaine,
pour une gestion en tant que ressource qui doit être accessible à tout le
monde. Par son rapport à la vie, l'eau est primordiale, avant tout le reste,
pour l'établissement de contrats mondiaux."
(CMQC)
Après l'eau, quel autre domaine voudriez-vous privilégier?
(R. P.) "La finance. Là
aussi, nous constatons une perversion de la situation normale. Alors que la
finance doit être un instrument au service du "welfare", elle est
aujourd'hui l'instrument au service du capital privé avec un seul objectif: la
maximisation du profit... il y a un renversement de pouvoir."
(CMQC)
Si on imagine comme mode de gestion idéal de l'eau la gestion par bassin
versant, est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'il faut même être prêt à
changer des frontières?
(R. P.) "Oui, oui! Les
Parlements par bassin... Si les structures intergouvernementales se révèlent
inadaptées pour assurer une gestion solidaire et durable d'un bassin, il faut
alors dépasser les formules des traités intergouvernementaux et inter-étatiques
et redonner la gestion aux vrais propriétaires, qui sont les habitants.
Il est clair que
le problème de la souveraineté n'est pas l'objectif fondamental. On ne va pas
dire qu'il faut faire des activités politiques par bassin, suivant une forme de
reconstitution sur la base de l'eau des États-Nations. Pas du tout. Mais
l'organisation par bassin de forme démocratique, c'est cela que je suggère.
Par exemple, l'organisation de parlements et d'assemblées parlementaires qui
n'empêcheraient pas une action participative, dans le cadre d'un droit mondial
de l'eau et d'une autorité mondiale de l'eau aussi. Il ne faut pas avoir peur
de multiplier les formes d'assemblées parlementaires. Moi, je crois que
d'organiser des structures parlementaires de manière à gérer par bassin,
c'est une bonne piste.
"C'est scandaleux
l'expression qui dit que l'eau
deviendra l'or bleu
de demain."
À ce titre, le
cas récent de l'Antarctique, déclaré
"bien n'appartenant à personne", est intéressant. C'est peut-être
un exemple, pour l'eau, d'un droit qui dépasse le droit étatique national. D'où
le Réseau des parlementaires pour l'eau
- qui regroupe actuellement onze parlementaires européens - et qui vise à
promouvoir une forme de coopération parlementaire au niveau d'où le problème
se pose. L'enjeu fondamental, c'est que l'eau devienne source de paix, au lieu
de devenir source de guerre, comme trop de gens actuellement ont tendance à le
dire... C'est scandaleux l'expression qui dit que l'eau deviendra l'or bleu de
demain. Cette marchandisation de l'eau, qui ne deviendrait disponible qu'à ceux
disposant des ressources pour l'acquérir, est inacceptable."
(CMQC)
Êtes-vous contre toute forme de tarification de l'eau?
(R. P.) "Tout d'abord,
je ne suis pas nécessairement plus pour l'étatisation que la privatisation. Je
suis pour la démocratisation, la "citoyennisation" de l'eau! Je
propose même, au contraire, la désétatisation lorsque l'État se comporte
comme les puissants.
Ceci dit, je
propose trois niveaux de tarification. Un premier par rapport à une quantité
minimale pour vivre, qui représente alors un investissement collectif et une
responsabilisation financière collective, qui est gratuit pour le citoyen. A
partir de ce niveau, on impose un prix progressif. Le troisième est de dire que
ce n'est pas parce que je peux payer que je peux abuser! A partir d'un certain
niveau d'usage, cela devient illégal et interdit... C'est la pénalisation de
l'usage abusif."
(CMQC)
Vous appelez souvent les citoyens à s'assumer. Allons cette fois au niveau des
institutions. Est-ce que vous aimez, par exemple, la direction que prend
actuellement l'Organisation mondiale du commerce (OMC)? Est-ce que la solution
passe par l'ONU? Que faut-il viser: réviser ces institutions ou recommencer
ailleurs?
(R.
P.) "Les règles de l'OMC sont élaborées et
imposées en fonction de la loi et des intérêts du plus fort... C'est la
logique du winner. Elles ne protègent pas le plus faible. Il faut fixer des règles
de régulation du commerce, pas seulement de libéralisation. Il faut donc
changer les règles actuelles de l'OMC, du FMI et de la Banque Mondiale, pour
affirmer au contraire que l'objectif est d'améliorer le "welfare"...
Dans ce sens, il faut réglementer également les mouvements des capitaux...
Pour le dernier
aspect de votre question, il ne faut pas exclure que les batailles doivent
prendre place dans le cadre des institutions actuelles. Mais comme l'expérience
des dernières années montre que cela n'aboutit à rien, par exemple à
l'Organisation internationale du travail (OIT), et bien il faut changer..."
(CMQC)
Le "désarmement financier", vous allez proposer cela à l'intérieur
des institutions actuelles?
(R. P.) "Moi,
personnellement, je pense qu'il est urgent de modifier complétement l'ingénierie
de l'architecture financière actuelle - FMI, Banque Mondiale et OMC - et je
propose l'abandon de ces institutions et la création d'une Organisation
mondiale pour le développement social."
(CMQC)
Merci!